La psychologie correctionnelle auprès des jeunes contrevenants au sein de la collectivité:
considérations philosophiques
On dispose d'un nombre assez important de travaux de recherche sur les interventions qui
s'avèrent efficaces dans le secteur de la psychologie correctionnelle. Cependant, les recherches
semblent être axées sur ce qu'il convient de faire et sur la façon de le faire - par
exemple, les stratégies de sélection des clients (niveau de risque ou de besoins), les
méthodes thérapeutiques (comme la thérapie cognitivo-comportementale) et la
prévision des résultats. On ne s'attarde pas vraiment aux raisons qui justifient la
prestation de services psychologiques, en particulier au sein de la collectivité.
Dans cet article, nous tenterons de combler cette lacune en proposant une orientation philosophique
particulière pour le travail clinique effectué auprès des jeunes contrevenants dans
la collectivité. Nous soutiendrons que l'orientation adoptée par le Dr Albert Ellis et
d'autres praticiens de la thérapie comportementale rationnelle-émotive (y compris l'auteur
du présent article) convient bien au travail auprès des jeunes contrevenants et correspond
directement, dans la pratique, à des interventions et méthodes thérapeutiques.
Thérapie comportementale rationnelle-émotive En bon nombre de lieux, le public et les
professionnels s'accordent à dire que:
-
les jeunes contrevenants ne désirent pas changer leur comportement d'une façon
significative ou durable;
-
les peines imposées aux jeunes contrevenants, en particulier au sein de la
collectivité, ne sont pas suffisamment sévères pour les inciter à
changer;
-
les jeunes contrevenants réagissent mal à l'autorité et encore plus mal aux
interventions psychologiques;
-
Si les jeunes contrevenants acceptent de suivre les séances de counseling, c'est surtout
pour les avantages qu'ils peuvent en retirer, comme les permis de fin de semaine.
Toutefois, mon expérience personnelle va à l'encontre de ces observations. À mon
avis, l'approche philosophique de la thérapie comportementale rationnelle-émotive (bien
reconnue dans le monde de la psychologie en général, mais rarement abordée dans le
contexte correctionnel) constitue le fondement d'un travail gratifiant auprès des jeunes
contrevenants. Valeur égale Le premier principe philosophique qui sous-tend la thérapie
comportementale rationnelle-émotive est que tous les êtres humains (du fait qu'ils sont
vivants) sont de valeur égale, indépendamment de leur comportement. On pourrait dire qu'il
s'agit là d'un énoncé hautement moralisateur, mais il n'en est rien.
Dans la pratique, cela signifie que le thérapeute reconnaît de façon implicite que
le jeune contrevenant, quel que soit son comportement, a le droit absolu de recevoir des services
psychologiques. Les sentiments de culpabilité et de honte que le client exprime (en se condamnant
lui-même) ne sont pas considérés comme des facteurs valables de motivation au
changement et sont plutôt traités comme des symptômes auxquels il faut trouver des
remèdes.
Lorsque le thérapeute établit clairement cette prémisse dès la
première rencontre avec le client, celui-ci comprend que le thérapeute l'accepte tel qu'il
est, ce qui l'encourage à parler de lui-même avec franchise. On peut dire que lorsque le
thérapeute se refuse à mettre de côté le caractère humain du
contrevenant, celui-ci est moins sur la défensive et se montre plus disposé à
examiner sa propre conduite. Hédonisme réfléchi Le deuxième principe
philosophique est que les êtres humains sont fondamentalement hédonistes : la recherche du
plaisir et du bonheur est leur but ultime. Par conséquent, les praticiens de la thérapie
comportementale rationnelle-émotive encouragent leurs clients à adopter un
«hédonisme réfléchi», c'est-à-dire à chercher à
atteindre un équilibre entre leurs buts personnels à court terme et leurs buts à
long terme, ce qui leur permettra d'améliorer leur situation ou, du moins, de ne pas se causer de
tort excessif.
L'attitude d'un jeune contrevenant qui se dit «qu'est-ce que cela va m'apporter?» n'est pas
considérée comme de la résistance, mais comme le point de départ d'une
intervention thérapeutique. La thérapie a pour but de remplacer la recherche de la
satisfaction à court terme, non par le sacrifice de soi-même, mais par une stratégie
équilibrée qui ne risque pas de menacer le bonheur à plus long terme.
Évaluation psychologique continue Un troisième principe philosophique dont on parle
beaucoup dans le milieu correctionnel, mais qu'on applique rarement, est que l'évaluation
psychologique doit être un élément essentiel et continu du processus de
traitement.
Il s'agit donc d'éliminer les tests et les systèmes de classification innombrables qui
sont utilisés pour orienter les contrevenants vers des thérapies. Il faut aussi
reconnaître que les comportements, les connaissances et les émotions (et non les
êtres humains) sont les éléments qui doivent être évalués et
qu'un diagnostic qui ne conduit pas à un traitement adapté est cliniquement inefficace.
Enfin, il faut comprendre que le fait de cacher un diagnostic à un client mène souvent
à la manipulation plutôt qu'à un traitement psycho-éducatif, et que
l'évaluation doit aider le contrevenant à se fixer des buts raisonnables et non remplacer
cet effort.
Il arrive trop souvent que de jeunes contrevenants se présentent au bureau du praticien en
connaissant parfaitement le diagnostic posé à leur sujet, mais en ignorant totalement les
stratégies de changement qui s'y rattachent; cela confirme l'importance du principe que nous
venons d'énoncer. Efficacité Le quatrième principe d'une bonne intervention
clinique est l'efficacité. Ce principe correspond à plusieurs actions dans la pratique.
Tout d'abord, il faut éviter de trop s'immiscer dans la vie du contrevenant. Il est tout aussi
important, quoique peut-être plus délicat, de classer par ordre d'importance les buts
poursuivis par le client
dans la thérapie, de renforcer le sentiment de réussite du client en visant à
obtenir de lui des changements sur le plan émotif en une ou deux séances, de
déterminer sa volonté de suivre la thérapie (deux ou 20 séances?) et
d'adapter la méthode thérapeutique au temps disponible.
Le souci d'efficacité permet au thérapeute de se fixer des buts réalisables,
plutôt que des buts «classiques» que le client n'a peut-être aucune envie
d'atteindre. En outre, les clients disent souvent que ces pratiques efficaces leur permettent de se
prendre en main; ils ne se sentent pas à la merci du programme du thérapeute. Cela ne peut
qu'entraîner des relations harmonieuses et la motivation du client. Trois notions fondamentales
Trois notions fondamentales doivent être communiquées au contrevenant :
-
les troubles affectifs et les perturbations du comportement sont causés principalement par
des processus mentaux (cognition) inappropriés, et non par des facteurs extérieurs;
-
les troubles affectifs, indépendamment de leur origine, se transforment en processus
mentaux nuisibles;
-
les changements durables ne se produisent habituellement qu'après un long travail qui vise
à changer les pensées et comportements inappropriés.
Ces notions sont particulièrement importantes, vu la tendance qui existe dans notre culture
à se poser en victime - lamentations, apitoiement sur soi-même, rejet de la
responsabilité sur les autres alors qu'on se prétend irréprochable. Ces
stratagèmes sanctionnés par notre culture, ainsi que la tendance des adolescents à
nier leur responsabilité, font qu'il est difficile pour les jeunes contrevenants d'assumer la
responsabilité de leur propre changement. C'est pourtant le point de départ de tout
changement au cours d'une thérapie. Changement «profond» Le dernier principe de la
thérapie comportementale rationnelle-émotive, et peut-être le plus important, est
que le thérapeute doit reconnaître qu'un changement «profond» est à la
fois possible et souhaitable. Il faut viser à obtenir un changement fondamental et durable
plutôt qu'un simple changement de comportement, ce qui suppose des changements dans les concepts
criminogènes et autodestructeurs fondamentaux du contrevenant.
L'implication pratique de ce principe est que les tactiques de diversion, comme la relaxation, les
pauses et le compte à rebours par dizaine, doivent être remplacées par des
méthodes qui mènent à des changements réels des processus mentaux.
Changement durable Les principes énoncés dans cet article fournissent un cadre
stratégique efficace pour les interventions cliniques auprès des jeunes contrevenants au
sein de la collectivité. Les suppositions que l'on fait couramment à propos de la
résistance quasi universelle des jeunes contrevenants à la thérapie semblent
dénuées de fondement. Pour travailler auprès de ce groupe, il faut en fait que le
thérapeute:
-
accepte le jeune contrevenant sans porter de jugement à son égard et prête une
attention spéciale aux buts hédonistes réfléchis que désire
atteindre son client;
-
établisse des rapports harmonieux avec le jeune contrevenant et le motive en axant ses
interventions pratiques, rapidement et de façon efficace, sur les buts
déterminés par le contrevenant lui-même;
-
éveille chez le jeune contrevenant un sentiment de responsabilité en lui
communiquant les trois notions fondamentales de cette approche;
-
évite d'utiliser les méthodes de diversion plus faciles et encourage des changements
plus radicaux chez cette clientèle.
Pour paraphraser le Dr Ellis, disons que le changement durable est difficile à réaliser
pour la plupart des gens, la plupart du temps. Cependant, l'utilisation de principes d'intervention
efficaces (tels que ceux qui sont décrits dans cet article) semble rendre la tâche plus
aisée pour un groupe aux problèmes particuliers, celui des jeunes contrevenants.
(1) W. Winogron, Ph. D., psychologue-conseil, 170, av. Laurier ouest,
pièce 912, Ottawa (Ontario) K1P 5V5.