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Les modes d'apprentissage des détenus

Face à des prisons de plus en plus surpeuplées et à des budgets correctionnels qui ne cessent de fondre, nombreux sont ceux qui croient qu'en améliorant les programmes d'éducation offerts aux détenus on réussirait peut-être à les empêcher de se retrouver une fois de plus «à l'ombre».

Dans le domaine de l'éducation des détenus, on a généralement adopté, jusqu'à maintenant, une approche très centrée sur l'individu. On administrait des tests à chaque détenu pour déceler ses lacunes particulières, puis on traçait un plan d'études visant à les combler. Les programmes d'éducation offerts en milieu carcéral privilégient un mode d'enseignement centré sur l'élève parce que, dans la plupart des cas, les détenus peuvent s'y inscrire ou s'en retirer. En outre, les détenus ont tendance à considérer l'enseignant comme leur seule source d'information en raison de l'environnement autoritaire dans lequel ils évoluent. Cette perception est renforcée par le fait que la liberté de choisir ses professeurs ou ses cours est limitée, la clientèle scolaire en prison étant peu nombreuse.

Il faut cependant se demander si l'enseignement centré sur l'élève est compatible avec les modes d'apprentissage des détenus. D'après les théoriciens de l'apprentissage, lorsque le mode d'enseignement du professeur est compatible avec le mode d'apprentissage de l'élève, les résultats scolaires sont meilleurs. On pourrait donc, en comprenant mieux les conditions dans lesquelles les détenus assimilent des connaissances, améliorer la formation qui leur est offerte en prison et réduire la récidive.

Des chercheurs ont analysé les modes d'apprentissage préférés des étudiants de niveau universitaire, mais on n'a pas encore cherché à savoir si les modes d'apprentissage des détenus étaient compatibles avec les modes d'enseignement utilisés en milieu carcéral. Or' les études générales ont révélé qu'une divergence entre le mode d'apprentissage et le mode d'enseignement peut être source de mécontentement ou de mésadaptation. Par conséquent, en offrant aux détenus des modes d'enseignement qui ne correspondent pas à leurs modes d'apprentissage, il se peut que, loin de réduire la récidive, on aggrave le problème.

Cet article résume une étude récente qui visait à fournir un élément de réponse à cette question en déterminant le mode d'apprentissage des détenus. Le but de cette étude se limitait à recueillir des données sur le mode d'apprentissage des détenus, données qui pourraient servir de base à d'autres recherches. Méthodologie L'étude reposait sur l'hypothèse que les détenus préfèrent une méthode en particulier pour l'acquisition de nouvelles connaissances. Les tests distinguaient quatre grands modes d'apprentissage par l'écoute, par la lecture, par l'image (mode iconique) et par l'expérience directe (voir le tableau 1). On tenait également compte du niveau de scolarité (détenus qui fréquentaient une école secondaire ou un établissement universitaire, ou qui avaient cessé leurs études au moment de leur incarcération) et de la nature de la principale infraction.

Tableau 1

Modes d'apprentissage
Mode d'apprentissage
Définition
Écoute Assimilation de nouveaux éléments
d'information par l'audition (p. ex. cours
magitraux, discours et bandes sonores).
Lecture Assimilation d'information écrites et lecture de
textes divers (p. ex. brochures et manuels
scolaires).
Iconique Interprétation de graphiques de tableaux, de
diapositives, d'illustrations, etc.
Expérience directe Apprentissage par le pratique, par exemple
dans le cadre de laboratoires et de sorties
éducatives.

L'étude portait sur un échantillon de 120 détenus de sexe masculin de la prison d'Êtat de l'Utah, qui avaient été choisis pour participer au projetHorizons, un programme de réduction de la récidive. Les délinquants sexuels et les détenus atteints de défidences intellectuelles ou de troubles mentaux ne peuvent suivre ce programme. Pour pouvoir s'y inscrire, les détenus doivent être à au moins 10 mois et à au plus 3 ans de leur date d'admissibilité à la libération conditionnelle.

Les auteurs de l'étude ont utilisé un inventaire des modes d'apprentissage (Canfield's Learning Styles Inventory). Cet instrument psychométrique est un questionnaire très structuré qui décompose l'élément motivationnel en quatre grandes catégories et dresse une typologie de l'apprentissage. Il s'agit d'un test papier-crayon d'auto-évaluation pouvant être administré individuellement ou en groupe. On présente au répondant 30 énoncés en lui demandant d'indiquer dans quelle mesure chacun décrit ses réactions ou ses émotions.

On a remis aux détenus le questionnaire assorti d'une lettre de présentation, en leur demandant de ne pas inscrire leur nom mais d'indiquer s'ils fréquentaient une école secondaire ou une université au moment de leur arrestation. On leur a aussi demandé la nature de l'infraction qu'ils avaient commise. Par la suite, on a procédé à une distribution de fréquences et à une analyse statistique sur tous les résultats obtenus, afin de déterminer si un mode d'apprentissage prédominait ou était en corrélation avec la scolarité ou le type d'infraction. Principales constatations La distribution des fréquences entre les quatre méthodes d'acquisition de nouvelles connaissances a révélé, de façon significative, que les détenus avaient une faible préférence pour le mode d'apprentissage iconique (plus d'un écart-type au-dessous des scores t l'emportait chez les détenus). En effet, des 43 questionnaires remplis, 22 dénotaient une faible préférence pour ce mode d'apprentissage (voir le tableau 2).

Tableau 2

Préferences des détenus quant au mode d'apprentissage (43 détenus)
Mode
d'apprentissage
Faible
préférence
Préférence
modérée
Forte
préférence
Écoute
5%
72%
23%
Lecture
9%
61%
30%
Iconique
51%
35%
14%
Expérience directe
23%
63%
14%
Remarque: "Faible préférence" signifie plus d'un écart-type au-dessous du score t
moyen. "Préférence modérée" signifie moins d'un écort type en dessous du score t
moyen. "Forte préférence" signifie plus d'un écort type au dessous du score t moyen.

Il ressort de ces résultats que la plupart des détenus préféraient les trois autres modes d'apprentissage au mode iconique. Il n'y avait pas de différence significative entre les trois autres modes d'apprentissage.

Fait intéressant, en croisant les données relatives au mode d'apprentissage et à la scolarité, on a constaté qu'aucun des détenus ayant une formation universitaire ne manifestait de faible préférence pour l'écoute comme mode d'apprentissage ni de forte préférence pour l'expérience directe. Le croisement des données relatives au mode d'apprentissage et au type d'infraction n'a révélé aucune différence significative, sans doute en raison du petit nombre de répondants par rapport au nombre d'infractions. Analyse Le résultat qui ressort le plus clairement est que plus de la moitié des répondants ont déclaré que le mode iconique d'apprentissage était celui qu'ils aimaient le moins. Les enseignants qui travaillent en milieu carcéral devraient en tenir compte au moment de choisir leurs méthodes didactiques.

Quant au niveau de scolarité, il se peut que les détenus qui ont fait des études universitaires aient une préférence modérée ou forte pour l'écoute simplement parce que les cours magistraux sont le mode d'enseignement prédominant à l'université. Ces étudiants ne détestent probablement pas, dans l'ensemble, apprendre par l'écoute, ou du moins ils s'y sont adaptés, si bien que ce mode d'apprentissage n'est pas celui qui leur répugne le plus. Par ailleurs, aucun des détenus qui avaient fait des études universitaires n'a indiqué de forte préférence pour l'expérience directe comme mode d'apprentissage. Cela peut également s'expliquer par le fait qu'à l'université, on assimile des connaissances principalement en suivant des cours magistraux. Il est possible qu'ils se soient adaptés aux cours magistraux ou à la lecture avant d'avoir eu l'occasion d'apprendre par l'expérience pratique.

D'après les résultats d'un test khi-deux effectué sur les quatre modes d'apprentissage, les préférences exprimées par les détenus pour la lecture (7,97;p < 0,05) et le mode iconique (44,38;p < 0,001) différaient de façon significative de celles de la population de standardisation. Cela laisse croire que les détenus se distinguent sensiblement de la population en général par leur préférence pour la lecture et l'interprétation d'images comme modes d'acquisition de nouvelles connaissances.

Certaines mises en garde s'imposent cependant. Premièrement, il convient de rappeler que cette étude repose sur un petit échantillon, même si le pourcentage de questionnaires retournés était supérieur à 35 %. Deuxièmement, il faut tenir compte de la possibilité que les détenus n'aient pas répondu franchement aux questions, de l'incidence possible de la religion particulière pratiquée dans l'Utah et du fait que différentes variables socio-économiques, raciales, régionales ou autres ont pu fausser les résultats.



Adapté de FELTON, T. L. «The Learning Modes of an Incarcerated Population». Journal of Correctional Education, vol. 45, n° 3, 1994, p. 118-121.