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Le perfectionnement du personnel et l'élaboration des programmes d'études en milieu carcéral

L'article qui suit illustre l'importance des programmes d'études dans la vie quotidienne d'un pénitencier. L'hypothèse avancée est la suivante : la formation en milieu carcéral serait plus efficace si les enseignants et les élèves participaient davantage à l'élaboration des programmes d'études. Une façon de favoriser cette participation serait d'inclure l'élaboration des programmes d'études dans le perfectionnement du personnel. Une partie de la démarche consisterait à repérer les approches pédagogiques qui favorisent la participation des élèves. Une démarche comme celle-ci s'avère nécessaire pour valoriser le rôle des éducateurs en milieu carcéral et pour rendre plus adéquats les programmes d'études. Description des programmes existants Le secteur de l'éducation des adultes se dit préoccupé du recours de plus en plus fréquent à l'enseignement modulaire ainsi que de la popularité des programmes imprimés qui dictent la règle à suivre aux maîtres et aux élèves. Vus sous l'angle de la gestion, l'enseignement modulaire et les programmes imprimés sont attrayants, tandis qu'ils rassurent les enseignants moins compétents. Même les enseignants chevronnés sont parfois tentés de recourir aux modules d'enseignement déjà préparés, comme en témoigne la popularité de la méthode d'enseignement fondée sur les compétences attendues, car ils semblent grandement faciliter leur préparation de cours. L'enseignement par module permet en outre d'occuper constamment les élèves. Mais comprennent-ils vraiment ce qu'ils font et se sentent-ils réellement intéressés par ce qui se passe en classe?

L'utilisation de modules d'enseignement préparés par les technocrates soulève une foule de problèmes. Tous ces modules n'améliorent pas le rendement des élèves et des enseignants, surtout s'ils orientent toute la démarche d'apprentissage1. Rien ne permet d'attribuer aux modules d'enseignement, de plus en plus populaires, les performances actuelles des élèves en écriture, en lecture et en arithmétique ni même l'amélioration des méthodes pédagogiques. En fait, plus les modules d'enseignement et les programmes imprimés se répandent, plus l'on se plaint d'une chute dans la qualité de la formation et du rendement des enseignants. Lawrence Cremin, un éminent chercheur dans le domaine de la formation et ex-président du fameux Columbia Teachers College, affirme même que l'utilisation systématique de modules d'enseignement, comme c'est le cas dans la formation basée sur les compétences attendues, est dommageable(2).

Les modules d'enseignement prêts à utiliser font amplement référence aux capacités (capacités d'étude, capacités d'adaptation, aptitudes à l'enseignement, habiletés esthétiques, aptitudes à la vie quotidienne, et ainsi de suite). Les concepteurs de modules semblent croire que l'ensemble des comportements humains se bornent à des capacités. Dans la mesure où ce sont des modules d'enseignement qui dictent et orientent le processus d'apprentissage, tant les enseignants que les élèves se sentent profondément dépossédés de leurs aptitudes. La formation basée sur les compétences attendues, par exemple, part de l'hypothèse voulant que les adultes sont toujours de mauvais élèves. Les enseignants, de leur côté, doivent abandonner leur rôle traditionnel pour se transformer en « animateurs », en «gestionnaires » ou même en « cadres administratifs » chargés d'administrer des modules d'enseignement préparés à l'avance. En bout de ligne, on peut même se passer des enseignants dans la mesure où aucune compétence spéciale n'est requise pour ce genre de tâches.

Si nous croyons réellement que l'enseignement est une mission et que les élèves doivent apprendre à lire, à écrire, à compter et à penser de manière objective, les enseignants ont tout intérêt à reprendre en main l'élaboration des programmes au sein de leurs établissements. Il peut être utile, à cet effet, de les initier à l'élaboration des programmes dans le cadre du perfectionnement professionnel offert au personnel(3). Le milieu carcéral Les programmes parviennent habituellement tout faits aux enseignants, qui demeurent libres de les utiliser comme bon leur semble.

Nombreux sont les enseignants qui souhaitent s'immiscer dans le processus d'élaboration des programmes. Les expériences du passé ont cependant démontré que les programmes d'études élaborés par les enseignants étaient axés sur leurs intérêts personnels, atteignaient mal la clientèle visée et ne comportaient, dans certains cas, aucun changement réel. On a donc cessé de solliciter la participation des enseignants à l'élaboration des programmes, de sorte que les initiatives en ce domaine sont encore l'apanage de la direction.

Si l'on veut que l'élaboration des programmes en milieu carcéral devienne un processus dynamique qui favorise la participation, on doit s'entendre au préalable sur un certain nombre de questions. Par exemple:
  • Dans quelle mesure le fait d'être en contact avec le milieu correctionnel oriente-t-il l'élaboration des programmes?
  • Comment le perfectionnement du personnel est-il influencé par la résistance aux changements de certains enseignants?
  • Comment les enseignants du milieu carcéral peuvent-ils répondre à ce genre de questions? Quelles compétences les enseignants qui désirent participer à l'élaboration des programmes doivent-ils posséder?
Gardant ces questions à l'esprit, examinons la formation qu'offre un établissement à son personnel enseignant.

À leur entrée en fonction, les enseignants sont initiés aux mesures routinières de sécurité. Ils doivent, dès leur arrivée, se familiariser avec les procédures qui régissent les déplacements des détenus au sein de l'établissement ainsi que les interactions entre les détenus et le personnel. Toutefois, la majeure partie des renseignements transmis au personnel sont peu utiles et insistent de façon exagérée sur la connaissance des procédures obligatoires.

Les enseignants du milieu carcéral sont ensuite isolés de leurs pairs, en raison des contraintes propres au milieu carcéral. Accaparés par les besoins psychologiques des détenus inscrits aux programmes de formation ainsi que par les problèmes de sécurité, ils ont peu de temps pour réfléchir sérieusement au contenu des programmes et à leur propre évolution professionnelle.

Professionnellement isolés, les enseignants consacrent tout leur temps aux besoins urgents du milieu carcéral, d'où la nécessité d'organiser à leur intention des cours de perfectionnement en élaboration de programmes pour améliorer ces derniers.

Le Service correctionnel du Canada confie la gestion de plusieurs de ses programmes de formation à des organismes extérieurs. Or, on a tort de penser que ces organismes pouvaient également se charger des cours de perfectionnement du personnel car leurs priorités ne sont pas toujours celles du milieu carcéral. De plus, ces organismes accordent parfois une moindre importance au perfectionnement de leur personnel même s'il s'agit d'enseignants qui travaillent à l'extérieur du milieu carcéral. De plus, les universités et les établissements d'enseignement postsecondaire n'ont que peu de moyens économiques et autres pour participer au perfectionnement du personnel en milieu carcéral.

Certains enseignants en milieu correctionnel sont membres d'associations professionnelles telles que des fédérations provinciales d'enseignants, qui leur offrent des cours de perfectionnement. Comme ces enseignants ont toujours constitué une minorité, ils sont par conséquent incapables d'imposer leurs préoccupations au reste du groupe.

La réunion mensuelle de chaque division fournit aux professionnels à l'emploi du Service correctionnel du Canada l'occasion d'exprimer leurs besoins. Malheureusement, il arrive souvent que cette réunion prenne la forme d'un long monologue destiné à transmettre les plus récentes consignes relatives au contrôle au sein de l'établissement. Certaines séances d'information sont bien sûr importantes, mais elles isolent encore davantage les enseignants qui sont encouragés à oeuvrer à l'intérieur d'une « zone de sécurité». Mais cette «zone de sécurité » constitue rarement un espace où la créativité peut s'exprimer, ce qui n'aide pas la participation des enseignants à l'élaboration des programmes.

Le Service correctionnel du Canada a néanmoins proposé des solutions intéressantes à ces problèmes tant aux paliers national et régional qu'en établissement. Au palier national, le Service correctionnel du Canada a reconnu, dans son énoncé de mission, la nécessité d'accroître la compétence professionnelle du personnel en milieu carcéral. Les employés sont invités à profiter de congés d'études sans solde et chaque employé a droit à cinq jours de formation avec solde par année. Des fonds sont également disponibles pour permettre au personnel d'assister à des conférences traitant de la formation en milieu correctionnel.

En 1982, les enseignants et les gestionnaires de la région des Prairies ont collaboré à la création de la Correctional Educators Association, une association qui offre des services aux enseignants des établissements fédéraux et provinciaux. Ils ont obtenu, à cette fin, la collaboration de leurs collègues de l'Université de la Saskatchewan et du Saskatchewan Institute of Applied Sciences and Technology - Woodlands Campus (auparavant, le Natonum Community College) qui s'intéressent à la formation en milieu carcéral. Chaque année, l'association organise un atelier de quatre jours sur la formation en établissement, au lac Emma, en Saskatchewan. Les enseignants des pénitenciers fédéraux et provinciaux ainsi que des établissements pour jeunes contrevenants ont alors l'occasion d'examiner des questions importantes relatives à la formation, loin des pressions de la vie quotidienne en milieu carcéral.

En 1987, des représentants du Service correctionnel du Canada, de l'Université de la Saskatchewan et des ministères de l'Éducation de trois provinces des Prairies ont participé à un projet conjoint consistant à élaborer des programmes de formation de base des adultes. Les enseignants et administrateurs participants ont alors eu l'occasion d'examiner cette question sous des angles différents. Les lignes directrices proposées démontraient qu'il était possible de respecter les normes établies tout en donnant suffisamment de latitude aux enseignants pour qu'ils puissent exercer leur créativité et influencer le contenu des programmes au sein des établissements. Ces lignes directrices ont même mis en relief la possibilité d'offrir au personnel des cours de perfectionnement axés sur la participation à l'élaboration des programmes. Reste maintenant à concrétiser cette orientation.

Par ailleurs, les rencontres mensuelles des divisions pourraient devenir des lieux d'échange sur les questions relatives à la formation. Ainsi, au pénitencier de la Saskatchewan, les réunions comportent des discussions sur la formation en milieu correctionnel et sur les tendances récentes observées en ce domaine.

La majorité des établissements possèdent des bibliothèques où l'on retrouve du matériel pédagogique et des ouvrages traitant de perfectionnement du personnel. Ces ressources peuvent être utiles dans la mesure où les enseignants sont disposés à s'en servir et à les tenir à jour.

Les enseignants en milieu correctionnel reconnaissent la nécessité du perfectionnement, mais ils oublient parfois à quel point il est déterminant s'ils veulent participer à l'élaboration, à la mise en oeuvre et à l'évaluation des programmes. Il n'y a là rien d'étonnant dans la mesure où les cours de perfectionnement qu'on leur a offerts jusqu'ici se limitaient à une série d'activités prédéterminées par des gens qui connaissaient mal les réalités de l'éducation en milieu correctionnel.

Après avoir pris conscience des problèmes découlant de leur isolement professionnel, les enseignants doivent maintenant prendre en charge, du moins en partie, leur propre perfectionnement. Dans la mesure où ils se réapproprieront le contenu des programmes, les enseignants du milieu carcéral réussiront plus facilement à se faire respecter de leurs élèves. Les gestionnaires, de leur côté, doivent s'efforcer de leur faciliter la tâche.

Prenant la parole lors de la quatrième Assemblée mondiale de l'éducation des adultes, tenue à Bangkok en janvier 1990, le représentant canadien, J.W. Cosman, a commenté ainsi la formation en milieu carcéral
La formation en milieu carcéral est une bien triste histoire. Elle se limite généralement à bien peu de choses et est de piètre qualité. Il y a bien sûr des exceptions mais elles ne sont pas très nombreuses. Dans la majorité des cas, cette formation ne mérite même pas qu'on en parle(4).
Lors du huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants(5), un certain nombre de résolutions ont été adoptées. La résolution portant sur la formation en milieu carcéral comprenait une déclaration insistant sur la nécessité d'offrir des cours de perfectionnement aux enseignants et au personnel. Au Canada, la situation est peut-être meilleure que dans d'autres pays, mais elle ne vaut toujours pas chère. Inutile de se faire des illusions!



(1)Collins, M. (1987). Competence in Adult Education: A New Perspective. Washington, D.C. : University Press of America.
(2)Kevin, R. (1978). Une entrevue avec Lawrence A. cremin,
Phi Delta Kappan, octobre, p. 115.
(3)Fingeret, A. et Jurmo, P. (1989).
Participatory Literacy Education. San Francisco & London Jossey-Bass.
(4)Cosman, J. (1990). « Why Not Education in Prisons? »
Notes pour discussion lors de la Fourth World Assembly of Adult Education. Bangkok, p.1.
(5)Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants (1990).
Résolutions portant sur la formation en milieu correctionnel (annexe C), Recommandation 1.