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Évaluation du risque de violence familiale et de son importance

par Eunice Kim et Vince Roper1
Établissement d’Edmonton, Service correctionnel du Canada

La recherche montre que seul un faible pourcentage des hommes qui se livrent à des voies de fait sur leur femmes font face à des accusations au criminel ou se voient imposer une peine. À l’aide de l’évidence empirique recueillie dans plusieurs études, Dutton2 a calculé les probabilités conditionnelles pour les taux de signalement, de découverte, d’arrestation et de condamnation d’hommes qui se livrent à des voies de fait sur leur femme : environ 14 % font l’objet d’un signalement, 7 % sont découverts, 1 % sont arrêtés, 0,75 % sont condamnés et 0,38 % font l’objet d’une peine sous forme d’une amende ou d’une incarcération.

Cette étude semble indiquer que plus de délinquants ont perpétré des actes de violence conjugale que ceux que l’on a identifiés. Dans une récente étude aléatoire de dossiers sur 935 délinquants3, 33,7 % d’entre eux avaient été violents envers un membre de la famille. De tous les dossiers qui contenaient des preuves de violence familiale, 80,2 % ont été accusés. Il s’agit d’un nombre élevé, mais il faut se rappeler que seule une très faible proportion des infractions de violence familiale et de violence conjugale conduisent à des accusations, et qu’un pourcentage plus faible encore de ceux qui sont accusés est condamné à l’amende ou incarcéré. Cette recherche semble indiquer que le nombre d’auteurs de violence conjugale qui sont incarcérés ne représente pas avec exactitude le nombre de délinquants ayant commis des voies de fait sur le conjoint.

D’autres recherches indiquent le risque élevé pour les délinquants d’user de violence envers leur conjoint et les membres de leur famille4. La comparaison entre délinquants sous responsabilité fédérale et hommes qui se sont livrés à des voies de fait sur leur femme a révélé de nombreuses similitudes. Les chercheurs ont donné quatre indicateurs de risque de violence familiale se rapportant expressément aux délinquants sous responsabilité fédérale :

  1. ils ont été témoins de mauvais traitements ou proviennent de familles où il y a violence;
  2. ils se sont par le passé livrés à des voies de fait sur des membres de leur famille;
  3. ils ont des antécédents de violence contre des étrangers ou des connaissances;
  4. ils manifestent des troubles de la personnalité ainsi que de la colère, de l’impulsivité ou de l’instabilité dans le comportement (p. ex., personnalité limite, narcissique, antisociale).

Comme ces facteurs de risque sont fréquents dans une population carcérale, nous sous-estimons probablement le nombre de délinquants qui ont réellement commis des actes de violence dans la famille et le nombre de ceux qui risquent d’en exercer. Le Service doit évaluer le risque de violence familiale chez le délinquant pour que les psychologues, les agents de gestion des cas et le personnel de l’établissement puissent prendre des décisions éclairées concernant les visites familiales privées et la mise en liberté sous condition. Considérer le risque que présente un délinquant comme un besoin permet également d’insister sur ses besoins en matière de traitement.

Projet pilote d’évaluation du risque de violence familiale

L es préoccupations au sujet d’une « sous-identification » probable de délinquants à risque a conduit une équipe de projet à recommander des modifications dans la procédure d’évaluation existante. L’équipe a élaboré une simple évaluation de la violence familiale en trois phases. Elle a également recommandé une formation sur l’utilisation d’outils d’évaluation et des ateliers de sensibilisation. Pour évaluer cette nouvelle approche, on a lancé un projet pilote en octobre 1995 dans lequel la définition de violence familiale a été limitée à la violence conjugale commise par des hommes contre leur conjointe.

Phase 1 : Les agents de gestion des cas évaluent le risque de violence familiale pendant l’entrevue d’évaluation et rendent compte de leurs conclusions dans la nouvelle section sur les antécédents de violence familiale du résumé du risque criminel.

Phase 2 : Les psychologues évaluent le risque de violence familiale pendant l’entrevue d’évaluation et rendent compte de leurs conclusions dans la nouvelle section sur la violence familiale du rapport d’examen psychologique.

Phase 3 : Les agents de liberté conditionnelle évaluent le risque de violence familiale d’après des renseignements provenant de la famille du délinquant et rendent compte de leur conclusions dans la nouvelle section sur la violence familiale de l’enquête communautaire.

Méthodologie

L’échantillon du projet pilote consistait en 210 délinquants qui sont passés par l’unité d’évaluation initiale d’un établissement correctionnel fédéral en Alberta; 108 représentaient des admissions consécutives de juillet à septembre 1995, et 102, des admissions de janvier et de février 1996. Nous avons obtenu le consentement des détenus par la signature du « contrat du délinquant » de l’unité d’évaluation initiale. Seules les deux premières phases du projet pilote ont été évaluées. La fréquence des identifications positives de risque de violence familiale dans l’échantillon pré-pilote a été comparée à la fréquence des identifications positives dans l’échantillon post-pilote. Quatre éléments de référence ont été utilisés pour mesurer l’impact de la nouvelle procédure introduite par le projet pilote (Voir Tableau 1).

Nous avons codé les quatre variables pour indiquer la présence ou l’absence de risque de violence familiale. Les identifications positives pour ce risque ont reçu la note 1. Il fallait que l’analyste (agent de gestion des cas, psychologue) juge réellement que le délinquant représentait un risque pour lui donner une identification positive. Si, par exemple, l’analyste mentionnait que le délinquant avait été témoin de violence conjugale entre ses parents, mais n’indiquait par le risque que le délinquant commette des violences dans la famille, il ne pouvait pas donner la note 1.

Table 1

Variable
Pré-Pilote
Post-Pilote
Rapport d’examen
psychologique
évaluation du risque de violence
familiale constaté le plus souvent
dans la section Contrôles d’agression
évaluation du risque de violence
familiale constaté dans la nouvelle
section Violence familiale
Indicateur du Système de
gestion des détenus (SGD)
évaluation du risque constaté dans le
statut de l’indicateur et la description
de l’indicateur
pas de changement dans la
procédure d’évaluation du
risque de violence familiale
Résumé du risque
criminel SGD
évaluation du risque de violence
familiale constaté n’importe où
dans le rapport
évaluation du risque constaté
dans la section Antécédents
de violence familiale
Besoins du cas SGD évaluation du risque constaté
dans le domaine conjugal et familial
pas de changement dans la
procédure d’évaluation du risque
de violence familiale procedures
  Question à évaluer-: A-t-il été l’
auteur de violences conjugales?
Pas de changement dans la
procédure d’évaluation du
risque de violence familiale

Résultats

Pour vérifier les différences entre les groupes pré-pilote et post-pilote, nous avons analysé les variables démographiques qui pouvaient modifier les résultats. L’âge moyen des sujets dans le groupe pré-pilote était de 36,5 ans. Celui des sujets du groupe post-pilote était de 35,2 ans. Il n’y avait pas de différence significative (t = 0.74, p < .05). Les analyses du khi-deux pour les variables race, état matrimonial et condamnations actuelles pour violence conjugale ont indiqué qu’il n’y avait pas de rapport entre ces variables et les membres du groupe.

Analyse

Indicateur SGD : On constate, selon le Graphique 1, la fréquence extrêmement faible d’indicateurs à la fois dans les pré et les post-évaluations. Des incohérences entre les agents de gestion des cas ont été constatées au moment du suivi. Certains ne savaient pas qu’il existait un indicateur pour la violence familiale, tandis que d’autres ne se rappelaient pas avoir eu pour instructions de donner suite à cet indicateur. Il semble nécessaire de redonner une formation au personnel pour qu’il produise une documentation cohérente et fiable sur le risque de violence familiale dans le SGD.

Besoins des délinquants dans le domaine des relations conjugales et familiales : Les différences dans le nombre de délinquants identifiés du point de vue du risque de violence familiale dans le projet pré-pilote par comparaison au projet post-pilote n’étaient pas significatives. Les réponses aux questions sur les besoins ont été indiquées par le délinquant. Toutefois, compter sur des déclarations volontaires pourrait éloigner de la vérité. Il est possible que cette question particulière n’a pas évalué le risque, mais seulement la présence ou l’absence d’un type de comportement. Suivant l’hypothèse que le taux de violence familiale n’a pas connu une augmentation spectaculaire avec le temps, le nombre d’identifications positives n’aurait pas augmenté pour cette variable parce que les agents de gestion des cas ne faisaient qu’inscrire l’incidence des voies de fait sur le conjoint.

Résumé du risque criminel : L’analyse du risque criminel a montré que 37,3 % de l’échantillon post-pilote ont été positivement identifiés quant au risque de violence familiale. Il est probable qu’en ajoutant une section particulière sur l’évaluation du risque dans le résumé, les agents de gestion des cas aient été forcés de traiter la question. Ce pourcentage d’identifications positives est analogue à celui de l’étude de Robinson5 où l’on a constaté que 33,7 % des délinquants de l’échantillon, dans un examen national des dossiers, avaient des antécédents de violence familiale.

Rapport d’examen psychologique : Les résultats du rapport d’examen psychologique montrent que 69,6 % des délinquants dans l’échantillon post-pilote ont été positivement identifiés quant au risque de violence familiale. Parmi eux, 51,2 % l’ont été d’après une évidence comportementale réelle (voir Graphique 2). Inversement, 47,9 % l’ont été sur la base de deux éléments théoriques (antécédents de mauvais traitements, trouble de la personnalité), c’est-à-dire, pas de preuve comportementale de violence.

Le risque de violence familiale a-t-il été sur-identifié ? Devrait-on exclure les facteurs de risque théoriques de l’évaluation du risque? L’une des raisons de conserver ces facteurs théoriques est la préoccupation envers d’éventuelles victimes. En identifiant des délinquants qui risquent de commettre des actes de violence dans la famille, d’éventuelles victimes peuvent être protégées. Une autre raison de conserver ces facteurs est d’autoriser la réfutabilité ou la testabilité. Si d’hypothétiques facteurs de risque ne sont pas empiriquement testés, nous ne saurons jamais s’ils ont une valeur prédictive ou non.

 Par ailleurs, il existe une importante raison pour nous de penser à écarter les facteurs théoriques de l’évaluation du risque de violence familiale. La surprédiction du comportement violent entraîne la désignation à tort du délinquant et, par conséquent, viole ses droits. Surestimer le risque qu’il présente quant à la violence familiale peut également nuire à ses chances de libération conditionnelle.

Graphique 1

Graphique

Conclusion

Les délinquants sous responsabilité fédérale présentent un risque élevé de violence familiale. Il est donc prudent d’élaborer une évaluation approfondie du risque. Cette nouvelle stratégie d’évaluation du risque révèle une augmentation générale des identifications en la matière, mais l’inclusion de facteurs théoriques accroît de façon spectaculaire le nombre de délinquants identifiés quant au risque de violence familiale. Des études de suivi peuvent déterminer si ces délinquants, pour qui il n’existe que des facteurs de risque théoriques, se sont bien livrés à des violences contre leur conjointe et les membres de leur famille, validant ainsi la valeur prédictive de ces facteurs.


1. On peut joindre les auteurs au 21611 Meridian Street, Edmonton (Alberta) T5J 3H7

2. DUTTON, D.G. «The criminal justice response to wife assault », Law and Human Behaviour, vol. 11, no 3, 1987, p. 189-206.

3. ROBINSON, D. « La violence familiale chez les détenus sous responsabilité fédérale : Estimations fondées sur un examen des dossiers », Forum, Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 7, no 2, 1995, p. 15-18.

4. DUTTON, D.G. et HART, S.D. «Risk markers for family violence in a federally incarcerated population», International Journal of Law and Psychiatry, vol. 15, 1992, p. 101-112.

5. ROBINSON « La violence familiale chez les détenus sous responsabilité fédérale : Estimations fondées sur un examen des dossiers »