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Dépistage insuffisant de la perte auditive dans la population carcérale fédérale du Canada

La perte auditive est l'une des incapacités chroniques les plus courantes au Canada, puisqu'elle touche environ 7 p. 100 de la population - soit plus de deux millions de Canadiens(2). Dans ce groupe, on compte 20 000 sourds profonds, parmi lesquels à peu près 75 p. 100 sont des sourds «post-linguistiques» (c'est-à-dire qu'ils sont devenus sourds à l'âge adulte(3)). La plupart des personnes ayant une incapacité auditive n'ont qu'une perte partielle de l'audition. Toutefois, les durs d'oreille sont plus difficiles à classer comme malentendants en raison de la nature relativement cachée de leur perte.

Il a été démontré que la prévalence de perte auditive au Canada augmente en raison du vieillissement de la population, qui semble s'accompagner d'un certain degré de déficience auditive(4). En outre, les sources de bruit sont de plus en plus nombreuses, et l'on sait que le bruit est la principale cause de la perte auditive.

Marilyn Dahl, qui est malentendante, prépare actuellement sa thèse de doctorat sur la déficience auditive partielle et le comportement déviant. Le présent article analyse comment le non-dépistage des délinquants ayant une perte auditive perte conduire à les considérer comme des détenus à problèmes et empêcher les établissements de leur donner accès à des programmes qui leur seraient utiles.

Définition de la déficience auditive

La déficience auditive est une expression générale qui désigne tous les degrés de la perte d'audition et renvoie à l'incapacité d'entendre et de comprendre la parole(5). Le degré de déficience auditive peut varier mais cette définition décrit la façon dont une personne communique dans la vie quotidienne.

La personne qui est «sourde» peut être définie comme une personne dont le principal mode de communication est le langage gestuel, alors que la personne qui est «dure d'oreille» ou malentendante peut être définie comme quelqu'un qui a une perte auditive quelconque, dont le mode de communication primaire est la parole. Avec une telle définition, les personnes qui sont sourdes «post-linguistiques» sont souvent regroupées avec celles qui sont «dures d'oreille».

Les effets de la déficience auditive

Les problèmes résultant d'une perte auditive prélinguistique ou congénitale sont des problèmes de développement; les problèmes découlant d'une déficience auditive acquise sont traumatisants(6). Plus précisément, une perte auditive à un âge précoce affecte, chez l'enfant, le mode d'acquisition et l'évolution du langage ainsi que le comportement émotionnel et les aptitudes sociales. Habituellement, la personne ayant ce genre de déficience auditive est considérée comme socialement immature ou comme un mauvais élève.

La déficience auditive plus tardive au cours de l'âge adulte a un effet négatif sur la communication interactive et verbale(7) et ce facteur influence considérablement la façon dont une personne est perçue, comprise et définie par les autres(8).

La déficience auditive et le Service correctionnel du Canada

A la fin des années 1980, le Service correctionnel du Canada a effectué une enquête régionale pour déterminer la variété de services accessibles aux délinquants ayant une déficience (tant en établissement que dans la collectivité(9)).

Le personnel correctionnel a découvert qu'il y avait cinq détenus atteints d'une déficience auditive dans la région du Pacifique, quatre dans la région des Prairies, dix en Ontario, sept au Québec et six dans la région de l'Atlantique. Comme ces chiffres sont bien au-dessous de la moyenne nationale pour la déficience auditive dans la population générale, ils nous apparaissent suspects. Par ailleurs, bien qu'aucune étude canadienne ne se soit penchée sur la déficience auditive partielle dans les établissements correctionnels, des études menées aux États-Unis de 1970 à 1983 indiquent qu'entre 36 et 48 p. 100 des populations carcérales étudiées ont une certaine forme de trouble auditif - par rapport à seulement 7 p. 100 dans la population générale(10).

Or, le dépistage de la surdité ne fait pas partie de l'examen médical des délinquants à leur admission dans un établissement correctionnel(11). Le personnel de l'établissement n'incite les détenus à subir une épreuve auditive que s'il soupçonne un problème d'audition - dans toutes les régions étudiées, le Service correctionnel du Canada abordait le problème de la déficience auditive en fonction de ce genre de dépistage individuel.

Cela signifie que le Service ne peut répondre aux besoins spéciaux que des détenus qui sont profondément sourds (ceux qui utilisent généralement le langage gestuel comme forme de communication). Par conséquent, il y a apparemment une connaissance insuffisante de la déficience auditive au sein du système correctionnel fédéral du Canada, en particulier en ce qui concerne les personnes ayant une déficience partielle, qu'il n'est pas facile de repérer.

La déficience auditive dans les établissements de la région du Pacifique

En 1992-1993, une étude a été menée dans huit établissements fédéraux de la ColombieBritannique, avec l'aide des chefs des services de santé de ces établissements(12). Sur 1 439 détenus ayant reçu le questionnaire d'enquête, 219 ont accepté de répondre et 189 ont renvoyé le questionnaire dûment rempli, accompagné d'une auto-évaluation de leur acuité auditive ainsi que de renseignements pouvant être utilisés aux fins de l'analyse démographique.

L'audition de 144 détenus a été testée au moyen d'un audiomètre portatif (appareil de mesure de l'acuité auditive) dans les salles insonorisées de chaque établissement. Soixante-neuf pour cent des détenus de ce groupe accusaient une perte d'acuité auditive qui a été confirmée par un examen de suivi. Ce chiffre représente neuf fois le taux de perte auditive (7 p. 100) de la population canadienne en général.

Près de la modifié des 42 détenus interrogés ayant une perte auditive partielle (48 p. 100) s'en étaient plaints auprès du personnel de l'établissement. Environ les deux fiers (70 p. 100) de ces personnes s'étaient vu répondre, lors d'un examen, que le conduit auditif de leur oreille externe ne présentait pas de lésions et qu'aucun examen de suivi n'était nécessaire.

Deux établissements disposaient d'un appareil de dépistage de la surdité, mais on ne l'utilisait que si le comportement d'un détenu indiquait une perte auditive. De toute évidence, le dépistage de la surdité ne fait pas partie du bilan de santé des délinquants à leur admission dans un établissement fédéral et leurs dossiers médicaux ne renfermaient aucune note sur leur acuité auditive, sauf pour ceux qui avaient eu antérieurement une prothèse auditive ou avaient subi ultérieurement une grave perte d'audition.

Sur les 42 détenus interrogés lors de l'enquête menée en Colombie-Britannique, 81 p. 100 pensaient ou savaient qu'ils avaient une certaine perte d'audition, 17p. 100 l'ignoraient jusqu'à ce que l'étude soit entreprise et 69p. 100 considéraient que leur déficience auditive contribuait à assombrir inutilement leur vie en prison.

Conséquences

Pour certains chercheurs, les troubles auditifs joueraient un rôle dans le comportement criminel ou, du moins, dans la perception par les autorités d'un profil criminel. Les résultats d'une enquête nationale menée en 1973 aux États-Unis auprès de 200 administrateurs d'établissements correctionnels d'État et fédéraux ont indiqué que 77p. 100 des personnes interrogées pensaient que les problèmes psychologiques et les problèmes de communication entraînés par une déficience auditive conduisent au comportement criminel(13).

Des études américaines indiquent également que de nombreux délinquants dont l'acuité auditive a été jugée insatisfaisante avaient auparavant une perte auditive non diagnostiquée. Par conséquent, ce facteur inconnu peut très bien avoir joué un rôle important dans la classification erronée de ces délinquants en tant que délinquants à problèmes, avec ce que cela comporte au chapitre du traite-ment ou des soins.

Cette étude révèle que la plupart des employés des établissements carcéraux sont incapables de reconnaître un comportement qui indique une déficience auditive. En outre, lorsqu'on a demandé à 41 employés de prison d'expliquer la signification de comportements particuliers (dans le contexte de leur expérience de travail), ces personnes avaient tendance à éprouver des sentiments négatifs à l'égard des comportements caractéristiques d'un manque d'acuité auditive.

Par exemple, dans le choix de qualificatifs pour décrire un trait comportemental caractéristique d'une personne qui est dure d'oreille, ces répondants ont choisi une mention défavorable environ 86 p. 100 du temps (en moyenne). En d'autres termes, au lieu de soupçonner un problème d'audition, le personnel était cinq fois plus susceptible de considérer comme déviants ces comportements liés aux problèmes d'attitude ou de personnalité d'un détenu.

Pour leur part, les détenus ayant une déficience auditive se sentaient incompris des autorités. Ils attribuaient principalement à une ignorance de la situation la discrimination du personnel à l'égard des détenus ayant une déficience auditive partielle. Cinquante-cinq pour cent des détenus ayant une perte auditive partielle ont exprimé la crainte d'être mal jugés ou mal compris.

On a également demandé aux autorités quel comportement général de la part des détenus créait le plus de difficultés au cours de l'interaction personnel-détenu. Soixante-neuf pour cent de ces répondants ont indiqué des comportements «insolents» comme l'agression, le non-respect du règlement, la révolte contre l'autorité, l'irresponsabilité et le manque d'effort. Dix-neuf pour cent des employés ont mentionné des défauts physiques ou des carences de la personnalité ou la maladie mentale comme les plus difficiles à surmonter. Treize pour cent ont signalé que le manque d'éducation, d'intelligence ou d'aptitudes sociales des détenus leur portait préjudice dans leurs rapports avec les autorités.

Par conséquent, le cadre de référence à travers lequel un grand nombre de répondants voient leur interaction avec les détenus pourrait s'avérer défavorable aux détenus ayant une déficience auditive.

Compte tenu de cette échelle de valeurs et du manque de connaissances du personnel des établissements à l'égard de la perte auditive partielle et de ses conséquences, il n'est pas étonnant que le personnel ait interprété les comportements des malentendants en termes négatifs.

La déficience auditive a des conséquences, non seulement sur la qualité de l'interaction des autorités de la prison et des détenus, mais également sur le rendement des détenus dans les programmes et sur les avantages qu'ils en retirent. Le détenu dur d'oreille peut se comporter convenablement lors d'une entrevue individuelle tenue dans un local silencieux mais livrer une prestation médiocre en groupe, à une audience de libération conditionnelle, au tribunal ou lorsqu'il est arrêté.

L'étude de la Colombie-Britannique a par ailleurs révélé l'absence de dispositifs techniques pour les détenus malentendants ou sourds dans les établissements correctionnels. On n'y trouve pas de téléphone à amplificateur de récepteur compatible avec des prothèses auditives, de téléscripteur pour malentendants ou d'appareil de télécommunications pour sourds (ATS), de décodeur de sous-titrage de télévision ou de système d'écoute collective ou individuelle. Qui plus est, on a pu constater que très peu de membres du personnel, au mieux, étaient au courant de l'existence ou de la nécessité de tels appareils.

Analyse

En raison de l'ampleur des difficultés de dépistage et de prestation de soins et de services aux délinquants ayant une déficience auditive, il est raisonnable de généraliser ces conclusions à la population carcérale canadienne.

L'étendue de la perte auditive chez les délinquants fédéraux est sans nul doute plus grande que les autorités ne l'ont reconnu officiellement jusqu'à ce jour. Les problèmes analysés indiquent qu'il devrait être tenu compte, dans les budgets des établissements, de la nécessité de prothèses auditives et de dispositifs techniques pour malentendants. Le personnel devrait recevoir une formation pour être en mesure de mieux comprendre les indicateurs comportementaux de la perte auditive et ses conséquences pour la réadaptation.



(1)Pour obtenir de plus amples renseignements, communiquer avec Marilyn Dahl, 1457 Morrison Street, Port Coquitlam (Colombie-Britannique) V3C 2N6. Pour obtenir des renseignements d'ordre général, communiquer avec l'Association des malentendants canadiens, avec l'Association des sourds du Canada ou avec la Confédération des sourds et des malentendants du Canada, qui se trouvent au 2435, ruelle Holly, pièce 205, Ottawa (Ontario) K1V 7P2.
(2)Santé et Bien-être social Canada, The Health of Canadians: Report of the Canada Health Survey, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1981.
(3)Ces statistiques sont américaines mais probablement valables pour le Canada. Voir SCHEIN, J.D. «The Demography of Deafness», The Deaf Community and the Deaf Population, HIGGINS, P. et NASH, J. Washington, Gallaudet College, 1982.
(4)Santé et Bien-être social Canada, Déficience auditive acquise chez l'adulte, Ottawa, Approvisionnements et Services Canada, 1988.
(5)SCHEIN, J.D. La déficience auditive au Canada, Ottawa, Service des publications de Statistique Canada, 1992.
(6)THOMAS, A.J. Acquired Hearing Loss: Psychological and Psychosocial Implications, London, Academic Press, 1984.
(7)HARVEY, M.A. «Between Two Worlds: One Psychologist's View of the Hard of Hearing Person's Experience», Journal of Self Help for Hard of Hearing, mai-juin 1985, p.4-5.
(8)HASTORF, A.H., SCHNEIDER, DJ. et POLEFKA, J. Person Perception, Reading, Addison-Wesley, 1970.
(9)Enquête menée par le Service correctionnel du Canada à la fin des années 1980 (non publiée).
(10)BELENCHIA, T. et CROWE, T. «Prevalence of Speech and Hearing Disorders in a State Penitentiary Population», Journal of Communication Disorders, vol. 16, n° 4, 1983, p. 279-285.
(11)KONRAD, J. communication écrite, 1989.
(12)DAHL, M. Partial Hearing Impairment and Deviant Behaviour: A Study of Federal Prisons in British Columbia, thèse de doctorat, Université de la Colombie-Britannique (encours).
(13)American Speech and Hearing Association Task Force Report on Speech Pathology and Audiology Service Needs in Prison, Washington, American Speech and Hearing Association, 1973.