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L'opinion des détenus sur la récidive

En criminologie, la récidive est souvent présentée comme mesure du succès ou de l'échec des établissements correctionnels, ou comme moyen de prédire le comportement criminel futur. Ces deux perspectives sont aussi tronquées l'une que l'autre puisqu'elles ne tiennent pas compte du fait que le traitement en établissement n'est pas un processus de causalité à sens unique, mais plutôt l'aboutissement d'un échange entre le système correctionnel et les délinquants(2).

Êmile(3), un jeune homme condamné de vol et de vol qualifié, de déclarer: «Nous sommes ici pour être domptés, pour éviter de revenir. Mais on ne peut pas dompter les gens comme ça. Moi, ils ne me dompteront pas... Ils peuvent bien faire ce qu'ils veulent, je m'en fiche. Ça ne fait que me donner du courage(4)

Quand on entend des commentaires comme celui-là, on se demande s'il ne faut pas envisager la récidive comme un élément d'un processus de communication. C'est dans cet éclairage que l'on a consulté 25 délinquants primaires(5) incarcérés dans un établissement à sécurité moyenne qui étaient sur le point d'être mis en liberté après avoir purgé des peines allant de deux à cinq ans. On a questionné les détenus sur leur perception du système correctionnel et la signification de l'emprisonnement, et sur leur réaction aux deux. Le but de ce projet était de mieux comprendre le contexte susceptible d'influer sur le comportement après la libération. Les principaux résultats du sondage sont résumés et sommairement commentés dans cet article(6).

La récidive est une question importante pour les détenus. Ils voient souvent des délinquants réintégrer la prison peu de temps après avoir été mis en liberté. Les histoires de récidive font partie de la sous-culture carcérale. Ils entendent les prédictions du personnel correctionnel. Ils songent à ce que sera leur vie après leur mise en liberté et ils s'inquiètent de se retrouver en prison. Pour faire face, les détenus ont mis au point leurs propres théories pour expliquer pourquoi «ils reviennent toujours». Le système correctionnel À un niveau superficiel, les détenus sont convaincus que le système correctionnel lui-même est la principale cause de la récidive. Certains détenus(7) perçoivent la récidive comme le résultat d'une perversion des buts formels de l'emprisonnement et affirment que les gestes quotidiens que pose le personnel correctionnel ne visent pas à faciliter la réinsertion sociale des détenus ni à les aider, mais bien à garantir leur retour en prison. Selon certains, le système cherche à se perpétuer et à se légitimer. Pierre, un cambrioleur professionnel de 28 ans, soutient: «Ils vous suivent, ils vous relâchent, ils vous cherchent des ennuis encore et encore... ils vous poussent à bout. S'ils étaient capables de nous réadapter, nous ne reviendrions plus en prison, et ils se retrouveraient au chômage.»

N'importe quel outil mis au point pour aider les détenus reprend, à leur avis, les causes de leur échec. Selon les détenus, même la libération conditionnelle est un facteur de récidive. Ceux qui ont été consultés ont fait valoir que les délinquants les plus susceptibles de récidiver bénéficient généralement de la libération conditionnelle avant ceux qui, selon toute vraisemblance, ne récidiveront pas. De surcroît, les conditions de la mise en liberté que les délinquants sont censés respecter ne tiennent pas compte des contraintes de la vie quotidienne. Pierre se dit complètement dépassé: «Ils veulent que je m'intègre à la société, mais ils m'interdisent de me comporter comme le fait le commun des mortels en société. On n'imposerait jamais de telles conditions à un enfant... c'est de la folie.»

Le transfèrement à une maison de transition était perçu à peu près de la même manière. La plupart des détenus ne se pensaient pas capables de s'habituer à la liberté qu'ils auraient dans une maison de transition sans finir par en profiter. Ils ont soutenu qu'ils ne tarderaient pas à réintégrer la prison à cause d'un manquement aux règles ou d'une nouvelle infraction.

La libération «dans la rue» (au terme de la peine entière) n'est guère plus enviable selon les détenus. Ils se retrouvent sans le sou, sans emploi et avec une foule de besoins. Les détenus ont expliqué qu'ils ne bénéficient d'aucune aide pour se préparer à être mis en liberté. Ils ont ajouté que les programmes ne sont pas utiles parce que le personnel ou les délinquants ne les prennent pas au sérieux. La participation aux programmes est perçue uniquement comme un moyen d'accélérer sa mise en liberté, et non comme un moyen d'améliorer ses chances de réussite dans le civil. La culture carcérale Les descriptions que font les détenus de la vie quotidienne en prison soulignent le fait que les autres détenus contribuent à pervertir les objectifs formels du système correctionnel. Cette perversion se fait directement, sous forme de refus de participer à des activités qui visent la réadaptation des détenus, et indirectement, par le biais des valeurs et des attitudes que véhicule la sous-culture carcérale.

Selon les détenus consultés, les autres délinquants ne souhaitent pas modifier leurs convictions, leurs attitudes ou leurs habitudes. Ils ne s'intéressent pas à leur avenir et n'ont rien à perdre hormis leur statut en prison. Les jeux intellectuels qui sont monnaie courante dans les prisons - les conflits de pouvoir qui se jouent entre les détenus et entre les détenus et le personnel - constituent leur principale préoccupation.

La plupart des délinquants consultés ont insisté sur l'omniprésence de la criminalité dans les conversations de tous les jours en prison. Il ne fait aucun doute, à leur avis, que la prison est un «apprentissage de la criminalité» comme bien des gens le pensent depuis longtemps. Cette conviction souscrit au mythe que l'établissement correctionnel crée, entretient et renforce les habitudes criminelles en logeant les délinquants primaires et les récidivistes ensemble, et les petits truands avec les délinquants dangereux. «C'est une école ici! Ils n'ont rien d'autre à faire que de parler des crimes qu'ils ont commis, de comment ils s'y sont pris et des contacts qu'ils ont pour commettre d'autres crimes», d'expliquer Marc. Les «vrais criminels», les petits gars et les détenus internés Les détenus associent la récidive à un comportement criminel précis. Le viol, l'agression sexuelle et les autres manifestations d'un comportement sexuel déviant (surtout quand la victime est un enfant) sont perçus par les détenus comme auto-perpétuants de manière compulsionnelle. La récidive chez les toxicomanes est perçue de la même façon.

De nombreuses allusions ont été faites aux détenus qui, tout simplement, se plaisent à commettre des actes criminels et à réintégrer la prison dès qu'ils sont mis en liberté. Ce sont ceux qui volent du blé d'Inde parce qu'il est plus savoureux quand il a été dérobé. Jules les appelle les «petits gars».

Enfin, les détenus ont parlé des détenus internés, ceux qui sont habitués à être derrière les barreaux et qui ne détestent pas la prison. Benoît, un transsexuel de 33 ans, s'explique: «Je ne suis pas comme les types qui entrent ici et qui n'ont rien à perdre; eux, ils entrent et ils ressortent, ils s'en foutent d'être en prison, cela leur fait un toit au-dessus de la tête et quelque chose à manger avant qu'ils ne ressortent pour ensuite revenir.»

Ces explications de la récidive font intervenir des facteurs individuels qui sont fondés sur la notion peut-être un peu naïve de la liberté individuelle. Le commentaire le plus fréquent des détenus qui ont été interrogés était dans le genre de «celui qui le veut vraiment peut s'en sortir très bien». Les détenus envisageaient la vie quotidienne à l'extérieur de la prison comme une série d'occasions de rechute. Il faut qu'un délinquant soit très motivé pour résister à la tentation de récidiver, mais il semble que la plupart des délinquants n'ont pas la force de caractère nécessaire. L'explication du comportement passé : les modèles de crime Les détenus qui ont été consultés évitaient généralement de discuter des infractions qu'ils avaient commises. Quand ils le faisaient, ils les qualifiaient de pas très dangereuses, sans violence et pas réellement criminelles, ou ils se distançaient de leur comportement passé.

Les détenus qui ne pensaient pas qu'ils commettraient d'autres infractions après leur mise en liberté percevaient l'infraction qu'ils avaient commise comme un échec isolé, un accident de parcours mystérieux qui leur était arrivé. Ces infractions n'étaient pas le signe d'une disposition criminelle; il s'agissait d'accidents, d'échecs, qui échappaient à toute explication logique. C'était notamment le cas de Jim, âgé de 22 ans, qui affirme: «Personnellement, ce n'est pas du tout un mode de vie. J'ai fait une erreur. D'habitude, je n'agis pas comme cela... ma vie avant la prison était tout à fait ordinaire, une vie comme celle de tout le monde, puis un jour j'ai fait une erreur... »

Certains détenus avaient recours à un mécanisme analogue pour se distancer moralement de leurs actions. Eux aussi considéraient l'infraction comme un incident isolé, mais ils justifiaient leur comportement en invoquant les circonstances ou d'autres facteurs externes, comme la fréquentation de gens véreux, un divorce ou des difficultés financières. Ils affirmaient qu'ils ne commettraient pas d'autres infractions parce qu'ils éviteraient de se retrouver dans les mêmes circonstances.

Lorsque les détenus se considéraient comme d'éventuels récidivistes, il était courant qu'ils emploient le terme «maladie» pour expliquer leur comportement passé (et futur). L'exemple classique est bien sûr la toxicomanie. Les détenus toxicomanes discutaient de la récidive comme d'une caractéristique de leur toxicomanie. Émile, alcoolique et toxicomane, de déclarer: «Je n'y reviendrai pas, je n'y reviendrai pas... mais je sais que j'y reviendrai si je n'arrive pas à maîtriser mon problème. C'est certain... je ne suis pas fou, mais... c'est comme une maladie.»

Les infractions contre les biens étaient souvent commises par des délinquants qui voulaient entretenir un grand train de vie. si l'emprisonnement ne suffit pas à étouffer les besoins et les valeurs associés à ce comportement, il est probable que ces délinquants commettront de nouveau les mêmes infractions une fois mis n liberté. «Quand on commet des crimes pour se procurer de l'argent pour assouvir ses envies et ses habitudes extravagantes, c'est comme une drogue... J'aime porter des vêtements chers et conduire des voitures qui ont une fière allure. Ça ne va pas changer parce que j'ai passé deux ans en prison», explique Jean.

D'autres détenus ont fait mention d'un aspect de leur personnalité ou de leur comportement pour expliquer leurs habitudes criminelles : ils ne pensaient pas pouvoir agir autrement, même ceux qui ont affirmé vouloir agir autrement. D'autres acceptaient leur comportement comme un élément de leur identité. Pour Luc, la vie se résume à commettre des infractions et à être puni. Il s'explique: «J'ai ça dans le sang. Je suis tout simplement incapable de m'empêcher de faire des mauvais coups.» Le changement en prison, la réaction à l'incarcération La plupart des détenus qui ont été consultés ont déclaré que l'emprisonnement n'avait pas changé ou modifié quoi que ce soit. La prison ne les avait pas aidé à résoudre les problèmes liés à la récidive ni à changer leurs attitudes, leurs valeurs ou leur mode de vie.

Certains détenus n'éprouvaient pas le besoin de changer parce qu'ils étaient convaincus d'être «normaux» et de mener une vie «normale». De même, d'autres détenus n'éprouvaient pas non plus le besoin de changer parce qu'ils se percevaient comme étant des criminels. La différence entre la vie derrière les barreaux et la vie en dehors de la prison déterminait leur existence, et cela leur convenait.

D'autres détenus étaient d'avis que le changement était l'issue d'une lutte qui les opposait au personnel. Pour eux, changer signifiait «se faire dompter»; ne pas changer signifiait qu'ils avaient réussi à résister à l'influence du personnel.

Certains détenus ont insisté sur les changements négatifs provoqués par l'emprisonnement. Les épreuves qu'ils ont subies en prison et les abus perçus du personnel ont suscité chez eux des sentiments violents. Olivier reconnaît: «Je pense que je serai encore plus agressif qu'avant quand je serai libre. Oui, c'est même certain, parce qu'on est victime de beaucoup d'injustices ici.» Aldo partage cet avis: «À force d'être en prison, on devient sauvage, rude, égoïste, on collectionne tous les défauts qui passent, on devient plus agressif et impulsif.»

Un quatrième groupe de délinquants a affirmé avoir changé, ou avoir l'intention de changer. Par contre, ce changement a été (ou sera) fait par eux, et non sous l'influence du personnel. La plupart de ces délinquants s'isolaient des autres détenus et réfléchissaient à leur situation et à leur vie après leur libération. Pour des détenus comme Émile, la prison est un milieu qui se prête au changement parce qu'elle permet de se retirer un peu de la tension de la vie quotidienne et de s'interroger sur des valeurs et des attitudes qu'ils prenaient pour acquis auparavant. Émile constate: «Je suis heureux d'être ici parce que j'ai le temps de réfléchir à bien des choses. Quand on est seul, on apprend à se connaître. Quand je suis libre, je n'ai pas le temps de faire ça. Je suis trop occupé.»

La critique la plus violente du système correctionnel est venue des détenus qui étaient conscients du fait qu'ils devaient changer, qui sont allés en prison en espérant qu'ils obtiendraient l'aide dont ils avaient besoin et qui ne l'ont pas obtenue. Ils avaient besoin des services d'un psychologue, de thérapie pour dominer leur comportement violent, de programmes de lutte contre la toxicomanie et l'alcoolisme ou juste d'une occasion de discuter de leurs problèmes. À la place, ils ont trouvé des gestionnaires de cas surchargés de travail ou n'ayant pas l'expérience nécessaire pour bien faire leur travail et des bons programmes mal gérés. Comme l'a expliqué Olivier, les psychologues sont rares, et quand on a la chance d'en voir un, il est à la course. «On lui parle et il regarde sa montre.» Ces détenus affirment qu'ils étaient bien décidés à changer, à employer leur temps en prison pour améliorer leur dynamique de vie, mais ils se sont heurtés à des portes fermées9.

La plupart des délinquants consultés n'étaient pas sûrs d'avoir changé pendant leur séjour en prison. Ils semblaient comprendre que les changements possibles ne seraient pas apparents tant qu'ils sont incarcérés et ils se sont montrés très évasifs à ce sujet. Rester «en dedans» ou sortir: la peur du monde extérieur Au début de l'entrevue, la plupart des détenus ont fait des observations comme «La prison, c'est affreux. Je ne veux jamais remettre les pieds ici». Certains ont affirmé que leur séjour en prison les avait convaincu de ne pas récidiver mais, dans leur phrase suivante, ils commençaient déjà à qualifier leur affirmation. Au fil de l'entrevue, la prison a perdu de son horreur et la volonté de ne pas récidiver a perdu de sa fermeté.

L'effet dissuasif de la prison a semblé s'estomper.

Pour les détenus dont la libération était proche, la peur de la vie à l'extérieur de la prison semblait compenser les frustrations et les épreuves qu'ils supportent en prison(10). Ils se rappelaient peu à peu que la liberté n'est pas seulement agréable. Pierre craignait de vivre à l'extérieur de la prison: «Hors d'ici, c'est dur n'est-ce pas? La pression est constante. On n'a pas une minute à soi, pour s'arrêter et réfléchir un peu... je suis sur le point d'être libéré et cela me fait peur. Il suffit de voir ce qui se passe hors d'ici, c'est horrible. Le taux de chômage augmente, beaucoup d'entreprises ferment leurs portes, les gens sont à la rue. Quelle vie de chien! Dans un sens, on est bien mieux ici. Il y a des gens qui sont libres et qui n'ont pas ce qu'on a ici.»
La prison finit par devenir un refuge, «une mère nourricière et protectrice(11)». François déclare: «Si je n'ai pas de bons copains à l'extérieur, pourquoi devrais-je vouloir y rester? Ici, j'ai des amis qui sont meilleurs que ceux que je pourrais me faire à l'extérieur».

Les commentaires des détenus ont trahi l'insécurité que leur inspiraient leurs propres réactions, soit un scénario truffé de possibilités de récidive. La plupart d'entre eux semblaient avoir déjà préparé une explication plausible pour justifier leur réincarcération. Ils feraient de leur mieux et essaieraient de suivre autant que possible les conventions sociales, mais ils pourraient se retrouver dans des circonstances difficiles par la force des choses et ils seraient contraints de récidiver. Certains détenus n'avaient pas d'argent ni d'emploi, pas de foyer ni de mobilier, peu d'aide de leur famille, rien d'autre que leur volonté de se tirer d'affaire. D'autres avaient des ressources limitées, et jamais de quoi se payer le train de vie qu'ils désirent.

Certains délinquants s'inquiétaient de la détérioration possible de leurs rapports avec les membres de leur famille. Ils craignaient aussi de n'être pas prêts à vivre hors de prison sans enfreindre la loi, et ils ne savaient pas si ce qu'ils avaient appris en prison leur serait utile. «Un détenu qui purge une longue peine sort de prison et n'a rien. Il franchit les portes de la prison en se demandant ce qu'il va bien pouvoir faire, complètement démuni et sans le sou dans la rue. Moi, je n'aurai rien en sortant d'ici. Je ne sais pas ce que je vais faire», de dire Alex.

Une autre préoccupation qu'avaient les détenus était la peur d'être réincarcérés après avoir violé les conditions de leur mise en liberté. «J'ai peur de revenir» de dire André. «Je ne reviendrai pas, mais quand on est mis en liberté surveillée, on se retrouve en prison pour des bêtises. S'ils m'attrapent avec du haschich dans les poches, je me retrouve ici».

De nombreux détenus essaient de remettre leur libération en demandant à être transférés dans une maison de transition ou dans un centre de traitement. Pour eux, la meilleure façon d'éviter de revenir en prison, c'est d'y demeurer.

L'incertitude des détenus au sujet de leur place dans le monde extérieur est devenue très manifeste quand on leur a posé des questions sur leurs projets d'avenir. Les plans des détenus concernant leur libération étaient soit ordinaires (chercher un emploi, poursuivre ses études), soit farfelus (se lancer dans la plongée sous-marine).

Souvent, les détenus étaient incapables d'articuler leurs intentions. Dans ce contexte, «je ne sais pas» pouvait signifier commettre d'autres infractions. «Je ne sais pas ce que je vais faire après ma libération» de dire François. «Je vais tâcher de faire ce que j'aime faire, mais si ça ne marche pas, je ne sais pas ce que je vais faire». Ce qui signifie probablement qu'il va récidiver. Jean avait la même attitude: «Je ne dis pas que je vais le faire, mais si je n'arrive pas à gagner ma vie honnêtement, je trouverai difficile de résister à la tentation de trafiquer».

Il y avait bien entendu quelques détenus qui savaient exactement ce qu'ils allaient faire après leur mise en liberté. Marc, qui qualifie la prison de «mort temporaire», a déclaré qu'il reprendrait ses habitudes: «Ma vie continue. Je vais ressortir mes bâtons de golf et cirer mes chaussures pour les quilles». À l'écoute des détenus Au début de cet article, l'auteur a avancé que la récidive devrait être envisagée comme un élément du processus de communication entre les détenus et le système correctionnel. Quel message envoient les détenus?

Quelques détenus ont une identité bien définie et savent s'ils appartiennent à l'élément non criminel ou à l'élément criminel. Leurs attentes quant à la récidive ou à l'adoption d'un comportement respectueux des lois ont révélé que le système ne changeait rien à leur identité. Ils n'écoutaient pas le message correctionnel parce que celui-ci ne les concernait pas; il n'était pas nécessaire pour certains et vain pour d'autres.

La plupart des détenus consultés avaient des attitudes ambiguës quant à ce qu'ils pourraient faire après leur libération. Ils auraient aimé changer, mais changeraient de leur propre chef. Ils refusaient l'aide offerte par l'établissement correctionnel, mais cherchaient quand même de l'aide.

Cette observation reflète deux aspects de la situation caractéristique des détenus. D'une part, la majorité des détenus n'avait pas encore une identité bien définie. Ils se percevaient tantôt comme des citoyens respectueux des lois qui avaient fait une erreur, tantôt comme des criminels. D'autre part, selon les détenus, cette incertitude était due à l'apparent manque de fermeté des objectifs du système correctionnel. Confus et frustrés par la contradiction entre les objectifs formels du système correctionnel et ce qu'ils vivent chaque jour en prison, les détenus demandaient avec une colère de plus en plus évidente: «que voulez-vous vraiment»?

Au début de cet article, le rapport entre les détenus et le système correctionnel a été appelé un processus de communication. Il s'agit peut-être aussi d'un dialogue de sourds.


(1)Claudio Besozzi, Direction de la recherche et des statistiques, Service correctionnel du Canada, 340 avenue Laurier ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.
(2)Zamble (E.) et Porporino (F.), Coping, Behaviour and Adaptation in Prison Inmates, New York: Springer-Verlag, 1988, pp. 4-7.
(3)Les noms des détenus ont été changés.
(4)Toutes les citations étaient à l'origine en français, mais ont été adaptées ici.
(5)Les détenus qui ont été consultés étaient emprisonnés pour la première fois dans un établissement correctionnel fédéral. La plupart d'entre eux avaient un casier judiciaire et avaient déjà été emprisonnés dans des établissements spécialisés pour les jeunes ou dans des établissements correctionnels provinciaux.
(6)Pour une présentation approfondie de cette étude, voir Besozzi (C.) et Soullière (N.), Les détenus et leur prison : la perception de la prison chez les détenus d'un pénitencier à moyenne sécurité, Rapports de recherche J et 2, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1993. On peut aussi s'adresser à l'auteur pour obtenir une version circonstanciée de cet article.
(7)L'emploi de termes comme «certains» et «bon nombre» n'a pas de connotation quantitative. Il faut les prendre comme des énoncés existentiels: il y a au moins un détenu qui tient cette déclaration pour vraie.
(8)Pour une description des «jeux intellectuels», voir McDermott (K.) et King (R.D.), «Where the Action Is in Prisons», British Journal of Criminology, 28, 3, 1988, p. 357-375.
(9)Zamble et Porporino (voir le renvoi n° 2) concluent que le régime correctionnel a manqué l'occasion de profiter de l'ouverture qui survient au début d'une peine. Il semble que certains employés ferment les fenêtres que certains détenus ont oublié de fermer.
(10)Ce thème revient dans la plupart des romans écrits par d'anciens détenus. Voir par exemple Bunker (E.), No Beast So Fierce, New York, Norton, 1973:
«L'idée de la libération conditionnelle me terrifiait davantage que l'idée d'être emprisonné ne l'avait fait il y avait si longtemps. Cela m'aidait un peu de savoir que ce genre de nervosité n'est pas rare, quoique souvent niée, chez des hommes pour qui le monde hors de la prison s'estompe de plus en plus aufil des ans.» (p. 11) [adaptation]
En revanche, la peur dont ont parlé les détenus consultés n'était pas tant la peur que leur inspirait un monde extérieur qui avait changé que la peur de se retrouver dans un monde qui n'avait pas changé depuis leur entrée en prison.
(11)Duncan (M.G.), «Cradled on the Sea: Positive Images of Prison and Theories of Punishment», California Law Review, 76, 6, 1988, p. 1202-1247.