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La violence autocentrée: distinctions entre les tendances suicidaires, la simulation et l'automutilation

Les psychologues, les psychiatres et autres praticiens du domaine de la santé mentale qui travaillent en milieu correctionnel sont souvent appelés à évaluer et à traiter des détenus susceptibles de devenir suicidaires. Le problème que doit résoudre le praticien est de déterminer si le détenu a réellement l'intention de se tuer.

Il est peu probable que tous les détenus qui sont perçus comme étant suicidaires par le personnel d'un établissement le soient réellement. Même si le taux de suicide chez les détenus est beaucoup plus élevé que dans la population générale, le nombre de détenus qui mettent fin à leurs jours est nettement inférieur au nombre de détenus qui sont perçus comme étant capables de se suicider.

Dans le cadre d'une récente étude, des chercheurs ont examiné un échantillon de dossiers psychologiques de détenus incarcérés dans des établissements fédéraux à sécurité moyenne(1). Dans environ 18 p. 100 des dossiers, ils ont trouvé des annotations indiquant que le risque de suicide constituait une préoccupation. Selon leur dossier, 70 p. 100 des détenus avaient déjà tenté de se donner la mort. Après avoir analysé ces faits, les chercheurs ont conclu que même si certains détenus entretiennent des pensées suicidaires, ils ne sont pas considérés comme fortement susceptibles de se suicider. Autrement dit, le fait de penser au suicide n'entraîne pas forcément l'acte. Il incombe donc au praticien en santé mentale d'évaluer l'intensité des pensées suicidaires du détenu et le risque que celui-ci passe aux actes.

De plus, le praticien doit réussir à distinguer les détenus suicidaires d'autres détenus qui, par leur comportement, donnent l'impression de vouloir se suicider, comme ceux qui simulent des tendances suicidaires (c'est-à-dire qui feignent d'avoir l'intention de se suicider) ou ceux qui se mutilent volontairement. Dans le présent article, les auteurs posent qu'un examen rigoureux permet de distinguer le comportement suicidaire, la simulation et l'automutilation comme syndromes cliniques distincts, chacune de ces manifestations exigeant le recours à des méthodes d'intervention et à des plans de traitement différents. Malheureusement, la démarcation entre les trois troubles est souvent floue, ce qui complique d'autant la tâche du praticien qui doit formuler un diagnostic. Recherches antérieures Selon le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM111-R), la simulation désigne une classe générale de troubles de fonctionnement qui se manifestent par des symptômes physiques ou psychologiques intentionnellement simulés ou très exagérés. La simulation est motivée par des facteurs externes(2). Par exemple, les détenus qui se tailladent les chairs pour donner l'impression qu'ils tentent de se suicider n'ont généralement pas réellement l'intention de se tuer. Au contraire, par leurs gestes et leurs paroles, ils essaient de contraindre les administrateurs de l'établissement à leur accorder une espèce de récompense indirecte, par exemple en les soustrayant de situations qui leur déplaisent ou qu'ils jugent dangereuses dans la population carcérale.

Considérant qu'il peut y avoir une part de vérité dans les dires de détenus qui affirment avoir des pensées suicidaires à cause d'une situation dans laquelle ils se trouvent et qu'ils jugent dangereuse, leur comportement n'en demeure pas moins coercitif. Même quand les détenus se sont déjà infligés des blessures graves ou qu'ils menacent de le faire - trouble de fonctionnement qui doit être traité - l'instinct de conservation demeure l'élément principal qui motive leur comportement. Ils cherchent à éviter une blessure. Sachant cela, il est peu probable qu'ils se suicident.

Walsh et Rosen, dans leur ouvrage intitulé Self-Mutilation, donnent à l'automutilation la définition suivante : une blessure ou un défigure-ment délibéré, volontairement infligé par l'individu sur sa personne, qui ne suffit pas à entraîner la mort; à cause de sa nature, ce comportement est inacceptable aux yeux de la société(3). Chez les détenus, la mutilation volontaire prend diverse formes, allant des lacérations des poignets et des bras, qui sont courantes, à des actes moins fréquents et plus étranges, comme l'autocastration. Malgré la nature dramatique et souvent choquante de leur comportement, les automutilateurs, en général, ne se suicident pas. En fait, certains chercheurs ont avancé l'idée que l'automutilation est « anti-suicidaire »(4) et que l'une des motivations qui explique ce genre de comportement est un désir, chez le sujet, de se punir ou de se blesser.

Peu de recherches ont été faites sur la fréquence des suicides et des actes de simulation et d'automutilation dans les prisons. À juger de l'expérience clinique en milieu correctionnel, il semble que le comportement suicidaire véritable et la simulation soient les plus communs des trois troubles susmentionnés. L'automutilation est rare, peut-être du fait qu'il s'agit d'un comportement méprisé par la société, qu'il est plus typique des femmes et des adolescents et qu'il est secret de nature. La mutilation volontaire existe néanmoins en milieu carcéral, c'est pourquoi le praticien doit envisager toutes les possibilités lorsqu'il lui faut diagnostiquer avec précision et traiter un détenu.

Même si elle en est encore à ses premiers balbutiements, la recherche non spécialisée dans le domaine correctionnel commence à faire la distinction entre le comportement suicidaire et l'automutilation. Les chercheurs(5) ont récemment élaboré des lignes directrices provisoires pour faciliter cette distinction; en particulier, celles-ci font mention de l'intention de se blesser, de la gravité de la blessure physique infligée, de la fréquence ou de la chronicité des actes d'automutilation et des méthodes utilisées pour se blesser. En conclusion, Walsh et Rosen distinguent l'automutilation du comportement suicidaire en posant que celle-ci se présente comme une blessure réelle qui entraîne des lésions physiques, mais qui d'ordinaire ne tue pas, qui est souvent répétitive et qui résulte habituellement de l'emploi de méthodes variées(6). Il n'y a toutefois pas de preuves empiriques pour appuyer ces conclusions, surtout en ce qui touche les détenus. Trois cas Il serait maintenant bon de se pencher rapidement sur trois cas cliniques de détenus possiblement suicidaires. Dans chaque cas, le personnel a demandé qu'un psychologue participe à l'évaluation du risque de suicide. Cas 1 M. A est un délinquant âgé de 25 ans qui se trouve incarcéré pour la première fois dans un établissement fédéral; il purge une peine de 30 mois pour vol à main armée. Une infirmière de l'établissement a référé son cas au service de psychologie après avoir trouvé M. A très déprimé au cours d'une révision routinière du dossier médical de l'intéressé.

Pendant l'entrevue, le sujet s'est montré plutôt distant, laissant paraître peu d'émotion. En revanche, il était prêt à aider les cliniciens et leur a fait part de son désir de surmonter ses problèmes. Il a expliqué qu'il se trouvait aux prises avec de nombreux problèmes graves qui concernaient son amie et que depuis peu, il souffrait de troubles de sommeil. Il a également admis avoir perdu l'appétit et faire souvent des crises de larmes, mais a nié entretenir des pensées suicidaires ou avoir déjà tenté de se suicider. À cause de son état émotif instable, il fut décidé de faire suivre M. A par le psychologue.

Sur plusieurs séances, M.A. a révélé avoir grandi dans une famille extrêmement perturbée et avoir subi des sévices sexuels, psychologiques et physiques graves. Il a fui le foyer familial à l'âge de 14 ans, vécu dans les rues et fini par sombrer dans la toxicomanie. C'est à cette époque qu'il a rencontré l'amie qu'il fréquente encore aujourd'hui et qu'ils ont décidé d'emménager ensemble. Comme le sujet, elle aussi avait été victime de sévices et était toxicomane.

Après plusieurs séances, l'état mental de M. A sembla s'améliorer. Toutefois, comme à cette époque M. A avait de la difficulté à s'entendre avec les autres détenus, il fut admis à l'hôpital de l'établissement. Les séances de thérapie quotidienne se poursuivirent, et M. A semblait bien faire face à ses problèmes. Trois jours plus tard, le sujet tenta de se pendre pendant la nuit. Il ne réussit pas parce qu'une fixation du plafond céda. On le retrouva, à demi-conscient, au cours d'un contrôle de routine; il fut alors placé en cellule d'observation, en garde préventive.

Le lendemain matin, alors qu'on lui demandait pourquoi il avait voulu se donner la mort, M. A a expliqué que les séances de thérapie avaient déterré des souvenirs douloureux qu'il avait refoulés durant des années à l'aide de la drogue. Il en était venu à penser qu'il lui serait plus facile de mourir que de faire face à son passé. Il a également avoué qu'il songeait au suicide depuis un certain temps, y compris pendant la première entrevue, même s'il l'avait nié à plusieurs reprises.

M. A est resté en garde préventive jusqu'à ce qu'il soit possible de le transférer d'urgence à un établissement psychiatrique. Dans l'intervalle, il est demeuré extrêmement déprimé et le personnel médical considérait que le risque qu'il se suicide était très élevé, d'autant plus que le sujet a continué à répéter qu'il voulait se tuer et à songer aux moyens qu'il pourrait employer pour arriver à ses fins. Cas 2 M. B est un récidiviste de 27 ans; il purge le reste d'une peine de quatre ans pour infraction contre les biens et pour avoir été illégalement en liberté. Il a récemment réintégré l'établissement, après la révocation de sa libération conditionnelle de jour.

Pendant l'incarcération de M. B, on a diagnostiqué chez lui divers troubles allant de troubles psychotiques aux troubles de personnalité. La gravité, l'authenticité et la nature exacte de la maladie mentale de M. B ont fait l'objet de fréquents débats parmi les spécialistes de la santé mentale de l'établissement et ont souvent été remis en cause. Bien qu'il ait suivi de nombreux traitements, M. B s'est systématiquement montré peu motivé et peu disposé à faire preuve de bonne volonté, peu importe le programme de traitement, et son état ne s'est pas amélioré de façon appréciable.

M. B a subi des sévices par le passé. Il a également tenté de nombreuses fois de se suicider, notamment en se tailladant les chairs et en s'étranglant. Une fois, il a essayé de se faire brûler vif. Alors qu'il suivait un traitement dans le service psychiatrique d'une prison, M. B a tenté de se mutiler à deux reprises : la première fois, il a essayé de s'étrangler, et la seconde, il s'est superficiellement lacéré les chairs. Il est important de remarquer que les spécialistes ne considérait pas que M. B était déprimé. Par contre, immédiatement avant chaque instance de mutilation, on avait avisé M. B qu'il réintégrerait prochainement l'établissement d'où il avait été transféré à cause de son manque de participation aux programmes. Le personnel médical en est donc venu à considérer chaque incident comme une simple manigance de M. B pour éviter d'être transféré.

M. B a manifesté ce comportement caractérisé par des « tentatives de suicide » à maintes reprises. Dans presque chaque cas, le sujet a menacé de se mutiler ou s'est mutilé de façon dramatique dès qu'il estimait que l'on ne faisait pas assez attention à lui ou que ses besoins n'étaient pas satisfaits. Par exemple, il a menacé de se couper quand on lui a dit qu'il ne pourrait voir le psychiatre sur-le-champ puis, quand on lui a fait savoir que son rendez-vous avait été remis pour des raisons administratives, il a tenté de s'incendier.

M. B demeure sous surveillance étroite du fait qu'il a tendance à s'automutiler. Il n'affiche pas de symptômes de dépression, mais il continue néanmoins à exprimer des pensées suicidaires et son intention de se mutiler, particulièrement s'il est contraint de réintégrer la population carcérale générale. Son traitement se poursuit. Cas 3 M. C est un récidiviste âgé de 45 ans qui purge une peine de trois ans pour infraction contre les biens. Un agent correctionnel a référé le sujet au service de psychologie après que celui-ci eût perdu connaissance dans l'unité résidentielle. Pendant l'entrevue, M. C a semblé faible et fatigué et avait le teint froissé. Il fut établi par la suite que M. C était anémique parce qu'il se perçait régulièrement les artères dans le creux des bras.

Le dossier de M. C a révélé qu'il avait déjà fait des dépressions, qu'il avait une mauvaise opinion de lui-même et qu'il se sentait impuissant. Le sujet a révélé qu'il avait subi des sévices sexuels et physiques pendant son enfance et qu'il se percevait comme un « pauvre type qui n'arriverait jamais à rien dans la vie ». A cause de problèmes, il s'était séparé de sa conjointe de fait et, du même coup, de ses deux enfants. Son passé criminel était chargé et il avait passé une partie appréciable de sa vie adulte derrière les barreaux.

De l'avis de M. C, il avait été la cible du harcèlement continu des autres détenus. Il a affirmé avoir été menacé au couteau à maintes reprises par d'autres détenus, forcé de céder son salaire de détenu et violé par d'autres détenus. De plus, il avait récemment présenté une demande de libération à la commission des libérations, demande qui avait d'ailleurs été refusée.

Peu de temps après le refus de sa demande, M. C a fait parvenir une lettre manuscrite à l'agent de gestion responsable de son cas et au psychologue. Dans cette lettre, M. C indiquait qu'il était sur le point de se déchaîner parce qu'il ne recevait aucune aide du personnel en vue de résoudre les problèmes auxquels il était confronté au sein de l'établissement.

Avec une certaine réticence, M. C a avoué qu'il s'était volontairement tailladé les bras pour alléger la tension qui l'accablait. Il a précisé qu'il s'était ouvert les artères des bras plusieurs jours de file, et avait recueilli son sang dans un sac de plastique pour ne pas attirer l'attention des gardes. Il arrêtait le sang avec des pansements, puis reprenait ses activités quotidiennes.

M. C a déclaré qu'il s'était souvent « saigné » par le passé, tant lorsqu'il était en liberté que lorsqu'il était en prison, d'où ce diagnostic répété d'anémie.

M. C ne désirait pas suivre de traitement. Il a été libéré sous surveillance obligatoire peu de temps après. Analyse Une analyse rapide des trois cas fait ressortir à la fois des éléments communs et des différences.

Les sujets sont tous trois de graves cas de maladie mentale. Tous trois ont rapporté avoir été victime de sévices pendant leur enfance. Tous trois éprouvent beaucoup de difficulté à supporter le côtoiement des autres délinquants. De plus, les trois sujets courent le risque de se mutiler volontairement.

Quant aux différences, M. A (cas 1) et M. C (cas 3) ont tous deux des symptômes de dépression tandis que M. B (cas 2) n'est pas dépressif. MM. B et C se sont volontairement mutilés par le passé, en employant diverses méthodes; M. A n'a tenté de se mutiler qu'une seule fois et n'a jamais essayé de se suicider auparavant. M. A désire consulter un professionnel. De temps en temps, M. C cherche à attirer quelque peu l'attention du personnel par son comportement, mais en général il tient secrets ses faits et gestes et se désintéresse de tout traitement. Quand à M. B, il cherche par tous les moyens à attirer l'attention, en plus d'essayer de contraindre son entourage à acquiescer à ses désirs, mais il ne s'intéresse que de façon superficielle au traitement.

Le motif qui pousse les trois sujets à se mutiler n'est pas le même dans chaque cas : M. A voulait mettre fin à ses jours, M. B cherchait d'une part à attirer l'attention et d'autre part à forcer son entourage à satisfaire ses besoins, et M. C se mutilait parce qu'il réussissait ainsi à alléger un peu la tension et la frustration qu'il l'accablaient.

L'analyse permet donc de conclure que M. A (cas 1) est réellement suicidaire, que M. B (cas 2) simule l'intention de se suicider et que M. C (cas 3) est un automutilateur.

Cet article, en se fondant sur des cas véridiques, montre qu'une analyse des manifestations de violence auto-centrée chez les détenus n'est pas complète si l'on ne tente pas de distinguer le comportement suicidaire de la simulation et de l'automutilation. Dans la réalité, il arrive souvent que les trois phénomènes soient présents à bien des égards, ce qui complique la tâche du praticien qui doit formuler un diagnostic exact. Jusqu'à présent, il n'existe pas de méthode fondée qui permette de distinguer avec certitude les syndromes les uns des autres. De plus, aucune recherche n'a été entreprise pour tenter de mesurer la différence de fréquence entre le suicide et les comportements semblables au suicide - comme la simulation et l'automutilation - en milieu carcéral. On peut espérer que des recherches seront entreprises à l'avenir pour découvrir l'incidence et la nature de la violence autocentrée dans les prisons.


(1)Morison (S. J.) et Weekes (JR.), données brutes non publiées, 1992.
(2)Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, Third Edition, Washington (D.C.), American Psychiatric Association, 1987, p. 360.
(3)Walsh (B. W) et Rosen (P.M.), Self-Mutilation: Theory, Research, and Treatment, New York (N. Y), Guilford Press, 1988, p. 10.
(4)Ross (R.R.) et McKay (H.B.), Self-Mutilation, Lexington (Ma.), Lexington Books, 1979.
(5)Walsh et Rosen, Self-Mutilation: Theory, Research, and Treatment, p. 25-30.
(6)Ibid., p. 29-30.