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Capacité des collectivités autochtones daccueillir des délinquants sous responsabilité fédérale
par Malcolm Saulis1
Université Carleton,
Sid Fiddler et Yvonne Howse2
Saskatchewan Indian Federated College
Cet article décrit une étude pilote menée dans cinq collectivités autochtones de la région des Prairies. Létude visait à déterminer la capacité des collectivités daccueillir des délinquants mis en liberté, à voir les possibilités de mettre sur pied des programmes communautaires de justice réparatrice et doffrir des programmes et des services de rechange aux délinquants nouvellement mis en liberté. Elle visait aussi à évaluer la faisabilité des programmes fondés sur la justice réparatrice et à cerner les facteurs qui influencent le recours à des programmes communautaires de réinsertion sociale.
Objectifs de la recherche
Létude visait les objectifs suivants :
Méthode
Cinq collectivités des Premières Nations, en Saskatchewan et en Alberta, ont été invitées à participer à létude ou à aider le chercheur affecté à leur collectivité. Chaque chercheur a été mis au fait de tous les éléments du projet de recherche. Cent quarante-six personnes en tout ont pris part à létude. La répartition était la suivante : 62 ménages individuels, 34 informateurs clés, 15 Aînés, 4 cercles communautaires regroupant 21 participants, 6 délinquants libérés que lon a interviewés, un cercle de 6 détenus et un Aîné qui travaille en établissement.
Profils des collectivités
Le profil des cinq collectivités a révélé les caractéristiques suivantes qui ont eu une incidence sur la capacité des collectivités autochtones délaborer des programmes et des services de rechange à lintention des délinquants sous responsabilité fédérale nouvellement mis en liberté :
Résumé des réponses au questionnaire à lintention des ménages individuels
En tout, 62 personnes provenant des cinq collectivités des Premières Nations ont répondu au questionnaire à lintention des ménages individuels. Parmi les répondants, 69 % avaient entre 30 et 50 ans, 77 % étaient des femmes et la plupart dentre eux parlaient une langue des Premières Nations ainsi que langlais. La grande majorité des répondants, soit 94 %, connaissaient quelquun qui était revenu dans la collectivité après avoir purgé une peine demprisonnement.
Daprès les répondants, les délinquants mis en liberté ont besoin dêtre conseillés par des Aînés, de bénéficier de lorientation culturelle traditionnelle, de participer à des cercles de guérison et de prendre part à des programmes de transition structurelle destinés à lindividu et à la collectivité. La plupart des répondants ont fait valoir limportance du soutien affectif et du besoin pour le délinquant davoir le sentiment dappartenir à sa collectivité et à sa famille et dêtre accepté par elles. Nombre des répondants ont mentionné la nécessité de répondre aux besoins essentiels du délinquant en matière notamment de logement, de vêtements et daide financière, et de leur offrir des programmes et des services coordonnés, holistiques et intégrants, y compris :
Dans lensemble, la majorité des 62 répondants étaient favorables à lidée de réinsérer les délinquants sous responsabilité fédérale dans la collectivité et de leur donner la possibilité de samender.
Résumé des entrevues avec des informateurs clés
En tout, 34 informateurs clés ont été interviewés. La plupart dentre eux étaient des gestionnaires ou des directeurs de programmes ou de services dans la collectivité, dans les domaines du travail social, de la santé, de la formation, de la justice et des affaires correctionnelles. Quelques-uns dentre eux occupaient des positions de dirigeants au sein de leur collectivité. La plupart des informateurs avaient plus de 30 ans, et le groupe comptait autant dhommes que de femmes.
Les informateurs ont indiqué quils constataient une amélioration des rapports entre les collectivités des Premières Nations et les collectivités non autochtones, surtout chez les jeunes.
La majorité des informateurs clés ont indiqué que les personnes qui retournent dans leur collectivité après une peine demprisonnement font face à plus dobstacles et de concurrence dans les domaines de lemploi, des études et de la formation. Ces obstacles peuvent provenir des vérifications du casier judiciaire, de létiquette de criminel qui leur est attachée, de la stigmatisation, de la méfiance et des préoccupations liées à la sécurité que leur présence suscite. Pour réduire ces obstacles, les informateurs clés ont recommandé, entre autres, de créer des programmes destinés à offrir aux ex-détenus les services traditionnels et culturels dAînés, de leur donner accès à des services de soutien et de traitement professionnels, damener les membres de la collectivité à mieux les accepter et à mieux les comprendre et de motiver les ex-détenus à adopter de nouveaux comportements qui accroîtraient leurs chances de réussite.
Dans la plupart des collectivités, il nexiste aucune possibilité détudes, de formation ou demploi qui soit réservée spécifiquement aux ex-détenus. La plupart des possibilités daide financière ou demploi se résumaient à des programmes ou à des services publics des bandes des Premières Nations, à des emplois saisonniers ou à de laide sociale offerte comme filet de sécurité. Seulement une des cinq collectivités participantes offrait des programmes ou des services destinés aux ex-détenus. Dans la majorité des cas, soit les répondants estimaient quils ne disposaient pas des renseignements nécessaires (p. ex., statistiques ou résultats) pour formuler des observations sur les programmes et les services offerts dans les collectivités, soit ils qualifiaient les programmes defficaces, voire de très efficaces, our ce qui est de répondre aux besoins des ex-détenus.
De lavis de la majorité des informateurs clés, limportance des obstacles à la réinsertion sociale dépendait de la gravité du crime, du statut socio-économique de lex-détenu, de son niveau de motivation et de lampleur des efforts quil consacrait à sa réinsertion dans la collectivité.
De façon générale, les informateurs clés appuyaient les ex-détenus et ils étaient favorables à leur retour dans la collectivité. Ils ont toutefois formulé des observations bien précises au sujet des programmes et des services à offrir aux délinquants mis en liberté et à leur famille. Ils ont fait valoir limportance dassurer le soutien nécessaire dans la collectivité et dincorporer des méthodes inspirées des traditions et de la culture autochtones au processus de réinsertion sociale et de guérison en y faisant participer des Aînés.
Résumé des entrevues avec des Aînés
En tout, quinze Aînés, provenant de quatre des cinq collectivités, ont été interviewés. Certains dentre eux étaient davis que les prisons fédérales nexerçaient aucune influence dissuasive sur la plupart des délinquants : « Cest un endroit où lon est logé, nourri trois fois par jour et où lon na pas de responsabilités. Beaucoup vont en prison car ils nont pas dautre endroit où aller. » Les Aînés croient que leur rôle consiste à offrir des services aux Autochtones mis en liberté qui souhaitent réintégrer la collectivité, en travaillant dans le contexte moderne des systèmes de justice réparatrice, des tribunaux, de la probation et des centres correctionnels et en suivant des approches fondées sur la culture autochtone, telles que les cercles de détermination de la peine.
Tous les Aînés ont dit vouloir aider les ex-détenus, que ce soit par la prière, des cérémonies ou des services de counseling. Ils ont précisé que la guérison dépendait de la volonté du délinquant de samender. Les Aînés ont aussi indiqué quil fallait mettre en place dautres programmes et services dans la collectivité.
Résumé des Cercles communautaires et des groupes de discussion
Dans quatre des collectivités, on a mis sur pied quatre Cercles communautaires ou groupes de discussion regroupant vingt et un participants. Les cercles comprenaient principalement des adultes, une même proportion dhommes et de femmes et normalement quelques Aînés.
En général, les participants aux Cercles communautaires étaient davis que les ex-détenus devaient réintégrer la collectivité. Leur attitude à légard de ces derniers se caractérisait par lacceptation, la tolérance, la compréhension et la reconnaissance de la nécessité dune période de transition et de réadaptation. Cependant, dans certaines des collectivités participantes, la tolérance et la volonté doffrir des services et du soutien avaient certaines limites selon le type et la gravité du crime (par exemple, crimes avec violence, crimes dangereux, infractions sexuelles à légard denfants). En outre, les participants ont indiqué que la volonté de la collectivité doffrir des services de réinsertion sociale dépendait directement des efforts que lex-détenu était prêt à consentir pour redresser les torts quil avait causés, de montrer quil était responsable de ses actes, de prouver quil regrettait le comportement et les actes qui lui avaient valu sa peine demprisonnement, de samender et de faire sa part en tant que membre de la collectivité. Dans certaines collectivités, on tenait avant tout à savoir comment protéger ses enfants contre des délinquants sexuels. La plupart des membres des collectivités soit ne voulaient pas accueillir des auteurs dinfractions graves, soit tenaient à ce quon leur garantisse que la collectivité serait protégée et que le délinquant ferait un effort intégré, holistique et concerté pour répondre à leurs préoccupations.
Quant aux autres types dinfractions, tant que les ex-détenus se montraient responsables, les participants aux cercles communautaires ou groupes de discussion étaient prêts à appuyer des initiatives visant à les réintégrer. Parmi les initiatives de réinsertion qui ont été suggérées, mentionnons les programmes et les services permettant de traiter des questions de la colère et de la haine envers les victimes et la famille des victimes, ainsi que dautres programmes, y compris les services traditionnels et culturels et les services pour toxicomanes.
Dans lensemble, les participants aux Cercles communautaires et aux groupes de discussion étaient favorables aux efforts de réinsertion sociale et aux initiatives visant à rétablir lharmonie dans la collectivité. À lexception des auteurs de crimes avec violence et dinfractions sexuelles à légard denfants, les membres des collectivités se sont dit prêts à travailler avec les ex-détenus pour leur donner la possibilité de se réadapter et de se réinsérer dans la société. Certains commentaires avaient trait aux ressources et aux fonds nécessaires pour offrir différents programmes et services aux délinquants, aux familles et aux victimes.
Analyse des entrevues avec des ex-détenus
Environ 50 % des personnes qui ont été en prison sont retournés dans la collectivité. La période de transition qui suit la mise en liberté constitue la phase la plus difficile du retour dans la collectivité. La préparation postlibératoire était considérée comme indispensable pour aider les ex-détenus à réussir leur réadaptation. Il était jugé essentiel de mettre sur pied un programme communautaire de réinsertion sociale dans les réserves ainsi que des programmes et des services de soutien pour accroître lacceptation des délinquants par la collectivité, de répondre à leurs besoins essentiels et de sensibiliser les membres de la collectivité.
Résumé des entrevues avec des détenus
La toxicomanie est considérée comme lune des principales sources de difficultés pour les délinquants membres des Premières Nations. Parmi les autres facteurs qui contribuent à la criminalité chez les Autochtones, on a évoqué la violence des gangs, les écoles résidentielles et loctroi aux Autochtones des droits reconnus à tous les citoyens par les provinces dans les années 1960, tels que le droit à lassistance sociale et le droit dacheter de lalcool, ce qui a entraîné lenlèvement de leur foyer denfants autochtones par les services de protection de lenfance et leur placement dans des foyers daccueil non autochtones. Ceci a été le cas pour un grand nombre des délinquants sous responsabilité fédérale. Ayant passé toute leur vie ou presque en milieu urbain, ces délinquants sidentifient très peu aux collectivités des réserves et ils nont pas le sentiment dappartenance communautaire. Les seules alternatives sont les collectivités à lextérieur des réserves et celles des grands centres urbains.
La plupart des détenus interviewés ont proposé la mise en uvre de différents systèmes de soutien pour empêcher les Autochtones daboutir en prison, y compris des programmes de sensibilisation et de prévention de la violence des gangs et de la toxicomanie, surtout pour les enfants autochtones.
La majorité des détenus participants ont reconnu quils étaient les seuls responsables de leurs actes mais quils avaient besoin de soutien additionnel pour ce qui est notamment de la toxicomanie et du logement. Ils ont jugé essentiel davoir une période de transition au moment de la réinsertion sociale, où ils pourraient bénéficier de la participation dAînés. Ils ont aussi souligné limportance de suivre un programme de réinsertion pour acquérir les compétences psychosociales nécessaires et des programmes destinés à promouvoir la guérison et le mieux-être qui se fondent sur les moyens traditionnels et culturels.
Perceptions, attitudes et valeurs à légard des délinquants et de leur mise en liberté
Dans lensemble, on était prêt à répondre aux besoins des délinquants, à aborder leurs problèmes et à leur fournir le soutien nécessaire pour faciliter leur retour dans la collectivité. La tendance était de donner aux délinquants sous responsabilité fédérale la possibilité de samender et dêtre traité comme un être humain. Les participants ont fait valoir la nécessité de transmettre aux délinquants les valeurs traditionnelles, telles que le respect, lhonnêteté et lacceptation, ainsi que les philosophies et les principes de la culture autochtone. Si les différents répondants étaient prêts à accueillir des délinquants dans leur collectivité, cette tolérance ne sétendait pas tout à fait aux auteurs dinfractions graves. Avant de recevoir ces délinquants, on exigerait des garanties pour ce qui est de la protection de la collectivité et de la prestation des programmes et des services nécessaires.
Initiatives de guérison et de justice réparatrice
Létude a permis de mettre en lumière des initiatives communautaires, telles que les services de counseling assurés par des Aînés, les activités traditionnelles et culturelles et les cercles de guérison, quil faudrait reconnaître officiellement et appuyer.
Au cours des dix dernières années, la plupart des collectivités des Premières Nations ont mis sur pied des initiatives de guérison et de promotion du mieux-être. Plusieurs répondants connaissaient et comprenaient un grand nombre des facteurs qui contribuent à la criminalité et qui sont intimement liés à la toxicomanie. La plupart des répondants étaient prêts à appuyer des initiatives communautaires de justice réparatrice qui favoriseraient la mise en place et le renforcement de programmes et de services adaptés aux besoins et à la culture des délinquants sous responsabilité fédérale qui réintègrent la collectivité. Les initiatives communautaires de justice réparatrice déjà entreprises ont eu une incidence initiale favorable et elles ont permis de sensibiliser les membres des collectivités à légard des délinquants. Les répondants ont dit vouloir poursuivre ces initiatives et en mener dautres, à condition davoir la participation de la collectivité, de conserver la gestion des programmes au sein de la collectivité et de recevoir des ressources additionnelles pour suppléer au manque de fonds.
Conclusion
Les résultats initiaux de létude laissent entrevoir la possibilité réelle délaborer de nouvelles initiatives de réinsertion sociale et de formuler une vision du processus de réinsertion sociale. Ils mettent en lumière la volonté et la capacité des collectivités dentreprendre des initiatives ainsi que le potentiel à long terme de renforcer les relations entre le personnel du Service correctionnel du Canada et les membres des collectivités des Premières Nations.
2. Saskatchewan Indian Federated College, University of Regina, College West Building, Room 118, Regina (Saskatchewan) S7N 0W6.