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La situation des mères incarcérées et de leurs enfants : Une problématique complexe

Brigitte Blanchard1
Secteur de programmes, Service correctionnel du Canada

Depuis les dernières décennies, on assiste au sein du Service correctionnel du Canada à un élargissement du champ pénal aux besoins familiaux des personnes détenues. L'instauration, au mois d'août 1998, de la cohabitation mères-enfants dans les nouveaux établissements régionaux pour femmes a marqué un point culminant dans ces pratiques favorisant les rapports familiaux en milieu carcéral. Bien que la présence des enfants dans cet univers puisse nous surprendre et soulever de nombreuses préoccupations quant à l'intérêt de l'enfant, elle est pourtant une pratique bien établie dans plusieurs pays d'Europe et États américains.

Contexte

Peu d'études ont porté directement sur cette clientèle en contexte canadien. Pour combler cette lacune, nous avons réalisé en 1999-2000 une enquête de terrain dans les principaux établissements carcéraux (provinciaux et fédéraux) et centres résidentiels communautaires pour femmes du Québec2. En combinant diverses méthodologies (questionnaire, entretiens et observations des participantes), nous avons examiné les relations entretenues entre les mères et leurs enfants durant la peine, en nous fondant sur les propos recueillis auprès de 99 mères et relatifs à 203 de leurs enfants. Ces données ont été enrichies par les récits d'un petit nombre d'enfants et de différents professionnels travaillant auprès de cette clientèle. Dans cet article, nous résumons les grandes lignes de notre recherche qui avait pour principal objectif de dépeindre la situation des mères incarcérées et de leurs enfants au Québec.

Profil des mères incarcérées

L'analyse de nos données nous a permis de faire ressortir un certain nombre de caractéristiques. Un premier constat émerge : les mères incarcérées présentent plusieurs traits semblables à ce qui prévaut pour l'ensemble des femmes détenues que ce soit au Québec, au Canada ou aux États-Unis. Selon les résultats de notre enquête, une forte proportion de nos répondantes était âgée de 31 à 40 ans. En moyenne, ces dernières ont donné naissance à un peu plus de 2 enfants. Il s'agit très souvent de femmes qui ont eu leur premier enfant alors qu'elles avaient moins de 21 ans. Souvent célibataires, plus de la moitié de nos répondantes se sont retrouvées, à un moment ou à un autre de leur vie, à devoir assumer seules la garde de leurs enfants.

Nos données indiquent aussi qu'il s'agit de femmes issues, en majorité, d'un milieu socio-économique défavorisé. Lors de leur arrestation, environ deux femmes sur trois étaient sans diplôme d'études secondaires et sans emploi. Plusieurs d'entre elles étaient bénéficiaires de l'aide sociale. Leur revenu mensuel moyen s'élève à près de 700 $, pour un revenu familial annuel (incluant toutes sources de revenus) inférieur à 20 000 $. Nos données tendent également à indiquer que plusieurs de ces femmes auraient été victimes d'abus sexuels. Nombre d'entre elles seraient issues de familles ayant déjà eu des démêlés avec la justice.

S'ajoute bien souvent à ces difficultés personnelles et familiales, un problème de toxicomanie. De fait, presque les deux tiers des mères interrogées établissent un lien entre leur incarcération et la consommation d'intoxicants, l'alcool et la cocaïne étant les drogues les plus consommées. Ces données, combinées à nos observations et à nos entretiens avec différents intervenants, nous amènent à croire que les mères qui affichent une propension à la consommation abusive de drogues ont souvent des antécédents de vie instable, autant de facteurs pouvant avoir une incidence sur le type de relation qu'elles entretiennent avec leurs enfants. Il semble en outre que plusieurs de ces femmes en sont venues à se livrer à des activités criminelles afin de pouvoir couvrir les frais qu'occasionne leur consommation.

Conséquences de l'incarcération

Nos résultats illustrent bien à quel point la situation que vivent ces femmes et leurs enfants constitue une problématique complexe qui implique une diversité d'acteurs et qui recouvre des dimensions d'ordre personnel, familial et organisationnel.

Pour un enfant, l'incarcération de sa mère - qu'il s'agisse ou non d'une première expérience de séparation - laisse des marques qui se répercutent bien souvent au-delà de la peine. Les caractéristiques personnelles de l'enfant, la qualité du soutien familial offert et la relation avec la mère sont autant de caractéristiques pouvant interférer dans la façon dont sera vécu le processus de séparation. Certes, ces enfants doivent d'abord composer avec l'absence physique et psychologique de leur mère. Même si l'incarcération s'inscrit parfois dans un parcours parsemé de difficultés et de rapports difficiles, s'adapter à une telle réalité ne va pas nécessairement de soi. D'ailleurs, nos répondantes affirment qu'à la suite de leur incarcération, plus des deux tiers de leurs enfants ont manifesté des problèmes de comportement ou vécu des difficultés scolaires ou émotives. La plupart des enfants que nous avons interrogés ont d'ailleurs confirmé avoir connu ce type de difficultés. Ces derniers nous ont également fait part de leur détresse émotive en raison de l'anxiété, de la solitude et de l'isolement social auxquels ils ont été confrontés presque quotidiennement. Bref, pour eux, rien ne peut remplacer l'affection et la présence d'une mère.

De leur côté, plusieurs de nos répondantes nous ont relaté combien il leur est difficile de vivre séparées de leurs enfants. L'ennui, la tristesse, la culpabilité et l'impuissance les accablent. Si la culpabilité est un sentiment bien présent dans leur discours, on remarque que ce sentiment peut parfois susciter des conduites d'évitement face à leurs responsabilités parentales ou, à l'opposé, faire naître un désir de réparation.

Incarcération et réalité familiale

Par-delà le lien d'attachement qui existe entre une mère et son enfant, et sur lequel les facteurs personnels et familiaux exercent une grande influence, nous constatons que l'incarcération génère de nombreuses embûches à la consolidation de la relation mère-enfant en milieu carcéral. En effet, les difficultés de contact en raison de l'éloignement, les politiques carcérales restrictives au plan des visites et des communications, les contraintes sécuritaires, l'absence de personnel spécialisé, les soins inadéquats offerts aux femmes enceintes, entre autres, apparaissent comme autant de contraintes structurelles pesant sur la relation maternelle. D'ailleurs, nos résultats témoignent que les services en établissement auxquels les mères ont le plus souvent recours pour maintenir les liens avec leurs enfants durant leur peine se limitent aux échanges téléphoniques (43 %) et épistolaires (25 %), Les frais interurbains sont l'un des obstacles les plus fréquemment cités à l'entretien des contacts mère-enfant.

Quant aux programmes de visites en milieu carcéral (visites régulières, visites mère-enfant ou en roulotte), il est surprenant de constater qu'ils représentent seulement le quart de l'ensemble des services utilisés par ces mères. à ce sujet, plusieurs mères ont exprimé leur découragement face à la rigidité de certaines règles et les modalités de fonctionnement ne tenant pas compte de leur réalité familiale (heure de visites durant les heures scolaires, visites avec séparation, etc.). De plus, le cadre non approprié des lieux de visites aux besoins de l'enfant dans certains établissements est un élément dénoncé, au même titre que les problèmes liés au transport.

Notons enfin que près de 15 % des enfants n'entretiennent aucun contact avec leur mère durant son incarcération. En effet, un certain nombre de mères préfèrent ne pas entretenir des contacts avec leurs enfants durant leur peine ou recevoir leur visite parce qu'elles veulent les protéger des conséquences néfastes de leur incarcération. Il ne faut pas non plus perdre de vue que les rapports que peuvent entretenir les mères avec leurs enfants au cours de leur incarcération s'avèrent souvent balisés par les différents intervenants impliqués dans le dossier. Les autorités carcérales et parfois même celles de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) sont appelés à statuer sur le bienfait ou non des visites entre une mère et son enfant en fonction de notions souvent très vagues, compte tenu de l'absence de politiques précises.

Conclusion

Nos résultats illustrent assez bien à quel point la situation que vivent ces femmes et leurs enfants n'est pas si simple et constitue une problématique complexe. C'est une chose de fournir un environnement adéquat pour les enfants des femmes incarcérées, mais cela en est une autre de favoriser la relation, de la restaurer et de répondre à leurs besoins multiples. C'est là où, à notre avis, se présente le plus grand défi pour les services correctionnels et les autres ministères. Les différents ministères auraient intérêt à se regrouper et opter pour une réforme tenant compte du rapport complexe, mais primordial, qui existe entre la famille, le délinquant et le processus correctionnel.

à cet effet, il pourrait s'avérer pertinent de s'inspirer des expériences étrangères comme l'Association Relais Enfants-Parents, active dans les prisons de France et de Belgique. Cette dernière regroupe un réseau de professionnels et de bénévoles qui dispensent plusieurs services visant à instaurer des relations de qualité entre les parents détenus, les enfants et leur famille d'accueil. En fait, il s'agirait de voir à la mise en place d'une structure organisationnelle permettant la centralisation des effectifs et de ressources impliquées auprès des familles afin d'assurer le développement d'une stratégie d'actions concertées et de politiques chargées de veiller au meilleur intérêt des enfants, des mères et de la société en général.


1 801, Sherbrooke est, Montréal (Québec) H2L 1K7

2 BLANCHARD, B. « La situation des mères incarcérées et de leur(s) enfants(s) au Québec », 2002.