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Élaboration et validation d’une Échelle de réévaluation de la cote de sécurité des délinquantes

Kelley Blanchette et Kelly Taylor1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

Le classement des détenus selon le niveau de sécurité est l’une des tâches les plus importantes de tout organisme correctionnel. Le système de classement doit être objectif pour éviter que des contrôles excessifs soient imposés aux délinquants, pour faciliter l’affectation de ressources limitées et pour générer les données exactes requises pour la planification à long terme des locaux. Le classement selon le niveau de sécurité fournit aux responsables des services correctionnels un cadre à la fois pratique et légal pour la maîtrise des comportements problématiques des délinquants, pour l’adoption de stratégies d’intervention et pour la bonne gestion des établissements correctionnels. Il importe de noter que tout cela doit être accompli conformément au principe des mesures le moins restrictives possible prescrit dans le cadre législatif en vigueur.

l y a deux moyens principaux de recueillir les renseignements requis pour attribuer une cote de sécurité : la méthode actuarielle (parfois appelée méthode « statistique » ou « mécanique ») et la méthode clinique. Selon la méthode actuarielle, la prise de décision s’appuie sur des relations statistiques2. La méthode actuarielle fait appel à des procédés formels et objectifs qui permettent de combiner et de pondérer des facteurs pour aboutir à un score et recommander une décision. Les variables pertinentes sont choisies, combinées et pondérées mathématiquement pour en maximiser la corrélation statistique avec le critère en cause3. Les facteurs sont pondérés suivant un ensemble de critères objectifs prédéterminés qui ne varient pas d’un décideur à l’autre. Des lignes directrices claires sont donc établies au préalable relativement aux modalités de collecte des renseignements (description des données requises, moment et lieu de la collecte, mode de combinaison des données).

La méthode clinique repose principalement sur le jugement professionnel, qui est fondé sur des techniques informelles et subjectives, dont parfois des conférences de cas. En général, le choix des renseignements à recueillir, les critères d’évaluation de ces renseignements, les sources d’information à utiliser ou le mode de combinaison ou de pondération des variables ne font l’objet d’aucun règlement préétabli. L’évaluateur exerce son jugement professionnel pour déterminer la meilleure façon de choisir, combiner et pondérer les éléments d’information. Les règles varient donc d’un décideur à l’autre et d’un cas à l’autre4.

Les outils actuariels sont supérieurs au jugement clinique en matière de classement : en général, ils sont à la fois plus exacts et plus libéraux que la méthode clinique5. Malheureusement, les mesures objectives de classement en usage pour les détenues (au Canada et à l’étranger) ont invariablement été conçues pour les hommes, en dépit du fait que l’existence de facteurs de risque propres aux femmes ait été démontrée et que les mesures établies avec des échantillons de délinquants de sexe masculin puissent provoquer le surclassement des femmes6.

Pressée de cesser d’appliquer à des délinquantes des mesures conçues pour les hommes7, la sous-commissaire pour les femmes du Service correctionnel du Canada a commandé l’élaboration d’une Échelle de réévaluation du niveau de sécurité pour les délinquantes. En deux ans (de 1998 à 2000), la Direction de la recherche a créé l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité des délinquantes (ERCSD), une échelle objective et fondée sur des données empiriques.

En bref, voici comment l’ERCSD a été créé : on a constitué une liste de variables explicatives possibles (n = 176) après 1) examen des études existantes sur les facteurs de risque chez les délinquantes; 2) consultation des chercheurs chargés antérieurement de la création d’échelles de classement; 3) consultation des administrateurs et des employées de première ligne travaillant auprès des délinquantes purgeant une peine fédérale. Cette liste de 176 variables comptait quelques facteurs de risque historiques, mais surtout des facteurs dynamiques comportementaux comme la motivation et la progression en matière de participation aux programmes, la consommation d’alcool et de drogues, la conduite récente en établissement (accusations, incidents, etc.), le soutien social, l’adaptation conjugale/familiale, et ainsi de suite.

Les variables explicatives possibles ont été examinées dans le cas d’un échantillon de 172 délinquantes visées par des décisions concernant la cote de sécurité (CS). On a codé au total 285 décisions relatives à la cote de sécurité pour l’échantillon de 172 délinquantes. Le nombre de décisions codées par délinquante variait de 1 à 5. L’examen de la cote de sécurité est fait régulièrement et vise à confirmer, ou réviser à la hausse ou à la baisse le classement de sécurité. Dans le cas de l’échantillon visé, l’examen de la cote de sécurité portait sur une période de 10 mois en moyenne (ET = 9). Sur les 285 décisions examinées, 54 % ont abouti à une révision à la baisse de la cote de sécurité, 25 % à une révision à la hausse et 21 % au statu quo.

Les variables explicatives retenues au départ ont été analysées séparément. Après examen des corrélations entre chaque variable et la note correspondant à chaque décision CS (de 1 = minimale à 3 = maximale), la liste des variables explicatives est passée de 176 à 39; ont été retenues celles qui présentaient une corrélation significative à plus de (p<.01) avec la note correspondant à chaque décision. Dans une seconde étape, on a exclu les variables à distribution asymétrique, c’est-à-dire dont les effets de plafonnement ne seraient pas utiles dans des analyses plus poussées. Les variables restantes ont été soumises à une régression multiple ascendante qui a abouti à un modèle comprenant neuf variables explicatives à 57 % de l’écart existant entre les décisions concernant la cote de sécurité.

Une fois ces neuf variables explicatives retenues, on a appliqué un simple modèle prédictif de sommation8 pour déterminer la pondération optimale des items pour la notation de l’échelle. On a classé les sujets de l’échantillon dans l’ordre des notes obtenues à l’échelle de réévaluation de la cote de sécurité pour déterminer les valeurs-seuil correspondant aux trois scores obtenus (minimale, moyenne, maximale). On a choisi les valeurs-seuil de manière à maximiser la concordance avec la décision effectivement prise concernant la cote de sécurité. L’échelle qui en résulte, l’ERCSD, comporte donc les neuf variables pondérées suivantes :

  1. Plan correctionnel — motivation relativement à la participation aux programmes.
  2. Qualité et régularité des contacts avec la famille.
  3. Nombre de condamnations pour infractions graves à la discipline pendant la période à l’étude.
  4. Nombre d’incidents signalés pendant la période à l’étude.
  5. Antécédents d’évasion/illégalement en liberté par suite d’un placement à l’extérieur, d’une permission de sortir ou d’une période de surveillance dans la collectivité.
  6. Niveau de rémunération pendant la période à l’étude.
  7. Nombre de fois que la délinquante a été placée en isolement non sollicité parce qu’elle présentait un danger pour les autres ou pour l’établissement pendant la période à l’étude.
  8. Nombre total de permissions de sortir avec escorte (PSE) réussies pendant la période à l’étude.
  9. Antécédents d’incidents en établissement — ECNS.

Le nombre total de points qu’on peut obtenir à l’ERCSD est d’environ 30, les scores plus élevés représentant un risque plus élevé et entraînant l’assignation d’une cote de sécurité plus élevée.

Une fois l’échelle créée, on s’est employé à la valider. À l’aide d’un échantillon indépendant de décisions concernant la cote de sécurité de délinquantes (données

informatisées tirées du Système de gestion des détenus), les chercheurs ont examiné les divers aspects de la fiabilité et de la validité de l’ERCSD en analysant séparément les cas de délinquantes autochtones et de femmes purgeant une peine à perpétuité. Dans l’ensemble, les résultats sont très favorables à l’utilisation de l’échelle pour la réévaluation de la cote de sécurité de toutes les détenues purgeant une peine fédérale.

La phase finale du projet visait à mettre l’échelle à l’essai. On a demandé au personnel de tous les établissements pour femmes (ainsi que les unités colocalisées, le centre psychiatrique régional et le centre régional de réception) de prendre part à cette mise à l’essai, et on leur a fourni en prévision une formation complète en mai 2000, et une formation de recyclage en mars 2002. La collecte de données pour l’essai sur place a commencé en juillet 2000 et s’est poursuivie jusqu’en juin 2003. Au cours de ces trois années, chaque fois qu’une détenue sous responsabilité fédérale a fait l’objet d’une décision concernant la cote de sécurité, le personnel compétent devait en profiter pour remplir l’ERCSD. Nos données révèlent que la consigne a été observée à 100 % et qu’un total de 580 échelles de réévaluation de la cote de sécurité ont été remplies pendant cette période d’essai.

Les résultats préliminaires de la mise à l’essai sont très prometteurs. La consistance interne est bonne ( = 0,69 et corrélation moyenne de 0,50 entre chaque élément et le total). Cela indique que les éléments de l’échelle convergent en une seule dimension sous-jacente. Nos résultats révèlent également que la validité concourante est excellente, les corrélations avec des évaluations indépendantes globales des besoins, du risque et du potentiel de réinsertion sociale étant de 0,32, 0,21 et -0,37, respectivement. Tous sont statistiquement significatifs à p<0,0001. Les corrélations simples de Pearson, excluant l’intervalle d’exposition au risque, entre les scores obtenus à l’ERCSD et le nombre d’incidents causés étaient également très significatives statistiquement (p<0,0001). Plus précisément, nos résultats ont révélé des corrélations simples de r = 0,33 et r = 0,32 pour la perpétration d’un incident grave ou mineur en établissement, respectivement.

Des analyses de la validité prédictive confirment la validité des coefficients de corrélation. On a utilisé la fonction d’efficacité du récepteur9 pour calculer la surface sous la courbe (AUC). Cette variable statistique, qui peut varier de 0 à 1, est une mesure de la valeur prédictive de la variable indépendante (l’ERCSD en l’occurrence) pour ce qui est de prévoir le résultat (l’implication dans des incidents en établissement en l’occurrence). Une AUC de 1 révèle une valeur prédictive élevée, tandis qu’une AUC de 0,50 ou moins indique que l’échelle n’a aucune valeur prédictive. Nos analyses ont révélé une AUC de 0,73 pour ce qui est de prévoir la perpétration d’incidents graves ou mineurs en établissement.

Il importe de souligner que nous avons également examiné les propriétés psychométriques des cotes de sécurité qui sont issues actuellement de la méthode clinique structurée. Les cotes de sécurité issues de la méthode clinique ont une bonne validité concourante et prédictive, les cotes de sécurité issues de l’ERCSD ont fait aussi bien ou mieux que la méthode traditionnelle dans toutes les analyses précitées. L’ERCSD est non seulement plus juste mais également plus libérale que la méthode actuelle de classement. Plus précisément, l’ERCSD a donné lieu à plus de recommandations de cote de sécurité minimale et à moins de recommandations de cote de sécurité maximale.

Nous sommes extrêmement fiers de ces résultats, qui confirment la réputation du Service correctionnel du Canada en qualité de chef de file en matière de recherche et de pratique correctionnelle. L’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité des délinquantes devrait être introduite dans tout le pays dans le courant de l’année civile.


1 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9

2 SILVER, E. et MILLER, L. L. « A cautionary note on the use of actuarial risk assessment tools for social control », Crime and Delinquency, vol. 48, no 1, 2002, p. 138-161.

3 GROVE, W. M. et MEEHL, P. E. « Comparative efficiency of informal (subjective, impressionistic) and formal (mechanical, algorithmic) prediction procedures: The clinical-statistical controversy », Psychology, Public Policy, and Law, vol. 2, no 2, 1996, p. 293-323. Voir également GROVE, W. M., ZALD, D. H., LEBOW, B. S., SNITZ, B. E. et NELSON, C. « Clinical versus mechanical prediction: A meta-analysis », Psychological Assessment, vol. 12, no 1, 2000, p. 19-30.

4 Op. cit. GROVE, ZALD, LEBOW, SNITZ et NELSON, 2000.

5 Op. cit. GROVE, ZALD, LEBOW, SNITZ et NELSON, 2000.

6 HARER, M. D. et LANGAN, N. P. « Gender differences in predictors of prison violence: Assessing the predictive validity of a risk classification system », Crime and Delinquency, vol. 47, no 4, 2001, p. 513-536. Voir également VAN VOORHIS, P. V. et PRESSER, L. Classification of Women Offenders: A National Assessment of Current Practices, Washington (DC), U.S. Department of Justice, National Institute of Corrections, 2001.

7 FARR, K. « Classification for female inmates: Moving forward », Crime and Deliquency, vol. 46, no 1, 2000, p. 3-17. Voir HANNAH-MOFFAT K. et SHAW, M. Oser prendre des risques : Intégration des différences entre les sexes et entre les cultures au classement et à l’évaluation des délinquantes sous responsabilité fédérale, Ottawa (Ontario), Recherche en matière de politiques, Condition féminine Canada, 2001. Voir également op. cit., HARER et LANGAN, 2001.

8 NUFFIELD, J. Parole Decision-making in Canada: Research Toward Decision Guidelines, Ottawa (Ontario), Division des communications, 1982.

9 SWETS, J. A. « Indices of discrimination or diagnostic accuracy: Their ROCs and implied models », Psychological Bulletin, no 99, 1986, p. 100-117.


Référentiel de connaissances sur les services correctionnels

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