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Contributions universitaires

Recherche sur les délinquants sexuels

Prédire l'attrition chez les délinquants sexuels qui participent au programme : Le rôle du déni, de la motivation et de la disponibilité face au traitement1

Mark Latendresse2
Département de psychologie, Université Carleton

Cette étude examine l'effet du déni, de la minimisation, de la motivation et de la disponibilité face au traitement sur les résultats du traitement des délinquants sexuels pour un échantillon hétérogène de 449 délinquants sexuels.

L'abandon du traitement ou le décrochage est fréquent chez les délinquants sexuels. Il est donc important de déterminer quels délinquants auraient avantage à suivre des séances préparatoires au traitement visant à réduire ou à éliminer les facteurs qui les empêchent de profiter pleinement du traitement.

Selon les principales conclusions de l'étude, le déni, la minimisation et, peut-être, la disponibilité face au traitement constituent des prédicteurs d'abandon du traitement chez les délinquants sexuels. Ces facteurs de réceptivité semblent influer sur le fait qu'un délinquant termine ou non le traitement, et ce, même une fois les risques pris en compte. Il serait donc intéressant d'évaluer ces prédicteurs avant d'inscrire des délinquants sexuels à un programme de traitement donné.

Contexte

Au Canada, en raison des préoccupations formulées par le public, un nombre considérable de programmes de traitement des délinquants sexuels visant à réduire la récidive sexuelle ont été mis en úuvre (Polizzi, MacKenzie & Hickman, 1999). Malgré les débats en cours sur l'efficacité de ces traitements, des recherches récentes montrent que les délinquants sexuels traités au moyen des approches cognitivo-comportementales actuelles tireront profit du traitement, lequel permettra de réduire quelque peu les taux de récidive chez cette population (Abracen & Looman, 2004).

En fait, la question litigieuse sur l'efficacité du traitement des délinquants sexuels a rejeté à l'arrière-plan et empêché la conduite de recherches plus poussées sur les facteurs qui influent sur les résultats du traitement, comme la disponibilité face au traitement, la motivation et le déni. Le principe de la réceptivité est un concept important directement lié à l'augmentation des changements de comportement, et justifie la réalisation d'une enquête systématique à plus grande échelle. La disponibilité face au traitement, la motivation, le déni et la minimisation sont des facteurs de réceptivité précis qui ont commencé à susciter un intérêt dans la littérature correctionnelle comme prédicteurs potentiels des résultats du traitement.

. . . [cette étude] examine le lien entre la disponibilité face au traitement, la motivation, la minimisation et le déni . . . et détermine si ces variables permettent de prédire les résultats du traitement des délinquants sexuels.

Comme il a été mentionné précédemment, l'abandon du traitement ou le décrochage est fréquent chez les délinquants sexuels. Les taux d'attrition varient énormément entre les programmes, les types de délinquants et les établissements, et il est par conséquent difficile d'en évaluer précisément l'ampleur. Les taux d'attrition liés aux programmes de traitement des délinquants sexuels varient entre 20 % et 58 % en milieu carcéral (Geer, Becker, Gray & Krauss, 2001) et entre 17 % et 47 % en milieu communautaire (Craissati & Beech, 2001). La recherche laisse supposer que lorsque l'on s'attarde aux facteurs de réceptivité au cours des phases de planification et de prestation du traitement, cela augmente les chances qu'un délinquant termine le programme et réduit ainsi les risques de récidive (Dowden & Serin, 2001).

Présente étude

La présente étude vise à examiner plus en profondeur le lien entre la disponibilité face au traitement, la motivation, le déni et la minimisation et les résultats du traitement (c.-à-d. le niveau d'attrition à l'égard du traitement) dans un échantillon hétérogène de délinquants sexuels incarcérés. En particulier, cette étude examine le lien entre la disponibilité face au traitement, la motivation, la minimisation et le déni (variables de réceptivité précises) et détermine si ces variables permettent de prédire les résultats du traitement des délinquants sexuels.

Méthodologie

Les participants à la présente étude sont des délinquants sexuels adultes de sexe masculin sous la responsabilité du Service correctionnel du Canada (SCC) qui ont été évalués à l'Établissement de Millhaven. L'échantillon de délinquants sexuels comprend des violeurs, des pédophiles extrafamiliaux, des pédophiles intrafamiliaux et des délinquants sexuels qui s'attaquent indifféremment aux adultes ou aux enfants.

Les participants au traitement des délinquants sexuels ont été répartis en trois groupes : les finissants, les décrocheurs, c.-à-d. ceux qui n'ont pas terminé le programme parce qu'ils ont décidé de décrocher ou que le Service les a expulsés du traitement et les non-finissants, c.-à-d. ceux qui n'ont pas terminé le programme pour des raisons personnelles ou administratives (comme un transfèrement, une annulation du programme, une mise en liberté).

Les participants avaient entre 19 et 76 ans à l'admission au traitement, l'âge moyen étant de 43,59 ans [écart-type (ET) = 12,42]. La composition ethnique de l'ensemble de l'échantillon était la suivante : 79,2 % de race blanche, 9,2 % de race noire, 7,1 % d'Autochtones et 4,5 % autres. L'état matrimonial était réparti comme suit : 42,2 % célibataires, 17,6 % mariés, 14,5 % en union de fait, 12,5 % séparés, 11,4 % divorcés et 1,8 % autres. Par ailleurs, la durée moyenne de la peine pour l'échantillon était de 4,21 ans (ET = 3,38).

La Liste de vérification du déni et de la minimisation (LVDM) (Barbaree, 1991), l'Échelle de disponibilité au traitement (Serin, Kennedy & Mailloux, 2002) et l'Indice de motivation3 ont été utilisés pour mesurer les quatre variables de réceptivité. L'échelle Statique-99 a servi à évaluer le niveau de risque que présentaient les délinquants (Hanson & Thornton, 1999).

Résultats

Cette étude portait sur 448 délinquants sexuels qui ont été admis à l'Établissement de Millhaven aux fins d'évaluation entre décembre 1999 et septembre 2005. Le taux d'attrition de ces délinquants a été de 11,2 % durant leur peine en cours; en d'autres termes, 11,2 % (50) des 448 délinquants ont décroché ou n'ont pas achevé le traitement entrepris. Plus précisément, 398 participants ont achevé le programme de traitement des délinquants sexuels, 17 ont été classés parmi les décrocheurs et 33 n'ont pas réussi à terminer le programme de traitement pour des raisons administratives ou personnelles.

Les statistiques descriptives et les corrélations pour les tests psychométriques utilisées dans le cadre de cette étude sont présentées respectivement aux Tableaux 1 et 2.

Dans l'ensemble, il n'y a aucune différence marquée quant aux cotes totales moyennes de minimisation [F (2 445) = 0,05, p < 0,95] entre les finissants du traitement, les décrocheurs et les non-finissants. De même, il n'y a aucune différence importante quant à la valeur moyenne de l'indice de motivation [F (2 445) = 1,55, p < 0,22] entre les divers groupes. Tant la minimisation que la motivation ont donné des résultats similaires pour les trois groupes. Il est à noter que dans la LVDM, le déni est évalué par les réponses oui/non, il est donc impossible de comparer les résultats entre les divers groupes au moyen de l'analyse de la variance.

 Tableau 1

Statistiques descriptives pour les mesures psychométriques selon les groupes (résultats du traitement) 

Variable Total
N = 448
Finissants
n = 398
Décrocheurs
n = 17
Non-finissants
n = 33









  CMa ETb M ET M ET M ET









Minimisation totale 2,87  2,49   2,86  2,40   3,06   3,04   2,88  2,89 
Niveau de motivation 2,05  0,43   2,06  0,43   1,88   0,33   2,00  0,50 
Statique-99* 3,21  2,22   3,16  2,21   4,71   1,57   3,06  2,38 
EDT total* 29,86  14,30  30,49  14,14  23,35  13,56  25,67  15,46 









a CM = cote moyenne 
b ET = écart-type 
* Différences statistiquement significatives

. . . les niveaux élevés de risque sont associés à de faibles niveaux de motivation.

Les groupes montrent toutefois des différences statistiquement significatives sur l'échelle Statique-99 [F (2 445) = 4,11, p < 0,02] et l'Échelle de disponibilité au traitement (EDT) [F (2 445) = 3,61, p < 0,03]. Le groupe des décrocheurs a obtenu un résultat beaucoup plus élevé sur Statique-99 (donc un risque plus élevé) que le groupe des finissants et le groupe des non-finissants. Sur l'EDT, le groupe des finissants a obtenu le score moyen total le plus élevé, suivi par le groupe des non-finissants, et le groupe des décrocheurs a obtenu le score le plus faible. Il est à noter que sur l'EDT, un score élevé indique que le délinquant est mieux disposé face au traitement.

Le Tableau 2 présente, pour l'ensemble de l'échantillon, les corrélations entre la cote de minimisation totale de la LVDM, l'Indice de motivation, Statique-99 et les scores totaux sur l'EDT. Des résultats plus élevés pour la disponibilité face au traitement ont été associés à une meilleure motivation (selon les mesures de l'indice de motivation), au déni, à des niveaux plus élevés de minimisation et aux résultats du traitement (c.-à-d. l'achèvement du programme). Statique-99 est négativement associée au niveau de motivation; autrement dit, les niveaux élevés de risque sont associés à de faibles niveaux de motivation. De plus, le déni est négativement associé à la minimisation et à la disponibilité face au traitement; il est, en d'autres termes, associé à des niveaux plus faibles de minimisation et de disponibilité face au traitement.

Tableau 2

Coefficients de corrélation pour l'échelle de disponibilité au traitement et les autres facteurs de réceptivité

  1 2 3 4 5  6 







1. aEDT total 1          
2. aStatique-99 -0,09  1        
3. aDéni -0,37**  -0,01   1      
4. aMinimisation totale 0,20**  -0,03  -0,52**  1    
5. aNiveau de motivation 0,44**  -0,24** -0,24  0,09  1  
6. aRésultats du programme -0,12**  0,07   0,14**  0,01  -0,07  1 







*p < 0,05,
**p < 0,01;
aCorrection de Bonferroni par catégorie de familles, p < 0,01 

Une régression logistique séquentielle a été effectuée pour le niveau d'attrition à l'égard du traitement (c.-à-d. l'achèvement ou non du traitement) comme variable des résultats. La régression logistique permet de prédire un résultat distinct, comme l'achèvement ou non du traitement, à partir d'un groupe de variables prédictives qui peuvent être continues, discontinues, dichotomiques ou une combinaison de celles-ci. Dans le cadre de la présente étude, l'attrition à l'égard du traitement est codée comme un résultat distinct. En raison du nombre peu élevé de décrocheurs (17), nous avons ajouté ces derniers au groupe des non-finissants pour avoir deux résultats du traitement pour l'analyse de régression : traitement terminé et traitement non terminé. Dans le modèle, nous avons utilisé comme variables prédictives - c'est-à-dire les variables utilisées pour tenter de prédire les résultats du traitement - l'âge, le déni, la minimisation, la motivation, le risque (Statique-99) et la disponibilité face au traitement.

. . . le déni est négativement associé à la minimisation et à la disponibilité face au traitement . . . .

Les scores sur Statique-99 et l'âge du délinquant au début du traitement ont été entrés en premier pour veiller à ce que les autres prédicteurs dans l'équation prédisent l'attrition à l'égard du traitement indépendamment des variables associées au risque. Dans le deuxième groupe, le déni (oui, non), les cotes totales de minimisation, les valeurs de l'indice de motivation et les résultats totaux de la disponibilité au traitement ont été entrés ensemble dans l'équation. Le modèle a permis de classer correctement le niveau d'attrition pour 88,8 % des 448 participants.

Le Tableau 3 présente les résultats de la régression logistique. Selon la statistique de Wald, le déni et la minimisation sont des prédicteurs importants du niveau d'attrition à l'égard du traitement, tandis qu'il y a une tendance importante en ce qui concerne l'EDT (p = 0,06). L'âge des délinquants, l'Indice de motivation et le résultat sur Statique-99 n'ont pas permis de prédire correctement le niveau d'attrition à l'égard du traitement.

En d'autres mots, les délinquants qui ont admis avoir commis l'agression sexuelle à l'origine de leur condamnation ont beaucoup plus tendance à terminer le traitement que ceux qui sont classés parmi les négateurs. De même, les niveaux faibles de minimisation ont été associés à l'achèvement du traitement. L'indice de motivation est peu lié aux résultats du traitement, et, contre toute attente, les finissants et les non-finissants ont obtenu des résultats similaires sur ce point.

Tableau 3

Résultats de l'analyse de régression logistique permettant de prédire le niveau d'attritionà l'égard du traitement

Variable β ET β Wald Rapport
des cotes
IC
(rapport de cotes)






Étape 1          
Âge -0,01  0,01  0,63 0,99 0,97 - 1,02
Statique-99 0,08  0,07  1,20 1,08 0,94 - 1,24
Étape 2          
Déni -1,20  0,38  9,92** 0,30 0,14 - 0,64
Minimisation 0,18  0,07  6,41** 1,19 1,04 - 1,37
Motivation 0,14  0,43  0,11 1,15 0,49 - 2,68
EDT -0,02  0,01  3,38a 0,98 0,95 - 1,01






** p < 0,01; 
a p < 0,07 

Analyse et conclusions

Cette étude révèle que le déni, la minimisation et la disponibilité face au traitement sont des facteurs de réceptivité précis qu'il vaut la peine d'évaluer avant d'inscrire des délinquants sexuels à un programme de traitement. Ces facteurs de réceptivité semblent influer sur le fait qu'un délinquant termine ou non le traitement, et ce, même une fois les risques pris en compte.

Fait intéressant, le taux d'attrition global pour ce groupe de délinquants sexuels est de 11,2 %, ce qui est très bas par rapport aux autres programmes de traitement des délinquants sexuels pour lesquels les taux d'attrition varient entre 20 % et 58 % en milieu carcéral.

Le modèle de programmes actuel mis en úuvre par le SCC peut avoir contribué à ce faible taux d'attrition chez les délinquants sexuels. Les programmes du SCC destinés aux délinquants sexuels adoptent une approche cognitivo-comportementale qui met l'accent sur la réduction du risque de récidive sexuelle au moyen de contrôles externes et de la maîtrise de soi. L'intensité du programme est en outre adaptée au niveau de risque et de besoins de chaque personne pour que les délinquants dont le niveau de risque est plus élevé reçoivent des traitements plus longs et plus intensifs. Ainsi, les délinquants qui présentent un niveau de risque faible n'ont pas à suivre des programmes de traitement longs et intenses qu'ils risquent d'abandonner parce qu'ils sont contraints de continuer un traitement après avoir atteint un niveau fonctionnel acceptable par rapport aux objectifs du traitement.  


1 Document fondé sur les résultats tirés de LATENDRESSE, M. Predicting Sex Offender Program Attrition: The Role of Denial, Motivation, and Treatment Readiness, mémoire de maîtrise non publié, Ottawa, ON, Université Carleton, conseiller : Ralph C. Serin, 2006.
2 Mark Latendresse, Bureau de recherche, surveillance et évaluation, Programme de contrôle du tabac, Santé Canada, 123, rue Slater, bureau A712, Ottawa (Ontario) K1A 0K9, courriel : mark_latendresse@hc- sc.gc.ca
3 Le Système de gestion des délinquants (SGD) comporte un indice de motivation (évalué par l'agent de gestion des cas) qui indique la volonté ou le désir d'un délinquant de participer aux programmes de traitement correctionnel recommandés.

Bibliographie

ABRACEN, J. et LOOMAN, J. « Issues in the treatment of sexual offenders: Recent developments and directions for future research », Aggression and Violent Behavior, vol. 9, 2004, p. 229-246.

BARBAREE, H E. « Déni de la réalité et minimisation par les délinquants sexuels : évaluation et résultats du traitement », Forum - Recherche sur l'actualité correctionnelle, vol. 3, no 4, 1991, p. 35-38.

CRAISSATI, J. et BEECH, A. « Attrition in a community treatment program for child sexual abusers », Journal of Interpersonal Violence, vol. 16, 2001, p. 205-221.

DOWDEN, C. et SERIN, R. Programmes de maîtrise de la colère à l'intention des délinquants : effet des mesures du rendement du programme, Rapport de recherche R-106, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 2001.

GEER, T. M., BECKER, J. V., GRAY, S. R et KRAUSS, D. « Predictors of treatment completion in a correctional sex offender treatment program », International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, vol. 45, 2001, p. 302-313.

HANSON, R. K. et THORNTON, D. Statique-99 : une amélioration des évaluations actuarielles du risque chez les délinquants sexuels, (Rapport pour spécialistes no 99-02), Ottawa, ON, ministère du Solliciteur général du Canada, 1999.

POLOZZI, D., MacKENZIE, D. et HICKMAN, L. « What works in adult sex offender treatment? A review of prison-based and non-prison-based treatment programs », International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology, vol. 43, 1999, p. 357-374.

SERIN, R., KENNEDY, S. et MAILLOUX, D. Protocol for the treatment readiness, responsivity, and gain scale: Short version, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 2002.