Le contexte juridique du problème de l'accessibilité
En 1989, le gouvernement fédéral a émis une politique du Conseil du Trésor
sur l'accès aux biens immobiliers dont l'objectif était d'assurer que les personnes ayant
une déficience aient accès aux immeubles appartenant au gouvernement fédéral
ou loués par ce dernier.
Il est clairement énoncé dans la politique que les dispositions de la Charte canadienne
des droits et libertés
(2) et de la Loi canadienne sur les droits de la
personne
(3) considèrent comme une pratique discriminatoire le fait, pour des
organismes fédéraux, de refuser aux personnes ayant une déficience l'accès
aux immeubles appartenant au gouvernement fédéral ou loués par ses soins.
Cette politique, ainsi que la législation pertinente sur les droits de la personne et la Loi
sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, établissent
les exigences internes et juridiques d'accessibilité que le Service correctionnel du Canada doit
respecter dans sa gestion des détenus ayant des besoins spéciaux. Application de la
politique du Conseil du Trésor Les ministères disposent d'une certaine latitude dans la
conformité aux exigences d'accessibilité minimale énoncées dans la politique
du Conseil du Trésor, mais ils ne doivent pas contrevenir à l'intention
générale de la politique - rendre les immeubles du gouvernement fédéral
accessibles à tous. Le terme «accessible» signifie accès physique facile pour
les personnes ayant une déficience qui entrave leur mobilité, en particulier celles qui se
déplacent en fauteuil roulant. Le terme vise également des exigences d'accès pour
les personnes ayant une déficience visuelle ou auditive.
À cette fin, le Service correctionnel du Canada a élaboré une série de
lignes directrices sur l'accessibilité dans les établissements
correctionnels
(4). Mars 1995 est la date butoir pour la mise en oeuvre complète de la
politique.
En règle générale, le Service correctionnel du Canada s'efforce d'assurer
l'égalité d'accès de façon que les détenus ayant une
déficience soient logés convenablement au niveau de sécurité requis, dans la
région où ils devraient être et, dans la mesure du possible, dans un
établissement où ils peuvent bénéficier des programmes et des services
jugés nécessaires à leur réinsertion sociale et à leur
bien-être.
Les lignes directrices stipulent que tous les établissements à sécurité
minimale et moyenne et toutes les unités spécialisées (comme les aires d'isolement
protecteur et les centres psychiatriques) doivent éventuellement disposer de plusieurs lits et
cellules accessibles, de même que de locaux pour les programmes permettant d'accueillir les
détenus ayant des limitations fonctionnelles. Critères juridiques Chaque région est
en outre tenue de concevoir au moins un établissement pour chaque niveau de
sécurité qui sera accessible aux détenus ayant une déficience. Toutefois, le
fait de désigner quelques établissements peut ne pas être suffisant pour
empêcher des poursuites en justice sous une allégation de discrimination en vertu de
l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. L'article 15 garantit en
effet «que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous...
indépendamment de toute discrimination». Un détenu ayant une déficience
pourrait faire valoir qu'il y a eu discrimination s'il se voit refuser une place dans un
établissement offrant des programmes qui répondent mieux à ses besoins ou plus
proche de sa localité d'origine étant donné que cet établissement n'est pas
parfaitement accessible.
En outre, l'article 28 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté
sous condition exige que le Service s'assure que le lieu où est incarcéré le
détenu constitue le milieu le moins restrictif possible - tout en tenant compte des
impératifs de la sécurité - et prenne également en considération la
facilité d'accès à la collectivité d'origine du détenu,
l'intégration à un milieu culturel et linguistique compatible, et la prestation de
programmes et de services appropriés.
L'incapacité pour un détenu ayant une déficience de trouver une place à
l'endroit convenu (conformément à ces diverses directives) pourrait être un
manquement à l'obligation du Service correctionnel du Canada de respecter la politique du Conseil
du Trésor, les lignes directrices qu'il a lui-même émises, ainsi que la Charte
canadienne des droits et libertés et la Loi sur le système correctionnel et la mise
en liberté sous condition, à moins qu'il ne puisse démontrer qu'il a pris toute
mesure raisonnable pour répondre aux besoins du détenu. Les plaintes des détenus
Très peu de détenus ayant une déficience ont intenté une action en justice
à ce jour. Par conséquent, les tribunaux n'ont pas eu à statuer sur les
responsabilités du Service correctionnel du Canada relativement à ces détenus. Les
exemples que nous présentons ici illustrent le type de situations qui ont conduit certains
détenus ayant des limitations fonctionnelles à intenter ou à envisager une action
en justice.
Dans l'affaire Baird v. The Queen
(5), un détenu de l'établissement
Collins Bay en a appelé de sa condamnation. Il s'est fondé sur sa déficience et
l'incapacité alléguée du Service correctionnel du Canada d'en tenir compte pour
demander une réduction de peine. Baird (qui se déplace en fauteuil roulant) a
été jugé coupable de meurtre au second degré en 1988 et condamné
à l'emprisonnement à perpétuité sans admissibilité à la
libération conditionnelle avant 14 ans.
Toutefois, le Service a présenté des preuves démontrant que Baird avait eu
accès aux mêmes services et programmes que les autres détenus de
l'établissement et il a été débouté de son appel sans commentaires du
tribunal sur les responsabilités du Service.
Dans l'affaire Harris v. The Queen
(6), un détenu de l'établissement
Warkworth a intenté une action en dommages-intérêts en alléguant la
discrimination au titre de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, et
a demandé également des dommages pour un châtiment cruel et inusité au titre
de l'article 12 de la Charte
(7). Harris est amputé de deux membres et il a fait valoir
que les installations et les services de l'établissement sont inadéquats pour les
personnes ayant une déficience. Pour l'instant, la question en est encore au stade
préliminaire de l'instance.
Dans l'affaire Ratte v. The Warden of Kingston Penitentiary
(8), la Cour de justice de
l'Ontario (Division générale) a statué que le maintien en isolement d'un
détenu séropositif qui était instable, peu coopératif et dangereux pour le
personnel, ne constituait pas une discrimination fondée sur la déficience physique
contredisant l'article 15 de la Charte.
Le tribunal a fait valoir que Ratte, qui avait menacé de mordre et de poignarder les membres du
personnel, avait été mis en isolement parce qu'il pouvait nuire à la discipline et
au bon fonctionnement de l'établissement, et non en raison de sa condition de
séropositif.
Enfin, l'unité des Services juridiques du Service correctionnel du Canada a récemment
reçu une lettre de l'avocat d'un détenu ayant un problème de santé connu
sous le nom de chimioallergie alléguant que son client était victime de discrimination
alors que le Service avait fait des efforts pour tenir compte de la déficience du détenu
au sein de l'établissement, et s'était même engagé à construire une
cellule dotée d'un système de ventilation spécial. Il reste à voir si le
détenu intentera une action en justice.
Toutefois, la question de la chimioallergie a été récemment analysée dans
l'affaire McCleary v. The Ministry of Health
(9). Mme McCleary a perdu en appel le
procès qu'elle avait intenté contre le ministère de la Santé de l'Ontario
pour qu'il rembourse les frais médicaux qu'elle avait engagés aux États-Unis avant
l'approbation préalable du Ministère. Qui plus est, le tribunal a statué que le
traitement pour cette affection n'est pas un service médical reconnu en Ontario. Cette nuance
pourrait éventuellement avoir des répercussions sur toute poursuite intentée par le
délinquant ayant la même affection. Responsabilités Les responsabilités du
Service correctionnel du Canada à l'égard des détenus ayant une déficience
ont été clairement définies dans la politique du Conseil du Trésor, dans les
lignes directrices du Service et dans les lois fédérales pertinentes. L'objectif du
Service est donc d'offrir à ces détenus, dans la mesure du possible, le même
accès aux établissements et aux programmes qu'aux détenus n'ayant aucune
déficience.
Si le petit nombre de poursuites reflète fidèlement le degré d'insatisfaction des
détenus fédéraux ayant des limitations fonctionnelles, il apparaît que le
Service correctionnel du Canada assume ces responsabilités.
(1)Carolyn Kobemick, conseillère juridique, Service correctionnel du
Canada, 340, avenue Laurier ouest, 4, étage, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.
(2)Il est stipulé au paragraphe 15
(1) de la Charte canadienne des
droits et libertés que: «La loi ne fait acception de personne et s'applique
également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même
bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des
discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le
sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques».
(3)Il est stipulé au paragraphe 3
(1) de la Loi canadienne des droits de
la personne que: «Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction
illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la
religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de
personne graciée ou la déficience.»
(4)Guidelines for Implementing Treasury Board's Policy on Accessibility in Correctional
Service of Canada Owned and Leased Correctional Facilities, non publié.
(5)Cour d'appel de l'Alberta, n° 9003 0807 A.
(6)Cour fédérale, n° T-1273-92.
(7)Il est stipulé à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et
libertés que: «Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines
cruels ou inusités».
(8)Cour de justice de l'Ontario (Division générale), dossier n° 6729.
(9)Cour divisionnaire de l'Ontario, n° 455/92.