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Comment les enseignants en milieu correctionnel perçoivent leur travail

Une enquête menée auprès des enseignants des établissements fédéraux du Québec a révélé qu'ils avaient une perception différente de leur rôle selon qu'ils enseignaient au secteur général ou au secteur professionnel.

Une enquête semblable auprès des enseignants du secteur correctionnel américain a permis d'établir que leurs préoccupations ne concernaient pas l'enseignement proprement dit.

Enquête canadienne

Dans le cadre d'une étude réalisée par Louis Toupin, 80 enseignants (95 %) des pénitenciers fédéraux du Québec ont répondu à un questionnaire comportant 225 questions. Les réponses aux 53 questions portant sur les valeurs et les méthodes pédagogiques ont ensuite fait l'objet d'une analyse.

On a demandé aux répondants de décrire ce qu'était et ce que devrait être leur rôle en milieu correctionnel. Dans les deux cas, la moitié des enseignants se voyaient comme des «personnes chargées de faciliter la réinsertion sociale des détenus ». Près d'un tiers des répondants estimaient agir présentement comme « conseillers », et 38 % décrivaient ainsi le rôle idéal. Seulement 20 % des personnes interrogées ont défini leur rôle actuel en termes de « transmission de connaissances » et un pourcentage encore plus faible (11 %) y voyaient là la définition idéale de leur rôle.

Selon qu'ils se percevaient comme des personnes chargées de la réadaptation sociale des détenus ou comme des conseillers, les participants à l'étude ont répondu de manière différente aux questions portant sur les méthodes d'enseignement et les méthodes d'intervention. Comme l'indique le graphique 1, les partisans de la « réàdaptation sociale » appuyaient davantage le recours aux méthodes d'enseignement informelles que les partisans du rôle de « conseiller ».



Graphique 1
Graphique 1
Les questions ont été analysées et regroupées en cinq sujets : le développement personnel, le concept d'utilité, le point de vue pessimiste, le modèle de socialisation et les tendances innovatrices.

La grande majorité des répondants reconnaissaient la dimension de développement personnel que comporte toute formation s'inspirant des préceptes suivants :
  • les élèves apprennent l'autodétermination (ils organisent et planifient eux-mêmes leur travail);
  • les élèves se familiarisent avec la pensée critique et s'intéressent au progrès social;
  • les objectifs de la réinsertion sociale guident la formation de manière que celle-ci augmente les chances des élèves d'obtenir leur élargissement ainsi que leurs perspectives d'avenir;
  • l'enseignement individuel, nécessitant la présence chaleureuse et motivante de l'enseignant, est la méthode préférée d'intervention;
  • l'évaluation générale se fonde sur les objectifs du programme.

Dans l'ensemble, les répondants s'accordaient à voir dans la formation en milieu correctionnel un modèle de socialisation, même si on était moins d'accord à ce sujet qu'on ne l'était pour la dimension de développement personnel. La formation en milieu correctionnel propose un modèle de socialisation basé sur les principes suivants :

  • l'enseignement devrait aider l'individu à s'adapter à la société, et non le contraire, et développer chez lui un sens des responsabilités sociales et personnelles;
  • les principales matières enseignées devraient tenir compte non seulement des choix et des besoins de l'individu mais également des exigences de la société;
  • les programmes hautement structurés devraient voisiner avec certaines activités d'auto-apprentissage;
  • la formation devrait viser l'acquisition de modèles cognitifs et d'habiletés conceptuelles et l'évaluation ne devrait pas se limiter aux épreuves écrites à correction objective.

En ce qui concerne l'utilité de la formation, les enseignants des secteurs général et professionnel différaient visiblement d'opinion. Les enseignants du secteur général n'étaient que partiellement d'accord avec l'idée qu'il fallait d'abord préparer les détenus à satisfaire aux exigences de la société, ce à quoi les enseignants du secteur professionnel souscrivaient entièrement. Farouchement opposés à l'idée d'adapter leurs méthodes aux contraintes du milieu carcéral, les enseignants du secteur général privilégiaient plutôt des méthodes d'enseignement traditionnelles. À l'opposé, les enseignants du secteur professionnel estimaient que les méthodes d'enseignement devaient se modeler sur la réalité du milieu. De plus, les enseignants du secteur général jugeaient plus ou moins nécessaire d'établir une relation d'autorité avec leurs élèves tandis que les enseignants du secteur professionnel valorisaient grandement ce genre de relation.

Une majorité importante de répondants, surtout les enseignants à temps plein, affichaient un certain optimisme quant à l'avenir de la formation en milieu correctionnel. La plupart estimaient que celle-ci facilitait la réintégration des délinquants sur le marché du travail.

Les répondants manifestaient un certain intérêt pour les méthodes d'enseignement innovatrices, dont l'enseignement individualisé, quoique l'auto-apprentissage ne semblait pas obtenir leur adhésion.

Somme toute, les enseignants du secteur professionnel se perçoivent davantage comme des représentants des valeurs de la société et ils insistent pour que les élèves s'y conforment. Par contre, les enseignants du secteur général préfèrent ne pas se prononcer sur les valeurs, insistant plutôt sur l'importance des habiletés cognitives et sociales en général. Mais dans l'ensemble, les enseignants du secteur correctionnel interrogés appuient des modèles de formation qui favorisent l'épanouissement personnel et la socialisation des délinquants.

Comment les enseignants américains perçoivent leur travail

Cette enquête s'est intéressée aux caractéristiques démographiques, aux méthodes d'enseignement, aux croyances au sujet de l'enseignement, aux normes éducationnelles ainsi qu'à la philosophie de l'éducation d'un échantillon constitué au hasard à partir de la liste de membres de 1988 de la Correctional Education Association (qui compte également des non-enseignants). Des 320 questionnaires expédiés, 157 ont été retournés pour un taux de réponse de 49 %. De ce nombre, 39 % provenaient d'enseignants en milieu correctionnel (nombre: 62). Les répondants devaient indiquer, sur une échelle de 5, jusqu'à quel point la description fournie dans le questionnaire correspondait à leur méthode d'enseignement ou à leurs opinions sur l'enseignement. Les répondants étaient invités à fournir des réponses plus détaillées aux questions portant sur leur philosophie de l'éducation.

L'âge des répondants variait de 26 à 65 ans, la moyenne étant de 44 ans. Près de la moitié des répondants étaient des femmes. Seulement deux répondants ne possédaient pas un baccalauréat. Trente-neuf États américains étaient représentés dans l'échantillon. En moyenne, les répondants occupaient leur poste d'enseignant depuis sept ans, bien que les données à cet égard variaient de 1 à 20 années. Plus de 60 % des répondants travaillaient dans des établissements pour adultes. Le nombre d'élèves auxquels ils enseignaient allait de 4 à 130, avec une moyenne de il élèves rencontrés par jour.

Les résultats ont été présentés sous forme de moyennes pour chaque question. Le graphique 2 décrit les réponses aux questions portant sur les méthodes d'enseignement. Les enseignants ont jugé que les trois descriptions suivantes, à savoir, enseignement des règlements, répartition du temps et sensibilisation organisationnelle, correspondaient le moins à leurs méthodes d'enseignement.

La catégorie « enseignement des règlements » englobe les méthodes d'apprentissage des règles et normes de comportement ainsi que le processus utilisé pour les définir. La seule question de cette catégorie à avoir obtenu un résultat plutôt élevé faisait référence à l'énumération des comportements acceptables et inacceptables. On peut donc supposer que les enseignants du milieu correctionnel privilégient des méthodes d'enseignement plus réactives que proactives ou qu'ils n'essaient pas diverses approches.

La « répartition du temps » fait allusion aux stratégies visant à maximiser l'emploi du temps réservé à l'enseignement et à réduire le temps consacré aux tâches superflues, non axées sur l'apprentissage. Selon les réponses fournies, les enseignants n'auraient apparemment pas employé de stratégies à cet effet.

Les questions portant sur la « sensibilisation organisationnelle » font référence au degré de compréhension et de respect des normes et règlements de l'association professionnelle et de l'organisation correctionnelle dont les enseignants sont membres. Cet aspect plus structurel de la formation en milieu correctionnel semble moins préoccuper les enseignants qui s'intéressent davantage aux activités plus concrètes.



Graphique 2
Graphique 2
Les répondants ont jugé que leurs méthodes d'enseignement s'apparentent davantage aux deux énoncés suivants : maintenir l'ordre et donner un cours - répéter et évaluer. « Maintenir l'ordre », c'est renforcer les comportements positifs et maîtriser les comportements dérangeants. « Répéter et évaluer », c'est enseigner une matière jusqu'à ce qu'elle soit bien comprise, corriger les travaux des élèves, évaluer et contrôler leur rendement.

Les réponses aux questions portant sur les philosophies de l'éducation témoignaient d'une recherche d'activités concrètes et mesurables, menant par exemple à l'obtention d'un diplôme d'études générales équivalent, par opposition à des philosophies et objectifs plus généraux.

Conclusion

L'étude canadienne révèle qu'en général les enseignants en milieu correctionnel favorisent une définition plus large de la formation en milieu correctionnel, qui va au delà de l'enseignement de métiers, de la lecture, de l'écriture et des mathématiques. En dépit des différences de perceptions notées entre les enseignants des secteurs général et professionnel, les répondants donnaient leur appui aux programmes de formation axés sur l'épanouissement personnel et la socialisation des délinquants.

De son côté, l'étude américaine laisse sous-entendre que les enseignants du milieu correctionnel préconisaient une philosophie de l'éducation axée sur des objectifs plus tangibles. Il faut cependant noter que les répondants américains devaient eux-mêmes énoncer leur philosophie de l'éducation tandis que les répondants canadiens devaient tout simplement indiquer leur préférence à partir d'énoncés reflétant diverses philosophies. Il est vraisemblablement plus facile d'indiquer quels énoncés on privilégie que de les formuler soi-même.



(Toupin, L. (1988). Practical Experience and Instructional Approach by Teachers in Quebec Federal Penitentiaries, Journal of Correctional Education, 39, n° 3, 108-113.)

(Sedlak, R.A. et Karcz, S.A. (1990). Descriptive Study of Teaching Practices and the Efficacy of Correctional Education, dans S. Duguid, éditeur, The Yearbook of Correctional Education, 325-341, Burnaby, Colombie-Britannique: Université Simon Fraser.)