Renonciations, reports et retraits des demandes d'examen en vue d'une libération conditionnelle : Étude des caractéristiques des utilisateurs fréquents
Remerciements
Nous aimerions remercier tout spécialement Colette Cousineau, du Service correctionnel du Canada (SCC), et Lynne Chatelain, de la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC), pour le temps qu'elles ont consacré à cette recherche. Nous désirons également exprimer notre reconnaissance à Brian Grant dont les observations, la rétroaction et les suggestions nous ont été précieuses tout au long des différentes phases du processus de recherche sur les renonciations.
Résumé
Le Service correctionnel du Canada (le SCC ou le Service) et la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC ou la Commission) sont tous les deux confrontés à un même problème : le grand nombre de détenus qui renoncent aux examens de leur cas en vue d'une semi-liberté ou d'une libération conditionnelle totale et qui en demandent le report ou le retraitNote de bas de page 1. Ces retards et ces annulations, surtout ceux de dernière minute, ont des conséquences sur le temps et les ressources dont disposent la Commission et le Service. Un rapport de recherche paru en 2009 passe en revue les caractéristiques des détenus sous responsabilité fédérale qui renoncent à l'examen de leur cas en vue d'une libération conditionnelle, le reportent ou retirent leur demande (Cabana, Beauchamp, Emeno et Bottos, 2009). Une tendance observée dans le cadre de cette étude retient cependant l'attention : un groupe relativement restreint de détenus – représentant moins de 10 % du nombre total de détenus dont les audiences de libération conditionnelle sont retardées ou annulées – est à l'origine de près d'un quart de tous les retards et annulations. Le but de la présente étude de suivi était d'examiner plus en profondeur le groupe de détenus responsable de retards et annulations multiples, de façon à confirmer chez ce groupe la présence de caractéristiques particulières pouvant nous aider à mieux les comprendre.
Pour mener la présente étude, les auteurs ont procédé à une collecte de renseignements sur tous les détenus dont les dossiers faisaient mention d'au moins une renonciation, un report ou un retrait entre le 1er avril 2007 et le 31 mars 2009. Durant cette période, 8 604 détenus ont enregistré 14 563 renonciations, reports ou retraits. Près des deux tiers (63,9 %) de ces détenus n'étaient visés que par une décision, un cinquième (20,8 %) par deux décisions et 6,7 % par trois décisions. Il existait cependant un groupe de 735 détenus qui avaient fait l'objet d'au moins quatre décisions; c'est ce groupe que nous avons qualifié d'« utilisateurs fréquents ». Il ne représentait que 8,5 % de tous les détenus qui étaient à l'origine d'une renonciation, d'un report ou d'un retrait, mais comptait pour plus d'un quart (25,6 %) de ces décisions, soit 3 736.
La compréhension des facteurs qui contribuent au nombre élevé de renonciations, de reports et de retraits pourrait aider le Service à élaborer des stratégies visant à réduire la fréquence des retards et annulations multiples. Par exemple, si chacun de ces 735 détenus n'enregistrait qu'une seule renonciation, un seul report et un seul retrait, le nombre de décisions rendues dans l'ensemble du pays diminuerait de plus d'un cinquième. C'est donc dans le but de mieux comprendre ce groupe de détenus que nous nous sommes intéressés à leurs caractéristiques démographiques, leurs antécédents criminels, la durée de leurs peines, leur cote de sécurité, leurs niveaux de risque et de besoins, leurs comportements en établissement ainsi qu'aux établissements et aux régions où ils étaient incarcérés. De plus, des exemples de cas individuels sont présentés afin d'illustrer de quelle façon les retards et les annulations multiples (p. ex., lorsqu'un détenu présente une demande de semi-liberté et une demande de libération conditionnelle totale à la même audience) ont pour effet de gonfler le nombre de décisions.
L'étude du profil des utilisateurs fréquents a révélé l'existence de nombreuses ressemblances avec les détenus qui avaient à leur actif trois renonciations, reports ou retraits ou moins. Certaines différences ont toutefois été relevées entre les groupes. Premièrement, les détenus présentant des niveaux plus élevés de risque et de besoins semblaient plus enclins à annuler un examen en vue d'une libération conditionnelle plutôt que de reporter leur audience à maintes reprises. Deuxièmement, les multiples reports consécutifs semblaient être liés à des facteurs non encore maîtrisés qui pouvaient influencer la décision de la Commission d'accorder la libération conditionnelle tels que la difficulté d'obtenir un placement dans un établissement résidentiel communautaire, un programme correctionnel non terminé, des rapports psychologiques ou autres pas encore présentés à la Commission ou une décision en instance devant un tribunal (comme des accusations en instance). Troisièmement, les utilisateurs fréquents étaient généralement plus nombreux à avoir enregistré deux retards ou annulations pour une audience prévue. Cela signifie que ces détenus devaient se présenter devant la Commission à la même date pour leur examen en vue d'une semi-liberté et leur examen en vue d'une libération conditionnelle totale, et que chaque retard ou annulation a été compté séparément. Ainsi, entre le 1er avril 2007 et le 31 mars 2009, les comptages doubles représentaient près d'un cinquième du nombre total de renonciations, de retraits et de reports d'examens en vue d'une semi-liberté et d'une liberté conditionnelle totale. Par conséquent, cette méthode de comptage augmente artificiellement le nombre de renonciations, de retraits et de reports. En dernier lieu, outre les différences précises entre les détenus, le nombre d'utilisateurs fréquents variait sensiblement d'une région ou d'un établissement à l'autre. Par exemple, nous avons constaté que les régions du Pacifique et du Québec comptaient un plus fort pourcentage d'utilisateursfréquents que d'utilisateurs peu fréquents.
En prenant conscience du nombre de retards et d'annulations générés par les utilisateurs fréquents ainsi que du comptage double des retards et annulations des audiences prévues de libération conditionnelle, il est plus facile de comprendre les facteurs qui influent sur ces tendances et, lorsque cela est possible, de réduire la fréquence desretards et annulations multiples.
Introduction
On cherche de plus en plus à comprendre les caractéristiques des détenus qui accaparent un pourcentage anormalement élevé du temps, de l'attention et des ressources des systèmes correctionnels; ceux que certains professionnels du milieu correctionnel qualifient d'utilisateurs fréquents (Chandler Ford, 2005). Dans certains cas, un groupe relativement restreint de détenus peut être à l'origine de tendances plus affirmées, influencer les services et drainer les ressources opérationnelles. La recherche peut jouer un rôle important en recensant les caractéristiques de ces individus ou groupes et aider l'organisation à comprendre plus clairement les problèmes; ce qui, par ricochet, peut susciter des interventions plus efficaces. Chandler Ford (2005), par exemple, a examiné les dossiers de délinquants placés en détention et découvert que certains d'entre eux avaient été placés en détention dans des prisons locales des douzaines de fois et que d'autres avaient été arrêtés à plus de 100 reprises. Un examen plus attentif de ces dossiers a révélé que les délinquants concernés présentaient généralement des troubles concomitants – une combinaison de problèmes de santé mentale et de toxicomanie – et qu'ils étaient souvent des auteurs récidivistes d'infractions mineures. Gladwell (2006) a fait remarquer que, en réponse au problème des utilisateurs fréquents, certaines instances gouvernementales étaient en train d'élaborer des stratégies innovatrices à l'intention de ces récidivistes chroniques et a souligné que ces interventions s'étaient traduites par des réductions de coûts et avaient permis au système de justice d'affecter ses ressources aux détenus ayant commis des crimes plus graves ou ayant des besoins plus considérables.
Un exemple de ce type de problématique est mentionné dans un rapport récent publié conjointement par le Service correctionnel du Canada (le SCC ou le Service) et la Commission nationale des libérations conditionnelles (la CNLC ou la Commission) qui présente les résultats d'une étude sur les renonciations, les reports et les retraits des examens des dossiers de libération conditionnelle (Cabana, Beauchamp, Emeno et Bottos, 2009). Ces retards ou annulations présentent un intérêt tant pour la Commission que pour le Service, puisqu'ils font référence à une situation où un détenu admissible à un examen de son cas en vue d'une libération conditionnelle ne s'est pas présenté devant la Commission à la date d'audience prévue. De tels retards ou annulations peuvent résulter de la décision du détenu de ne pas comparaître devant la Commission ou de la décision de celle‑ci de retarder l'examen du cas (p. ex., un ajournement ou un ajournement administratif). La présente étude ne s'intéresse qu'aux décisions prises par le détenu et englobe les renonciations, les reports et les retraits. Une renonciation est une déclaration écrite présentée volontairement par un détenu par laquelle il renonce à son droit conféré par la loi de faire l'objet d'une audience ou d'un examen de la CNLC (Directive du commissaire [DC] 712-1; paragraphe 123(2) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Un report est une demande du détenu visant à faire repousser l'audience ou l'examen, ce qu'il peut demander à n'importe quel moment avant la date fixée (DC 712-1). Un détenu peut aussi retirer une demande de comparution devant la Commission pour l'examen de son dossier en vue de la libération conditionnelle en informant la Commission par écrit qu'il ne souhaite plus se soumettre à cet examen (DC 712-1). (L'annexe A contient un résumé des termes définis ici.) Dans toutes ces circonstances, l'examen de la demande de libération conditionnelle n'a pas lieu comme prévu et aucune décision n'est prise concernant la mise en liberté sous condition.
Les motifs des retards et annulations sont multiples. Un certain pourcentage d'entre eux peut être attribué à des programmes correctionnels non complétés, à des dossiers d'information incomplets (p. ex., l'évaluation psychologique ou le registre des interventions) et à l'absence d'un plan acceptable de libération. Les retards et les annulations de dernière minute sont particulièrement onéreux pour la CNLC : les membres de la Commission ont déjà pris connaissance du dossier du détenu en cause ou se sont rendus dans un établissement pour l'audience. Ils entraînent également des coûts importants pour le SCC puisqu'il est alors possible qu'un détenu demeure incarcéré alors qu'il aurait pu être géré en toute sécurité dans la collectivité. De plus, le pourcentage de renonciations, de reports et de retraits augmente sans cesse. En 2008, la CNLC a indiqué que le pourcentage des décisions fédérales prélibératoires en vue d'une libération conditionnelle totale qui avaient été retardées (reportées, replanifiées ou ajournées) ou annulées (abandonnées ou retirées) était passé de 55 % en 1998-1999 à 62 % en 2007-2008 (CNLC, 2008). Ainsi, au cours de l'exercice 2007-2008, 8 061 décisions ont été retardées ou annulées, bien que ce nombre ait chuté à 7 352 l'année suivante, ce qui porte à croire que les mesures prises pour réduire le nombre de retards et d'annulations pourraient avoir été efficaces.
C'est dans l'espoir de mieux comprendre les facteurs qui contribuent aux retards et aux annulations des examens des demandes de libération conditionnelle que Cabana et ses collègues (2009) ont entrepris de dresser un profil descriptif des détenus en cause et de les interviewer. Parmi les motifs invoqués par les détenus pour ne pas avoir comparu devant la Commission figuraient habituellement le fait de ne pas avoir complété les programmes correctionnels nécessaires, l'impression que leur agent de libération conditionnelle ou leur équipe de gestion des cas (EGC) n'était pas favorable à leur mise en liberté sous condition, ou des facteurs donnant une piètre image de leur comportement tels qu'un manquement à la discipline dans l'établissement, une analyse d'urine positive ou l'échec de mises en liberté antérieures.
L'étude de 2009 a également révélé que, durant l'exercice 2007-2008, 4 924 détenus étaient en cause dans 8 061 décisions à l'origine des retards ou des annulationsNote de bas de page 2 des audiences en vue de la semi-liberté ou de la libération conditionnelle totale. La majorité (66 %) n'avaient qu'un retard ou une annulation à leur actif et un autre quart avaient enregistré deux ou trois retards ou annulations durant cette même période. Fait particulièrement intéressant, Cabana et ses collègues ont constaté qu'un très petit groupe de détenus (n = 376; soit environ 8 % des détenus) était responsable de près d'un quart des retards et des annulations. De surcroît, certains détenus ne s'étaient pas présentés à dix reprises ou plus à un examen prévu, ce qui soulève des questions quant aux motifs et aux facteurs qui entraînent des retards et annulations multiples.
Les retards ou annulations multiples peuvent comprendre des renonciations et des retraits de demandes, mais les reports des examens de cas en vue d'une libération conditionnelle contribuent probablement aux retards répétés. D'une façon générale, une renonciation est valide jusqu'à la prochaine date d'examen (deux ans), comme l'indique le paragraphe 123(5) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Par conséquent, lorsqu'un détenu renonce à un examen de son cas en vue d'une libération conditionnelle totaleNote de bas de page 3, il faut attendre deux ans avant que ne soit fixée une nouvelle date d'audience à moins que le détenu ne demande à comparaître devant la Commission avant la date prescrite par la loi. Le report d'un examen de cas en vue d'une libération conditionnelle n'excède pas trois mois (Manuel des politiques de la CNLC, 2009), mais la Commission peut accepter des demandes de reports de plus longue durée. À deux ou trois mois d'intervalle, il est donc possible qu'un détenu accumule des reports répétés sur une période de deux ans.
Le présent rapport de suivi porte sur le groupe de détenus ayant à son actif des retards et annulations multiples (que nous appellerons ici les « utilisateurs fréquents ») et examine les explications possibles de la fréquence de ceux-ci. L'objectif était de déterminer si les utilisateurs fréquents présentaient des caractéristiques différentes des utilisateurs peu fréquents, d'examiner les motifs possibles des retards multiples ainsi que les différences régionales dans la fréquence de tels retards. Étant donné que certains reports et renonciations sont parfois perçus comme des indicateurs de retards évitables dans la transition du délinquant vers la collectivité (Bureau de l'enquêteur correctionnel (BEC), 2001; 2007; 2009), une étude plus approfondie du groupe des utilisateurs fréquents décrit dans un rapport de recherche antérieur peut aider à mieux comprendre la nécessité des retards multiples. La présente étude tente également d'établir si les renonciations et les reports sont, dans les faits, de bons indicateurs de retards évitables.
Méthode
Les participants
Les données extraites du Système de gestion des délinquant(e)s (SGD), une base de données automatisée du SCC contenant de l'information provenant des dossiers des délinquants, ont permis d'obtenir des renseignements sur les détenus qui avaient enregistré au moins une renonciation, un report ou un retrait entre avril 2007 et mars 2009. En tout, 8 604 détenus étaient responsables d'au moins un retard ou une annulation durant cette période. De ce nombre, 335 (4 %) étaient des femmes. Les détenus autochtones représentaient 22 % de ce groupe.
Façon de procéder et analyses
Dans les analyses qui suivent, un certain nombre de caractéristiques des détenus (p. ex., données démographiques et afférentes aux infractions commises, profils de risque et de besoins) et de facteurs liés à l'établissement (p. ex., manquements à la discipline ou accusations en établissement, placements en isolement), y compris la région d'incarcération, ont été examinés dans le but de circonscrire les motifs possibles des retards et annulations multiples. Les renseignements disponibles dans le SGD concernant le motif de la renonciation, du report ou du retrait ont également été utilisés. Ces codes n'expliquent que partiellement la renonciation, le report ou le retrait, mais aideront à dégager les différences potentielles entre les facteurs qui entraînent des retards et des annulations multiples.
Afin de définir le groupe des détenus responsables d'un plus grand nombre de retards ou d'annulations, les détenus ayant fait l'objet de trois décisions ou moins ont été classés dans le groupe des utilisateurs peu fréquents et ceux visés par quatre décisions ou plus ont été classés dans le groupe des utilisateurs fréquents. Ces deux catégories sont utilisées tout au long du présent rapport.
Différentes analyses descriptives ont été réalisées afin d'examiner les caractéristiques des détenus à l'origine d'un petit nombre de retards et d'annulations et celles des détenus ayant de multiples renonciations, reports ou retraits à leur actif. Des tests du chi carré ont permis d'examiner les différences entre les sous-groupes et de discerner toutes les différences basées sur des facteurs tels que le placement régional, l'origine ethnique et la durée de la peine.
Les résultats
Du 1er avril 2007 au 31 mars 2009, 8 604 détenus ont enregistré 14 563 renonciations, reports ou retraits d'examens de leur cas en vue d'une semi-liberté ou d'une libération conditionnelle totale. Le total des renonciations, des reports et des retraits pour les exercices 2007‑2008 et 2008‑2009 est présenté au tableau 1.
Comme l'indique le tableau 2, les trois quarts (75 %) des retards ou annulations sont rattachés aux examens des demandes de libération conditionnelle totale. Les renonciations et les reports se divisent presque également, les premières représentant 45 %, et les seconds, 46 % des retards et annulations.
Le nombre de renonciations, de reports ou de retraits par groupe de détenus est présenté au tableau 3. Ce tableau montre que près des deux tiers (63,9 %) des détenus ont fait l'objet d'une seule décision, le cinquième (20,8 %) de deux décisions et 6,7 % de ce groupe de trois décisions, ce qui correspond à 91,4 % de l'ensemble des renonciations, reports ou retraits. Le groupe des détenus visés par quatre décisions ou plus est relativement peu nombreux (n = 735), représentant 8,5 % de ceux qui sont à l'origine de renonciations, reports ou retraits, et plus d'un quart (25,6 %), soit 3 736 des décisions. Ce groupe comprend, à une extrémité, des détenus ayant fait l'objet de quatre décisions (4,6 %, 392 délinquants) et, à l'autre extrémité, un détenu ayant accumulé à lui seul 26 retards ou annulations en deux ans.
Les détenus visés par trois décisions ou moins étaient proportionnellement plus nombreux à avoir renoncé (56,8 %) à un examen de leur cas en vue d'une libération conditionnelle qu'à l'avoir reporté (34,4 %) ou à avoir retiré leur demande (8,8 %, voir le tableau 4). Réciproquement, ceux qui avaient fait l'objet de quatre décisions ou plus étaient proportionnellement plus nombreux à avoir reporté (78 %) un examen de leur dossier de libération conditionnelle qu'à y avoir renoncé (11,1 %) ou à avoir retiré une demande (10,9 %). Cette constatation révèle que le groupe des utilisateurs fréquents est plus de deux fois plus susceptible de reporter un examen – tandis que celui des utilisateurs peu fréquents (trois décisions ou moins) est cinq fois plus enclin à renoncer à comparaître devant la Commission.
Il est important de souligner que certaines procédures administratives peuvent se traduire par l'enregistrement de deux retards ou annulations pour une seule audience ou un seul examen du cas en vue d'une libération conditionnelle. En fait, un retard ou une annulation peut être consigné pour un examen du cas en vue d'une semi-liberté et pour un examen du cas en vue d'une libération conditionnelle totale qui devaient avoir lieu au cours d'une seule audience. Puisque les demandes de semi-liberté et de libération conditionnelle totale peuvent être examinées au cours d'une même audience, le nombre de reports, de renonciations et de retraits ne correspond pas nécessairement au nombre de fois où une audience a été repoussée ou annulée. Si l'on ne prend pas ces doublés en considération, le nombre de retards et d'annulations est artificiellement gonflé et peut être interprété à tort comme correspondant au nombre de fois où une audience n'a pas eu lieu.
Des 14 563 renonciations, reports et retraits enregistrés pour les exercices 2007‑2008 et 2008‑2009, nous avons dénombré 2 507 occasions où un examen d'une demande de semi-liberté et un examen d'une demande de libération conditionnelle totale devaient avoir lieu au cours d'une seule audience et ont été tous les deux retardés ou annulés. Comme l'indique le tableau 5, les détenus visés par quatre décisions ou plus étaient plus susceptibles de vivre des situations où deux décisions devant être rendues au cours d'une seule audience ont en fait été repoussées ou annulées (66 % comparativement à 12,1 % chez lesdétenus visés par trois décisions ou moins).
Caractéristiques des détenus
Certaines caractéristiques démographiques (p. ex., sexe, groupe ethnique), le type d'infraction, la durée de la peine, le comportement en établissement (p. ex., implication dans des incidents mineurs ou graves, ou placement en isolement) ont été examinés. L'un des objectifs de l'examen de ces facteurs était de tenter de savoir si certaines caractéristiques individuelles pouvaient aider à expliquer les renonciations, les reports ou les retraits multiples—en particulier dans le groupe des utilisateursfréquents.
Le pourcentage d'hommes et celui de femmes étaient identiques dans le groupe des utilisateurs peu fréquents et celui des utilisateurs fréquents (voir le tableau 6). Ce constat donne à penser que les délinquants ont été aussi enclins que les délinquantes à retarder ou à annuler un examen prévu de leur demande de libération conditionnelle à quatre reprises ou plus à l'intérieurde la période de deux ans étudiée (χ2(1) = 0,015, p = 0,902).
Une recherche antérieure (Cabana et coll., 2009) porte à croire que les délinquants autochtones (un groupe qui comprend les Indiens, les Innus, les Métis et les Inuits d'Amérique du Nord) pourraient être surreprésentés dans le nombre de retards et d'annulations des examens de demandes de libération conditionnelle. C'est pour examiner les différences possibles que le groupe des utilisateurs peu fréquents et le groupe des utilisateurs fréquents ont été subdivisés en fonction du statut ethnoculturel. Les trois plus gros groupes de détenus (les détenus blancs, autochtones et noirs), qui représentaient 92,7 % de la population carcérale durant les exercices 2007 à 2009 (SCC, 2009), ont été étudiés. La représentation des détenus blancs (66,6 %) et noirs (6,4 %) au sein des groupes combinés d'utilisateurs peu fréquents et fréquents était semblable à leur représentation dans la population carcérale, 65,7 % et 7,4 % respectivement. Les détenus autochtones représentaient un peu moins d'un cinquième (19,6 %) de tous les délinquants incarcérés (SCC, 2009), mais 22,4 % des détenus faisant partie des groupescombinés d'utilisateurs peu fréquents et fréquents.
Chose intéressante, comparativement aux détenus blancs (8,8 %) et noirs (10,3 %), les détenus autochtones (6,6 %) étaient moins nombreux à avoir enregistré quatre retards ou annulations ou davantage. Les différences entre les utilisateurs fréquents et les utilisateurs peu fréquents en fonction de leur appartenance ethnique étaient statistiquement significatives, χ2 (3) = 15,3, p = 0,002. À l'intérieur de ces groupes, le pourcentage d'utilisateurs fréquents et celui d'utilisateurs peu fréquents étaient presque équivalents; toutefois, dans le sous-groupe des détenus autochtones, les utilisateurs peu fréquents étaient un peu plus nombreux que les utilisateurs fréquents (23 % et 17 % respectivement). De ce fait, parmi les groupes ethniques, les détenus autochtones avaient le pourcentage le plus élevé de renonciations (70 %); venaient ensuite les reports (21 %) et les retraits (8 %). Des tendances semblables relativement aux types de retards ou d'annulations ont été observées dans tous les groupes ethnoculturels.
Les niveaux de risque et de besoins ont également été étudiés et les résultats de cette analyse semblent indiquer que les détenus à l'origine de retards ou d'annulations de multiples examens de demandes de libération conditionnelle semblent présenter des profils de risque et de besoins plus élevés. À titre d'exemple, Cabana et coll. (2009) ont fait observer que les détenus qui renonçaient à une audience de libération conditionnelle, la reportaient ou retiraient leur demande étaient proportionnellement plus nombreux à présenter des niveaux de risque et de besoins plus élevés à l'admission que ceux qui comparaissaient devant la Commission pour les examens prévusde leur cas en vue d'une libération conditionnelle.
Des analyses ont révélé que les détenus présentant de faibles niveaux de risque et de besoins étaient responsables des plus petits pourcentages de retards et d'annulations, ce qui correspond à seulement 5,8 % de toutes les décisions rendues au cours de la période deux ans étudiée si l'on regarde le niveau de risque, et à 3,2 % si l'on tient compte du niveau de besoins. En revanche, les détenus présentant des niveaux modérés de risque et de besoins étaient visés respectivement par 35,7 % et 25,7 % de toutes les décisions. Cependant, les détenus affichant les niveaux les plus élevés de risque et de besoins avaient également fait l'objet du pourcentage le plus élevé des décisions, soit 58,4 % dans le premier cas (risque) et 71,1 % dans le deuxième cas (besoins) de tous les reports, renonciations et retraits. Ces constatations concordent avec celles des travaux antérieurs de Cabana et de ses collègues (2009), qui laissent entendre que les détenus qui renoncent à une audience de libération conditionnelle, la reportent ou retirent leur demandeprésentent généralement des niveaux de risque et de besoins élevés.
Fait intéressant, le pourcentage de détenus évalués à haut risque ainsi que le pourcentage de ceux ayant de grands besoins étaient plus élevés dans le groupe des utilisateurs peu fréquents (59 % et 72 %) que dans le groupe des utilisateurs fréquents (50 % et 67 % respectivement, comme l'indiquent les tableaux 8 et 9). Comparativement au groupe des utilisateurs peu fréquents, le groupe des utilisateurs fréquents affichait des pourcentages supérieurs d'individus dont le niveau de risque et de besoins était jugé modéré. Lorsque les niveaux de risque et de besoins étaient comparés au nombre de retards ou d'annulations enregistrés au cours de la période visée par la présente étude, les détenus à haut risque et ayant des besoins élevés étaient plus nombreux (68 % et 66 % respectivement) à être responsables d'un seul retard ou d'une seule annulation, comparativement aux détenus dont les besoins avaient été jugés faibles ou modérés (56 % et 59 %) et aux détenus présentant un risque faible ou moyen (60 % et 59 %). En outre, les détenus affichant un risque et des besoins élevés étaient plus enclins (68 %, 67 %) à renoncer à une audience que ceux dont le risque et les besoins étaient modérés (58%, 55 %) et faibles (54 %, 49 %). Ces constatations portent à croire que les détenus présentant les niveaux les plus élevés de risque et de besoins renoncent à leurs audiences de libération conditionnelleau lieu de les retarder à répétition.
Les deux tiers des détenus responsables d'au moins une renonciation, un report ou un retrait avaient reçu une cote de sécurité moyenne (66,1 %), alors que moins d'un quart (22.7 %) étaient détenus dans des établissements à sécurité minimale et les 10,6 % restants dans des établissements à sécurité maximale. Le tableau 10 indique comment ces détenus étaient répartis entre le groupe des utilisateurs peu fréquents et celui des utilisateurs fréquents. Les différences entre ces deux groupes étaientcependant négligeables.
Il n'existait pas de différence statistiquement significative dans la durée de la peine entre le groupe des utilisateurs peu fréquents (c.‑à‑d. les détenus visés par trois décisions ou moins) et le groupe des utilisateurs fréquents (c.‑à‑d. les détenus à l'origine d'au moins quatre retards ou annulations) [M = 4,71 ans, écart type = 5,0 et M = 4,38 ans, écart type = 4,13 respectivement; t (7 501) = 1,627, p = 0,104].
Le tableau 11 révèle que le pourcentage des détenus faisant partie du groupe des utilisateurs fréquents n'était pas différent de celui des détenus appartenant au groupe des utilisateurs peu fréquentslorsque l'infraction la plus grave était prise en compte.
Nous avons pu obtenir les codes saisis dans le Système de gestion des délinquant(e)s (SGD) par les agents de libération conditionnelle pour indiquer, à partir d'une liste automatisée, le motif de la renonciation, du report ou du retrait; ces codes sont présentés dans le tableau qui suitNote de bas de page 4.
Il faut cependant interpréter avec prudence la catégorie Programme non complété car cette option de codage du SGD n'établit pas de distinction, par exemple, entre les programmes obligatoires et les programmes facultatifs, le nombre de tentatives antérieures de réussir un programme et le nombre d'échecs essuyés, ainsi que la motivation des détenus et les problèmes de gestion des programmes. Il n'en demeure pas moins intéressant de souligner que les détenus visés par quatre décisions ou plus étaient proportionnellement moins nombreux que les détenus visés par trois décisions ou moins à avoir Programme non complété comme motif de retard ou d'annulation de l'examen en vue d'une libération conditionnelle.
Étant donné que les reports contribuent largement aux retards multiples, les motifs ont également été examinés par type de retard ou d'annulation. Comme on pouvait s'y attendre, le pourcentage des motifs responsables des reports était plus élevé pour des facteurs tels que Préparation du cas incomplète, Assistant non disponible et Information manquante, tandis que les motifs à l'origine des renonciations étaient plus nombreux dans les catégories Pas intéressé et Éviter une recommandation ou une décision négative.
Une étude antérieure (Cabana et coll., 2009) a montré que certains détenus renonçaient à leurs audiences de libération conditionnelle, les reportaient ou retiraient leur demande après avoir été impliqués dans une forme ou une autre d'inconduite en établissement. Le tableau 14 présente huit catégories qui correspondent à une inconduite en établissement ou à un placement en isolement. Une comparaison entre le groupe des utilisateurs peu fréquents et celui des utilisateurs fréquents a été réalisée en regard de ces facteurs, l'objectif étant d'analyser si ceux-ci peuvent jouer un rôle dans les retards et annulations multiples. Il était plausible que les détenus mêlés à des incidents graves aient voulu retarder ou annuler une audience de libération conditionnelle, étant conscients que ces actes pouvaient influencer les décisions de la Commission. Toutefois, comme l'indique le tableau 14, la participation moyenne des deux groupes à des incidents survenus en établissement, ce qui inclut le placement en isolement, était à peu près égale. Afin de vérifier cette hypothèse, des tests t (tests statistiques qui comparent les moyennes des deux groupes) ont été effectués et ont révélé que, à l'exception du facteur Victime d'incident mineur, il n'existait pas de différences statistiquement significatives entre les utilisateursfréquents et les utilisateurs peu fréquents.
Afin d'évaluer si les utilisateurs fréquents étaient plus souvent mêlés à des incidents d'inconduite en établissement que les utilisateurs peu fréquents, un certain nombre de variables ont été créées pour chaque groupe, ce qui nous a permis de comparer leur implication dans les incidents d'inconduite graves, les situations de victimisation, la perpétration d'infractions et les placements en isolement. Les résultats de ces analyses montrent que les moyennes des deux groupes sont très semblables, et les analyses statistiques (tests t) ont révélé l'absence de différences statistiquement significatives entre ces groupes eu égard aux différents indicateurs de l'inconduite.
Comparaisons entre les régions et les établissements
Étant donné que l'étude antérieure (Cabana et coll., 2009) suggère l'existence de différences régionales entre les pourcentages de renonciations, de reports et de retraits, nous avons décidé de nous intéresser aux différences entre les utilisateurs peu fréquents et les utilisateurs fréquents selon les régions. Ces deux groupes sont présentés par région du SCC au tableau 15. Les résultats montrent que les régions du Québec et du Pacifique comptent les pourcentages les plus élevés d'utilisateurs fréquents (12 % chacune), tandis que la région des Prairies compte le pourcentage le plus faible d'utilisateurs fréquents (5 %).
Outre les différences entre les régions, celles entre les établissements ont également été scrutées à la loupe. Cabana et ses collègues (2009) ont découvert que les détenus avaient souvent déclaré n'avoir qu'une faible connaissance du processus de libération conditionnelle et se fier sur les autres détenus pour obtenir de l'information. Il est donc possible que, dans certains établissements, la communication de renseignements erronés entre détenus explique en partie les différences dans les nombres de renonciations, de reports et de retraits comptabilisés. Certains aspects des pratiques d'un établissement peuvent également contribuer aux nombres de retards et d'annulations multiples (p. ex., le fait que des membres du personnel recommandent un type de décision plutôt qu'un autre, lorsqu'il existe plus d'une option). À ce titre, il est important de savoir où de telles différences sont observées afin de mieux préparer le personnel correctionnel à surmonter ces difficultés (p. ex., réduire la propagation de renseignementsinexacts qui peuvent faire augmenter le nombre de retards et d'annulations).
Le tableau 16 compare les utilisateurs peu fréquents et les utilisateurs fréquents dans 16 établissements qui hébergent plus de 84 % des détenus ayant retardé ou annulé un examen de demandes de libération conditionnelle. Dans certains établissements, le nombre d'utilisateurs fréquents est très faible, mais comme l'indique le tableau ci-dessous, les pourcentages les plus élevés de détenus qui retardent ou annulent à maintes reprises des examens de leur cas en vue d'une libération conditionnelle ont été relevés dans les établissements des régions du Québec et du Pacifique.
Les cotes de sécurité des utilisateurs fréquents et des utilisateurs peu fréquents ont aussi été examinées. La majorité (66 %) des détenus avaient une cote de sécurité moyenne, 11 % une cote de sécurité maximale et 23 % une cote de sécurité minimale. Les deux groupes d'utilisateurs comptaient un pourcentage égal (67 %) de détenus à qui avait été attribuée une cote de sécurité moyenne. Le groupe des utilisateurs peu fréquents comptait un peu plus de détenus classés à sécurité maximale que le groupe des utilisateurs fréquents (11 % et 8 % respectivement), alors que ce dernier groupe comptait un nombre légèrement plus élevé de détenus classés à sécurité minimale que le groupe des utilisateurs peu fréquents (25 % et 22 %).
Le lieu de résidence du délinquant, dans un établissement ou dans la collectivité (p. ex., en semi-liberté) à l'époque du retard ou de l'annulation a également été pris en compte. Presque tous les délinquants étaient incarcérés : moins d'un pour cent (17 sur 8 604) résidaient dans la collectivité au moment du retard ou de l'annulation.
Exemples de cas
Pour mettre en évidence les circonstances propices aux retards et annulations multiples, cinq exemples de détenus visés par un nombre particulièrement élevé de décisions sont présentés dans les pages qui suivent. Les renseignements utilisés proviennent des données du SGD et de l'examen des dossiers. Chaque étude de cas contient un résumé des retards et annulations et un bref examen de l'information versée au dossier concernant les circonstances qui ont influencé la décision du détenu de retarder ou d'annuler l'examen de sa demande de libération conditionnelle.
Le cas A. Ce cas est celui d'un récidiviste d'âge moyen qui purge une peine d'emprisonnement à perpétuité pour meurtre au second degré. Comme l'indique le tableau 17, entre 2007 et 2009, 13 retards et annulations ont été consignés dans son dossier. Ces retards et annulations étaient liés à sept audiences prévues de libération conditionnelle. Selon les rapports versés au dossier (Suivi du plan correctionnel [SPC], Évaluation en vue d'une décision [EVD]), le détenu a proposé à son équipe de gestion des cas (EGC) un plan de mise en semi-liberté comportant sa participation à un plan de libération en vertu de l'article 84 de la LSCMLC. Il s'était, semble-t-il, rallié au point de vue de l'EGC qui estimait qu'une libération conditionnelle totale était prématurée dans son cas. Tel que mentionné dans plusieurs SPC en juin 2007, l'agent de libération conditionnelle de ce détenu n'était pas favorable à sa mise en liberté. En mai et en novembre 2007, ainsi qu'en mai 2008, l'EGC a demandé que soient élaborées des stratégies communautaires afin d'évaluer le soutien que trois collectivités autochtones de la Colombie-Britannique étaient en mesure de fournir au délinquant. Toutes les réponses ont été négatives, car aucun établissement résidentiel communautaire (ERC) n'était disposé à l'accueillir. Même si cela n'est pas explicitement mentionné dans les rapports examinés, il semble que l'intérêt du détenu pour un plan de libération en vertu de l'article 84, le refus de différentes collectivités de le soutenir dans sa démarche et la nécessité de le stabiliser dans son programme de traitement d'entretien à la méthadone soient autant de facteurs en partie responsables des retards puis de l'annulation des audiences de libération conditionnelle. Le tableau ci-dessous indique le type d'examen des dossiers de libération conditionnelle (en vue d'une semi-liberté ou d'une libération conditionnelle totale); la colonne des recommandations indique si la demande de libération du détenu était appuyée par son agent de libération conditionnelle et par l'EGC; le statut indique le type de retard ou d'annulation; les motifs englobent ceux codés dans le SGD; et les commentaires sont ceux formulés par le détenu ou, en l'absence de ceux-ci, par la CNLC.
Le cas B. Le cas B est celui d'un détenu qui purgeait une peine de deux ans et neuf mois pour incendie criminel. Comme l'indique le tableau ci-dessous, entre 2007 et 2009, 12 retards et annulations ont été consignés dans son dossier. Ces retards et annulations étaient liés à six audiences prévues de libération conditionnelle. Un SPC daté de novembre 2007 mentionne que sa demande de semi-liberté avait été appuyée et qu'il avait été autorisé à résider dans un ERC. Cependant, des renseignements faisant état d'accusations en instance d'agressions sexuelles ont mené à son placement en isolement protecteur et, par la suite, à son transfèrement dans un autre établissement. En 2008, il avait été déclaré coupable des agressions sexuelles en question. Bien que le dossier n'en fasse pas mention, il est possible que cette nouvelle déclaration de culpabilité soit à l'origine de la décision du détenu de retirer sa demande de semi-liberté et de renoncer à l'examen de son cas en vue d'une libération conditionnelle totale.
Le cas C. Ce détenu purgeait une peine de six ans et six mois pour vol qualifié, possession d'arme et possession de substances illicites dans l'intention d'en faire la distribution. Comme l'indique le tableau ci-dessous, entre 2007 et 2009, 12 retards et annulations ont été consignés dans son dossier. Ces retards et annulations étaient liés à six audiences prévues de libération conditionnelle. Ni l'agent de libération conditionnelle ni l'équipe de gestion des cas n'appuyaient l'octroi d'une semi‑liberté ou d'une libération conditionnelle totale à ce détenu. Au début de 2007, le rapport sur la stratégie communautaire du détenu mentionnait qu'il avait reçu une réponse négative de l'ERC où il avait adressé une demande d'hébergement. Tel qu'indiqué dans un SPC (en date du 30 juillet 2007), il aurait demandé un report de trois mois de son audience afin de réviser son plan de libération et y inclure un traitement pour la toxicomanie. Il a par la suite été placé en isolement préventif parce qu'il était soupçonné de participer à la fabrication et à la distribution d'alcool. Sa cote de sécurité a alors été relevée et il a été transféré dans un établissement à sécurité maximale. En mai 2008, une nouvelle stratégie communautaire en appui au plan de libération du détenu a été demandée. Une fois de plus, l'ERC n'appuyait pas sa mise en liberté. Les commentaires enregistrés dans la case du SGD réservée à l'état de la décision donnent également à penser qu'un changement d'agent de libération conditionnelle (ALC) peut aussi avoir contribué aux retards.
Le cas D. Le cas D est celui d'un détenu d'âge moyen qui purgeait une première peine d'incarcération, d'une durée de huit ans, pour voies de fait graves et usage d'une arme à feu. Entre 2007 et 2009, ce détenu a retardé ou annulé 11 examens de son cas en vue d'une semi-liberté ou d'une libération conditionnelle totale liés à sept audiences de libération conditionnelle. Ni l'ALC du détenu ni l'EGC n'étaient favorables à la semi-liberté ou à la libération conditionnelle totale. Selon les renseignements contenus dans un SPC de 2007, de nombreuses demandes d'admission dans des ERC avaient obtenu des réponses négatives. Dans le cadre d'une évaluation communautaire réalisée au début de 2007, l'ERC auquel le détenu avait adressé une demande d'hébergement avait répondu qu'il devait suivre le Programme de lutte contre la violence familiale et être admis dans un établissement à sécurité minimale avant sa mise en liberté. Le détenu a complété le Programme d'intensité modérée de prévention de la violence familiale (PIMPVF), mais une demande ultérieure d'hébergement dans un ERC lui a été refusée parce que sa cote de sécurité n'avait pas été réduite. Le détenu ayant complété le PIMPVF en juillet 2007, il est difficile de comprendre pourquoi les codes saisis dans le SGD et les commentaires de la CNLC attribuent les retards de novembre et décembre 2007 au non-achèvement des programmes. Selon un autre SPC versé au dossier, le détenu s'est présenté devant la Commission en janvier 2008 pour l'examen de son cas en vue d'une semi-liberté ou d'une libération conditionnelle totale; les commissaires ont alors décidé d'ajourner l'examen pour 60 jours afin de permettre au détenu d'explorer d'autres plans de libération. Les renseignements contenus dans le dossier donnent à penser qu'il n'a pu obtenir l'appui d'un ERC.
Le cas E. Ce détenu purgeait une première peine de ressort fédéral, d'une durée de huit ans, pour homicide involontaire coupable. Il avait enregistré 12 retraits, reports et renonciations en rapport avec sept comparutions prévues devant la Commission. Il s'était vu accorder des permissions de sortir avec escorte (PSAE) ainsi que des permissions de sortir sans escorte (PSSE). Son dossier n'indique pas clairement si son agent de libération conditionnelle et son EGC appuyaient sa demande de semi-liberté. Selon les rapports au dossier, il semblerait que le détenu voulait continuer une PSSE en cours avant de solliciter une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale.
Les cinq cas examinés ci-dessus illustrent bien les conséquences des comptages doubles des retards et annulations pour les audiences de libération conditionnelle. Dans certains cas, un retard ou une annulation est noté pour une audience prévue de libération conditionnelle lors de laquelle la Commission examinera à la fois une demande de semi-liberté et une demande de libération conditionnelle totale. La section suivante contient une brève analyse des conséquences de la déclaration des retards et annulations liés à la fois aux demandes de semi-liberté et aux demandes de libération conditionnelle totale.
Ces études de cas nous donnent également un aperçu utile des différents motifs qui contribuent aux multiples retards consécutifs. Les cas où les mêmes motifs ou des motifs semblables entraînent plusieurs reports donnent à penser qu'un report plus long aurait peut-être été approprié.
Analyse
La présente recherche fait suite à une étude réalisée par Cabana et ses collègues (2009), qui consistait à examiner les renonciations, les retraits et les reports enregistrés par un groupe relativement restreint de détenus, représentant plus d'un quart de tous les retards et annulations compilés au cours des exercices 2007‑2008 et 2008‑2009. Elle avait pour but de déterminer si et en quoi les utilisateurs fréquents différaient des utilisateurs peu fréquents, et d'explorer les facteurs pouvant expliquer les causes des retards et annulations multiples.
Comme pouvaient le laisser présager les lignes directrices découlant des lois et des politiques pour chaque type de retard ou d'annulation, le groupe des utilisateurs peu fréquents était plus enclin à renoncer à un examen de cas en vue d'une libération conditionnelle, tandis que celui des utilisateurs fréquents était plus enclin à reporter un tel examen. Une comparaison des caractéristiques des détenus a révélé peu de différences statistiquement significatives fondées sur le sexe, la durée de la peine, le type d'infraction ou le comportement en établissement entre les détenus à l'origine de retards et d'annulations multiples et ceux visés par trois décisions ou moins.
Les constatations donnaient toutefois à penser que les détenus autochtones étaient un peu moins nombreux que les détenus non autochtones à enregistrer des retards ou annulations multiples. Cette conclusion va dans le même sens que la recherche antérieure, qui laissait entendre que, comparativement aux détenus non autochtones, les détenus autochtones affichaient des taux plus élevés de renonciations et de retraits, tandis que les détenus non autochtones enregistraient des taux supérieurs de reports (Cabana et coll., 2009). Tel qu'expliqué précédemment, après avoir renoncé à un examen de cas en vue d'une libération conditionnelle ou après l'avoir annulé, les détenus doivent généralement laisser passer deux ans, comme l'exige la loi, avant de solliciter un autre examen, ce qui réduit la probabilité de reports supplémentaires de ces types d'examen au cours de cette période.
Les motifs des renonciations, reports et retraits de la demande de libération conditionnelle, tels que codés dans les catégories établies dans le SGD, portent à croire que les retards ou annulations imputables aux utilisateurs fréquents sont moins souvent liés au non-achèvement des programmes que ceux attribués aux utilisateurs peu fréquents. Cette constatation est plus facile à interpréter lorsque les motifs sont examinés en fonction du type de retard ou d'annulation. Un pourcentage plus élevé de retards et d'annulations attribuables au non-achèvement des programmes découlait de renonciations plutôt que de reports ou de retraits. Là encore, puisque cette variable proposée dans le SGD n'est pas bien définie, il est difficile d'affirmer hors de tout doute qu'il existe un rapport entre les programmes non complétés, d'une part, et les retards et annulations des audiences de libération conditionnelle, d'autre part. Une étude en cours vise justement à examiner cette question de plus près.
Les différences entre les motifs déclarés des renonciations et des reports donnent à penser que les reports surviennent dans les situations où des facteurs susceptibles d'influencer la décision de la Commission ne sont pas réglés (p. ex., le soutien dans la collectivité, un programme non achevé ou une décision en attente), surtout lorsqu'on s'attend à ce qu'ils soient réglés dans un certain délai. Dans de telles situations, il est difficile d'estimer correctement le temps nécessaire pour qu'un détenu puisse comparaître devant la Commission dans les délais prescrits pour un examen en vue d'une libération conditionnelle tout en s'assurant que tous les facteurs nécessaires sont réunis (p. ex., que les rapports sont prêts et présentés à la Commission) et que le détenu est préparé pour cet examen. Au lieu de constituer des indicateurs de caractéristiques qui distinguent les utilisateurs peu fréquents des utilisateurs fréquents, les reports multiples sont parfois attribuables à des estimations inexactes ou optimistes du temps nécessaire pour régler des facteurs qui jouent un rôle important dans le processus d'examen. Cette possibilité soulève d'importantes questions concernant la durée des délais qu'il faut accorder pour que le processus d'examen des cas en vue d'une libération conditionnelle soit juste, mais efficient. Dans le cadre d'études ultérieures, la Commission pourrait s'intéresser aux tendances et aux différences régionales relatives aux délais demandés et approuvés pour les reports, et aussi évaluer si les délais actuels, tels que recommandés dans les documents de politique, sont suffisants ou s'il faudrait plutôt envisager de les modifier de façon à réduire la nécessité de retarder les examens à maintes reprises et de façon consécutive.
Des différences régionales dans les tendances relatives aux renonciations, aux reports et aux retraits ont été relevées par Cabana et coll. (2009) et ont également été signalées dans le contexte de la présente étude. Par exemple, les auteurs de la présente étude ont constaté que les régions du Québec et du Pacifique affichaient un pourcentage plus élevé d'utilisateurs fréquents que d'utilisateurs peu fréquents. Dans certaines régions, le SCC et la CNLC ont fait des efforts concertés pour réduire le nombre de renonciations et de reports (Cabana et coll., 2009). À titre d'exemple, dans la région de l'Atlantique, des employés de la CNLC prennent part à des visites d'établissements visant à améliorer la communication entre le SCC et la CNLC, en particulier en ce qui concerne le processus de communication de renseignements. Les constatations de la présente étude vont dans le même sens que celles de la recherche antérieure faisant état de différences régionales, mais il est impossible pour le moment d'établir un lien direct entre les initiatives informelles qui ont été mises en œuvre et les tendances observées concernant les retards et annulations. Une évaluation des répercussions de ces initiatives sur les taux de renonciations, de reports et de retraits fournirait une meilleure indication quant aux stratégies qui sont à la fois efficaces et intéressantes.
La présente étude renforce la recherche concluant à la nécessité de mieux suivre et consigner les motifs des renonciations, des reports et des retraits. Compte tenu de ce fait, il n'existe pas de réponse ou de stratégie unique pour parvenir à réduire le nombre de renonciations, de reports et de retraits. Toutefois, l'amélioration des méthodes de surveillance et de déclaration de ces décisions se traduirait peut-être par une représentation plus précise des facteurs qui contribuent à la difficulté de respecter les dates d'admissibilité à un examen en vue d'une libération conditionnelle. La présente étude souligne également l'importance de tenir compte de l'inflation qui résulte des comptages doubles des audiences de libération conditionnelle. Comme l'ont montré les cinq exemples de cas, les taux de retards et d'annulations augmentent rapidement lorsque deux décisions sont comptabilisées pour chaque examen prévu qui n'a pas eu lieu. Les taux de renonciations, de reports et de retraits sont souvent déclarés uniquement pour les examens de cas en vue d'une libération conditionnelle totale, ce qui écarte le risque de fausse interprétation et de surestimation de cette problématique. Cela signifie cependant que les renseignements relatifs à la comparution retardée d'un délinquant devant la Commission pour l'examen de son cas en vue d'une semi-liberté ne sont pas pris en compte. La consignation exacte de tous les motifs pertinents des retards et de l'annulation des audiences de libération conditionnelle dans les rapports officiels et les publications du SCC et de la CNLC permettrait aux responsables des politiques, aux intervenants et aux défenseurs des droits des délinquants de connaître le nombre réel de retards et d'annulations, et d'élaborer des stratégies ciblant les besoins particuliers des différentes régions et des différents établissements.
Bibliographie
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Bureau de l'enquêteur correctionnel. Rapport annuel du Bureau de l'enquêteur correctionnel 2008-2009, Ottawa (Ont.), Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2009.
Cabana, T., T. Beauchamp, K. Emeno et S. Bottos. Renonciations, reports et retraits : perspectives des délinquants, des agents de libération conditionnelle et de la Commission nationale des libérations conditionnelles, Ottawa (Ont.), Service correctionnel Canada, 2009.
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Service Correctionnel du Canada. Aboriginal and Non-Aboriginal offender population distributions (September 28, 2009). Données brutes inédites, 2009.
Annexe A
Définitions des retards et des annulations (DC 712-1)
Les retards englobent le report, l'ajournement et l'ajournement administratif des examens en vue d'une libération conditionnelle réalisés par la CNLC :
- Un report est une demande du délinquant consistant à repousser l'audience ou l'examen avant qu'il n'ait lieu.
- Un ajournement administratif est une expression utilisée par la CNLC pour décrire une situation dans laquelle on décide, après étude du dossier, d'ajourner un cas parce qu'un ou plusieurs rapports requis n'ont pas été reçus par la Commission dans les 21 jours précédant la tenue de l'audience.
- Un ajournement consiste en la suspension temporaire d'une audience ou d'un examen après que les commissaires ont commencé à passer en revue les renseignements présentés en vue de leur décision.
Les annulations englobent les renonciations aux examens en vue d'une libération conditionnelle réalisés par la CNLC et les retraits des demandes d'examen :
- Une renonciation est une déclaration écrite présentée volontairement par un détenu par laquelle il renonce à son droit conféré par la loi de faire l'objet d'une audience ou d'un examen de la CNLC.
- Un retrait est une demande présentée volontairement par un détenu par laquelle il avertit la CNLC qu'il ne souhaite plus faire l'objet d'un examen en vue d'une semi-liberté ou d'une libération conditionnelle totale, après avoir présenté une demande.
Notes de bas de page
- Note de bas de page 1
-
Les définitions des catégories de retards et d'annulations sont présentées à l'annexe A.
- Note de bas de page 2
-
Pour les besoins de l'étude réalisée en 2009, les retards et annulations comprenaient les renonciations, les reports et les retraits ainsi que les ajournements, les ajournements administratifs et la fixation de nouvelles dates d'audiences.
- Note de bas de page 3
-
En vertu de la loi en vigueur, un détenu ne peut renoncer à un examen de son cas en vue d'une semi-liberté.
- Note de bas de page 4
-
À noter que, pour des raisons mentionnées ci-dessous, la source de renseignements diffère de celle utilisée dans l'étude antérieure; dans ce dernier cas, les motifs invoqués étaient ceux indiqués par le groupe-échantillon de détenus. Voir Cabana et collègues (2009).
- Date de modification :
- 2010-08-01