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Facteurs qui contribuent à l'efficacité du programme de développement des aptitudes cognitives

Le programme de développement des aptitudes cognitives est la composante de base des programmes d'acquisition de compétences psychosociales qui ont été introduits par le Service correctionnel du Canada en 1988. Il s'agit d'une combinaison de plusieurs techniques de pointe qui visent à montrer aux délinquants à exercer un jugement critique leur permettant d'adopter un style de vie exempt de crime.

Cet article résume une recherche qui a été effectuée récemment auprès de délinquants ayant été mis en liberté. Comme l'étude porte sur un échantillon assez grand de délinquants qui ont participé à des programmes, nous avons pu analyser l'incidence de divers facteurs sur l'efficacité de ce genre de programmes(2). Les résultats de l'étude corroborent les conclusions d'autres études sur les facteurs (y compris les caractéristiques des délinquants et les variables des programmes) qui contribuent à l'efficacité des programmes.

Éléments fondamentaux du programme

Les animateurs qui dispensent le programme de développement des aptitudes cognitives doivent entreprendre un processus intensif de formation et d'accréditation. Les participants sont également évalués et choisis avec soin; des méthodes fondées sur le modèle cognitivo-comportemental sont associées aux modes d'apprentissage des délinquants.

Parmi les problèmes visés par le programme, mentionnons l'impulsivité, l'absence de perspective sociale, les aptitudes déficientes en matière de résolution de problèmes interpersonnels, l'insuffisance de raisonnements concrets, des capacités de planification inadéquates et l'incapacité de se fixer des objectifs(3).

Méthode

Pour l'étude, on a eu recours à un groupe témoin composé de délinquants qui se trouvaient sur une liste d'attente. Avant de pouvoir participer au programme, ces délinquants avaient subi une évaluation, puis ils avaient été placés au hasard sur la liste d'attente. L'échantillon global comptait 2 125 délinquants, c'est-à-dire 379(4) pour le groupe témoin et 1 746 pour le groupe de participants au programme. Tous les délinquants de l'échantillon ont fait l'objet d'un suivi d'au moins 12 mois après leur mise en liberté.

La plupart des variables démographiques (comme l'âge et le statut autochtone) et des variables liées aux antécédents criminels (comme les admissions antérieures dans un établissement fédéral et le type d'admission) étaient comparables pour les deux groupes. Toutefois, le groupe témoin comptait un nombre inférieur de délinquants purgeant une peine d'emprisonnement à perpétuité et un taux supérieur de délinquants non violents ayant commis des infractions contre les biens et de délinquants purgeant une peine de courte durée. On a eu recours à des contrôles statistiques pour corriger les effets possibles de ces différences.

Réincarcération

Dans l'ensemble, 47,4 % des délinquants de l'échantillon ont été réincarcérés dans un établissement fédéral au cours de l'année qui a suivi leur mise en liberté ­ 21,9 % à la suite d'une nouvelle infraction. Ce taux élevé de récidive illustre le risque relativement élevé que présentent les délinquants de l'échantillon. Le programme de développement des aptitudes cognitives vise en général les délinquants qui présentent un risque élevé de récidive.

En gros, 44,5 % des délinquants qui ont suivi le programme jusqu'à la fin ont été réincarcérés (graphique 1), comparativement à 50,1 % des délinquants du groupe témoin et à 58,2 % de ceux qui ont abandonné le programme (17,3 % de l'ensemble de l'échantillon). La différence (p<0,05) entre les délinquants qui ont suivi le programme et ceux du groupe témoin représente une baisse de 11 % pour les délinquants qui ont terminé le programme.

La diminution du taux de réincarcération pour une nouvelle infraction est encore plus importante ­ le taux de récidive a diminué de 20 % (p<0,03) chez les délinquants qui ont terminé le programme. Cependant, le programme ne semble pas avoir eu d'effet significatif sur la réincarcération pour violation d'une condition de la mise en liberté.

Toutefois, d'après les contrôles statistiques, les effets étaient moindres lorsqu'on prenait en considération les différences entre les variables liées aux antécédents criminels pour les deux groupes.

Graphique 1

Figure 1

Ces chiffres révèlent également que le taux de récidive des délinquants qui ont abandonné le programme en cours de route était supérieur à celui des délinquants qui ont terminé le programme. Pourquoi? Peut-être les décrocheurs étaient-ils tout simplement des délinquants présentant un risque plus élevé. Environ les deux tiers de ces délinquants ont abandonné le programme par manque d'intérêt ou parce qu'ils avaient un comportement perturbateur. De plus, il se peut que les décrocheurs n'aient pas bénéficié pleinement du programme en raison de leur départ précoce.

Certains chercheurs pourraient soutenir qu'il faudrait évaluer l'efficacité du programme en comparant directement le taux de récidive de l'ensemble des participants (y compris les décrocheurs) avec celui du groupe témoin. Les décrocheurs sont habituellement des délinquants qui présentent un risque plus élevé que les autres; par conséquent, leur élimination du groupe de participants pourrait diminuer le profil de risque de ce groupe et le rendre moins comparable au groupe témoin. Par ailleurs, d'autres chercheurs pourraient soutenir que les décrocheurs ne devraient pas être inclus, étant donné que ceux-ci n'ont pas été pleinement exposés au programme et qu'ils compromettent la validité interne de l'étude. On trouvera les deux méthodes de comparaison dans le rapport complet de cette étude. Il est vrai qu'en incluant les décrocheurs, les effets du programme sont dilués. Cependant, les tendances de base demeurent les mêmes.

Niveau de risque des délinquants

Même si le programme semble avoir eu un effet modéré sur le taux de récidive, il s'est avéré plus efficace à l'égard de certains types de délinquants, mais n'a eu aucun effet appréciable sur d'autres. À titre d'exemple, les délinquants étaient divisés en deux groupes : à faible risque et à risque élevé(5). Ces derniers semblent avoir peu bénéficié du programme. En revanche, chez les délinquants à faible risque, le taux de réincarcération a diminué de 20 % (p<0,04) et le taux de récidive, de 34,2 % (p<0,03).

Ces données concordent avec celles d'autres études révélant que les programmes sont les plus efficaces pour les délinquants à risque moyen et élevé, mais pas nécessairement pour ceux qui présentent le risque le plus élevé de récidive(6).

Caractéristiques du programme

Les effets du programme semblent également avoir été différents selon qu'il était dispensé en établissement ou dans la collectivité. Le taux de réincarcération des délinquants ayant suivi le programme dans la collectivité a diminué de 39,1 % (p<0,001) et le taux de récidive, de 66,3 % (p<0,001). En revanche, la baisse des taux de réincarcération et de récidive chez les délinquants qui ont suivi le programme en établissement n'a été que de 8 et de 16,2 % respectivement (graphique 2)(7). Cette disparité concorde avec les conclusions d'autres études(8).

Même si le taux d'abandon des programmes dispensés dans la collectivité était élevé (55 décrocheurs sur un total de 186 participants), les effets du programme se sont avérés bénéfiques même lorsqu'on a regroupé les décrocheurs avec ceux qui ont terminé le programme (p<0,02; p<0,001). En outre, les programmes dispensés dans la collectivité semblent diminuer la récidive même chez les délinquants présentant le risque le plus élevé.

Graphique 2

Figure 2

Types d'infractions

Le taux de récidive des délinquants violents, des délinquants sexuels et des délinquants ayant commis une infraction en matière de drogue qui ont terminé le programme était inférieur à celui des délinquants du groupe témoin (graphique 3). Toutefois, dans le cas des délinquants condamnés pour vol qualifié et des délinquants non violents ayant commis une infraction contre les biens (ces délinquants avaient tendance à présenter un taux de risque très élevé), le fait d'avoir terminé le programme n'a produit aucun effet statistiquement significatif.

La diminution du taux d'incarcération chez les délinquants sexuels, les délinquants violents et les délinquants ayant commis une infraction en matière de drogue se situait entre 18,5 et 39,4 % (p<0,02; p<0,006), tandis que la baisse du taux de récidive se situait entre 35,3 et 57,8 % (p<0,03; p<0,001). Les délinquants sexuels semblaient avoir tiré les plus grands bienfaits du programme; mentionnons cependant qu'environ 30 % de ce groupe avaient reçu un traitement destiné aux délinquants sexuels avant de participer au programme de développement des aptitudes cognitives.

Analyse

Des études menées antérieurement sur les effets des programmes sur la récidive ont conclu à une réduction moyenne d'environ 10 % du taux de récidive(9). Cependant, il n'y a pas eu beaucoup de recherches sur les effets des programmes sur les délinquants qui présentent un risque élevé comme ceux que l'on trouve dans l'échantillon de la présente étude. Même si le programme de développement des aptitudes cognitives n'a pas diminué le taux de récidive de tous les sujets de l'échantillon, la baisse de ce taux chez certains groupes de délinquants a dépassé la moyenne des effets habituels des programmes. L'étude actuelle fournit des évidences optimistes quant à l'effet du programme auprès des délinquants présentant un risque élevé.

Les résultats de l'étude donnent aussi à penser qu'il faudrait se pencher davantage sur les questions liées à la sélection des participants et à l'affectation aux programmes. Il est évident que le système d'exécution des programmes doit être adapté aux besoins des délinquants présentant le risque le plus élevé. À titre d'exemple, on pourrait tirer parti du fait que le programme dispensé dans la collectivité peut avoir des effets plus grands. Il est peut-être préférable d'offrir le programme aux délinquants présentant le risque le plus élevé durant leur incarcération, question de susciter la motivation nécessaire. Toutefois, ce programme initial pourrait être suivi d'une formation supplémentaire après la mise en liberté.

La région du Pacifique a conçu un programme de développement des aptitudes cognitives «d'appoint» afin de répondre aux besoins des délinquants qui devraient poursuivre le programme après leur mise en liberté. On pourrait inciter les délinquants à risque élevé à poursuivre le programme en en faisant une condition de la libération conditionnelle.

Toutefois, comme les délinquants sont plus susceptibles de suivre des programmes pendant qu'ils sont incarcérés (en raison de leur désir d'obtenir la libération conditionnelle), les établissements correctionnels devraient demeurer l'endroit qui permet le contact initial avec le programme.

Les recherches ultérieures mettront sans doute en lumière d'autres facteurs qui augmentent l'efficacité des programmes. Une série de projets visant à évaluer d'autres composantes du programme d'acquisition de compétences psychosociales du Service sont actuellement en cours. Parmi ces projets, mentionnons les recherches sur les programmes (comme les programmes de compétences parentales et de maîtrise de la colère et des émotions) qui sont fondés sur le modèle cognitif pour la réadaptation des délinquants.


(1 )340, avenue Laurier ouest, 2(e) étage, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.

(2 )ROBINSON, D., L'incidence du Programme de développement des aptitudes cognitives sur la récidive après la mise en liberté chez les délinquants sous responsabilité fédérale au Canada, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1995.

(3 )PORPORINO, F.J., FABIANO, E. et ROBINSON, D., Pour que la réinsertion sociale soit un succès, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1991.

(4 )Pour éviter de refuser l'accès au programme aux délinquants admissibles, on a donné la possibilité à tous les délinquants affectés au hasard au groupe témoin de participer au programme à une période ultérieure. On les a admis en priorité dans le programme s'ils étaient toujours disponibles lorsque le programme a été offert de nouveau. Par conséquent, le nombre de délinquants formant le groupe témoin a diminué d'environ 25 % avec le temps. Toutefois, aucun des 379 délinquants n'a suivi le programme avant sa mise en liberté.

(5 )Il serait mieux de considérer le groupe de délinquants à faible risque comme étant à risque moyen, étant donné le risque élevé que présentent les délinquants sous responsabilité fédérale qui ont des problèmes cognitifs graves. Pour déterminer le risque, on a eu recours à une échelle semblable à l'Échelle d'information statistique sur la récidive. Voir NUFFIELD, J., La libération conditionnelle au Canada : recherches en vue d'une normalisation des décisions, Ottawa, Solliciteur général du Canada, 1982.

(6 )ANDREWS, D.A., BONTA, J. et HOGE, R.D., «Classification for effective rehabilitation: Rediscovering psychology», Criminal Justice and Behaviour, n(o) 17, 1990, p. 19-52.

(7 )Étant donné qu'on n'a pu créer un groupe témoin (liste d'attente) assez important pour les programmes dispensés dans la collectivité, on a utilisé le groupe témoin établi pour l'étude aux fins de la comparaison. Même si les participants aux programmes dispensés dans la collectivité et en établissement étaient semblables à bien des égards, on a eu recours à des contrôles statistiques pour rendre plus semblables le groupe des participants au programme dans la collectivité et le groupe témoin. Des effets statistiquement significatifs ont néanmoins persisté.

(8 )ANDREWS, D.A., ZINGER, I., HOGE, R.D., BONTA, J., GENDREAU, P. et CULLEN, F.T., «Does correctional treatment work? A clinically relevant and psychologically informed meta-analysis», Criminology, n(o) 28, 1990, p. 369-404. Voir aussi IZZO, R.L. et ROSS, R.R., «Meta-analysis of rehabilitation programs for juvenile delinquents: A brief report», Criminal Justice and Behaviour, n(o) 17, 1990, p. 134-142. Voir LOSEL, F., «The efficacy of correctional treatment: A review and synthesis of meta-evaluations», What Works: Reducing Reoffending, J. McGuire, dir., Chichester, John Wiley & Sons, 1995, p. 79-111.

(9 )LIPSEY, M.W., «What do we learn from 400 research studies on the effectiveness of treatment with juvenile delinquent?», What Works: Reducing Reoffending, J. McGuire, dir., Chichester, John Wiley & Sons, 1995, p. 63-78.