La création de choix véritables: évaluation des programmes de services
thérapeutiques à la Prison des femmes
Cet article traite certains des résultats d'une évaluation des programmes de services
thérapeutiques offerts à la Prison des femmes(2). L'évaluation,
effectuée entre mai 1992 et mars 1993, faisait suite à la publication du rapport
intitulé La création de choix : Rapport du Groupe d'étude sur les femmes purgeant
une peine fédérale et coïncidait avec l'établissement ultérieur de
nouvelles installations correctionnelles dans les région3.
Les résultats et les recommandations visaient à orienter l'élaboration et la mise
en oeuvre de programmes dans les nouvelles installations régionales, ainsi qu'à appuyer
les programmes à l'intérieur de la Prison des femmes.
Pourquoi mettre l'accent sur les services thérapeutiques?
Cet accent sur les services thérapeutiques est compatible avec les constatations de plusieurs
rapports faisant ressortir la nécessité d'évaluer les programmes offerts à
la Prison des femmes
(4) ainsi qu'avec d'autres études selon lesquelles les services de
santé mentale et de toxicomanie sont des programmes de première importance pour les femmes
purgeant une peine fédérale
(5).
De nombreux rapports soulignent également de graves lacunes au niveau du nombre et du genre de
programmes offerts à la Prison des femmes
(6).
En outre, une Commission d'enquête, mise sur pied en 1990, s'est penchée sur la tentative
de suicide d'une détenue de la Prison des femmes. La Commission a recommandé l'embauche de
conseillers de l'extérieur qui seraient chargés d'évaluer l'efficacité des
programmes offerts dans la prison.
En fait, entre décembre 1988 et février 1991
(7); six détenues de la
Prison des femmes se sont suicidées. De ce nombre, une seule n'était pas autochtone. Une
septième femme, elle aussi autochtone, est morte en 1992, n'ayant jamais repris conscience
à la suite d'une tentative de suicide.
Méthodologie
L'évaluation des programmes, basée sur une approche qualitative, comprenait des entrevues,
des observations et une analyse de documents. Les entrevues initiales, menées auprès de 72
détenues, employés de la prison et prestataires de programmes, ont permis de
dégager les questions et les préoccupations principales.
Les problèmes cernés lors de cette première étape de la recherche ont
été soulevés dans des entrevues ultérieures menées auprès de
40 détenues et de 20 employés.
Le counseling
L'évaluation a permis de constater que les détenues, les employés et les
prestataires de programmes voyaient d'un oeil différent le counseling et sa fonction à la
Prison des femmes.
La plupart des employés reconnaissaient les avantages du counseling: effets stabilisants sur le
milieu carcéral, meilleur ajustement des détenues et prévention des crises.
Toutefois, certains des employés consultés se sont demandé si les méthodes
de counseling ne provoquaient pas chez les détenues l'automutilation, le suicide ou un
comportement instable.
En fait, certains ont même avancé que les suicides à la Prison des femmes
étaient peut-être liés à une augmentation récente du nombre de
services de thérapie offerts dans l'établissement
(8).
Les employés semblaient croire que les détenues étaient poussées à
aborder des problèmes auxquels elles n'étaient pas prêtes à faire face - les
séances de thérapie ouvrant la «boîte de Pandore» remplie de souvenirs
pénibles.
Lorsqu'on les a interrogées à ce sujet, 92 p. 100 des détenues ont indiqué
qu'elles étaient prêtes à affronter les sujets abordés au cours des
séances de thérapie. Si elles ne se sentaient pas capables d'aborder un sujet
précis, elles en informaient tout simplement leurs conseillers puis changeaient de sujet ou
interrompaient temporairement les séances.
Les 8 p. 100 qui ont dit avoir abordé des problèmes qu'elles n'étaient pas
prêtes à affronter ont indiqué que cela s'était passé plusieurs
années auparavant, avec d'autres conseillers.
En fait, les détenues de la Prison des femmes appuyaient fortement leurs
conseillers
(9). Le taux de satisfaction élevé pourrait s'expliquer en partie
par la philosophie globale et par la méthode utilisée par les conseillers, toutes deux
sont basées sur la thérapie à orientation féministe et sur les publications
plus récentes concernant les traumatismes et la guérison.
La plupart des recherches et des pratiques actuelles appuient une telle méthode, jugée
comme la plus adéquate pour les détenues
(10). Plus important encore, les
pratiques de counseling ont laissé voir ce que les détenues jugeaient le plus utile pour
elles, à savoir : une aide pour prendre leur vie en main, la possibilité de se respecter
et de se faire respecter, et un espace juste pour elles.
Ces éléments reflètent les principes clés de la thérapie à
orientation féministe : l'autonomie personnelle et une relation de respect mutuel avec les
autres.
L'approche féministe
Les thérapeutes féministes situent les expériences des patientes dans le contexte
social plus vaste et les aident à faire le lien entre leurs expériences et leurs actions,
d'une part, et les circonstances qui entourent leur vie, d'autre part.
Entre autres, les thérapeutes féministes reconnaissent le lien étroit qui existe
entre la situation marginalisée des femmes (qui provient, par exemple, de la pauvreté, de
mauvais traitement, de sexisme ou de racisme), les infractions dont on les accuse et leur
emprisonnement.
L'analyse féministe repose principalement sur la reconnaissance du fait que de nombreuses femmes
ont souffert à cause d'autres personnes ayant exercé un pouvoir ou un contrôle sur
elles.
Toutefois, les féministes reconnaissent également que les femmes sont capables de
résister à différentes formes de violence et d'y survivre en trouvant des
façons originales de s'en tirer, même dans les conditions les plus difficiles. Les femmes
ne sont pas simplement des victimes - elles peuvent dépasser un simple comportement de survie et
choisir librement les actes les moins nuisibles et les plus valorisants.
Plutôt que d'étudier les problèmes individuellement, l'approche féministe
tente de les étudier en contexte. Ainsi, la responsabilité et l'action personnelles ne
sont pas diminuées ou reniées; elles sont plutôt mises en valeur. A mesure qu'une
femme devient plus consciente et qu'elle comprend mieux ses expériences et ses forces, ses
actions et les diverses options qui s'offrent à elle, elle commence à prendre sa vie en
main.
Toutefois, cette approche situe également la responsabilité à un niveau plus
global de la société, qui comprend les collectivités et les institutions, par
exemple le système de justice pénale. Ce modèle dynamique permet de faire une
description et une analyse beaucoup plus complètes.
Ainsi, l'analyse féministe fait voir les contradictions entre une intervention appropriée
et efficace et les pratiques et les politiques correctionnelles en place.
La thérapie à orientation féministe repose sur le principe d'aider les femmes
à prendre conscience de leur pouvoir afin qu'elles puissent se défendre et devenir
autonomes. Or, la prison leur enlève généralement toute l'autonomie qui leur reste
en les soumettant à un contrôle strict : restrictions sur le mouvement, l'espace, les
horaires, les activités et les communications
Un tel contrôle, combiné à l'application souvent arbitraire de règles, ne
fait que renforcer le sentiment d'impuissance et l'imprévisibilité auxquels devaient faire
face de nombreuses femmes avant leur emprisonnement.
C'est ce contrôle rigide que les femmes jugent le plus néfaste. Dans leurs descriptions,
leur expérience de détention en est une où elles sont dépouil-lées
d'elles-mêmes - leur identité en tant que femme étant remplacée par
l'étiquette de «détenue», avec tous les stéréotypes qui
l'accompagnent.
Ainsi, les femmes avaient l'impression - en prison et après leur libération - que leurs
moindres mouvements étaient jugés en fonction de leur statut de détenues.
En dépit des possibilités quasi nulles de prendre des initiatives autonomes et de faire
de véritables choix, les femmes ont indiqué que les employés et la Commission
nationale des libérations conditionnelles s'attendent à ce qu'elles fassent des choix et
prennent des décisions positives et adaptées à la société.
Cette contradiction entre ce que les femmes peuvent réellement faire et ce qu'on leur dit de
faire crée un paradoxe insoutenable dans la vie de ces femmes et leur rappelle souvent des
expériences passées.
Les solutions
Les femmes ont proposé des mesures qui pourraient être prises pour alléger le
fardeau de l'emprisonnement. Ainsi, un processus de planification qui respecte leur dignité et
leur donne la liberté d'exprimer leurs émotions en toute sécurité et un
accès accru aux programmes et aux gens de la collectivité pourraient atténuer le
traumatisme de l'emprisonnement.
Les femmes ont souligné l'importance du counseling, indiquant toutefois qu'il ne sera utile que
si elles décident elles-mêmes d'y participer. Elles ont fait remarquer que des relations
empreintes de respect rehaussent les avantages et la valeur de toutes les autres mesures. Ces liens sont
décrits, par exemple, comme «les rapports entre des gens qui ne se soucient pas des
étiquettes de détenue ou de garde».
Bien que l'on puisse encourager les établissements à favoriser de telles relations, le
personnel et les détenues ont déclaré qu'il était très difficile,
dans une prison, d'entretenir des relations fondées sur le respect parce que celles-ci ont
été mises sur pied de façon à créer une répartition
inégale des pouvoirs entre employés et détenues.
Analyse
Selon l'évaluation des services thérapeutiques offerts à la Prison des femmes, la
création de choix véritables pour les femmes ne repose pas sur la construction de nouveaux
établissements, mais sur l'existence de solutions autres que l'incarcération. De telles
initiatives accorderaient une grande importance aux relations de respect où les détenues
sont traitées sur un pied d'égalité et où leur individualité est
respectée
(12).
(1)Toute correspondance doit être envoyée à Kathleen Kendall Department
of Social Policy and Social Work, Faculty of Economic and Social Studies, University of Manchester,
Manchester, M13 9PL, Royaume-Uni. Cet article est basé sur les résultats d'une
évaluation effectuée à contrat pour le Service correctionnel du Canada. Toutefois,
les opinions exprimées ici sont celles de l'auteure et ne reflètent pas
nécessairement le point de vue du Service correctionnel du Canada.
(2)Pour obtenir le rapport complet, voir K. Kendall,
Évaluation des services
thérapeutiques offerts à la Prison des femmes, Ottawa, Service correctionnel du
Canada, 1993.
(3)La création de choix : Rapport du Groupe d'étude sur les femmes purgeant
une peine fédérale, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1990.
(4)M. Evans.
A Survey of institutional Programs Available to Federally Sentenced
Women, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1989; voir également R. Ross et E. Fabiano,
Les programmes destinés aux infractrices : des mesures correctionnelles pensées
après coup, Ottawa, Solliciteur général du Canada, 1985; et
La création
de choix: Rapport du Groupe d'étude sur les femmes purgeant une peine
fédérale.
(5)L. Berzins et S. Dunn.
Federal Female Offender Program 1978 Progress Report,
Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1978; voir également Elliot et Morris, «Behind
Prison Doors»,
Too Few to Count, Vancouver, E. Adelberg et C. Currie, Press Gang, 1987; J.
Heney,
Report on Self-injurious Behaviour in the Kingston Prison for Women, Ottawa, Service
correctionnel du Canada, 1990; L. Lightfoot et L. Lambert,
Substance Abuse Treatment Needs of
Federally Sentenced Women: Technical Report 1, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1991; M.
Shaw
et al., Survey of Federally Sentenced Women: Technical Report 1, Ottawa, Service
correctionnel du Canada, 1990; et M. Shaw et
al., Sondage auprès des femmes purgeant une peine
d'une durée de plus de deux ans : Rapport du Groupe d'étude sur le sondage effectué
auprès des femmes purgeant une peine d'une durée de plus de deux ans en milieu
carcéral, Ottawa, Solliciteur général du Canada, 1990.
(6)L. Berzins et S. Cooper. «The Political Economy of Correctional Planning for Women:
The Case of the Bankrupt Bureaucracy»,
Revue canadienne de criminologie, vol. 24, n0 4,
1982, p. 399416; voir également
Rapport du Comité permanent de la justice et du
Solliciteur général sur la détermination de la peine, la mise en liberté
sous condition et d'autres aspects du système correctionnel. Des responsabilités à
assumer: rapport, Ottawa, ministère des Approvisionnements et des Services, 1988; et F. Sugar
et L. Fox,
Survey of Federally Sentenced Aboriginal Women in the Community, Ottawa, Native
Women's Association of Canada, 1990.
(7)Un de ces suicides fait actuellement l'objet d'une enquête; il pourrait s'agir d'un
suicide assisté ou d'un homicide.
(8)Voir, par exemple, A. Kershaw, «Inmate Suicides Linked to Counselling Programs,
Warden Fears», Kingston
Whig Standard, 14 février 1991, p. 26.
(9)Ce respect pour les conseillers de la Prison des femmes rejoint une étude
antérieure de M. Shaw
et al., Sondage auprès des femmes purgeant une peine d'une
durée de plus de deux ans : Rapport du Groupe d'étude sur le sondage effectué
auprès des femmes purgeant une peine de plus de deux ans en milieu carcéral.
(10)Voir K. Kendall,
Analyse de la recherche sur les services thérapeutiques
offerts aux femmes incarcérées, volume complémentaire 1 de
Évaluation
des services thérapeutiques offerts à la Prison des femmes, Ottawa, Service
correctionnel du Canada, 1993.
(11)Voir, par exemple, M. Eaton,
Women After Prison, Buckingham, Open University
Press, 1993; J. Heney, Report on Seif-injunous Behaviour in the Kingston Prison for Women; et M.
Velimesis, «Sex Roles and Mental Health»,
Professional Psychology, vol. 12, n° 1,
1981, p. 128-135.
(12)Voir par exemple, P. Carlen,
Alternatives to Women's Imprisonment, Milton Keynes,
Open University Press, 1990.