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Les indices de la délinquance : quand se manifestent-ils et quels sont-ils?

Lorsque l'asociabilité se manifeste très tôt chez l'enfant, il n'est pas rare qu'elle se maintienne avec l'âge, même si elle est apparue avant que l'enfant n'entre à l'école. Cette observation découle d'une étude longitudinale sur la santé, le développement et le comportement de 1 037 enfants (à peu près moitié garçons et moitié filles) nés en 1972-1973 à Dunedin (Nouvelle-Zélande); cette étude s'inscrit dans le cadre de l'étude multidisciplinaire sur la santé et le développement de Dunedin.

Les chercheurs se sont penchés sur certaines caractéristiques de l'enfant d'âge préscolaire moyen, observées à trois et cinq ans, pour voir si elles permettaient de prévoir l'apparition d'un comportement asocial entre il et 15 ans.

Il importe de déterminer quel est l'âge minimum à partir duquel on peut prévoir l'apparition de troubles comportementaux graves afin qu'il soit possible d'intervenir avant que ce comportement ne s'enracine. Un des principaux objectifs de l'étude était donc de vérifier s'il y avait moyen de repérer, dès l'âge préscolaire, les enfants qui seraient très asociaux à il ans.

Aussi, les chercheurs voulaient savoir si les indices de troubles comportementaux jugés utiles pour prévoir un comportement asocial à 11 ans l'étaient encore lorsque les sujets atteignaient l'âge de 15 ans.

Des données psychologiques, sociales et physiques sur les enfants furent recueillies tous les deux ans entre les âges de trois et 15 ans.

Les chercheurs étudièrent plus d'une trentaine d'indices du comportement et du développement des enfants à trois et à cinq ans, dont la santé physique, les habiletés motrices et cognitives, les troubles comporte-mentaux et l'acquisition du langage.

Lorsque les enfants atteignirent l'âge de il ans, les chercheurs s'intéressèrent au facteur d'asociabilité, celui-ci étant déterminé par trois critères : en premier lieu, à il ans, l'enfant devait montrer des signes avant-coureurs de troubles asociaux d'après des tests diagnostiques et l'avis de ses parents et professeurs. En deuxième lieu, ces troubles devaient être présents durant toute la période intermédiaire de l'enfance, à au moins deux de trois âges : 9, il et 13 ans. En dernier lieu, les enfants devaient être asociaux à tous points de vue. Autrement dit, ils devaient se classer dans la tranche supérieure de 15 p. 100 des échelles d'évaluation de l'asociabilité (cas les plus graves) de l'avis d'au moins deux de cinq personnes pouvant effectuer le classement: l'enfant, le parent ou l'un des trois professeurs ayant eu la charge de l'enfant lorsqu'il avait neuf, il ou 13 ans.

Grâce à ces critères, seuls les enfants dont le comportement asocial était extrême ont été inclus dans le groupe des enfants dits « asociaux » (EA). En fin de compte, 50 enfants (5,4 p. 100 de l'échantillon) satisfaisaient aux critères susmentionnés et ont été classés comme EA.

Les autres enfants ont été répartis en deux groupes : les individus normaux (NO) [n=837] et les individus atteints d'autres troubles (AT) [n=371. Les enfants de il ans atteints d'autres troubles comme des phobies, la dépression ou l'anxiété, étaient inclus dans le second groupe.

Les chercheurs comparèrent les groupes EA, NO et AT, en fonction de certaines caractéristiques à l'âge préscolaire (à trois et à cinq ans) et de la délinquance à il et à 15 ans.

Résultats

Sur les 33 variables employées pour jauger la santé des enfants, leurs habiletés cognitives et leur comportement à trois ans et à cinq ans, les chercheurs en ont retenu cinq qui distinguaient les individus asociaux des individus des deux autres groupes.

Les enfants « difficiles à maîtriser » et les enfants ayant un « comportement d'extériorisation » étaient deux de ces cinq variables. La variable « difficile à maîtriser » était mesurée par la réponse donnée par la mère de l'enfant, âgé de trois ans, à la question: « votre enfant a-t-il été un bébé facile ou difficile? » Le comportement d'extériorisation (agression et hyperactivité) a été évalué par deux chercheurs qui ont observé l'enfant à trois ans pendant environ une heure.

Les trois autres variables étaient les échelles d'évaluation des habiletés motrices de McCarthy, le test du bonhomme et la liste de Rutter pour les parents. Les échelles McCarthy permettent d'évaluer les habiletés motrices de l'enfant, particulièrement la coordination des membres inférieurs. Le test du bonhomme contrôle les mêmes habiletés, mais du point de vue de la coordination sensori-motrice. La liste de Rutter permet d'obtenir l'avis des parents au sujet des troubles comportementaux dont est atteint l'enfant à cinq ans.

À ce chapitre, il est intéressant de noter que les troubles comportementaux rapportés par les parents donnent lieu à des distinctions frappantes non seulement entre les deux groupes d'enfants atteints de troubles (asociaux et autres), mais aussi entre le groupe d'enfants atteints de troubles et le groupe d'enfants normaux.

Les chercheurs ont ensuite analysé les cinq variables préscolaires pour voir s'ils pouvaient repérer les enfants qui seraient en difficulté à 11 ans. Aux fins de cette analyse, les chercheurs ont regroupé les enfants normaux et les enfants atteints d'autres troubles en un groupe d'enfants ne souffrant pas de troubles asociaux. Les chercheurs voulaient voir s'ils pourraient se servir des cinq variables pour classer correctement les individus dans un des deux groupes.

Dans 81 p. 100 des cas, ils ont réussi. Plus précisément, environ 70 p. 100 des enfants atteints de troubles asociaux et 81 p. 100 des autres enfants ont été classés correctement. Ces résultats révèlent que la valeur de prédiction des cinq variables est très bonne.

Sur les cinq variables, ce sont les problèmes de comportement à l'âge de cinq ans signalés par les parents (liste de Rutter) qui se sont avérés les plus utiles aux fins de prédiction. Ainsi, en se fondant uniquement sur les troubles comportementaux signalés par les parents, les chercheurs ont pu correctement classer 80 p. 100 des enfants ne souffrant pas de troubles asociaux et 64 p. 100 de ceux atteints de tels troubles.

Dans un deuxième temps, les chercheurs ont voulu voir dans quelle mesure les cinq variables préscolaires permettant de prévoir l'asociabilité à il ans conservaient leur utilité pour prévoir la délinquance à 15 ans. Pour les chercheurs, les adolescents délinquants étaient des enfants qui se classaient dans le quart supérieur déterminé par la gravité des actes délinquants qu'ils avaient commis et volontairement rapportés; aussi ils avaient eu des démêlées avec la police au moins une fois avant l'âge de 16 ans. D'après cette définition, 38 enfants étaient délinquants.

Les chercheurs ont constaté que le comportement délinquant des individus constituant les groupes formés lorsque les enfants avaient 11 ans, à savoir le groupe d'individus normaux (NO), le groupe d'individus atteints d'autres troubles (AT) et le groupe d'individus asociaux (EA), avait considérablement évolué en quatre ans. Notamment, selon les dires, les jeunes des groupes AT et EA commettaient des actes délinquants et illégaux beaucoup plus nombreux et divers que le groupe NO.

En outre, ces jeunes étaient plus susceptibles d'avoir eu des démêlés avec la police. Par exemple, à l'âge de 15 ans, 33 p. 100 des individus du groupe EA avaient eu affaire à la police au moins une fois, comparativement à 19 p. 100 du groupe AT et 10 p. 100 du groupe NO.

Il était aussi plus probable que les individus du groupe EA soient entrés en conflit avec les autorités à au moins deux reprises, comparativement aux individus des deux autres groupes (EA-14p. 100, AT-3 p. 100 et NO-4p. 100).

D'après ces résultats, les enfants complètement asociaux à 11 ans sont les plus susceptibles de devenir délinquants récidivistes avant d'avoir 16 ans.

Les cinq variables préscolaires ont permis aux chercheurs de classer correctement 65 p. 100 des individus de 15 ans, soit en tant que délinquants ou non-délinquants. Plus précisément, seulement 55 p. 100 des délinquants éventuels et 67 p. 100 des non-délinquants éventuels ont été correctement classés, ce qui met en doute l'utilité des variables préscolaires pour prévoir l'asociabilité à l'adolescence.

Conclusion

Selon toute vraisemblance, l'asociabilité précoce chez l'enfant est l'indice le plus sûr de l'asociabilité à un âge plus avancé. A tout le moins, dans le cas de certains enfants, l'asociabilité apparaît très tôt et se maintient.

Cinq variables préscolaires se sont avérées utiles pour prévoir l'asociabilité à 11 ans, mais elles perdaient de leur précision lorsqu'employées pour faire les mêmes prédictions à 15 ans.

En revanche, il convient de souligner que même si l'asociabilité précoce prise comme indice permet de classer correctement une proportion considérable d'enfants qui deviendront éventuellement asociaux, le classement a tendance à être excessif. En se fondant sur les troubles comporte-mentaux rapportés par les parents d'enfants de cinq ans, les chercheurs ont pu repérer les enfants qui seraient atteints de troubles asociaux à 11 ans. Au total, les chercheurs ont prévu que 209 enfants souffriraient de tels troubles; ce fut en réalité le cas d'un nombre nettement moins élevé d'enfants. Près de 85 p. 100 des 209 enfants n'adoptèrent pas un comportement asocial généralisé et soutenu.

Autrement dit, même si pratiquement les deux tiers des 209 individus s'avèrent réellement des individus asociaux, de nombreux enfants qui ne l'étaient pas furent aussi inclus dans le groupe. L'utilité des indices comportementaux à l'âge préscolaire en vue d'une intervention préventive est donc, du moins pour le moment, quelque peu limitée.



J.L. White, T.E. Moffitt, F. Earls, L. Robins et P.A. Silva. (1990). « How Early Can We Tell?: Predictors of Childhood Conduct Disorder and Adolescent Delinquency »: Criminology, 28, 4, 507-533.