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Est-il possible de repérer les criminels psychopathes?

En 1941, le psychiatre Hervey Cleckley publiait la première édition de son livre The Mask of Sanity dont le rayonnement devait être remarquable. il s'agissait d'un des premiers ouvrages à décrire le psychopathe. Aujourd'hui, les chercheurs continuent de se référer aux « eaux boueuses » de la psychopathie. Les initiés s'entendent cependant sur les caractéristiques essentielles du psychopathe. Les travaux de recherche sont de plus en plus nombreux, surtout au Canada, à faire valoir l'importance de repérer les psychopathes au sein des populations criminelles. Tout semble indiquer que les psychopathes constituent un sous-groupe de délinquants enclins à la violence et à l'agressivité qui font l'objet de condamnations répétées.

Les expressions « personnalité antisociale », « sociopathe » et « psychopathe » sont utilisées de manière interchangeable, mais le terme « psychopathe » fait maintenant référence à un diagnostic extrêmement précis. On utilise le mot psychopathie pour décrire les individus impulsifs, insensibles, de mauvaise foi, menteurs et fraudeurs, égocentriques, ayant peu de jugement et une vie sexuelle impersonnelle et très instable.

Tous les psychopathes ne sont pas des délinquants. Cependant, plusieurs criminels sont des psychopathes. On estime qu'ils représentent de 18 à 40 % des délinquants, selon les groupes.

En fait, les chercheurs ont découvert que l'incidence de la psychopathie s'élève au fur et à mesure que s'accroît le niveau de sécurité de la prison; les psychopathes réagissent moins bien aux traitements; il est plus risqué de leur accorder une libération conditionnelle; ils ont une liste plus longue d'antécédents criminels plus diversifiés et plus sérieux; ils sont toujours plus violents que les non-psychopathes; leur utilisation de la violence semble moins circonstancielle et davantage orientée vers des objectifs bien plus précis que le type de violence que l'on retrouve chez les non-psychopathes. Comment repérer les psychopathes Les diagnostics de psychopathie se fondent sur les impressions globales des employés, sur les réactions des délinquants aux tests de personnalité et aux échelles de rendement utilisés par le personnel. Ces deux dernières méthodes sont sans doute les plus efficaces pour établir un diagnostic de psychopathie. Parmi les instruments les plus utiles, on retrouve l'échelle de psychopathie. Élaborée à l'Université de la Colombie-Britannique par le psychologue Robert Hare, cette échelle a été utilisée pour la première fois en 1980. Depuis, elle a fait l'objet d'un certain nombre d'améliorations.

L'échelle de psychopathie comprend 22 éléments (par exemple, l'insensibilité, l'impulsivité) qui s inspirent des critères de psychopathie d'abord proposés par Cleckley. Pour compléter cette échelle, le clinicien - habituellement un psychologue - doit procéder à une entrevue complète et à une étude approfondie du dossier des délinquants. Une analyse récente des éléments faisant partie de l'échelle a démontré que l'échelle de psychopathie peut mesurer non seulement l'absence d'empathie dont parle Cleckley (1982) mais également les facteurs ayant trait au mode de vie instable et à la déviance sociale, tous les deux chroniques chez le psychopathe. La psychopathie et la libération conditionnelle En 1984, une étude dirigée par Steve Wong, dans la région des Prairies, a révélé que les délinquants fédéraux ayant obtenu des résultats élevés sur l'échelle de psychopathie de Hare avaient plus souvent fait l'objet d'une révocation de la libération conditionnelle ou de la surveillance obligatoire et qu'ils s'étaient plus souvent retrouvés « illégalement en liberté » que les délinquants ayant obtenu des résultats faibles sur l'échelle de psychopathie. En tant que groupe, les psychopathes étudiés par Wong avaient plus souvent violé les conditions de leur libération conditionnelle et de leur surveillance obligatoire, et pour des raisons plus sérieuses (par exemple, une nouvelle infraction). Ils avaient sollicité une libération conditionnelle quatre fois plus souvent que les non-psychopathes. En dépit du caractère plutôt étonnant de leur casier judiciaire et de leur performance antérieure dans la communauté, ils obtenaient leur libération conditionnelle aussi facilement que les non-psychopathes.

En 1988, les chercheurs Steve Hart, Randy Kropp et Hare ont vérifié ces constatations chez un autre groupe de délinquants fédéraux. Ils ont découvert que les psychopathes étaient quatre fois plus sujets que les non-psychopathes à transgresser les conditions de leur libération conditionnelle. D'après leurs estimations, après environ trois ans de suivi, 80 % des psychopathes violent les conditions de leur libération conditionnelle comparativement à 20 % chez les non-psychopathes. L'échelle de psychopathie s'est également avérée être un meilleur outil de prédiction des résultats de la mise en liberté que toute autre échelle de prédiction fondée sur les antécédents criminels.

En collaboration avec mes collègues Ray Peters et Howard Barbaree (1989), je suis récemment parvenu a des résultats qui confirment ces constatations. Nous avons étudié un échantillon de 87 détenus de l'établissement Joyceville ayant obtenu une absence temporaire sans escorte. Encore une fois, le taux d'échec chez les psychopathes s'est avéré être quatre fois supérieur à celui des non-psychopathes. Nous avons également remarqué que ce n'était pas tous les psychopathes qui ne respectaient pas les conditions de leur libération conditionnelle, du moins au cours d'une courte période de suivi. C'est pourquoi les résultats obtenus sur l'échelle de psychopathie ne peuvent constituer le seul motif de refus d'une libération conditionnelle.

La psychopathie et la violence Les psychopathes sont plus enclins à la violence et à l'agressivité que les autres délinquants. Cette affirmation se fonde sur leurs condamnations criminelles, sur leur comportement en établissement carcéral et sur leur utilisation d'armes. De plus, leur comportement agressif semble avoir des buts bien précis et ne pas être uniquement circonstanciel. Cela est particulièrement vrai lorsque les psychopathes sont comparés à un groupe de non-psychopathes violents dont plusieurs purgent des peines pour crimes extrêmement graves. Si l'on compare leur casier judiciaire, on constate que 85 à 97 % des psychopathes faisant partie de l'étude de Hare ont été condamnés au moins une fois pour infraction avec violence comparativement à seulement 50 % des non-psychopathes. Une autre étude réalisée dans la région de l'Ontario a révélé que tous les psychopathes comptaient au moins une infraction avec violence.

Récemment, on a cherché à établir quelle proportion d'un groupe de délinquants sexuels purgeant des peines dans un établissement psychiatrique du Massachusetts étaient des psychopathes. Les chercheurs R. A. Prentky et R. A. Knight sont parvenus à la conclusion que 25 % d'un groupe de pédophiles et 40 % d'un groupe de violeurs souffraient de psychopathie. C'est donc dire qu'il existe des liens très étroits entre la psychopathie et l'infraction sexuelle. Il s'agit d'un domaine de recherche important qu'on vient tout juste de commencer à explorer.

Tous les détenus ne sont pas des psychopathes; 20 à 30 % d'entre eux présentent cependant des caractéristiques énumérées dans l'échelle de psychopathie formant ainsi un groupe important. L'échelle de psychopathie permet d'établir des distinctions entre les détenus en nous donnant des indications sur les résultats probables de mise en liberté et sur les risques de violence. Les premiers résultats obtenus nous prouvent déjà qu'il y a lieu de poursuivre les recherches en ce domaine.

À venir jusqu'à maintenant, l'échelle de psychopathie n'a été utilisée que pour les recherches, et on connaît encore mal ses applications cliniques (exemple, évaluation des demandes de libération conditionnelle). Avant d'envisager la possibilité d'intégrer l'évaluation de la psychopathie dans les politiques correctionnelles, il faut d'abord étudier certaines questions, telles que l'identification des psychopathes, les erreurs possibles de classification, les considérations d'ordre éthique et les traitements possibles. On pourrait utiliser le terme psychopathe de manière abusive; l'erreur serait d'autant plus grave que certaines des caractéristiques qui les définissent sont permanentes et par conséquent impossibles à modifier.

Il pourrait s'avérer plus utile de décrire les besoins des détenus et de proposer une stratégie de traitement adaptée à ces besoins tout en tenant compte de ce que nous connaissons des psychopathes. Une telle stratégie pourrait suggérer des moyens permettant de modifier leur comportement et de définir les conditions de leur mise en liberté. Ce ne sont pas tous les psychopathes qui récidivent une fois remis en liberté, et l'on pourrait facilement faire des erreurs si on se fiait uniquement aux résultats obtenus sur l'échelle de psychopathie pour prendre nos décisions. Le fait de refuser la mise en liberté en fonction d'un diagnostic soulève certaines questions d'ordre éthique, spécialement pour le psychologue chargé d'établir ce diagnostic. D'après les chercheurs, une approche raisonnable consisterait à accorder la libération conditionnelle à la plupart des non-psychopathes mais de se montrer extrêmement sélectif dans la mise en liberté des psychopathes en prenant alors toutes les précautions nécessaires.

L'évaluation de la psychopathie exige une formation spécialisée, une très grande compréhension de ce qu'est la psychopathie et l'accès à tous les antécédents du détenu. En dépit de ces critères très précis, l'échelle de psychopathie n'en procède pas moins par déduction. Si nous établissons un diagnostic de psychopathie pour un individu, nous avons l'obligation de lui offrir le traitement dont il a besoin. Malheureusement, le traitement qui serait le plus approprié est loin de faire l'unanimité.

Parmi les sujets de recherches encore inexplorés, mentionnons des études de suivi plus longues et plus détaillées sur la récidive, les premiers symptômes de la psychopathie et de la violence chez les psychopathes, la psychopathie et les délinquants sexuels, les applications de l'échelle de psychopathie à des interventions cliniques, la relation entre l'échelle de psychopathie et d'autres mesures moins déductives, les stratégies d'intervention et les différents aspects de la psychopathie.

La recherche sur les psychopathes criminels a permis d'intéressantes découvertes, surtout en ce qui concerne la récidive et la violence. L'échelle de psychopathie est d'abord et avant tout un instrument de recherche. La psychopathie est un sujet de recherche passionnant, mais il reste beaucoup de travail à faire avant que l'on puisse rationnellement l'intégrer dans une politique.

Les lecteurs intéressés à en savoir davantage sur le sujet peuvent consulter les documents suivants. Certains exposent les principales recherches dans le domaine, d'autres sont des travaux approfondis sur la psychopathie.



Ouvrages à consulter

Cleckley, H. (1982). The Mask of Sanity (sixième édition). Mosby. St-Louis, Missouri

Hare, R. D. (1980). A research scale for the assessment of psychopathy in criminal populations. Personality and Individual Differences, 1, 111-119

Hare, R. D. (1985). Comparison of procedures for the assessment of psychopathy. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 53, 7-16

Hare, R. D. et McPherson, L. M. (1984). Violent and aggressive behaviour by criminal psychopaths. International Journal of Law and Psychiatry, 7, 35-50.

Hare, R. D., McPherson, L. M. et Forth, A. (1988). Maie psychopaths and their criminal careers. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 56, 710-714.

Harpur, T. J., Hakstian, A. R. et Hare, R. D. (1988). Factor structure of the Psychopathy Checklist. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 56, 741-747.

Hart, S. D., Kropp, P. R. et Hare, R. D. (1988). Performance of maie psychopaths following conditional release from prison. Journal of Consulting and Clinical Psychology, 56, 227-232.

Ogloff J.R.P., Wong, S. et Greenwood, A. (1988). Treating psychopaths. Behavioral Sciences and the Law. Sous presse.

Serin, R. C., Peters, R. De V. et Barbaree, H. E. (1989). Psychopathy and release outcome: Implications for clinicians and decision makers. Manuscrit en préparation.

Wong, S. (1984). The criminal and institutional behaviour of psychopaths.
Guide pratique, Direction des programmes, ministère du Solliciteur générai du Canada.