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Facteurs associés à la réinsertion sociale des délinquants autochtones

Les chefs autochtones et les représentants de la justice savent que les Autochtones sont surreprésentés au sein du système de justice pénale. En général, les délinquants autochtones commencent à commettre des infractions à un âge plus jeune que les autres délinquants, ils sont incarcérés pendant de plus longues périodes et pour des crimes plus graves. Cependant, un grand nombre d'entre eux apportent des changements radicaux dans leur vie et deviennent des citoyens respectueux des lois.

Cet article résume une étude préliminaire récente qui a porté sur le mode de vie d'un certain nombre de délinquants autochtones dont la réinsertion sociale a été une réussite. Ces délinquants avaient plusieurs caractéristiques en commun, qui constituent des indicateurs importants sur lesquels on peut s'appuyer pour aider d'autres délinquants autochtones à devenir des citoyens respectueux des lois.

Méthode

Un grand nombre de chercheurs, d'auteurs et de représentants du système de justice pénale ont démontré la surreprésentation importante des Autochtones à toutes les étapes du processus de justice pénale ­ démêlés avec la police, comparution devant un tribunal et incarcération(2).

Face à cet état de choses, des membres du Nechi Institute on Alcohol and Drug Education ont pensé que les délinquants autochtones dont la réinsertion sociale est une réussite avaient des choses importantes à nous apprendre et ils ont décidé de mener une recherche sur le mode de vie de ces délinquants, qui sont devenus des citoyens respectueux des lois.

L'échantillon était composé de 20 ex-délinquants autochtones (3 femmes et 17 hommes). Ces personnes avaient commis une infraction grave ou de nombreuses infractions, ou avaient purgé une peine de cinq ans ou plus. Tous avaient réintégré la collectivité et n'avaient pas eu de conflit grave avec la loi depuis au moins deux ans.

Les sujets étaient âgés de 32 à 53 ans. Ils avaient été reconnus coupables d'infractions mineures telles que la possession illégale d'alcool et d'infractions graves telles que le vol, les voies de fait et le vol qualifié. Beaucoup avaient été condamnés pour des infractions liées à la drogue. Les infractions les plus graves étaient l'homicide involontaire coupable et le meurtre.

Des entrevues individuelles relativement peu structurées ont donné à ces personnes l'occasion de raconter leur vie, de parler de leur enfance et de leur adolescence, de la façon dont ils en sont venus à commettre des crimes, de la façon dont ils ont réussi à s'en sortir et de leur vie actuelle. Les entrevues ont été enregistrées et transcrites. Les chercheurs ont ensuite analysé le contenu en vue de déterminer les facteurs qui ont eu une influence sur les efforts faits par les délinquants pour changer leur mode de vie.

Les premières années de vie

Les premières expériences différaient grandement. La plupart des délinquants ont déclaré avoir vécu de bons moments et, notamment, d'avoir vécu dans une famille et une collectivité unies et d'avoir eu des liens culturels solides. Ces bons moments n'ont cependant pas duré longtemps. Ces Autochtones ont subi par la suite les effets dévastateurs des pensionnats, de l'alcoolisme au sein de leur famille et de leur collectivité, des morts violentes dans leur entourage, de la désintégration de leur famille, de la pauvreté, du suicide et de la négligence. Ils ont donc commencé à avoir des problèmes de confiance en soi et d'estime de soi et ils ont senti que leur identité autochtone était menacée. Pour la plupart d'entre eux, les années formatrices ont été très mouvementées.

Les démêlés avec la justice

Même si les raisons mentionnées par les ex-délinquants pour expliquer comment ils en étaient arrivés à avoir des démêlés avec la justice étaient diverses, tous ont parlé de l'alcool ou de la drogue. Il semble que la consommation d'alcool ou de drogue ait aidé plusieurs d'entre eux à supporter la souffrance engendrée par les relations de violence, la désintégration de la famille, le racisme, la mort et la négligence.

La plupart de ces personnes avaient vécu dans une sous-culture de violence. Ils avaient appris à être violents à la maison, à l'école et dans leur collectivité. Certains s'étaient sentis envahis par la colère, la rage et l'amertume et s'étaient battus avec des membres de leur famille, des amis, des employeurs, des enseignants, des policiers et des travailleurs correctionnels.

Plusieurs s'étaient sentis attaqués parce qu'ils étaient Autochtones, leur estime de soi en avait été affectée et ils avaient perdu confiance en eux. Ils ont alors commencé à se révolter contre la discrimination et le racisme auxquels ils se heurtaient.

À ce moment de leur vie, la plupart de ces délinquants ne se sentaient pas fiers d'euxmêmes. Ils ne voyaient guère comment ils pourraient résoudre leurs problèmes et n'espéraient pas pouvoir vivre autrement. Ils ont perdu leur propre identité et leur identité autochtone et sont devenus quelqu'un d'autre ­ un buveur, un toxicomane, un bagarreur, un criminel endurci.

Un changement de vie radical

Comment ces individus sont-ils arrivés à représenter des modèles de rôle positifs? La plupart ont commencé à se rendre compte des effets dévastateurs de leur problème de toxicomanie et ont décidé de cesser de boire et de se droguer.

Les réunions des Alcooliques Anonymes ont aidé plusieurs d'entre eux à abandonner leurs mauvaises habitudes pendant leur séjour en prison, et d'autres ont fréquenté des centres de traitement pour Autochtones.

La sobriété leur a permis d'améliorer leur estime de soi et de s'apercevoir qu'ils pouvaient vivre autrement. Ces nouvelles voies n'étaient pas faciles à suivre. Le tiers d'entre eux ont rechuté et certains ont commis de nouvelles infractions. Cependant, tous ont fini par devenir sobres et, une fois ce but atteint, ils n'ont plus commis d'autres crimes.

Les Aînés des collectivités autochtones étaient des personnes importantes aux yeux de bon nombre d'entre eux. Certains ont déclaré qu'un Aîné avait ravivé leur sentiment d'appartenance à la société autochtone et leur avait appris des règles de conduite, des valeurs et des manières de penser qu'ils avaient oubliées ou n'avaient jamais apprises.

Chez d'autres, un Aîné avait été un conseiller et les avait aidés à surmonter leurs difficultés, comme les émotions et la souffrance reliées aux situations vécues dans leur enfance.

L'influence des Aînés s'est conjuguée aux effets favorables de la culture et de la spiritualité autochtones, ce qui a permis, semble-t-il, à la plupart d'entre eux de trouver le chemin à suivre. Les délinquants ont pris part à des cérémonies qui se déroulaient dans la prison ou dans la collectivité. Ils ont parlé de la prière et de la foi ­ dimensions qui ne faisaient plus partie de leur vie depuis de nombreuses années.

Ces délinquants en avaient tout simplement assez de leurs fréquents séjours en prison. Un bon nombre d'entre eux ont commencé à se rendre compte qu'ils perdaient leur temps. Le remords les rongeait et, les amenait à remettre en question leur façon d'agir dans le passé. L'espoir d'une vie meilleure a peu à peu émergé.

Les fraternités d'Autochtones leur ont aussi apporté de l'aide en prison. Ces groupes les ont aidés à se sentir à l'aise les uns avec les autres et à échapper (du moins pour un moment) aux tensions raciales au sein du milieu carcéral.

Enfin, certains ont reçu de l'aide de membres du personnel correctionnel. Des employés autochtones ont aussi exercé une bonne influence sur ces délinquants parce qu'ils étaient sur la même «longueur d'onde» qu'eux.

Cependant, comme les délinquants avaient de grandes attentes à leur endroit, lorsque ces employés ne répondaient pas à ces attentes, les effets bénéfiques de leurs relations disparaissaient rapidement.

Dans la plupart des cas, le processus de «revivification» était graduel, mais notable. Avec le temps, ces personnes ont trouvé une nouvelle façon de vivre qui leur a permis de surmonter leurs problèmes personnels et leurs problèmes au sein de leur famille et de leur collectivité. Ils ont trouvé une voie à suivre et des moyens d'améliorer leurs relations avec les autres.

Tous ces efforts, conjugués au soutien et aux encouragements reçus de leur famille, de leurs amis et des membres du personnel, ont favorisé leur réinsertion sociale.

La poursuite des efforts

La démarche qui a le plus aidé ces hommes et ces femmes à poursuivre leurs efforts et à ne pas retomber dans la criminalité a été la reconstruction de leur identité spirituelle et culturelle. Cette démarche a consisté, notamment, à prendre part à des activités autochtones telles que les cérémonies de la suerie, du calumet et des tambours, le jeûne, la quête de visions, la prière et les cercles de guérison.

Ils ont tous fourni des efforts assidus pour demeurer sobres en assistant à des réunions des Alcooliques Anonymes et en participant à des programmes de traitement. Certains ont eu une rechute puis sont revenus dans la bonne voie, mais ceux qui avaient souffert d'un problème de dépendance savaient qu'ils devaient absolument éviter de consommer de la drogue ou de l'alcool.

Tous ont indiqué qu'ils avaient renforcé leur identité et qu'ils étaient conscients de l'importance de prendre leur vie en main. Ils ont réalisé que c'était à eux qu'il appartenait de faire les efforts nécessaires pour ne pas retomber dans le crime.

Le fait de se sentir capable d'aider autrui est un autre aspect qui les a aidés à ne pas retomber dans la criminalité. Un bon nombre d'entre eux ont apporté de l'aide à d'autres personnes en agissant soit comme conseiller ou comme bénévole dans des écoles ou des organismes communautaires.

Il a aussi été important pour eux d'avoir un travail rémunéré. Leur emploi leur apportait non seulement un revenu, mais aussi de la satisfaction. Ils étaient fiers d'être capables de subvenir aux besoins de leur famille, de payer leur loyer et leurs factures.

Bon nombre d'entre eux ont exprimé le besoin de suivre une thérapie et de recevoir d'autres services pouvant les aider à surmonter les problèmes nuisibles à leur réadaptation. Les membres de leur famille ont joué un rôle très important, surtout en leur apportant un soutien moral.

Enfin, ils ont tous parlé de leur responsabilité personnelle. Lorsqu'ils s'attiraient des ennuis, ils avaient l'impression d'être à la merci de forces contre lesquelles ils se sentaient impuissants, comme le racisme, la toxicomanie et l'absence de modèles de rôle positifs. Ils sont maintenant convaincus qu'ils ont un pouvoir sur leur vie et ils sont déterminés à exercer ce pouvoir.

Observations

Bien que la valeur de cette étude soit limitée en raison du petit échantillon utilisé, des entrevues relativement peu structurées et de la méthode d'analyse appliquée, les résultats devraient néanmoins s'avérer utiles aux personnes qui travaillent auprès des délinquants autochtones au sein du système de justice pénale.

Il ressort clairement des résultats de cette étude qu'il est de première importance que ces délinquants cessent de consommer de l'alcool et de la drogue. L'étude démontre également les effets bénéfiques de la spiritualité et de la culture autochtones. Ces deux influences ont grandement contribué à transformer des criminels invétérés en des citoyens respectueux des lois.

Ces résultats ont des répercussions importantes sur la formation des employés non autochtones. Que savent ces employés de la spiritualité et de la culture autochtones? Sont-ils en mesure de reconnaître les changements d'attitude et de comportement qui indiquent qu'un délinquant autochtone est en train de devenir un citoyen respectueux des lois? Comprennent-ils la dynamique dysfonctionnelle des familles et des collectivités autochtones?

Fait intéressant, aucun des délinquants de l'échantillon n'a utilisé le mot «réadaptation». Le mot «guérison», qu'ils ont employé pour décrire leur processus de changement, est celui qui se rapprochait le plus de la notion de réadaptation. D'autres recherches devraient être menées pour mieux comprendre la notion de guérison chez les délinquants autochtones.

Nombreuses sont les personnes qui se sont demandé ce qu'on pouvait faire pour réduire la surreprésentation des Autochtones au sein du système de justice. Les notions de guérison et de spiritualité constituent peut-être des éléments de réponse.


(1 )B.P. 34007, Kingsway Mall P.O., Edmonton (Alberta) T5G 3G4.

(2 )GRIFFITHS, C.T. et VERDUN-JONES, S.N., Canadian Criminal Justice, Toronto, Harcourt Brace, 1994. Voir aussi SILVERMAN, R.A. et NIELSEN, M.O., Aboriginal Peoples and Canadian Criminal Justice, Toronto, Butterworths, 1992. Voir également Procès de la justice, Groupe de travail sur le système de justice pénale et ses effets sur les populations indiennes et métisses de l'Alberta, Edmonton, Imprimeur de la Reine, 1991.