L'expérience des parents de délinquants sexuels: analyse qualitative
Les chercheurs se sont beaucoup intéressés dernièrement aux infractions
sexuelles, aux délinquants sexuels et à leurs victimes. La plupart des études sont
axées sur les comportements sexuels et sur le traitement des agresseurs et des victimes. Peu de
travaux ont porté sur un autre groupe de victimes - les parents des délinquants
sexuels.
Ces parents sont eux aussi victimes de l'infraction. Ils éprouvent des sentiments intenses de
culpabilité, de douleur, de solitude et de désespoir face aux actes de leur enfant.
Pourtant, on n'à presque rien écrit sur la réaction des parents qui
découvrent que leur fils, est un délinquant sexuel.
Cet article constitue donc une première tentative pour comprendre ce que vivent les parents dont
l'enfant a commis une infraction sexuelle. Puisqu'il n'existe que peu d'écrits empiriques ou
théoriques sur le sujet, nous avons décidé de mener une étude qualitative,
car notre intention était d'élaborer des hypothèses, et non d'en mettre à
l'essai. Notre but était simplement d'en apprendre davantage sur ces parents, de sorte que les
thérapeutes disposent d'un cadre pour évaluer ce groupe de victimes
«cachées» et pour leur offrir un traitement. Méthode L'échantillon
était composé de cinq parents (quatre femmes et un homme) dont le fils avait
été reconnu coupable d'une infraction sexuelle. L'âge de ces personnes allait du
milieu de la trentaine au milieu de la soixantaine; nous les avons interviewées en l'absence de
leur conjoint, pour éviter que ce dernier influence l'expression de leurs pensées et de
leurs sentiments. Ces parents ont été référés par des travailleurs
locaux en santé mentale et nous les avons choisis parce que l'infraction commise par leur fils
comptait parmi les infractions sexuelles les plus courantes.
Les délinquants étalent des adolescents et des adultes qui avalent commis diverses
infractions sexuelles comme l'inceste, la violence homosexuelle ou hétérosexuelle à
l'égard d'enfants et l'agression sexuelle. Bien qu'ils aient été
déclarés coupables d'une seule infraction sexuelle, il est probable que chacun d'entre eux
avait commis plus d'une infraction de cette nature.
L'étude s'est déroulée en six étapes:
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Nous avons eu avec chaque parent une entrevue non structurée de deux heures. Nous avons
ensuite interviewé les parents en groupe.
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Nous avons regardé trois fois l'enregistrement vidéo de chaque entrevue pour
dégager nos impressions initiales en tant que chercheurs.
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Nous avons présenté aux parents ces réactions initiales pour obtenir leurs
commentaires et des précisions.
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Nous avons regardé trois fois les enregistrements des deuxièmes entrevues avant de
dresser une liste de thèmes.
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Nous avons passé en revue ces thèmes avec les parents pour vérifier s'ils
étaient pertinents, clairs et représentatifs.
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Nous avons regardé l'enregistrement vidéo de la dernière séance pour
voir s'il y avait lieu de modifier les thèmes. Nous avons aussi fait voir cet
enregistrement à un comité externe de spécialistes en matière
d'infractions sexuelles pour une vérification de fiabilité.
Points communs Au début, tous les parents se sentaient accablés, presque
obsédés, par leur fils et ses problèmes. Avec le temps, ils ont appris à
camoufler ces sentiments, mais leur préoccupation n'est pas disparue.
Les parents ont tous aussi essayé de comprendre les causes profondes du comportement de leur
fils. Leur première réaction a généralement été de chercher
des causes sociales, comme les scènes à caractère sexuel dans les films et les
émissions de télévision. Cependant, tous les parents ont fini par rejeter le
blâme sur eux-mêmes et sur la relation qu'ils ont eue avec leur enfant lorsque celui-ci
était jeune.
Au moment où les systèmes d'aide (comme le système de soins de santé
mentale et le système juridique) ont commencé à intervenir, les parents avaient
grand besoin de conseils et de soutien personnel. Toutefois, ils se croyaient méprisés par
tout le monde. Le contact avec les systèmes d'aide a donc tout simplement aggravé leur
détresse. Cependant, chacun des parents a fini par faire de grands efforts pour trouver de l'aide
pour son fils.
Tous les parents ont également admis qu'avant de découvrir l'infraction de leur fils, ils
croyaient fermement que les délinquants sexuels devaient être sévèrement
punis. Il n'est pas surprenant de constater que tous étaient devenus plus favorables à la
réadaptation qu'à l'emprisonnement.
Lorsque leur fils a été incarcéré, les parents étaient
psychologiquement prêts à parler avec celui-ci de l'infraction qu'il avait commise (et ils
en éprouvaient le besoin). Cependant, ils ont tous eu beaucoup de difficulté à le
faire.
Enfin, tous les parents ont déclaré avoir tellement pris à coeur les
problèmes de leur fils qu'ils ont eu tendance à négliger les autres membres de la
famille. Ils sont aussi obsédés par l'avenir et, dans une certaine mesure, par le risque
de rechute de leur enfant. «C'est comme s'il y avait une bombe à retardement et que le
compte à rebours était commencé», a déclaré un parent.
Étapes de la réaction Les parents dont le fils a commis une infraction sexuelle semblent
passer par plusieurs étapes. Nous en avons décelé quatre dans la
réaction.
Tous les parents ont d'abord ressenti profondément le caractère envahissant du
problème. Ils étaient presque incapables de s'intéresser à autre chose. Leur
famille et leur travail étaient devenus moins importants que la situation de leur fils. Le
système juridique a renforcé ce sentiment en les obligeant à fixer leur
pensée sur le problème pendant une période de temps prolongée, tout comme le
thérapeute qui leur conseillait de «faire face à leurs sentiments».
Ensuite, tous ont éprouvé un sentiment d'impuissance. Chacun s'est senti seul,
incompétent et vulnérable. Puis, les parents sont passés à une
troisième étape où ils ont mobilisé toute leur énergie pour aider
leur fils (par exemple, en trouvant des solutions sur le plan juridique). Bref, ils ont tous
retrouvé le sentiment de pouvoir améliorer la situation, pour eux-mêmes et pour leur
fils.
Enfin, les parents en sont arrivés à pouvoir se livrer à des activités qui
n'étalent pas liées aux problèmes de leur fils, comme prendre des vacances ou
renouer avec des amis ou d'autres membres de la famille. Répercussions sur le traitement Les
thérapeutes appelés à travailler auprès des parents de délinquants
sexuels devraient, au début des séances de counseling, passer en revue les
problèmes communs à tous les parents qui sont dans cette situation. Ils pourraient
alors
illustrer par des jeux de rôles diverses façons de réagir à certains
problèmes pour aider les parents à s'adapter à la situation.
Il importe également pour les thérapeutes de comprendre que les parents qui suivent un
traitement en sont probablement à l'une des quatre étapes de la réaction et qu'ils
doivent terminer le travail de chaque étape avant de passer à la suivante. Les recherches
futures La portée de notre étude était limitée à plusieurs
égards. Tout d'abord, la taille réduite de l'échantillon interdit de
généraliser les résultats. Il est possible que les étapes traversées
par l'échantillon soient particulières au groupe de l'étude. Dans le même
ordre d'idées, il est aussi possible qu'un biais lié à l'intervieweur ait
influencé les résultats.
De plus, il s'agit d'une étude rétrospective. Tous les parents en étaient en effet
à la dernière étape de la réaction et ils ont donc surtout décrit des
expériences et des sentiments du passé. Il faudrait, dans les recherches futures,
interroger des parents qui en sont aux diverses étapes de l'expérience.
Des travaux plus approfondis sur les parents de délinquants sexuels permettront non seulement
d'obtenir des données utiles aux thérapeutes qui s'occupent de ces personnes, mais aussi
de mieux comprendre la dynamique de la famille dans ce genre de cas. À l'avenir, les
études qualitatives et quantitatives devraient donc porter sur l'ensemble de la famille, de
façon à étudier aussi bien l'expérience individuelle que les interactions
familiales.
Les parents des enfants qui commettent des infractions sexuelles sont eux aussi des victimes. Ces
victimes reçoivent toutefois peu de soutien, alors qu'elles éprouvent des sentiments
intenses de culpabilité, de douleur et d'impuissance. Il faut espérer que, lorsque l'on
comprendra mieux la souffrance de ces victimes oubliées, on veillera à leur fournir les
soins et les services de counseling nécessaires pour atténuer leur douleur.
Adapté de SMITH, B.J. et TREPPER, T.S., «Parents' Experience When Their
Sons Sexually Offend: A Qualitative Analysis», Journal of Sex Education and Therapy, vol.
18, no 2, 1992, p. 93-103.