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Intervention précoce pour les problèmes de comportement sexuel parmi les jeunes délinquants
par Randall Fletcher1
Programme dévaluation et de traitement des déviances sexuelles, Services correctionnels de
lÎle-du-Prince-Édouard.
De plus en plus, les modèles de comportement sexuel déviant peuvent être détectés en bas âge. Même si lexistence dun comportement sexuel chez les enfants très jeunes est considérée comme normale, le comportement problème, celui qui est persistant, importun ou agressif, peut indiquer que lenfant a appris à sen servir pour satisfaire des besoins affectifs ou psychologiques importants. Bien quau départ un tel comportement puisse être une réaction à des agressions, lenfant qui narrive pas à satisfaire ses besoins par dautres moyens risque de développer un modèle déviant susceptible de persister jusquà ladolescence et à lâge adulte.
La plupart des programmes de traitement, quils sadressent aux adultes, aux adolescents ou aux enfants, ont des objectifs limités et ne comportent pas de mesures axées sur la prévention primaire. Cet article décrit une méthode détaillée que lon élabore actuellement dans la province de lÎle-du-Prince-Édouard. Cette méthode fait appel aux données relativement rares que lon possède sur la déviance sexuelle, jumelées aux connaissances et aux compétences acquises dans le domaine du traitement des adultes, des adolescents et des enfants, et sappuie sur un partenariat entre les services correctionnels et certains organismes de services sociaux. Les services correctionnels de lÎle-du-Prince-Édouard tentent daméliorer les effets de ses traitements en élaborant des programmes axés sur des interventions primaires, secondaires et tertiaires.
En ciblant le problème sous-jacent plutôt que le comportement criminel, ces programmes permettent de supprimer les frontières qui isolent les thérapeutes travaillant dans différents milieux.
Contexte
On sait que certains délinquants sexuels adultes ont des habitudes criminelles qui remontent à leur adolescence. Dans une étude portant sur 306 délinquants sexuels adultes2, 42 % ont affirmé quils avaient des habitudes dexcitation déviante qui sétaient fixées dès lâge de 15 ans. Cette étude et dautres de même nature ont provoqué un regain dintérêt pour lélaboration de programmes de traitement destinés aux adolescents.
Traditionnellement, les traitements de ce genre étaient offerts par des organismes privés ou dans le cadre de programmes spécialisés dans le traitement des adolescents, mais sans quil y ait de lien avec les programmes de traitement destinés aux adultes. Quimporte si le comportement sexuel anormal dun adolescent mène à une évaluation par un spécialiste des déviances sexuelles ou à une prestation dun traitement spécialisé, cela a toujours été aléatoire dans une large mesure.
Lorsquil a été mis sur pied en mars 1995, le Programme dévaluation et de traitement des déviances sexuelles de lÎle-du-Prince-Édouard avait pour but dévaluer dune façon détaillée toute personne ayant un comportement, des pulsions ou des fantasmes sexuels déviants, quels que soient son âge et son sexe, et de lui faire suivre un traitement spécialisé. Bien que le programme soit offert par le Ministère provincial des Services correctionnels, il nest pas nécessaire que les individus qui le suivent aient été condamnés pour une infraction sexuelle. Cette façon de faire sappuie sur le principe suivant lequel il est toujours mieux de traiter les problèmes liés aux pulsions ou aux fantasmes sexuels déviants avant quils nengendrent un comportement criminel. Même lorsque le comportement dun individu est susceptible dêtre considéré comme criminel, le traitement ne doit jamais dépendre du fait quil ait été condamné ou non.
Dans une étude portant sur 263 adolescents condamnés, le Dr D. Burton3 a constaté que 43 % dentre eux avaient éprouvé des problèmes de comportement sexuel durant leur enfance. En moyenne, ces derniers étaient âgés de 10 ans quand on a pu détecter pour la première fois que leur comportement présentait des caractéristiques criminelles. Les actes sexuels commis sapparentaient à la plupart de ceux que posent les adultes, à lexception des rapports sexuels et de lorgasme.
Dans la plupart des cas examinés par Burton, les adolescents avaient eux-mêmes été victimes dagressions sexuelles durant leur enfance. Cette observation se rapproche de lhypothèse traditionnellement admise selon laquelle les enfants qui ont un comportement sexuel agressif à légard des autres enfants ont eux-mêmes été victimes dagressions. Toutefois, il ne semble pas que ce soit toujours le cas. En effet, 28 % des adolescents de létude avaient été exposés à des comportements sexuels adultes non agressants, comme la pornographie, la vue dadultes ayant des rapports sexuels à la maison ou des contacts sexuels avec dautres enfants.
Une étude descriptive des caractéristiques dun groupe de jeunes de 12 à 15 ans confiés au Département de la justice pour jeunes délinquants de la Virginie parce quils avaient commis des infractions sexuelles4 a montré que ceux-ci étaient âgés en moyenne de 10 ans et 10 mois quand ils avaient commis leurs premières infractions sexuelles. Chacun de ces jeunes avaient commis un nombre médian de 69,5 infractions sexuelles et avaient fait un nombre médian de 16,5 victimes avant que des accusations soient portées contre eux.
Lexposition précoce à des comportements sexuels adultes peut expliquer en partie laugmentation apparente du nombre denfants de moins de 12 ans qui ont un comportement sexuel. Dans notre société actuelle, les enfants sont beaucoup plus susceptibles dêtre exposés à des comportements sexuels adultes explicites, par le biais dInternet, de la télévision par câble et même des émissions et des films présentés à la télévision ordinaire. Malheureusement, ils nont pas toujours la possibilité de poser des questions, de comprendre ce quils voient ou de connaître les valeurs propres au comportement sexuel humain. De plus, il est désormais très difficile pour les parents dexercer une surveillance sur linformation à caractère sexuel à laquelle leurs enfants peuvent être exposés, et comme il arrive souvent que les deux parents travaillent, les enfants sont de plus en plus laissés à eux-mêmes. Par conséquent, un nombre croissant denfants nont pas loccasion de développer les liens nécessaires avec des adultes. Les contacts sexuels avec dautres enfants sont pour eux loccasion détablir les rapports intimes qui leur manquent.
Élaboration dun modèle de traitement global
À lorigine, le Programme dévaluation et de traitement des déviances sexuelles offrait des programmes de traitement en groupes aux adultes et aux adolescents. Le contenu de ces programmes, fort similaire, portait sur la manière dont le comportement sexuel peut servir à satisfaire des besoins non sexuels, la sensibilisation aux victimes ainsi que les effets et conséquences des agressions sexuelles et offrait une formation en prévention de la récidive. Par contre, les programmes tenaient compte des différences de développement et des caractéristiques de la dynamique des infractions. Enfin, le programme pour adolescents comprenait des séances séparées à lintention des parents ou des tuteurs, afin que les adolescents concernés puissent trouver de laide à la maison et que les parents acquièrent quelques notions sur le comportement sexuel normal des adolescents et les comportements qui causent un problème.
Des programmes modifiés, dune durée plus courte, comme un programme éducatif à lintention des adolescents et de leurs parents ou tuteurs, furent ajoutés par la suite parce quon a constaté que les sujets ayant un comportement sexuel déviant navaient pas nécessairement tous besoin dun traitement de même niveau et de même intensité. Les enfants de moins de 12 ans dont le comportement requérait un traitement étaient évalués et suivis individuellement ou recevaient des traitements intégrés à dautres mesures axées sur leur comportement général, à la maison ou à lécole. En raison des ressources limitées, on hésitait à préparer un programme de groupe pour les enfants, et au départ le nombre denfants ayant des problèmes de comportement sexuel adressés en consultation ne justifiait pas cette méthode. À mesure que les sources dirigeant les jeunes enfants en consultation, principalement les services daide à lenfance et le système scolaire, ont appris quil existait un service spécialisé dévaluation et de traitement, et aussi à mesure quaugmentait le nombre denfants adressés en consultation ayant des problèmes de comportement sexuel qui exigeaient une intervention spécialisée, il est devenu de toute évidence nécessaire de mettre sur pied un programme de traitement en groupes pour cette population.
Par la suite, on a élaboré le guide « The Touching Problem » à lintention des enfants âgés de 6 à 12 ans. Comme dans le cas des programmes en groupes pour adultes et adolescents, le traitement est assuré grâce à un partenariat entre les services correctionnels et les organismes de services sociaux financés par le gouvernement provincial. On sait quil y a entre les organismes un chevauchement de responsabilités et de compétences quand il sagit de problèmes de comportement sexuel et quil est logique de partager les ressources afin doffrir une solution globale à ces problèmes. Bien que les connaissances sur la déviance sexuelle, son évaluation et son traitement, soient concentrées surtout au ministère des Services correctionnels, les autres organismes de services sociaux possèdent aussi beaucoup de connaissances, dexpérience et de compétence dans le domaine du traitement en groupes quil serait possible de mettre à profit grâce à des ententes de coopération et de partage des ressources.
Le premier « Touching Problem » fut animé par un homme et une femme tous deux membres du personnel des Services à lenfance et à la famille de la région de King, au sud de la province, sous la surveillance du spécialiste des déviances sexuelles. Le succès de cette expérience et les connaissances ainsi acquises ont permis de créer un modèle dexécution du programme applicable dans les autres régions de la province.
Comme chez les adultes, les adolescents et les enfants qui ont des problèmes de comportement sexuel ne sont pas un groupe homogène. Il y a de nettes différences en ce qui concerne la nature de leur comportement, son caractère importun et le risque qui lui est associé. Chez les enfants et les adolescents, il est beaucoup plus probable que ce type de comportement, même sil pose un problème, ne soit pas attribuable à une déviance, mais plutôt à la curiosité ou à des facteurs normaux liés au développement de lindividu. Dans de tels cas, la meilleure intervention consiste à établir des limites précises tout en offrant des possibilités dapprentissage éprouvées. Parfois, cette intervention peut prendre la forme de séances dinformation à lintention de lenfant ou de ladolescent et de ses parents ou tuteurs. Les séances dinformation de ce genre ont lavantage de faciliter entre eux la communication sur les questions sexuelles. Cet aspect de la question est essentiel si lon veut que lenfant ou ladolescent se sente à laise quand il voudra discuter de ces questions avec ses parents ou ses tuteurs.
Avec les enfants et les adolescents, il est particulièrement important de se rappeler que tout individu est susceptible de commettre à loccasion un acte dagression. La maîtrise des pulsions agressives est justement une compétence qui doit sacquérir durant lenfance et ladolescence. Le comportement sexuel agressif ne doit pas être considéré isolément, ni vu comme intrinsèquement différent des autres comportements agressifs. Il doit être évalué en tenant compte de lensemble des comportements de lindividu et des circonstances qui lentourent.
Les programmes de traitement intensifs et éventuellement radicaux devraient être réservés aux comportements qui sont clairement mésadaptés et persistants. La décision de faire suivre à un enfant ou un adolescent un programme de traitement ne devrait pas être fondée uniquement sur le fait que son comportement est une cause de problèmes ou danxiété pour ses parents ou ses tuteurs. De plus, chez les enfants et les adolescents, le comportement sexuel problématique représente le plus souvent un moyen temporaire que lindividu adopte pour lutter contre les effets des agressions sexuelles quil subit. Dans de tels cas, la meilleure solution consiste à sadresser aux services de counseling orientés sur les besoins de la victime. Il faudrait recourir aux traitements axés sur la maîtrise du comportement seulement lorsquil apparaît que ce comportement se dissocie de lexpérience de victimisation. Cest ce qui se produit quand un enfant ou un adolescent constate que son comportement agressant lui procure une gratification ou satisfait des besoins quil narrive pas à satisfaire autrement.
Il importe que le choix des méthodes dintervention soit fondé sur une évaluation approfondie. Il faut aussi disposer dune large gamme de méthodes dintervention afin de pouvoir adapter la réponse au besoin. Le partage des ressources et des expériences entre les services gouvernementaux et privés qui soccupent, à un stade ou à un autre, des conséquences des problèmes de comportement sexuel permet délargir et de diversifier la gamme des traitements disponibles. Grâce au partage des expériences relatives aux déviances sexuelles, les personnes qui ont à prendre des décisions sur la manière de traiter les cas ont à leur disposition les connaissances et les expériences nécessaires pour trouver les meilleures réponses aux besoins.
Orientations futures
Les initiatives en cours à lÎle-du-Prince-Édouard portent sur la prévention primaire. Cela signifie notamment que lon exploite toutes les occasions dinformer les segments de la population où la probabilité et le risque dagressions sexuelles contre des enfants et des adultes sont élevés. Bien souvent, le seul fait de savoir que des pulsions sexuelles déviantes peuvent se manifester dans certaines circonstances particulières et dêtre sensibilisé aux conséquences des actes ainsi quaux autres comportements possibles peut suffire à prévenir une infraction. Ainsi, on peut par exemple inclure dans les cours donnés aux baby-sitters un segment qui explique comment le fait de vérifier ce que fait un jeune enfant peut provoquer chez lui un comportement sexuel impulsif et criminel.
Ces séances de formation ne sont pas nécessairement coûteuses, surtout si les ressources et les connaissances sont partagées. Mieux vaut prévenir que guérir, dit le proverbe, et la prévention des infractions sexuelles permettrait non seulement déconomiser beaucoup dargent en traitements, mais aussi dépargner des soucis à toutes les personnes concernées.
1. C.P. 1929, Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard) C1A 7H5.
2. ABEL, G.G. « Adolescent sexual offenses: Serious problem ignored », Sexuality Today, vol. 7, no 3, 1984.
3. BURTON, D. Children with Sexual Behavior Problems Do Battle: An assessment and comparison of cognitive factors across sexually aggressive children in state care, communication présentée à la conférence de lAssociation for the Treatment of Sexual Abusers en octobre1998.
4. WIECKOWSKI, E. « Deviant Sexual Behavior in Children and Young Adolescents: Frequency and patterns », Sexual Abuse: A Journal of Research and Treatment, vol. 10, no 4, 1998.