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La surveillance étroite des détenus en permission prélibératoire : évaluation de l'expérience menée au Vermont

Pendant la course à la présidence de 1988, une violente controverse est née au sujet des permissions accordées aux détenus lorsque George Bush, candidat républicain, a accusé son adversaire démocrate d'être «mou» sur la question de la criminalité. Pour valider son point de vue, il cita l'exemple d'un détenu coupable, dans l'État d'origine du candidat démocrate, d'avoir sexuellement agressé et poignardé sa victime alors qu'il était en permission.

Un sondage national a révélé qu'après cette publicité inattendue, plusieurs états ont pris des mesures pour limiter les permissions et trois autres les ont carrément éliminées. Pourtant, le même sondage rapportait que les programmes de permissions donnaient d'excellents résultats(3). Ironie du sort, c'est justement à ce moment que les autorités correctionnelles du Vermont ont choisi de donner une ampleur considérable au programme de permissions prélibératoires de l'État.

Comme le laisse supposer le terme, la permission prélibératoire désigne l'autorisation de quitter l'établissement qui est accordée à un détenu dont la date de libération est proche. Ces permissions permettent aux détenus de se préparer à prendre leur place dans la société à l'extérieur de la prison et à s'adapter à l'idée d'être libre. Ce programme est comparable aux absences temporaires qui sont accordées au Canada.

Au Vermont, n'importe quel jour entre le début et le milieu des années 1980, les détenus en permission dans la collectivité représentaient environ 2p. 100 de la population de condamnés, soit environ 12 personnes. En 1990, cette proportion atteignait environ 10 p. 100 de la population de condamnés du Vermont (soit 80 délinquants).

Le programme des permissions prélibératoires est aujourd'hui l'une des principales mesures employées pour parer à l'entassement dans les établissements correctionnels du Vermont. Toutefois, au printemps de 1988, les autorités ont considérablement resserré la surveillance exercée sur les détenus en permission prélibératoire. L'étude rapportée ici visait à comparer l'incidence de ce resserrement de la surveillance par rapport aux pratiques qui avaient cours auparavant et ce, du point de vue de la sécurité du public, de la maîtrise des délinquants et des agissements criminels après la libération. Origines du programme Le resserrement de la surveillance exercée sur les détenus en permission est la conséquence d'un projet de détention à domicile mis sur pied en 1988 dans le comté de Chittenden (dans le nord-ouest du Vermont). Mesure visant à atténuer l'entassement dans les prisons, le programme de détention à domicile se voulait une alternative d'incarcération des délinquants coupables de délits et des félons non violents condamnés à purger des peines de courte durée (n'excédant pas 120 jours). Les responsables des autorités correctionnelles choisissent les candidats au programme et les agents correctionnels contrôlent le confinement au domicile. Les mesures de surveillance incluent plusieurs rencontres face à face chaque semaine ainsi que des contrôles téléphoniques au hasard et la prise d'échantillons à fin de vérification de la consommation d'alcool et de drogues.

Avant mars 1988, les détenus en permission prélibératoire étaient laissés pratiquement sans surveillance comparativement à ceux détenus à domicile. La procédure normale de surveillance de ces détenus - et il s'agissait de délinquants ayant purgé de longues sentences - se résumait, au plus, à deux rencontres face à face ou vérifications téléphoniques par semaine.

Le surintendant de l'établissement correctionnel du comté de Chittenden était d'avis que les ressources affectées au programme de détention à domicile devraient également être mises à contribution à fin de surveillance des détenus en permission. Il a fait valoir que les détenus placés en détention à domicile et qui faisaient l'objet d'une surveillance étroite avaient généralement commis des délits sans gravité alors que les détenus en permission, qui avaient purgé de longues peines et dont le passé criminel était chargé, étaient laissés pratiquement sans surveillance. Il a donc obtenu de ses supérieurs l'autorisation de modifier l'affectation des ressources de sorte que les détenus en permission puissent faire l'objet d'une surveillance aussi serrée que ceux en détention à domicile.

Et c'est ainsi que l'on en vint à resserrer la surveillance exercée sur les détenus en permission, mesure qui dès 1989 s'était répandue dans le sudouest de l'État. Aujourd'hui, pratiquement tous les détenus en permission au Vermont font l'objet d'une surveillance étroite. Si cette politique convient aux responsables des autorités correctionnelles, c'est parce que ceux ci s'inquiétaient déjà que le recours accru aux permissions pour soulager l'entassement dans les prisons se solderait par la libération d'un nombre croissant de personnes dangereuses. Analyse L'étude rapportée ici se penchait sur deux questions. D'une part, les détenus qui font l'objet d'une surveillance étroite se distinguentils de ceux surveillés en vertu des mesures de surveillance des détenus libérés en permission qui avaient cours auparavant? D'autre part, les résultats ont-ils changé?

Les chercheurs ont étudié deux groupes de détenus en permission prélibératoire. Le premier comptait 36 délinquants relâchés en permission de l'établissement de Chittenden entre janvier 1986 et avril 1988. Les permissions accordées à ce groupe se chiffraient à 40 (un même détenu peut bénéficier de plus d'une permission). Les individus de ce groupe, dit le groupe 1, ont fait l'objet d'une surveillance minime.

L'autre groupe, soit le groupe 2, réunissait les délinquants relâchés en permission de l'établissement de Chittenden entre mars 1988 et novembre 1991. Ce groupe, qui représentait 69 individus et 105 permissions, a fait l'objet d'une surveillance très étroite.

Les chercheurs n'ont pas établi de différences ayant une signification statistique entre la durée moyenne minimum et la durée moyenne maximum des sentences imposées aux délinquants des deux groupes.

Par contre, ils ont relevé une différence probante entre les deux groupes en ce qui a trait à la nature de l'infraction pour laquelle ceux-ci étaient incarcérés au moment de l'étude. Contrairement à ce que d'aucuns avaient prédit, les détenus relâchés sous surveillance étroite n'étaient pas plus dangereux. En fait, une proportion marquée des délinquants de ce groupe n'étaient en fait pas violents. Les chercheurs en ont conclu que la pression causée par l'entassement incitait les responsables des établissements à accorder des permissions à un nombre accru de délinquants admissibles à ce genre de libération d'après la politique du service correctionnel.

L'analyse faite par les chercheurs a révélé que le risque de récidive n'était pas plus prononcé chez les délinquants libérés en permission sous surveillance étroite que ce n'était le cas auparavant, du moins d'après le dossier de félonies. Il n'y avait pas de différence statistiquement importante de la proportion de délinquants ayant commis des félonies par le passé. Là encore, les chercheurs en sont venus à la conclusion qu'un plus grand nombre de délinquants admissibles à une permission bénéficiaient bel et bien de cette mesure.

Enfin, les chercheurs n'ont pas relevé de différence ayant une signification statistique quant à la durée moyenne des permissions.

La figure 1 compare l'aboutissement des permissions dans le cas des deux groupes de délinquants. Alors que par le passé, environ une permission sur cinq finissait par être révoquée, c'est aujourd'hui le cas, dans le contexte d'une surveillance étroite, d'environ une permission sur deux. Dans le premier cas, les permissions étaient révoquées pour cause de dérogation aux conditions de libération. Dans le second cas, deux permissions ont été révoquées pour cause d'arrestation et trois en raison d'agissements criminels qui ont abouti à une condamnation. Les 48 autres révocations sont attribuables à la dérogation aux conditions de libération.



Figure 1
Figure 1
Les figures 2 et 3 comparent l'incidence thérapeutique ou réhabilitative de la surveillance étroite comparativement aux pratiques qui avaient cours auparavant. Les chercheurs ont exercé un suivi auprès des délinquants des deux groupes pendant un an après que ceux-ci eurent été libérés de prison. La figure 2 révèle que 15 p. 100 des délinquants du groupe 1 et 19,1 p. 100 de ceux du groupe 2 ont été inculpés d'un autre crime. Cette différence n'a pas de signification statistique.

De plus, la figure 3 montre que chez les délinquants qui ont été condamnés de nouveau, les sujets d'un groupe n'étaient pas plus violents que ceux de l'autre. Des délinquants du groupe 1, un sur six (16,7 p. 100) a récidivé avec violence, ce qui fut le cas de quatre délinquants sur 17 du groupe 2 (23,5 p. 100). Cette différence n'avait pas non plus d'importance statistique.



Figure 2
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Figure 3
Figure 3 Conclusion Les résultats de cette étude mettent en doute l'utilité de surveiller étroitement les délinquants libérés en permission car, même si une telle mesure permet de contrôler plus rigoureusement les faits et gestes des détenus, elle ne semble pas améliorer la sécurité du public.

Les avis des praticiens et des théoriciens sont très partagés quant aux avantages d'une surveillance étroite des délinquants comparativement aux ressources qui y sont consacrées et à l'entassement dans les prisons (dû à la réincarcération des délinquants qui dérogent aux conditions de libération)(4). L'encadrement étroit de chaque délinquant en permission coûte environ 8 000 dollars américains par an. On ne dispose pas d'estimés du coût des pratiques qui avaient cours auparavant, mais on peut supposer qu'il était minimal. Le retour à ces pratiques permettrait donc de réaliser des économies.

Malgré cela, certains motifs justifient le maintien de la surveillance étroite. À une époque où le public se montre de plus en plus intransigeant à l'endroit des criminels, les autorités correctionnelles insistent davantage sur la surveillance et moins sur la délégation des services aux délinquants dans la collectivité(5). Toutefois, comme le nombre de délinquants libérés en permission augmente, les responsables du service correctionnel voudront peutêtre maintenir une présence à titre de surveillance publique dans le but d'entretenir des relations productives avec le public.

De plus, le Vermont est l'une des rares juridictions des Etats-Unis qui n'ait jamais été contrainte par une ordonnance d'un tribunal de libérer des détenus pour soulager l'entassement dans les prisons. Manifestement, si cette éventualité ne s'est jamais présentée, c'est en partie à cause du programme de permission. De surcroît, les décisions délicates quant à quels délinquants libérer relèvent encore de l'autorité d'officiels élus ou nommés et non de magistrats, ce qui suppose l'obligation de justifier au public les décisions prises.

En revanche, on peut supposer que les faits entraîneront une évolution des pratiques. On prévoit une telle augmentation du nombre de délinquants qu'il sera matériellement impossible de tous les incarcérer. On peut aussi prévoir qu'un jour, les ressources consacrées à la surveillance étroite dans la collectivité ne suffiront plus aux besoins. Dès lors, il faudra probablement assouplir les méthodes de surveillance qui pourtant, comme semble l'indiquer cette recherche, pourraient alors convenir mieux au suivi des délinquants dans la collectivité.


(1)Bagdon (William), adjoint de recherche, Agency of Human Services, Vermont Department of Corrections, 103 South Main Street, Waterbury, Vermont 05671-1001, États- Unis.
(2)Ryan (James E.), analyste principal de la recherche et des statistiques, Agency of Human Services, Vermont Department of Corrections, 103 South Main Street, Waterbury, Vermont 05671-1001, États-Unis.
(3)Davis (Su Perk), «Number of Furloughs Increasing - Success Rates High», Corrections Compendium, 16, 1991, p. 10-21.
(4)Byrne (James M.), Luguno (Arthur) et Baird (Christopher), «The Effectiveness of the New Intensive Supervision Programs», Research in Corrections, 2, 1989, p. 1-48.
(5)Byrne (James M.), «Reintegrating the Concept of Community into Community-Based Corrections», Crime and Delinquency, 35, 1989, p. 471-499.