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Initiative de la Gendarmerie royale du Canada en matière de justice réparatrice

par Jharna Chatterjee1
Services de police communautaires, contractuels et autochtones
Gendarmerie royale du Canada

Pour exercer ses fonctions policières dans un contexte de justice réparatrice, la Gendarmerie royale du Canada a choisi une formule discrétionnaire appelée Forum de justice communautaire. Le principe de justice réparatrice, qui comporte d’autres moyens d’application comme le cercle de la détermination de la peine et la médiation entre délinquant et victime, peut se définir comme étant une approche faisant intervenir toutes les parties en cause dans une discussion constructive visant à réduire les dommages causés par une infraction. Les buts visés sont les suivants : rétablir l’harmonie au sein de la collectivité en éliminant ou en réduisant les dommages, matériels et psychologiques, subis par la ou les victimes et favoriser la réinsertion sociale des délinquants en leur faisant assumer la responsabilité des dommages qu’ils ont causés auprès de la victime et de la collectivité. Les partisans de la justice réparatrice affirment que cette approche est plus équitable, satisfaisante, efficiente et efficace que la méthode traditionnelle d’administration de la justice, qui repose sur un système accusatoire dirigé par des tribunaux.

La recherche établit clairement que le taux d’incarcération des Autochtones au Canada est au moins quatre fois plus élevé que la moyenne nationale et qu’il va en augmentant (huit fois)2. Dans leur introduction, Borrows et Rotman, les auteurs de Aboriginal Legal Issues, précisent que « la surreprésentation des Autochtones au sein des systèmes judiciaires et carcéraux fédéral, provinciaux et territoriaux jette une ombre sur la réputation du Canada, qui se vante d’être une société juste3

En adoptant le principe de la justice réparatrice, la Gendarmerie royale du Canada a pris l’initiative de l’appliquer sous forme de Forum de justice communautaire. Ainsi, en janvier 1997, l’initiative s’est élargie à l’échelle du pays grâce à trois ateliers de formation des moniteurs. Les moniteurs et les élèves ont été choisis avec soin parmi les effectifs de la Gendarmerie royale du Canada et à l’extérieur de celle-ci, dont des membres des autres services de police, des éducateurs, des travailleurs sociaux et des bénévoles.

Il importe de souligner que l’approche de justice réparatrice concorde entièrement avec les principes de services de police communautaires adoptés par la Gendarmerie royale du Canada en 1989 en tant que modèle de prestation de services. Essentiellement, les services de police communautaires sont un moyen plus global et proactif, axé sur la collaboration, de mieux protéger les collectivités canadiennes. L’objet des services de police communautaires est de prévenir le crime et d’atténuer les préoccupations du public en créant des partenariats entre la police et les collectivités, donnant ainsi à ces dernières la possibilité de cerner les problèmes et de les régler, avec le concours et l’aide des agents de police, au besoin.

Dans le même ordre d’idées, la justice réparatrice a pour objet de prévenir le crime par une interaction efficace des intervenants clés visant à réconcilier le délinquant, la victime et la collectivité. Cette approche permet à la collectivité de prendre en charge les infractions commises et, avec l’aide de moniteurs formés, d’assumer la responsabilité des sanctions à y appliquer. C’est l’un des outils convenant le mieux à la prestation des services de police communautaires c’est pourquoi l’expression Forum de la justice communautaire a été choisie, car elle met l’accent sur le partenariat entre la police et la collectivité.

L’application du principe de justice réparatrice au moyen de Forum de justice communautaire nécessite, de la part de la police, qu’elle mette de côté son rôle répressif, c’est-à-dire responsable à court terme de l’arrestation et de la mise en accusation du délinquant, au profit du pouvoir discrétionnaire de tenter de réparer les torts causés aux collectivités et de satisfaire les besoins des victimes réelles (et non des victimes symboliques, c’est-à-dire l’État).

En mars 1999, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a terminé l’évaluation de son initiative sur la justice réparatrice. La première partie du projet de recherche portait sur l’efficacité des trois ateliers de formation. La deuxième partie visait à comparer les perceptions des participants au Forum de justice communautaire par rapport aux théories avancées. Voici un exposé des résultats :

Efficacité des ateliers de formation (d’après les données recueillies jusqu’en octobre 1998)

  • 1 700 personnes à l’échelle du Canada ont reçu une formation sur la tenue de Forum de la justice communautaire.
  • 67 ateliers ont été tenus dans 48 emplacements géographiques à l’échelle du pays.
  • La GRC a collaboré aux activités de formation avec au moins 29 organisations et de nombreuses collectivités.
  • 93 % des personnes ayant eu une formation d’animateurs et ayant répondu au questionnaire sont d’avis que les Forums de justice communautaire contribueraient grandement à améliorer le système canadien de justice.
  • 73 % des répondants ayant reçu la formation de moniteurs croient en leur capacité d’assumer les fonctions de moniteur.
  • La plupart des moniteurs qui ont répondu au questionnaire estiment qu’ils ont l’appui de leur superviseur et de l’organisation.
  • 30 différents types d’infractions ont été relevés par les animateurs qui ont tenu des Forums de justice communautaire. Les infractions les plus fréquemment soulevées étaient le vol (26 %) et les voies de fait (21 %). Les autres catégories principales étaient le méfait public (7 %), les infractions en matière de drogue (6 %), les dommages aux biens (5 %), les introductions par effraction (5 %), les agressions sexuelles (4 %) et le harcèlement ou l’intimidation (4 %). Certains cas mettaient en cause des infractions multiples, comme une introduction par effraction avec vol, un vol avec fraude ou encore une introduction par effraction, des dommages aux biens et un méfait public. Des Forums de justice communautaire ont aussi eu lieu pour des cas de fraude (2 %), d’incendie criminel
    (2 %), d’agression armée (2 %), de vagabondage (0,4 %), d’intrusion, de conduite avec facultés affaiblies, d’appels téléphoniques obscènes, de manquement aux conditions de la probation (0,4 %) et de possession illégale d’alcool. Les Forums de justice communautaire ont également permis de régler des infractions comme des menaces et de l’intimidation, de la violence verbale et la conduite dangereuse d’un véhicule.
  • 77 % des animateurs actifs ont indiqué qu’ils avaient affaire à des délinquants âgés de 19 ans et moins. L’échelle d’âge la plus courante chez les délinquants participant aux Forums de justice communautaire est de 14 à 16 ans (38 %) et de 17 à 19 ans (15 %). Il y a eu 6 cas (2 %) où le délinquant était âgé de plus de 50 ans et 18 cas (7 %) où le délinquant était âgé de 11 ans ou moins.

Opinion des participants aux Forums de justice communautaire

Les réponses recueillies auprès des 364 participants4 aux Forums de justice communautaire indiquent que les taux moyens de satisfaction globale ainsi que les niveaux de satisfaction à l’égard de l’équité en matière de procédure et de résultats étaient élevés. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des participants ont manifesté au moins un niveau modéré de satisfaction globale et plus de 87 % se sont dits assez ou très satisfaits de leur expérience des Forums de justice communautaire. D’autre part, 89 % des délinquants et 87 % des victimes se sont dits assez ou très satisfaits de leur expérience; 95 % de tous les participants (incluant le 100 % des victimes) ont perçu le processus de Forum de justice communautaire comme étant très ou assez équitable. La majorité des participants avaient participé volontairement aux Forums de justice communautaire (100 % des délinquants et des défenseurs des droits des victimes (famille et amis), par rapport à 95 % des victimes et des défenseurs des droits des délinquants. Les niveaux de satisfaction à l’égard de l’entente convenue ou du résultat étaient également considérablement élevés : 89 % de tous les participants estiment que l’entente était suffisamment ou très équitable et la plupart ont reconnu avoir eu la chance de donner leur avis sans ressentir de pression. Quatre-vingt-quinze pour cent des victimes et 79 % des délinquants ont indiqué que l’entente était assez ou très équitable.

Ces résultats sont révélateurs, en particulier si l’on tient compte du fait que les victimes se disent souvent insatisfaites du processus et du résultat du système judiciaire traditionnel. En outre, la majorité des participants 88 % des délinquants, 94 % des victimes, 95 % des défenseurs des droits des délinquants et 88 % des défenseurs des droits des victimes ont indiqué qu’ils choisiraient les Forums de justice communautaire au lieu des tribunaux si c’était à recommencer.

Quatre-vingt-dix-huit pour cent des délinquants ont indiqué que les Forums de justice communautaire les ont aidés à comprendre les conséquences de leurs actes et à en assumer la responsabilité. Environ 97 % de leurs défenseurs et tous ceux qui appartiennent à la catégorie des victimes et de leurs défenseurs ont indiqué qu’ils estimaient que les délinquants comprenaient les conséquences de leurs infractions et en assumaient une certaine responsabilité. Quatre-vingt-cinq pour cent des personnes interrogées ont indiqué que les délinquants avaient respecté l’entente convenue dans le cadre du Forum et que les autres cas étaient en cours d’exécution. Selon les délinquants et leurs défenseurs, pour que l’entente soit entièrement respectée par le délinquant, ce dernier doit absolument bénéficier d’un soutien.

Plus de 90 % des victimes ayant répondu au questionnaire ont indiqué qu’elles étaient assez disposées ou très disposées à donner une deuxième chance au délinquant. En fait, certaines des victimes ont indiqué que c’était précisément pour cette raison qu’elles avaient participé à un Forum de justice communautaire. Les défenseurs des victimes et des délinquants ont eux aussi manifesté le désir de donner une deuxième chance aux délinquants. Après avoir participé aux Forums, 97 % des répondants ont précisé qu’ils avaient plus ou moins le sentiment d’avoir repris le contrôle de ce qui se passe dans leur collectivité. Quatre-vingt-huit pour cent des victimes interrogées ont précisé que les Forums de justice communautaire ont contribué dans une moyenne ou une large mesure à leur guérison psychologique.

Les théoriciens de la justice réparatrice affirment que le processus aide à rétablir l’harmonie au sein de la collectivité car tous les participants ont le sentiment d’avoir atteint un certain degré de justice. Dans cette étude, la réponse à la question « Est-ce que justice a été faite ? » a été en moyenne cotée à 4,2 sur 5, pour le total des participants, et 96 % de tous les participants ont accordé un cote au moins modérée. De plus, les défenseurs des droits des victimes et des délinquants ont indiqué que l’harmonie avait été rétablie. Les Forums de justice communautaire ont eu lieu de une à vingt semaines (en moyenne 5,0 semaines) suivant la perpétration de l’infraction; ce qui fait que le processus de justice n’a été ni reporté, ni refusé. D’après les réponses, les délinquants et leurs défenseurs ne pensent pas qu’il y aura de récidive, quoique les défenseurs des droits des victimes n’en soient pas aussi convaincus.

Dans l’ensemble, les résultats de la présente étude appuient fortement le principe de la justice réparatrice. La cohérence interne des résultats et la similitude des conclusions actuelles avec les documents de recherche dont nous disposons, y compris les études portant sur des expériences de contrôle, semblent corroborer davantage ces conclusions. En outre, les résultats montrent que l’initiative sur la justice réparatrice, qui avait d’abord été appliquée comme un prolongement de la Stratégie relative à la justice applicable aux Autochtones, est maintenant utilisée bien au-delà des collectivités autochtones habituelles, et elle est généralement accueillie favorablement par les collectivités bien informées.


1. Veuillez adresser vos demandes de renseignements concernant cet article à Jharna Chatterjee, Ph.D., Direction de la recherche et de l’évaluation, Gendarmerie royale du Canada, pièce B538, 1200, promenade Vanier, Ottawa (Ontario) K1A OR2.

2. REED, M. et ROBERTS, J. « Services correctionnels pour adultes au Canada, 1997-1998 », Juristat, Centre canadien de la statistique juridique, Catalogue 85-002-XPE, vol. 19, p. 4.

3. BORROWS, J. et ROTMAN, L. Aboriginal Legal Issues: Cases, Materials & Commentary, Toronto, Butterworths, 1998, p. 684.

4. Comme le questionnaire a fait l’objet d’une révision pour qu’il soit plus court et contienne moins de questions, les nombres peuvent varier.