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L'évaluation psychologique des détenues

Le sexisme et les erreurs scientifiques liés à la généralisation et à l'application, aux femmes, des travaux de recherche, des outils d'évaluation et des programmes de thérapie elaborés pour les détenus font l'objet de nombreux débats(2).

Le problème est encore plus épineux dans le domaine des services correctionnels (par rapport à d'autres disciplines) en raison de la petite proportion de femmes incarcérées -seulement 7 p. 100 de détenues sous responsabilité provinciale et 2 p. 100 de détenues sous responsabilité fédéral(3). En raison de ce petit nombre, les données statistiques sur les détenues sont rares.

Au Canada, la planification et les programmes correctionnels ont tenté de se pencher sur le problème. Ainsi, le rapport intitulé La création de choix : Rapport du Groupe d'étude sur les femmes purgeant une peine fédérale(4) fait bouger beaucoup de choses. En outre, il existe maintenant plus de documentation sur les programmes et les thérapies à l'intention des détenues - une bibliographie récente donnait 394 références(5).

Toutefois, en dépit de l'information accrue, il y a encore peu de débats et on élaboré peu de méthodes et d'outils d'évaluation appropriés à l'intention des détenues. À cet égard, les progrès réalisés se sont limités à une demande générale en faveur d'une méthodologie et d'outils(6) plus adéquats et, très rarement, d'un outil d'évaluation utilisé pour les détenues(7).
Les évaluations psychologiques En pratique, les évaluations psychologiques effectuées à la Prison des femmes de Kingston sont faites à partir d'une étude du dossier, d'une entrevue d'évaluation et d'un test psychométrique réalisé à l'aide d'outils validés et normalisés à partir d'échantillons de femmes prises dans la collectivité (plutôt que d'échantillons d'hommes).

Ces instruments permettent généralement d'évaluer les éléments qui sont liés aux infractions commises par les femmes : relations interpersonnelles et rapports avec les autres, agression, capacité de s'affirmer, dépression, consommation d'alcool et de drogue, troubles post-traumatiques et problèmes de dissociation, et symptômes associés à l'agression ou à l'exploitation sexuelle.

Toutefois, ce processus et certains outils se fondent encore sur une démarche traditionnelle, ce qui cause un problème dans la mesure où ils s'attachent principalement à cerner les secteurs problématiques et confèrent au psychologue ou au spécialiste le rôle d'expert en ce qui concerne le vécu d'une autre personne. C'est pourquoi les détenues voient le processus d'un mauvais oeil. De plus, cette démarche contredit un principe de base de la thérapie à orientation féministe égaliser les rapports entre l'évaluateur (ou le thérapeute) et le patient(5). La démarche actuelle À la Prison des femmes, on présente généralement deux rapports psychologiques pour la plupart des détenues : une évaluation initiale des besoins et un rapport de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Ces rapports ont des raisons d'être différentes.

Idéalement, l'évaluation d'admission devrait permettre à la détenue de mieux se connaître et servir à quiconque travaille avec elle, que ce soit dans le cadre d'une thérapie ou sur le plan de la gestion de cas.

L'évaluation devrait donc fournir des renseignements de base sur la détenue et permettre de mieux comprendre ses préoccupations actuelles ainsi que le contexte personnel et social entourant son infraction.

Bien qu'environ 88 p. 100 des femmes désirent l'aide d'un conseiller(9), la majorité devra attendre longtemps entre l'évaluation d'admission et le début de la thérapie. Il est donc important de considérer l'évaluation d'admission comme un outil d'intervention à court terme, utile en soi.

Par ailleurs, l'évaluation de la Commission nationale des libérations conditionnelles étudie les besoins d'une femme par rapport au risque de récidive si elle est mise en liberté.



Tableau 1
Veuillez répondre sur une feuille vierge. Vous avez la possibilité de
décrire, en vos propres termes, vos forces et vos aptitudes ainsi que
les choses pour lesquelles vous aimeriez avoir de l'aide
Si vous avez des antécédents criminels, veuillez répondre aux questions
1 à 7; dans le cas contraire, répondez aux questions 4 à 7 uniquement.
1) Décrivez une ou deux périodes de votre vie au cours desquelles,
pendant au moins un an, vous nàvez pas eu de démélés avec
justice (p. ex.: quand, oû)
2) Au cours de ces périodes, décrivez votre situation face aux élements
suivants:
  • relations (époux, conjoint, enfants, parents)
  • travail ou école
  • argent
  • consommation de drogue, d'alcool, médicaments
  • 3) De quele façon (positive et négative) vous perceviez-vous au cours
    des périodes oû vous n'avez pas eu de démélés avec la justice?
    4) De quele façon (positive et négative) avez-vous fait face aux situations
    suivantes?
  • conflits interpersonnels
  • consommation de drogue, d'alcool, de médicaments
  • argent
  • travail/argent
  • état dépressif
  • colére
  • famille
  • racisme (le cas échéant)
  • 5) Donnez trois de vos qualitiés
    6) Énumérez trois éléments que vous aimeriez améliorer, seule ou avec
    une personne pour vous aider
    7) Selon vous, comment pourriez-vous éviter la récidive?
    Qu'est-ce qui pourrait vous y aider?

    La liste des aptitudes et des besoins On a créé la liste des aptitudes et des besoins afin de passer de l'identification pure et simple de problèmes à une évaluation plus globale des forces et des besoins de chacune (voir la liste ci-contre). Cette liste est actuellement à l'essai.

    La liste comporte une série de questions sur les stratégies d'adaptation (bonnes ou mauvaises) qu'emploient les détenues lorsqu'elles respectent la loi ou qu'elles l'enfreignent. On demande aux répondantes de décrire leurs besoins et leurs forces ainsi que le genre d'aide qu'elles aimeraient recevoir. Les femmes ayant un faible niveau d'alphabétisation peuvent demander à l'interviewer de leur lire les questions ou de remplir la feuille.

    En vertu d'une telle démarche, les femmes participent plus directement au rapport d'évaluation, en utilisant leurs propres termes. De plus, cette démarche reconnaît que les femmes sont plus au courant de leur propre expérience. Le rapport du psychologue peut contenir des réponses rédigées par les détenues elles-mêmes, citer directement leurs commentaires ou les annexer dans leur intégralité.
    Du fait qu'elle traite des stratégies d'adaptation, l'évaluation est considérée comme constructive et serait probablement plus utile aux détenues elles-mêmes. Cette approche diffère de celle où les femmes obtiennent un résumé des traumatismes auxquels elles ont survécu et des problèmes personnels qui en ont résulté. La liste brosse le tableau plus complet auquel s'attend une détenue qui a fait l'objet d'une évaluation psychologique.

    En outre, dans le cadre de l'évaluation traditionnelle des détenues -dont un certain nombre a été victime de traumatismes personnels, de discrimination économique et sociale et de discrimination fondée sur le sexe et sur la race -, on insiste trop souvent sur l'identification excessive des problèmes individuels(10).

    De nombreux auteurs(11) ont mis en garde les psychologues et autres intervenants auprès des détenues contre les lacunes du modèle traditionnel: insistance sur l'aspect pathologique ou évaluation des détenues comme déviantes, anormales ou malades mentales(12) parce que leur comportement a transgressé les normes sur les rôles sexuels.

    Par conséquent, il est très important que l'évaluation aborde le lien entre les facteurs sociaux, culturels et économiques d'une part, et le vécu de chaque patiente, d'autre part.

    Par exemple, les personnes ayant survécu à des mauvais traitements considérables ont souvent des comportements autodestructeurs et elles se limitent elles-mêmes; il est préférable de considérer ces comportements comme des stratégies d'adaptation, et de les envisager dans leur contexte plus vaste(13).

    La liste des aptitudes et des besoins permet de décrire ces stratégies d'adaptation ainsi que d'autres stratégies similaires. Elle peut ainsi aider les détenues, les employés de la prison et les thérapeutes à renforcer les capacités d'adaptation et à réduire l'incidence de comportements d'autodestruction chez ces femmes. Analyse Jusqu'à maintenant, la liste des aptitudes et des besoins et la méthode afférente ont suscité des commentaires très favorables et elles fournissent aux psychologues une vaste gamme de données qu'ils n'auraient pas pu obtenir par le biais d'entrevues d'évaluation.

    Le fait de réfléchir sur soi et d'écrire dans la solitude peut donner lieu à des réponses plus riches, plus détaillées et plus utiles qu'une simple entrevue.

    De même, de nombreuses femmes ont l'impression de devoir se défendre d'attaques, de critiques ou de mauvais traitement, et cette impression est renforcée par de nombreux processus du système de justice pénale. Avec cette méthode, les femmes ont un meilleur contrôle, elles sont moins angoissées et elles peuvent ainsi fournir de l'information plus utile et plus pertinente.

    En fait, on a souvent demandé aux victimes de mauvais traitement de coucher sur papier leurs expériences(14), et cette méthode a été utilisée dans le cadre des programmes thérapeutiques offerts aux détenues(15).

    Le fait de reprendre les termes employés par une femme et de reconnaître qu'elle est la mieux informée lorsqu'il s'agit d'elle-même est une approche bien établie dans les recherches féministes et participatives16 - plus précisément en ce qui concerne les femmes battues(17) et les détenues(18); la théorie et la pratique féministes s'appuient généralement sur ces sources de renseignements(19).

    Il faut espérer que cette démarche et cette philosophie globales pourront être reprises dans le cadre des procédures d'évaluation. Au fur et à mesure que cette pratique deviendra plus répandue, il faudra évaluer les avantages qu'il y a à se servir des termes utilisés par les patientes pour informer les conseillers, les agents de gestion des cas, les agents de libération conditionnelle et les décideurs de la Commission nationale des libérations conditionnelles. Cette méthode s'est également avérée utile à d'autres intervenants qui doivent évaluer des femmes ayant enfreint la loi.

    La liste des aptitudes et des besoins fera probablement l'objet d'une révision une fois que l'on aura obtenu plus de commentaires. Par ailleurs, le recours à cette liste ou à des méthodes similaires n'exclut pas l'utilisation d'outils plus normalisés et de la méthodologie traditionnelle.

    En fait, afin de respecter les normes et les procédures généralement reconnues en matière d'évaluations psychologiques, il faudra encore avoir recours aux outils d'évaluation et aux échelles psychométriques (avec des normes et des critères de validation pour les femmes), à la vérification et à l'étude des dossiers et à l'évaluation clinique du psychologue.

    Comme l'information sur les détenues sera plus substantielle, les outils d'évaluation devront également changer en fonction de cette évolution. Entre-temps, la liste des aptitudes et des besoins demeure, pour les cliniciens de la Prison des femmes, un outil qui permet de mieux comprendre les détenues, en plus de donner à ces femmes la possibilité d'exprimer la connaissance qu'elles ont d'elles-mêmes.

    On se trouve ainsi à rapprocher le processus d'évaluation, les principes centraux de la thérapie à orientation féministe et l'esprit du Groupe d'étude sur les femmes purgeant une peine fédérale.


    (1)Karen Scarth et Heather McLean, Service de psychologie, Prison des femmes, Service correctionnel du Canada, C.P. 515, Kingston (Ontario) K7L 4W7.
    (2)E. Adelberg et C. Currie, Too Few to Count: Canadian Women in Conflict with the Law, Vancouver, Press Gang Publishers, 1987; voir également L. Berzins et S. Cooper, «The Political Economy of Correctional Planning for Women: The Case of the Bankrupt Bureaucracy», Revue canadienne de criminologie, vol. 24, n° 4, 1982, p. 399-416; et C. Currie, Developing Tools for the Study of the Female Offender: A Review of the Literature, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1986; Kendall, Évaluation des services thérapeutiques offerts à la Prison des femmes, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1993, et le volume qui l'accompagne Analyse de la recherche sur les services thérapeutiques offerts aux femmes incarcérées, vol. 1, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1993; R. Ross et E. Fabiano, Les programmes destinés aux infractrices : des mesures correctionnelles pensées après coup, Ottawa, Solliciteur général du Canada, 1985; La création de choix : Rapport du Groupe d'étude sur les femmes purgeant une peine fédérale, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1990.
    (3)E. Adelberg et C. Currie. Too Few to Count: Canadian Women in Conflict with the Law; voir également La création de choix : Rapport du Groupe d'étude sur les femmes purgeant une peine fédérale; K. Hatch et K. Faith, «The Female Offender in Canada: A Statistical Profile», Revue juridique de la femme et le droit, vol. 3, n° 2, 1989, p. 432-456.
    (4)La création de choix : Rapport du Groupe d'étude sur les femmes purgeant une peine fédérale.
    (5)K. Kendall. Analyse de la recherche sur les services thérapeutiques offerts aux femmes incarcérées.
    (6)C. Currie. Developing Tools for the Study of the Female Offender: A Review of the Literature.
    (7)L. Lightfoot et L. Lambert. Substance Abuse Treatment Needs of Federally Sentenced Women - Technical Report 1, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1991.
    (8)M. Greenspan. A New Approach to Women and Therapy, New York, McGraw Hill, 1982; voir également L. Rosewater et L. Walker, Handbook of Feminist Therapy: Women's Issues in Psychotherapy, New York, Springer-Verlag, 1985.
    (9)K. Kendall. Évaluation des services thérapeutiques offerts à la Prison des femmes.
    (10)M. Shaw. «Issues of Power and Control: Women in Prison and Their Defenders», British Journal of Criminology, vol. 32, n° 4, 1992, p. 438-452.
    (11)M. Shaw. «Issues of Power and Control: Women in Prison and Their Defenders»; voir également J. Bumes, «Mad or Just Plain Bad? Gender and the Work of Forensic Clinical Psychologists», Gender Issues in Clinical Psychology, Londres, J. Ussher et P. Nicholson, Routledge, 1982; P. Carlen, Women's Imprisonment: A Study in Social Control, Londres, Routledge, 1983; 5. Edwards, «Neither Bad Nor Mad: The Female violent Offender Reassessed», numéro spécial: Women and the Law, Women's Studies International Forum, vol. 9, 1986, p. 79-(87; L. Walker, Terrifying Love: Why Battered Women Kill and How Society Responds, New York, Harper and Row, 1989.
    (12)D. Brownstone et R. Swaminath. «Violent Behaviour and Psychiatric Diagnosis in Female Offenders», Revue canadienne de psychiatrie, vol. 34, 1989, p. 190-194; voir également A. Daniels, A. Robins, J. Reid et D. Wilfley, «Lifetime and Six-month Prevalence of Psychiatric Disorders among Sentenced Female Offenders», Bulletin of the American Academy of Psychiatry and the Law, vol. 16, 1988, p. 333-342; W. Hurley et M. Dunne, «Psychological Distress and Psychiatric Morbidity in Women Prisoners», Australian and New Zealand Journal of Psychiatry, vol. 25, 1991, p. 461-470; S. Strick, «A Demographic Study of 100 Admissions to a Female Forensic Center: Incidences of Multiple Charges and Multiple Diagnoses», Journal of Psychiatry and the Law, vol. 17, 1989, p. 435-448.
    (13)J Heney. Report on Self-injurious Behaviour in the Kingston Prison for Women, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1990.
    (14)E. Basset L. Davis. The Courage to Heal, New York, Harper and Row, 1988.)
    (15)M. McCormack. «A Road Taken: The Prison Experience», Sisters Today, juin-juillet 1982, p. 592-597.
    (16)L. Stanley et S. Wise. Breaking Out: Feminist Consciousness and Feminist Research, Londres, Routledge and Kegan Paul, 1983.
    (17)P. McGuire. Doing Participatory Research: A Feminist Approach, Amherst, University of Massachusetts, Centre for International Education, 1987.
    (18)C. Currie. Developing Tools for the Study of the Female Offender: A review of the Literature; voir également K. Kendall; Évaluation des services thérapeutiques offerts à la Prison des femmes et Analyse de la recherche sur les services thérapeutiques offerts aux femmes incarcérées; La création de choix : Rapport du Groupe d'étude sur les femmes purgeant une peine fédérale; J. Heney. Report on Self-Injurious Behaviour in the Kingston Prison for Women. S. Pollack. Opening the Window on a Very Dark Day: A Program Evaluation of the Peer Support Team at Prison for Women, Ottawa, thèse de maîtrise en travail sodal pour l'Université Carleton.
    (19)L. Rosewater et L. Walker. Handbook of Feminist Therapy: Women's Issues in Psychotherapy; voir également L. Stanley et S. Wise, Breaking Out: Feminist Consciousness and Feminist Research; S. Sturdivant. Therapy with Women: A Feminist Philosophy of Treatment, New York, Springer-Verlag, 1980.