Le traitement des délinquants sexuels atteints de déficiences mentales
Les délinquants atteints de deficiences mentales (difficultés psychosociales,
difficultés d'apprentissage ou retard mental), comme bien des personnes qui souffrent de
problèmes mentaux, fréquentent beaucoup les hôpitaux, les organismes de services
communautaires et les établissements correctionnels.
Ces délinquants peuvent être exclus de certains programmes de traitement parce qu'ils sont
retardés, analphabètes ou impulsifs, ou encore parce que leurs aptitudes sociales sont
insuffisantes. Si toutefois ils sont admis dans un programme ordinaire de traitement des
délinquants sexuels, le risque de récidive ne s'en trouvera pas réduit de beaucoup
dans leur cas puisque l'on n'aura pas tenu compte de leurs besoins particuliers en matière de
traitement.
Les délinquants atteints de deficiences mentales ne sont pourtant pas des cas
désespérés. Simplement, ils n'ont pas bénéficié du traitement
dont ils auraient eu besoin jusqu'à ce que l'on s'aperçoive que les programmes classiques
offerts aux délinquants sexuels ne leur réussissaient pas, et que l'on crée le
programme Northstar au centre de santé régional (Pacifique), voilà plus de sept
ans.
Le programme Northstar est conçu pour répondre à une bonne partie des besoins de
ces délinquants à l'aide de diverses techniques d'intervention: thérapie
psychopédagogique, réorientation de l'appétit sexuel, traitement
personnalisé. Dans cet article, nous examinons les raisons pour lesquelles les délinquants
sexuels atteints de deficiences mentales nécessitent ce type de traitement
spécialisé, ainsi que les méthodes d'intervention qui sont utilisées dans
leur cas. En quoi les délinquants sexuels atteints de déficiences mentales
diffèrent-ils des autres délinquants sexuels? La majorité des délinquants
sexuels atteints de déficiences mentales rencontrés dans les établissements
correctionnels n'entrent pas dans les catégories du retard mental profond ou grave, mais dans
celles du retard moyen ou léger
(2).
En fait, ils ne sont pas tous retardés mentalement selon les tests d'intelligence. Par exemple,
certains d'entre eux ont des difficultés psychosociales (manque de connaissances et d'aptitudes
sociales) ou ont du mal à prendre conscience de leurs problèmes de comportement, mais leur
quotient intellectuel varie de faible à moyen. En général, toutefois, leurs
facultés intellectuelles sont inférieures à celles des délinquants sexuels
«normaux».
On estime que jusqu'à 74 % des délinquants sexuels atteints de déficiences
mentales souffrent d'un syndrome organique cérébral causé par une lésion au
cerveau. Ces mêmes sujets sont plus déficients que les autres parce que cette lésion
accroît encore leurs difficultés d'apprentissage.
Les lésions cérébrales peuvent également causer divers problèmes:
désinhibition sexuelle, hypersexualité, changement d'orientation sexuelle, facultés
de raisonnement abstrait limitées, incapacité de classer les événements dans
l'ordre chronologique, mémoire limitée, agressivité, tempérament explosif,
problèmes anxieux
(3).
Outre cette forte probabilité de lésion cérébrale, les délinquants
sexuels atteints de déficiences mentales sont plus susceptibles que les autres délinquants
sexuels de souffrir de problèmes de toxicomanie et de déviance sexuelle. Et ces
problèmes se trouvent exacerbés du fait de leurs facultés intellectuelles
limitées.
Les délinquants sexuels atteints de déficiences mentales présentent encore
d'autres particularités, dont certaines semblent des facteurs supplémentaires de
risque.
Par exemple, bien qu'ils commettent les mêmes infractions que les autres délinquants
sexuels, les délinquants sexuels atteints de déficiences mentales sont souvent plus
opportunistes et impulsifs, tant dans leur comportement quotidien que dans leurs agissements criminels.
En outre, d'une manière générale, ils font moins de victimes, ne cherchent pas
à établir des liens étroits avec celles-ci (et les choisissent au hasard d'une
rencontre plutôt que parmi leurs proches) et n'ont pas de préférences quant à
l'âge, le sexe ou l'apparence physique de leurs victimes.
Comme ils ne s'en prennent pas à un type précis de victime, il est plus difficile de
prévoir leur comportement prédateur.
Ces délinquants sexuels ont également tendance, dans leurs agressions, à recourir
à la violence
instrumentale (menaces ou manifestations de violence suffisantes pour
intimider la victime) plutôt qu'à la violence
expressive (blessures infligées
pour provoquer l'état d'excitation recherché) parce qu'ils ont plus de difficultés
à intimider leurs victimes par des menaces verbales.
Les délinquants sexuels atteints de déficiences mentales s'en prennent
généralement à des personnes de petite taille, susceptibles de se laisser faire
sans protester (passives) et peu
capables de se défendre
(4).
Il semble qu'en raison de leurs aptitudes sociales déficientes (et de l'absence de rapports
intimes avec d'autres qui en résulte), la plupart de ces délinquants sont des hommes
solitaires qui s'adonnent de façon immodérée à la rêverie et à
la masturbation - contrairement aux autres délinquants sexuels.
Par ailleurs, ils se perçoivent comme des victimes, sont incapables de comprendre les besoins
d'autrui et ont tendance à penser que leur seule erreur a été de se faire prendre.
En outre, ils ont généralement une faible estime de soi, leurs parents et leurs pairs les
ayant souvent ridiculisés dans leur enfance et leur adolescence.
Une proportion importante des délinquants sexuels atteints de déficiences mentales ont
été eux-mêmes victimes d'agressions sexuelles. D'autre part, leur famille minimise
souvent la gravité de leurs infractions et le risque qu'ils présentent pour les autres, ce
qui les conforte dans l'idée qu'ils sont eux-mêmes des victimes, et que la peine qui leur a
été infligée est trop sévère
(5).
Enfin, ils ne savent pas s'affirmer, pour la plupart, et se plient donc régulièrement aux
exigences de leurs pairs.
En résumé, il semble qu'en dépit de certaines similitudes, les délinquants
sexuels atteints de déficiences mentales aient des problèmes et des besoins en
matière de traitement plus complexes que ceux des autres délinquants sexuels, et qu'il
faille les ranger dans la catégorie des délinquants à risque et à besoins
élevés
(6). Méthodes de traitement Le programme Northstar vise à
répondre aux besoins criminogènes des délinquants sexuels atteints de
déficiences mentales au moyen d'une gamme très variée de méthodes de
traitement. Toutes les composantes du programme sont étayées par des études
démontrant leur efficacité auprès de ce groupe de délinquants.
Une équipe multidisciplinaire est responsable de la mise en oeuvre des diverses composantes du
programme. En effet, il a été établi que le meilleur moyen d'aider les
délinquants visés à changer leur comportement consiste à les faire
participer à des modules variés animés par divers spécialistes.
Le programme combine donc séances individuelles, thérapies comportementales,
interventions médicales, activités thérapeutiques auxiliaires et modules de
thérapie de groupe (voir le tableau 1). Il s'échelonne sur trois trimestres.
Tableau 1
Les modules de thérapie de groupe
du programme Northstar |
Premier trimestre |
Deuxiéme trimestre |
Troisiéme trimestre |
Éducation sexuelle |
Aptitude sociales |
Toxicmanie |
Révision des butts |
Révision des butts |
Révision des butts |
Communication |
Communication |
Communication |
Préoccupation personnelles |
Préoccupation personnelles |
Préoccupation personnelles |
Maîrise de la colére |
Maîrise de la colére |
Résolution de probleme |
Révélation |
Cycle du comportement criminel |
Prévention des rechutes |
Déviance sexuelle |
Corriger la déviance |
Empathie à l'égard de la
victime |
Prendre conscience
de ses sentiments |
Maîtrises sentiments |
Vivre sans violence |
Remarque: Un trimestre = trois mois |
Les divers modules de thérapie de groupe, qui sont fondés sur la théorie de
l'apprentissage social et suivent un ordre logique, visent à faire adopter aux délinquants
un nouveau comportement plus adaptatif et plus valorisant.
Par exemple, le module sur la maîtrise de la colère se déroule en trois phases:
acquisition de connaissances sur la nature de la colère; apprentissage des techniques de
maîtrise de la colère par l'analyse de problèmes courants et de solutions possibles;
application de ces techniques aux situations vécues avant l'incarcération.
Les modules portant sur la déviance sexuelle, les sentiments, l'empathie à l'égard
de la victime, les aptitudes sociales et l'éducation sexuelle se déroulent de la
même manière: acquisition de connaissances élémentaires et application de ces
connaissances à des aspects importants de la vie passée ou actuelle.
Comme ces délinquants ont des facultés cognitives limitées, on s'en tient à
un langage simple. Ainsi, les décisions insignifiantes en apparence deviennent «les erreurs
de pensée», l'effet de manquement à l'abstinence devient «l'effet du
je-m'en-foutisme», et les distorsions cognitives deviennent les «excuses».
L'un des volets du programme comporte trois modules: révélation, cycle du comportement
criminel et prévention des rechutes. Le premier offre aux délinquants l'occasion de
décrire, librement et à leur manière, en quoi consistait leur infraction. On
utilise une série de questions uniformisées pour repérer les différences
entre la version des faits officielle et celle du délinquant. Cet exercice, qui permet à
chaque participant d'exprimer ses pensées et ses émotions (y compris celles qu'il
minimise), est d'une très grande utilité pour préparer le terrain en vue de
l'exercice suivant.
Le module consacré au cycle du comportement criminel consiste à expliquer - en termes
faciles à comprendre - les facteurs de risque et les tendances cognitivo-comportementales qui
caractérisent les actes criminels commis. Enfin, le module sur la prévention des rechutes
vise à aider le délinquant à reconnaître les signes précurseurs d'une
crise - ou facteurs de risque - et à y faire face.
Trois modules, qui portent respectivement sur les préoccupations personnelles, la communication
et la révision des buts, s'échelonnent sur les trois trimestres. Le premier fournit
l'occasion d'apprendre et de mettre en pratique les techniques de résolution de problèmes.
Le deuxième est un programme d'apprentissage systématique et structuré qui aide le
délinquant à bien communiquer avec les diverses personnes qu'il rencontre quotidiennement.
Le troisième vise à aider le délinquant à se fixer des buts
réalistes, à atteindre dans un délai offrant de bonnes chances de
succès.
D'autres méthodes thérapeutiques sont utilisées, telles que séances
individuelles centrées sur un problème particulier et destinées à renforcer
les connaissances acquises dans les modules en groupe; contrats de comportement visant à
remédier à des déficits ou problèmes comportementaux particuliers;
auto-surveillance; réorientation de l'appétit sexuel; administration de médicaments
inhibiteurs de la pulsion sexuelle. Viennent s'y ajouter des thérapies auxiliaires (horticulture,
activités artistiques, études et loisirs) qui favorisent le développement des
aptitudes et permettent au délinquant d'expérimenter d'autres types de comportement. Les
principes sous-jacents Le programme Northstar est fondé sur plusieurs grands principes. Chaque
module ou thérapie doit être solidement étayé par des études
approfondies démontrant son efficacité auprès des délinquants sexuels
atteints de déficiences mentales.
Les notions abordées doivent être simples et bien expliquées; elles doivent
également être souvent mises en pratique et constamment renforcées par
différents thérapeutes au moyen de diverses méthodes d'intervention. Comme les
clients du programme sont dépendants et exigeants, les relations avec eux doivent être bien
gérées.
Enfin, les personnes responsables du suivi dans la collectivité doivent être bien
informées des besoins de ces délinquants en matière de traitement et de
l'évolution de leur cas, pour que les progrès accomplis ne s'arrêtent pas là.
En suivant ces règles, et en répondant mieux, de ce fait, aux besoins en matière de
traitement des délinquants sexuels atteints de déficiences mentales, on peut
espérer compter moins de cas d'«échec» parmi ces derniers.
(1)Centre de santé régional (Pacifique), Service correctionnel
du Canada, C. P. 3000, Abbotsford (Colombie-Britannique) V25 4P4.
(2)MURPHY, W. D., COLEMAN, E. M. et HAYNES, M. R., «Treatment and Evaluation Issues
with the Mentally Retarded Sex Offender»,
The Sexual Agressor: Current Perspectives on
Treatment, sous la direction de J. G. Greer et I. R. Stuart, New York, Van Nostrand Reinhold
Company, 1983.
(3)HAAVEN, J., LITTLE, R. et PETRE-MILLER, D.,
Treating Intellectually Disabled Sex
Offenders: A Model Residential Program, Orwell, The Safer Society Press, 1990.
(4)LANE, S. L., «Special Offender Populations
», Juvenile Sexual Offending:
Causes and Consequences, sous la direction de G. D. Ryan et S. L. Lane, Lexington, Lexington Press,
1991, p. 220-332.
(5)SCHOEN, J. et HOOVER, J. H., «Mentally Retarded Sex Offenders»,
Journal of
Offender Rehabilitation, vol. 16, nos 1, 2, 1990, p. 81-91.
(6)ANDREWS, D. A., BONTA, J. et HOGE, R. D., «Classification for Effective
Rehabilitation: Rediscovering Psychology»,
Criminal Justice and Behaviour, n° 17, 1990,
p. 19-52.