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Ce que les détenus savent du SIDA

Il est aisé de négliger une population qui a été retirée de la circulation, qui se trouve derrière les barreaux, quand on crée des programmes d'éducation et d'information sur le SIDA. Pourtant, il est reconnu que les détenus courent un risque élevé de contracter le SIDA ou d'être infecté par le VIH à cause des pratiques sexuelles dangereuses et du partage de seringues qui sont pratiques courantes tant en prison qu'à l'extérieur. Il faut donc mettre sur pied des programmes d'information et de lutte contre le SIDA qui tiennent compte des besoins particuliers des détenus et qui soient donnés dans les établissements carcéraux.

En 1991, la Société John Howard de la Communauté urbaine de Toronto a lancé un projet d'éducation et d'information sur le SIDA et le VIH destiné aux délinquants. La Société, un organisme d'intervention et de réforme pénitentiaire, a pour ainsi dire mené la première évaluation des besoins d'information et d'éducation sur le SIDA dans les prisons. Cette initiative a permis de jauger les connaissances des détenus sur le VIH et le SIDA. Elle a également permis de sonder les opinions des détenus au sujet des programmes d'éducation, des trousses de sortie de prison, de la distribution de condoms, des trousses de blanchiment et des échanges de seringues. Le projet avait pour ultime objectif la collecte d'information qui serait utile aux fins d'élaboration d'un programme d'éducation et de lutte contre le SIDA adapté aux besoins et aux préférences des délinquants incarcérés.
Méthodes d'étude Le projet a été mené en collaboration avec le ministère des Services correctionnels de l'Ontario. Cent délinquants adultes de sexe masculin incarcérés dans deux établissements correctionnels provinciaux de Toronto ont été choisis au hasard et interviewés. Cinquante-cinq des participants étaient incarcérés au centre de détention ouest de la Communauté urbaine de Toronto (soit 15 p. 100 des délinquants de sexe masculin condamnés à l'incarcération ou détenus au centre aux dates où les entrevues se sont déroulées) et les 45 autres, au centre de réhabilitation de Mimico (soit 17 p. 100 des délinquants condamnés à l'incarcération au centre aux dates où les entrevues se sont déroulées).

Les chercheurs ont expliqué individuellement aux participants le but du sondage en vue d'obtenir leur consentement éclairé. On a garanti aux participants que leur anonymat serait respecté et que le sondage se ferait en toute confidence. On précisa également qu'ils pouvaient refuser de répondre à n'importe laquelle des questions et qu'ils pouvaient mettre un terme à l'entrevue à n'importe quel moment. Les prisonniers n'avaient pas à décliner leur nom, le matricule de l'établissement, la nature de l'infraction qu'ils avaient commise ou s'ils étaient ou non séropositifs. Les données ont été recueillies à l'aide d'un questionnaire de sondage.

Les participants ont répondu au questionnaire dans le contexte d'une entrevue privée. On leur lisait la question, puis la réponse qu'ils donnaient de vive voix était inscrite sur le questionnaire. Il y avait quelques questions à réponse libre, mais la plupart des questions appelaient une réponse simple. Les entrevues ont duré environ une heure chacune. Tous les participants ont répondu à toutes les questions (c'est-à-dire qu'aucun des délinquants n'a exercé son droit de mettre un terme prématuré à l'entrevue).

Les résultats de cette étude sont éclairants non seulement parce qu'ils rendent compte des besoins d'un groupe ignoré par la recherche, mais aussi parce qu'ils affirment la nécessité de mettre sur pied des programmes d'information et d'éducation sur le VIH et le SIDA qui soient adaptés aux détenus. Résultats Le participant typique était un récidiviste âgé d'entre 18 et 22 ans, canadien de naissance et ayant un niveau de scolarité entre la 9e et la 11e années. Les individus de l'échantillon avaient tous entre 18 et 54 ans. Vingt et un pour cent des individus de l'échantillon étaient des délinquants primaires, 65 p. 100 étaient des récidivistes ayant seulement purgé des peines provinciales auparavant et 14 p. 100 étaient des récidivistes ayant purgé des peines dans des établissements provinciaux et fédéraux.

Soixante et un pour cent des détenus de l'échantillon étaient nés au Canada; 19 p. 100 étaient originaires des Antilles. Cette forte proportion d'Antillais est caractéristique de la composition de la population de la région de Toronto; elle ne vaut pas dans les autres établissements de l'Ontario, ni dans les établissements ontariens situés dans des régions lointaines. Seulement 3 p. 100 de l'échantillon étaient des Autochtones; cette faible proportion est également attribuable à l'endroit où s'est déroulée l'étude. En effet, le nombre d'Autochtones incarcérés dans les établissements du Nord de l'Ontario est nettement supérieur à celui que l'on trouve dans les établissements correctionnels de Toronto. Le rapprochement des données en fonction des origines culturelles n'a pas été fait pour ces raisons.

Afin de déterminer ce que les détenus savaient du VIH et du SIDA, les chercheurs leur ont posé des questions sur la définition des termes se rapportant au SIDA, sur la transmission du VIH et la prévention de l'infection, sur les tests de dépistage du VIH et sur l'interprétation d'un résultat négatif (VIH-) ainsi que sur leur entendement général de l'étiologie du virus par rapport à la maladie causée par le VIH et au SIDA. Ces questions revenaient tout au long de l'entrevue dans différentes parties du questionnaire, ce qui permettait d'obtenir de l'information sans créer l'impression de passer un examen. Cette démarche a également permis de voir ce que les prisonniers savaient du VIH et du SIDA, ce qu'ils ignoraient et les idées fausses qu'ils en avaient. Idées fausses Dans l'ensemble, les détenus étaient très sensibles au problème du SIDA et étaient bien informés sur le VIH et le SIDA. Certains détenus entretenaient des idées fausses assez inquiétantes. Ainsi, 56 p. 100 des détenus considéraient que l'on pouvait contracter le VIH en donnant du sang, 46 p. 100, qu'un baiser pénétrant constituait un risque de contamination, 28 p. 100, que le fait de partager de la nourriture ou une tasse était risqué, 28 p. 100, que le virus était transmissible par un éternuement ou par la toux et 34p. 100, par une piqûre de moustique. Les réponses aux questions sur la transmission du VIH ont fait ressortir des lacunes précises et considérables. Manifestement, certains détenus ne faisaient pas de distinction entre les façons de contracter le virus d'une maladie contagieuse transmissible par l'air et celles de contracter un virus transmissible véhiculé par le sang ou un liquide organique qui causerait le SIDA.

Seulement 6 p. 100 des individus de l'échantillon ont pu donner l'équivalent correct complet de l'acronyme SIDA et seulement 3 p. 100 celui de VIH. En tout, 85 p. 100 des détenus consultés ignoraient la différence ou le rapport entre le VIH et le SIDA. Même si la plupart des détenus savaient qu'il existait des tests de dépistage du VIH (et en fait 44 p. 100 s'y étaient soumis), très peu d'entre eux avaient entendu parler des tests anonymes de dépistage du VIH ou pouvaient expliquer cette notion.

Pour les détenus consultés, les pratiques sexuelles sans risque supposaient principalement l'emploi de condoms et la restriction du nombre de partenaires sexuels. Les messages d'intérêt public au sujet de la sexualité sans risque insistent sur l'emploi de condoms et la restriction du nombre de partenaires; on retrouve ces éléments dans les réponses données par les individus de l'échantillon.

Pour pratiquement la moitié des détenus, un test de dépistage négatif signifie que le sujet n'est définitivement pas infecté (non-porteur du VIH). Seulement environ le tiers des détenus savaient qu'il fallait se soumettre à un autre test de dépistage du VIH quand le premier donne un résultat négatif. Sources d'information Les chercheurs ont aussi questionné les détenus sur les sources d'information qu'ils consultent pour se renseigner sur le VIH et le SIDA, si on leur a fourni, pendant cette période d'incarcération ou une incarcération précédente, de l'information sur le SIDA, s'ils sont au courant de l'existence de bureaux et de groupes communautaires d'information sur le SIDA à Toronto, s'ils s'étaient prévalus des services offerts par ces organisations par le passé ou s'ils avaient l'intention de le faire à l'avenir et, le cas échéant, où ils iraient pour se renseigner sur le VIH et le SIDA.

Un grand nombre de détenus ont indiqué qu'ils tiennent des médias tout ce qu'ils savent du SIDA. Trente-deux pour cent des participants étaient informés par la télévision, 22 p. 100, par les médias écrits et 4 p. 100 par la radio. Dix-huit pour cent des détenus avaient lu des dépliants ou des affiches chez leur médecin. Au moment de l'entrevue, seulement 6p. 100 des détenus avaient reçu de l'information sur le SIDA en prison et 21 p. 100 avaient été renseignés sur le SIDA lors de précédents séjours en prison.

La plupart des prisonniers n'avaient jamais entendu parler des nombreux organismes communautaires d'information sur le SIDA de Toronto ni d'autres groupes communautaires qui dispensent de l'information ou des services sur le VIH et le SIDA. En outre, la plupart des détenus ont ajouté qu'ils ne chercheraient pas à entrer en contact avec de telles organisations parce qu'ils ne cherchaient pas activement à se renseigner sur le sujet. Ils ont ajouté que s'ils éprouvaient le besoin d'obtenir de l'information, ils s'adresseraient à leur médecin de famille plutôt qu'à un organisme d'information sur le SIDA. Les prisonniers ont invoqué des raisons plutôt naïves ou phobiques pour expliquer leur réticence à contacter les organismes d'information sur le SIDA (crainte d'être contaminés par des membres de l'organisation, conviction qu'il s'agit d'organismes homosexuels et crainte de passer pour un homosexuel). Programmes d'éducation et de lutte Tous les détenus ont convenu de l'importance des programmes d'éducation sur la prévention de l'infection au VIH et du SIDA pour l'ensemble de la collectivité. La majorité (92 p. 100) était d'avis qu'il serait utile de mettre sur pied des programmes d'information en prison et 87 p. 100 étaient en faveur de la création d'un programme d'éducation sur le VIH et le SIDA. Le sondage portait également sur les besoins d'éducation du personnel correctionnel tels que perçus par les détenus. Tous les détenus consultés étaient d'avis que le personnel correctionnel devrait suivre des programmes de formation et d'éducation sur le VIH et le SIDA.

Lorsque les chercheurs ont questionné les détenus sur les outils d'information, ceux-ci trouvaient que la vidéo était le moyen le plus efficace d'informer l'ensemble de la population carcérale en masse tandis que les documents écrits étaient considérés le moyen le plus efficace pour l'apprentissage autonome. La plupart des détenus (58 p. 100) préféraient que les programmes d'éducation sur le SIDA soient donnés en groupes tandis que 32 p. 100 préféraient des séances individuelles, en tête-à-tête, avec un agent d'éducation sur le SIDA. Bon nombre de détenus ont déclaré qu'ils suivraient un programme d'éducation sur le SIDA en prison (s'il y en avait un) plutôt que dans la collectivité, après leur libération.

Les chercheurs ont également demandé aux détenus ce qu'ils pensaient des trousses de condoms (un ou deux condoms avec un mode d'emploi et un dépliant sur le SIDA) et des trousses de blanchiment (désinfectant, eau, mode d'emploi pour le nettoyage des seringues, condoms et dépliant d'information sur le SIDA). La plupart des détenus étaient pour la distribution de trousses de condoms dans la collectivité, les deux tiers appuyaient la distribution de trousses de blanchiment et la moitié, la distribution d'une trousse combinée. Pratiquement tous les détenus approuvaient de l'idée de la distribution de trousses à la sortie de prison (condom avec mode d'emploi et un dépliant). En fait, les trois quarts des détenus ont dit qu'ils se serviraient d'une telle trousse si elle leur était remise à leur sortie de prison. La plupart des détenus avaient entendu parler de programmes communautaires d'échange de seringues et appuyaient cette idée (remise d'une seringue stérilisée gratuite en échange des seringues usées). Conclusion L'étude menée par la Société John Howard a révélé que les prisonniers ont grand besoin d'un programme bien ciblé et efficace d'éducation et de lutte contre l'infection au VIH et le SIDA. Dans l'ensemble, les prisonniers semblaient fortement en faveur de la mise sur pied d'un programme d'éducation sur le SIDA dans les prisons qui leur serait destiné ainsi qu'au personnel. Ils ont admis qu'ils ne chercheraient pas activement à se renseigner sur le VIH et le SIDA une fois sortis de prison, mais qu'ils seraient prêts à participer à des programmes d'information pendant leur incarcération advenant que de tels programmes soient offerts. Ils appuyaient également la distribution de trousses de sortie de prison.

En janvier 1992, l'étude d'évaluation des besoins a été publiée sous forme de rapport par la Société John Howard. Ce document contenait de nombreuses recommandations(1). L'une d'entre elles conseillait qu'un programme d'éducation sur le SIDA destiné aux détenus et au personnel correctionnel soit mis sur pied dans les établissements correctionnels. La Société recommandait également l'adoption d'une stratégie globale et judicieusement ciblée (éducation, moyens physiques d'adopter des pratiques sexuelles sans risque et moyens de rendre plus sûre la consommation de drogue) aux fins d'élaboration d'un tel programme. Les outils d'information doivent être mis au point en collaboration avec des experts de l'extérieur et des agents communautaires d'éducation sur le SIDA pour veiller à ce que l'information présentée soit impartiale et correcte. La Société recommandait également, comme moyen de garantir la mise à exécution efficace de la stratégie de lutte contre le SIDA, que la direction, le personnel de soutien des établissements, le personnel correctionnel et le personnel médical y participent.

La Société John Howard est convaincue que des programmes d'éducation sur le SIDA devraient obligatoirement être offerts en milieu carcéral et que les détenus devraient participer à l'élaboration de tels programmes. Les outils d'information proposés incluent la formation de détenus à titre d'intervenants (c'est-à-dire la formation de détenus qui pourront ensuite informer les autres détenus), démarche qui serait propice au déploiement d'un effort concerté en plus de faciliter l'adoption du programme et la reconnaissance de son importance par les détenus.


(1)Pour obtenir des exemplaires du rapport Prisoners and AIDS: An AIDS Education Needs Assessment, s'adresser au Centre d'information sur le SIDA, 1565, avenue Carling, Bureau 400, Ottawa (Ontario) K1Z 8R1; n° de téléphone (613) 725-3769; n° de télécopieur (613) 725-9826.
Get The Facts: Surviving in Prison and in the Community est le premier livret d'information sur le VIH et le SIDA écrit au Canada à l'intention des détenus. Le document est en deux parties: un volet d'information et un répertoire des services et de l'information offerts à Toronto. Le livret est rédigé de façon à être compris par des personnes ayant un niveau de lecture de 7e ou de 8e année, dans le jargon des rues; il compte 19 illustrations. La distribution de Get the Facts débutera en décembre 1992 et sera assurée par la Société John Howard de la Communauté urbaine de Toronto. La Société John Howard prépare actuellement un rapport sur une étude des connaissances, des attitudes et du comportement à l'endroit du VIH et du SIDA parmi les détenus. Ce document paraîtra également en décembre 1992.