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L’incidence de l’emploi dans la collectivité sur la réinsertion sociale des délinquants

Christa A. Gillis et Mark Nafekh 1
Évaluation du rendement, Service correctionnel du Canada

Les résultats de recherche ont clairement montré qu’un emploi instable et le manque d’ambition au sens traditionnel constituaient des facteurs importants de risque et de besoins parmi les délinquants (c.-à-d. qu’ils sont liés à un risque accru de récidive si l’on ne s’en occupe pas). Toutefois, de nombreuses déficiences méthodologiques ont été constatées dans les recherches traitant de l’incidence de l’emploi sur la réinsertion sociale des délinquants. Nous ne pouvons donc pas affirmer catégoriquement que les interventions axées sur l’emploi réduisent systématiquement la récidive. La présente recherche n’a pas été entreprise en vue d’examiner l’incidence d’un programme d’emploi sur la baisse de la récidive, mais plutôt pour explorer le lien particulier qui existe entre les états de service et les résultats dans la collectivité pour des groupes de délinquants sous responsabilité fédérale, soit des délinquants qui étaient employés durant leur liberté sous condition et un groupe témoin apparié de délinquants qui étaient sans travail. Après avoir présenté les résultats, les auteurs discutent des conséquences en ce qui a trait aux recherches futures et aux initiatives d’emploi dans la collectivité pour les délinquants.

Contexte

Les recherches ont révélé qu’un emploi instable et le manque d’ambition au sens traditionnel constituaient des facteurs importants de besoin parmi les délinquants2, jusqu’à 75 % des délinquants ayant des besoins sur le plan de l’emploi au moment de leur admission dans un établissement fédéral3. Les chercheurs ont également signalé qu’un emploi spécialisé ou des antécédents de travail avant l’incarcération favorisaient la réinsertion sociale des délinquants4. Ces constatations soulignent l’importance d’évaluer les facteurs considérés comme des déficiences sur le plan de l’emploi (par exemple absence de compétences professionnelles) et les compétences (p. ex., solides antécédents de travail avant l’incarcération) pour déterminer leur contribution aux résultats dans la collectivité des délinquants5 et aussi prouver le rôle éventuel des interventions axées sur l’emploi dans la réinsertion sociale réussie des délinquants. Bref, que l’emploi soit considéré comme un facteur de protection ou comme une déficience, les preuves empiriques appuient son rôle dans les résultats qu’obtiennent les délinquants dans la collectivité.

Programme d’emploi et résultats

Dans leur examen de la littérature sur l’emploi6, de nombreux chercheurs ont signalé des faiblesses méthodologiques, notamment en ce qui a trait aux définitions (p. ex., définition dichotomique des variables), laissant pour compte des facteurs importants comme la qualité de la participation, la durée de participation au programme et les motifs d’abandon. De plus, dans de nombreuses évaluations de programmes, on néglige de souligner des données importantes ayant trait aux besoins en matière d’emploi des délinquants et à leurs compétences avant la participation aux programmes. Il est aussi important de tenir compte de la comorbidité en ce qui a trait aux besoins des délinquants, comme la combinaison de besoins liés à l’emploi et à la toxicomanie, et de son incidence éventuelle sur le rendement au travail et les gains procurés par le traitement.

Ryan7 a correctement et succinctement résumé les limitations des méthodes de recherche visant à explorer l’efficacité des interventions centrées sur l’emploi en ce qui concerne la baisse de la récidive : « Des problèmes dans les méthodes de recherche et l’élaboration de programmes, y compris la comparabilité des groupes étudiés et des groupes témoins, le choix des participants, le suivi des ex-détenus, la distinction entre les variables structurelles et sous-culturelles, et la définition du maintien de l’emploi ». Une évaluation exhaustive de l’efficacité des programmes d’emploi doit donc faire entrer en ligne de compte divers facteurs qui peuvent nuancer l’incidence du programme sur le critère examiné (p. ex., obtention et maintien d’un emploi, rendement réussi dans la collectivité).

Les constatations au sujet de l’incidence de la formation professionnelle ont été équivoques8, certaines études signalant des conséquences positives de l’emploi sur la récidive et d’autres, des conséquences limitées ou nulles. Se basant sur une analyse qualitative de la littérature, certains analystes ont adopté une vue assez optimiste de l’incidence de la formation professionnelle sur la récidive9. Dans leur méta-analyse des programmes éducatifs et professionnels, Pearson et Lipton10 ont affirmé : « Même si certains types de programmes de formation générale et professionnelle semblent prometteurspour ce qui est de réduire la récidive, vu l’absence d’études basées sur des méthodes de recherche de haut calibre, nous ne pouvons pas conclure qu’ils ont été confirmés efficaces pour ce qui est de réduire la récidive » (abrégé, italique dans l’original).

Méthode

La présente étude vise à explorer l’incidence de l’emploi sur les résultats dans la collectivité des délinquants (c.-à-d. mesures de réinsertion sociale soutenue, y compris laps de temps dans la collectivité), tout en neutralisant les variables de risque et de besoins qui influent sur la réinsertion sociale. Pour ces analyses, toutes les données disponibles sur les délinquants purgeant une peine de ressort fédéral ont été extraites de la base de données automatisée du Service correctionnel du Canada (SCC), le Système de gestion des délinquants (SGD). Il existait des données sur l’emploi dans la collectivité pour 23 525 délinquants sous responsabilité fédérale mis en liberté sous condition entre le 1er janvier 1998 et le 1er janvier 2005. Environ 95 % d’entre eux étaient des hommes (N = 22 269) et 5 %, des femmes (N = 1 256)*.

Le Système de gestion des délinquants du SCC a été utilisé pour déterminer l’expérience en matière d’emploi des délinquants sous responsabilité fédérale mis en liberté sous condition dans la collectivité. Après avoir déterminé le groupe de délinquants « employés », on a établi le groupe apparié à l’aide du logiciel SAS (Système d’analyse statistique). Les données d’identification pour les deux groupes ont ensuite été liées à celles qui se trouvaient dans les données du SGD renfermant des éléments d’information pertinents pour l’étude : renseignements démographiques, renseignements sur la peine et cote correspondant aux niveaux d’intervention statiques et dynamiques.

La population a été divisée en deux groupes : les délinquants qui avaient été employés entre la date de leur mise en liberté et la fin de leur peine et ceux qui avaient été sans travail. Le groupe des délinquants « employés » a été apparié au hasard au groupe des « sans travail », les critères d’appariement permettant de neutraliser les facteurs de temps, d’occasion et de tendance. Ces critères ont également fait entrer en ligne de compte la question de la comorbidité dans les besoins des délinquants.

Plus précisément, les groupes ont été appariés en fonction du sexe, du niveau de risque, de l’année de mise en liberté, de la durée de la peine, de plusieurs facteurs dynamiques** et du groupe régional de la classification des secteurs statistiques (CSS)*** correspondant au bureau de surveillance désigné des délinquants. Le processus d’appariement a produit des échantillons de 4 640 hommes et 156 femmes****.

L’information a fait l’objet d’une analyse de survie, qui est une technique statistique servant à estimer le laps de temps jusqu’à un événement et la fréquence de celui-ci. Ce type d’analyse a été utilisé pour comparer les groupes de délinquants employés en fonction de trois événements ou mesures de résultat : toute réincarcération dans un établissement fédéral avant la fin de la peine; une réincarcération dans un établissement fédéral après la perpétration d’une nouvelle infraction avant la fin de la peine; une réincarcération dans un établissement fédéral sans perpétration d’une nouvelle infraction avant la fin de la peine. Les comparaisons ont été faites séparément pour les hommes et pour les femmes.

Résultats

Le laps de temps moyen jusqu’au résultat a été utilisé comme mesure de la tendance centrale pour les données sur la survie. Un examen de la cohorte de délinquants mis en liberté a révélé que les courbes de survie pour les délinquants employés étaient très différentes pour les hommes et pour les femmes [X2(1, N = 24 061) = 19,40, p. 0,001)]. Le laps de temps moyen jusqu’à un emploi était de six mois pour les hommes et de dix mois pour les femmes. Toutefois, comme on peut le voir au Graphique 1, les deux courbes de survie finissent par converger, ce qui signifie qu’avec le temps, il y a moins de différences dans les taux d’emploi selon le sexe.

Comparés aux sujets appariés, les hommes qui avaient un emploi étaient plus susceptibles de rester en liberté sous condition jusqu’à la fin de leur peine [X2(1, N = 4 653) = 357,40, p. 0,001)]. Le laps de temps moyen jusqu’à une réincarcération était aussi plus long pour le groupe des délinquants employés (11 mois contre 37 mois respectivement). Ces derniers étaient aussi moins susceptibles d’être réincarcérés dans un établissement fédéral pour avoir commis une nouvelle infraction [X2(1, N = 4 653) = 86,71, p. 0,001)] ou pour manquement aux conditions [X2(1, N = 4 653) = 128,62, p. 0,001)] (voir Graphiques 2, 3 et 4).

Parmi les délinquantes, celles qui étaient employées avaient plus de chance de demeurer en liberté sous condition jusqu’à la fin de leur peine [X2(1, N = 156) = 9,09, p. 0,01)]. Un examen des courbes de survie (voir Graphique 5) révèle qu’à la fin de la période à l’étude, environ 70 % de celles qui étaient employées étaient toujours en liberté sous condition contre environ 55 % de celles qui étaient sans travail. Les faibles taux de réincarcération pour perpétration d’une nouvelle infraction empêchent d’estimer le laps de temps moyen dans la collectivité. Toutefois, les délinquantes qui avaient un travail étaient moins susceptibles d’être réincarcérées pour avoir commis une nouvelle infraction que les sujets appariés [X2(1, N = 156) = 8,54, p. 0,05)]. Il n’y avait pas de différences significatives entre les groupes quant aux révocations pour manquement aux conditions de la mise en liberté.

 

Graphique 1

 

Graphique 2

 

Graphique 3

 

Graphique 4

 

Graphique 5

 

Analyse et conséquences

Cette recherche produit des éléments d’information nouveaux au sujet des résultats sur le plan de l’emploi dans la collectivité des délinquants sous responsabilité fédérale. Premièrement, les résultats fournissent une estimation de référence quant au délai moyen d’obtention d’un emploi pour les délinquants et les délinquantes en liberté sous condition. Dans la collectivité, les délinquants prennent en moyenne six mois à se trouver un emploi, alors qu’il en faut dix pour les délinquantes.

Cette étude fait aussi une contribution importante à la littérature sur l’emploi puisqu’on utilise des données systématiques et contrôlées pour montrer que l’obtention d’un emploi dans la collectivité constitue un facteur important dans la réinsertion sociale des délinquants. Elle permet de réfuter les critiques faites au sujet des recherches antérieures sur l’emploi, notamment quant à l’absence d’un groupe témoin. Des comparaisons des résultats obtenus dans la collectivité par les sujets ont révélé que l’emploi contribuait à accroître la probabilité d’achever avec succès la peine et à augmenter le laps de temps dans la collectivité, ainsi qu’à diminuer le risque d’être réincarcéré pour avoir commis une nouvelle infraction ou pour avoir manqué aux conditions de la mise en liberté.

Ces résultats ont des conséquences sur les programmes communautaires puisqu’ils soulignent la nécessité d’avoir des interventions en matière d’emploi facilement accessibles pour les délinquants en liberté. Bien qu’ils ne constituent pas véritablement un programme, les centres d’emploi dans la collectivité du SCC fournissent des services en matière d’emploi aux délinquants mis en liberté sous condition pour les préparer à se trouver du travail. On y offre divers services, notamment d’évaluation personnelle, de conseils, de formation sur les techniques de recherche d’emploi et de placement. Gillis et Crutcher11 ont effectué récemment une exploration préliminaire de ces centres. Ce profil et les résultats d’une évaluation récente12 prouvent que ces centres satisfont à une demande importante, en accord avec les principes du risque et des besoins dans la prestation de services aux délinquants ayant des besoins dépistés sur le plan de l’emploi. En ce qui concerne les délinquants qui connaissent des obstacles importants, des programmes plus intensifs en matière d’emploi pourraient être nécessaires ou devraient leur être accessibles avant la mise en liberté ou au moment de celle-ci.

L’emploi, comme programme, a été éclipsé au cours des dernières décennies par la création et l’application généralisées de programmes visant à répondre à d’autres besoins (p. ex., sur les plans de la toxicomanie et de la violence). Les initiatives en matière d’emploi existent depuis l’avènement des établissements correctionnels, mais, comme le signalent Andrews et coll.13 : « Malgré toute l’attention traditionnelle dont il a fait l’objet dans le contexte correctionnel, le facteur de l’emploi n’a pas reçu toute l’attention de qualité qu’il mérite ». Il faut espérer que cette recherche contribuera à consolider la notion de l’emploi comme facteur important dans la réinsertion sociale des délinquants et à faire valoir son importance comme domaine de programme. ■


1 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9
2 ENOCKSSON, K. « Correctional programs: Areview of the value of education and training in penal institutions », Journal of Offender Counseling, Services and Rehabilitation, volume 5, numéro 1, 1981, p. 5-18. Voir aussi FINN, P. « Job placement for offenders in relation to recidivism », Journal of Offender Rehabilitation, volume 28, numéro 1/2, 1998, p. 89-106. Voir aussi GENDREAU, P., GOGGIN, C. et GRAY, G., « Les domaines de besoin du délinquant : “emploi” », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, volume 10, numéro 3, 1998, p. 16-19.
3 MOTIUK, L. « Système de classement des programmes correctionnels : processus d’évaluation initiale des délinquants (EID) », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, volume 9, numéro 1, 1997, p. 18-22.
4 MARKLEY, H., FLYNN, K. et BERCAW-DOOEN, S. « Offender skills training and employment success: An evaluation of outcomes », Corrective and Social Psychiatry and Journal of Behavior Technology Methods and Therapy, volume 29, 1983, p. 1-11.
5 GILLIS, C. A. et ANDREWS, D. A. « Comprendre l’importance de l’emploi : une étude prospective des facteurs déterminants de l’emploi dans la collectivité chez les délinquants sous responsabilité fédérale », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, volume 14, numéro 1, 2002, p. 3-6. Voir aussi GILLIS, C. A. et ANDREWS, D. A. Prévoir l’emploi dans la collectivité pour les délinquants sous responsabilité fédérale en liberté sous condition, Rapport de recherche, Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada, Ottawa, ON, 2005.
6 GAES, G. G., FLANAGAN, T. J., MOTIUK, L. L. et STEWART, L. « Adult correctional treatment », dans M. Tonry et J. Petersilia (dir.), Prisons, Chicago, IL, University of Chicago Press, 1999, p. 361-426. Voir aussi GERBER, J. et FRITSCH, E. J. « Adult academic and vocational correctional education programs: Areview of recent research », Journal of Offender Rehabilitation, volume 22, numéro 1/2, 1995, p. 119-142. Voir aussi PEARSON, F. S. et LIPTON, D. S. The effectiveness of educational and vocational programs: CDATE meta-analyses, communication présentée à l’assemblée annuelle de l’American Society of Criminology, Toronto (Ontario), 1999. Voir aussi RYAN, T. A. Job retention of offenders and ex-offenders: Review and synthesis of the literature, manuscrit inédit, College of Criminal Justice, University of South Carolina, Columbia, SC, 1998.
7 Op.cit., RYAN, 1998, page E5.
8 Op.cit., GAES, 1999; GERBER et FRITSCH, 1995; PEARSON et LIPTON, 1999; RYAN, 1998.
9 Op.cit., FINN, 1998. Voir aussi GERBER et FRITSCH, 1995.
10 Op.cit., PEARSON et LIPTON, 1999.
11 GILLIS et CRUTCHER, 2005, ce volume.
12 Op.cit., GILLIS et ANDREWS, 2005.
13 ANDREWS, D.A., PIRS, S., WALKER, J. et HURGE, A. A theoretical, research and program framework for employment-oriented services in probation and parole (rapport provisoire), parties I, II, III, IV et VI, Ontario, ministère des Services correctionnels, 1980, p. 3.
* Les analyses ont porté sur une seule peine de sorte qu’il est possible que les délinquants apparaissent plusieurs fois dans la population.
** Les facteurs dynamiques sont ceux qui sont évalués juste avant les dates de mise en liberté des délinquants. Ils comprennent les domaines suivants : emploi, relations familiales/conjugales, fréquentations, toxicomanie, fonctionnement dans la collectivité, orientation personnelle et affective, attitude.
*** La CSS sert à définir des zones géographiques en fonction du dénombrement et de la densité de la population résultant du recensement de la population canadienne de 2001. Les zones sont des composantes de 1) des régions métropolitaines de recensement (RMR), dont la population est supérieure à 100 000 habitants; 2) des agglomérations de recensement (AR), dont la population est comprise entre 10 000 et 100 000 habitants; 3) des collectivités rurales (CR), qui incluent tous les autres villages et villes, mais non les collectivités de réserve. Cette désignation géographique est basée sur l’hypothèse selon laquelle les délinquants ont habité relativement proche de l’endroit où ils ont été surveillés.
****Chaque échantillon était composé de délinquants sans travail (50 %) et de délinquants avec emploi (50 %).


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