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Comprendre la pratique de la justice réparatrice dans le contexte autochtone

par Melanie Achtenberg1
Gestionnaire à la Direction générale des questions autochtones
Service correctionnel du Canada

On cite de plus en plus en exemple les pratiques de la justice réparatrice en vue d’améliorer l’efficacité des politiques correctionnelles dans les prisons et hors du milieu carcéral. Le principe de la justice réparatrice est basé sur les pratiques traditionnelles des cultures indigènes du monde entier. Il repose sur l’idée que le comportement criminel est causé principalement par l’aliénation de certains membres de la société. Bien que chaque individu ait la responsabilité de faire des choix constructifs pour sa vie, indépendamment de ses circonstances personnelles, les principes de la justice réparatrice sont basés sur la compassion et la notion que personne n’est complètement isolé et que chacun est un membre à part entière de la société et peut contribuer au bien général. Par conséquent, lorsqu’une personne est aliénée ou coupée de la société, c’est à chacun de ses membres qu’il appartient de faire en sorte que cette personne rétablisse une relation harmonieuse avec elle-même et avec les autres membres de sa collectivité. Cela signifie que la société elle-même doit examiner rigoureusement ses propres pratiques et systèmes qui peuvent contribuer à l’aliénation de certains de ses membres. Il se peut que la société ait besoin de se guérir. La décision Gladue, qui est basée sur l’alinéa 718.2 du Code criminel du Canada, constitue un des fondements de la justice réparatrice au Canada et elle ouvre la voie à la création de solutions de rechange à l’incarcération.

D’après l’alinéa 718.2 du Code criminel du Canada, lorsqu’un tribunal impose une peine, il doit tenir compte du principe suivant :

e) l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones2

Autrement dit, l’incarcération ne doit être utilisée qu’en dernier recours pour tous les délinquants canadiens traduits devant un tribunal et plus particulièrement pour les délinquants autochtones. Cet alinéa du Code criminel est important étant donné que la population carcérale du Canada compte une surreprésentation de délinquants autochtones, surtout dans les provinces de l’Ouest où, dans bien des cas, ces derniers constituent de 60 à 80 % de la population carcérale.

« Bien que les Autochtones correspondent à 2 % de la population adulte du Canada, ils représentent 15 % des admissions dans les prisons provinciales. De plus, à l’échelon fédéral, les tentatives de réduire le nombre d’admissions d’Autochtones semblent avoir échoué. En effet, le pourcentage d’Autochtones parmi les admissions dans les pénitenciers fédéraux continue à augmenter : il atteignait 11 % en 1991-1992, 15 % en 1996-1997 et 17 % l’an dernier. Quant à savoir s’il s’agit d’un problème que les juges doivent régler, comme le laisse supposer le récent arrêt fortement critiqué de la Cour suprême, cela constitue une tout autre question3. »

Cette surreprésentation des Autochtones dans le système correctionnel est attribuable en partie à la relation historique que les Autochtones ont entretenue avec le Canada, ainsi qu’à des incidents particuliers de discrimination :

« À la page 336 de Par-delà les divisions culturelles, la Commission royale sur les peuples autochtones place l’affirmation suivante en tête de liste de ses «Constatations et conclusions » :

«Le système canadien de justice pénale n’a pas su répondre aux besoins des peuples autochtones du Canada Premières nations, Inuit et Métis habitant en réserve ou hors réserve, en milieu urbain ou en milieu rural peu importe le territoire où ils vivent ou le gouvernement dont ils relèvent. Ce lamentable échec découle surtout de ce qu’autochtones et non-autochtones affichent des conceptions extrêmement différentes à l’égard de questions fondamentales comme la nature de la justice et la façon de l’administrer. [...] »

« Loin d’être une anomalie canadienne, ces conclusions sont universelles. L’application bâclée d’un système pénal étranger aux nations indigènes a hanté le système juridique de chaque colonie britannique. Au cours des dernières décennies, chaque pays membre du Commonwealth ayant étudié le problème a abouti plus ou moins à la même conclusion : le système juridique britannique échoue lorsqu’il est appliqué aux populations autochtones. L’échec est attribuable à des rapports de force plutôt qu’à la justice4. »

Il faut donc impérativement modifier la dynamique du système correctionnel pour remplacer les principes de force, de domination et du contrôle par des méthodes plus réparatrices visant à favoriser la reddition de comptes et l’établissement d’un plan correctionnel garantissant une baisse des taux d’incarcération et une amélioration de la dynamique communautaire. En jargon correctionnel, on parle de la « sécurité active » dans nos établissements, et la plupart de ceux qui travaillent directement avec les délinquants savent que la meilleure mesure de sécurité active consiste à établir un rapport avec le délinquant. La sécurité active suppose le recours aux relations humaines pour créer un milieu correctionnel sûr. Ce concept, lorsqu’on l’applique au contexte de la collectivité, aboutit à ce qu’on appelle également la pratique de la justice réparatrice.

Les tendances actuelles dans le domaine de la détermination de la peine révèlent une disposition à créer des solutions de rechange à l’incarcération car les prisons sont coûteuses et surpeuplées. En outre, chacun sait qu’à long terme, les délinquants retourneront en définitive à leur collectivité d’origine, qu’il s’agisse d’un milieu urbain, rural ou éloigné. C’est à chacun qu’il appartient de faire en sorte que les délinquants retournent dans la société avec un état d’esprit plus positif plutôt qu’avec des visées criminelles renforcées. Pour créer une dynamique de respect et de réparation, tous les membres de la collectivité doivent participer intégralement au processus, qui va de l’établissement de solutions de rechange à l’incarcération à une intervention directe auprès des délinquants pour les aider dans leur cheminement vers la guérison. Le recours à des mesures de sécurité active dans toutes les situations est le but général vers lequel tend la création d’un modèle correctionnel qui aidera toutes les personnes concernées à assumer la responsabilité de créer un milieu sûr pour ainsi combattre la répétition dans l’avenir de comportements criminogènes. La manière d’y parvenir, tant dans la collectivité que dans les établissements, fait l’objet du reste de cet article.

Ainsi, « la décision Gladue a clairement appuyé la notion de justice réparatrice et un régime de détermination de la peine reconnaissant la “guérison” comme une valeur normative. La guérison est un principe de justice autochtone qui s’intègre lentement au droit pénal canadien par la pratique des cercles de détermination de la peine et des programmes de communautaires5. »

Dans la décision Gladue, la Cour suprême reconnaît qu’il faut s’attaquer aux causes profondes de la discrimination si nous voulons réduire la surreprésentation des Autochtones au sein du système correctionnel. Elle s’attache également au recours excessif à l’incarcération comme outil de détermination de la peine pour toute la population canadienne et exige que, dans l’avenir, les juges considèrent la peine d’emprisonnement uniquement comme solution de dernier recours. La décision R. c. Gladue de la Cour suprême constitue donc un tournant historique pour tous les Canadiens et Canadiennes.

Ce jugement ouvre la voie aux solutions de rechange à l’incarcération. La pratique de la justice réparatrice dans le contexte autochtone permet l’emploi de ces solutions, comme le recours aux Articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC). Au fur et à mesure que les collectivités, en milieu urbain et dans les réserves, prendront conscience de la manière dont ces règlements peuvent être mis en oeuvre, on assistera à l’émergence de différentes solutions de rechange. Les juges doivent savoir que les mécanismes d’application des pratiques exemplaires sont en place avant de pouvoir imposer des peines à la fois novatrices et réparatrices.

L’Article 81 (LSCMLC) prévoit l’établissement d’accords de garde généraux permettant de confier un délinquant autochtone à une collectivité autochtone qui s’en occupera 24 heures sur 24 en le surveillant et en veillant à ce qu’il suive les traitements et les programmes nécessaires dans un milieu non carcéral. Trois autres types d’accord peuvent également être employés en application de l’Article 81 pour faciliter le transfèrement d’un délinquant autochtone à un pavillon de ressourcement ou de spiritualité ou à un autre établissement de traitement en milieu urbain.

L’Article 84 (LSCMLC) permet aux collectivités autochtones de participer à l’établissement du plan de mise en liberté d’un délinquant. Le plan doit satisfaire aux préoccupations et besoins tant de la collectivité que du délinquant. La réinsertion sociale fait alors partie de la démarche de guérison générale de toutes les parties concernées, soit la collectivité, le délinquant et la victime.

En justice réparatrice, l’accent est mis sur la recherche de moyens d’amener les délinquants à assumer la responsabilité des torts qu’ils ont causés et à corriger leur comportement à un niveau plus profond et plus significatif. La justice réparatrice est basée sur l’idée qu’un comportement criminel n’est pas « la décision privilégiée » d’une personne qui est véritablement liée à la société dans laquelle elle évolue. La justice réparatrice et la décision Gladue sont donc des moyens de créer un système de justice pénale qui permet au délinquant de se prendre en main et qui lui donne ainsi le pouvoir de faire des choix plus éclairés dans l’avenir. Nous nous trouvons ainsi à créer dans la société une dynamique qui rétablit la santé d’un particulier tout en préservant l’ordre public, dans l’intérêt de la sécurité collective.

Ce changement d’éclairage se manifeste aussi dans les établissements correctionnels, où l’on élabore et offre aux délinquants autochtones des programmes de formation qui leur sont explicitement destinés. Les Aînés et les agents de liaison autochtones offrent des cercles de guérison, des séances d’aide psychosociologique et des occasions de croissance personnelle qui permettent aux délinquants de transformer leur mode de vie après qu’ils ont obtenu la libération conditionnelle. La culture carcérale est en voie de changer étant donné que les Aînés et les agents de liaison autochtones travaillent avec les autres membres du personnel pour créer des solutions plus pacifiques aux conflits en établissement et trouver des moyens novateurs d’appliquer les principes de la justice réparatrice.

J’ai bon espoir qu’en apprenant à travailler tous ensemble à la création d’une culture fondée sur le respect, la responsabilisation et la confiance, nous aurons dans l’avenir un système correctionnel efficace basé sur le rétablissement de saines relations humaines dans l’intérêt de toutes les personnes qui participent au cercle de la vie.


1. 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa (Ontario) K1A OP9.

2. Scarborough, Carswell and Thomson, 1999, p. 490.

3. ROBERTS, J.V. « Récentes tendances dans le système correctionnel », Sentencing Matters (bulletin), vol. 3, no 1, automne 1999, 865, carré Richmond, Montréal (Québec) H3J 1V8.

4. YOUNGBLOOD HENDERSON, J. (Sa’ke’j) « Changing Punishment for Aboriginal Peoples of Canada », Punir autrement au tournant du siècle : Trouver un terrain d’entente, congrès de l’Institut canadien d’administration de la justice, Saskatoon, septembre 1999. Voir également Par-delà les divisions culturelles : Un rapport sur les autochtones et la justice pénale au Canada, Ottawa, Ministère des Approvisionnements et Services du Canada, 1996, p. 336.

5. TURPEL-LAFOND, M.E. « Sentencing within a Restorative Justice Paradigm. Procedural Implications of R. v. Gladue. (1999) », Punir autrement au tournant du siècle : Trouver un terrain d’entente, 1999.