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Programmes à lintention des délinquants toxicomanes au Canada: Une enquête nationale
Ralph C. Serin et Colette Cousineau1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada
Une des recommandations qui découlent des rencontres entre les Ministres canadiens responsables de la Justice du fédéral, des provinces et des territoires et des responsables des services correctionnels sur la question de la croissance de la population carcérale fait état de la nécessité de mieux comprendre les programmes pour délinquants. Pour répondre à ce besoin, on élabore actuellement un Compendium contemporain sur «ce qui fonctionne» dans les programmes pour délinquants.2 Pour les besoins de cette initiative, on définit un programme comme étant toute intervention qui sadresse systématiquement aux délinquants dans lintention de réduire le risque de récidive. Ainsi, des organismes correctionnels interviennent, notamment au moyen de programmes correctionnels, pour remplir leur mandat dassurer la sécurité publique et de libérer des délinquants en temps opportun.
Aperçu général
Plusieurs études révèlent lexistence dun lien entre la toxicomanie et la criminalité, doù limportance des programmes de prévention.3 Ainsi, 55,9 % des délinquants sous responsabilité fédérale étaient sous linfluence de la drogue ou de lalcool lorsquils ont commis leur infraction. Des évaluations normalisées effectuées au moment de ladmission révèlent également que près de 70 % de tous les délinquants sous responsabilité fédérale ont des problèmes de toxicomanie qui nécessitent une intervention, mais que près de 80 % ont déjà fait usage dalcool ou de drogues. Des conclusions semblables ont été tirées dun profil instantané dune journée des détenus sous responsabilité provinciale,4 où 20 % des détenus ont été reconnus comme nayant pas besoin de traitement pour les toxicomanies.
Pour rédiger un Compendium sur les programmes correctionnels efficaces, on a demandé à toutes les administrations correctionnelles du Canada de remplir un sondage sur le traitement ou les pratiques exemplaires et dy inclure chaque programme correctionnel dont la description correspondait à la définition susmentionnée. Dans chaque cas, on a demandé aux répondants de préciser le domaine du programme ou le groupe cible (p. ex., la toxicomanie). Il est intéressant de constater que la plupart des administrations ont des programmes conçus exclusivement pour la prévention de la toxicomanie et des programmes hybrides ou axés sur plus dun besoin qui abordent différents problèmes, comme la violence familiale, les infractions sexuelles et les infractions avec violence, en un tout.
Grâce au sondage, nous disposons à présent dinformation sur le traitement fournie par le Service correctionnel du Canada (SCC), par toutes les provinces, à lexception du Québec, et par tous les territoires. Linformation recueillie porte sur 574 programmes de traitement, dont 94 (16,4 %) sont destinés aux toxicomanes. Lenquête sur les pratiques exemplaires compte 136 programmes, dont 18 (13,2 %) sont destinés aux toxicomanes. De toutes les enquêtes sur le traitement, 288 (50,2 %) portent sur des programmes fédéraux, et de toutes les enquêtes remplies sur les pratiques exemplaires, 77 (56,6 %) sont de répondants fédéraux. Aux fins du présent document, des comparaisons sont faites entre les administrations fédérales et provinciales, mais des analyses pour une administration particulière sont disponibles sur demande.
Un seul programme peut être offert dans de nombreux établissements, particulièrement dans le contexte fédéral. De plus en plus, on semble offrir des programmes moins nombreux dans plusieurs établissements dune même administration, parce quau lieu davoir un programme unique pour chaque établissement, on cherche à offrir des programmes normalisés. Cela dit, les administrations fédérales (2,1 %) et provinciales (5,6 %) offrent toutes des programmes axés sur plus dun besoin, dont un des objectifs est la prévention de la toxicomanie. Ces constats portent à croire que des administrations tenteraient dintervenir auprès des délinquants ayant des besoins multiples, en leur offrant des programmes qui combinent des éléments de différents programmes. On ne sait trop si lexécution de ces programmes mixtes est motivée par des raisons pratiques ou théoriques (p. ex., on doit tenir compte du contexte de la toxicomanie et des infractions sexuelles ou avec violence).
Programmes fédéraux
Les deux programmes les plus courants au SCC sont le Programme prélibératoire pour toxicomanes (PPT, ALTO au Québec) et le Programme de traitement, de prévention de la rechute et de suivi dans la collectivité (Choices).5 Le PPT et ALTO sont des programmes dintervention cognitifs et comportementaux polyvalents conçus pour aider les délinquants à acquérir et à maîtriser des habiletés afin de saffranchir de leur toxicomanie. Une récente étude indique des taux de réussite de 89 % pour le PPT.6 La participation au PPT est liée à dimportantes diminutions des réincarcérations, des nouvelles condamnations et des nouvelles condamnations pour une infraction avec violence. Lobjectif global de Choices est de réduire le risque quont les délinquants de rechuter ou de récidiver. Le programme vise notamment à motiver le participant à changer son comportement, à adopter des attitudes incompatibles avec la toxicomanie, et à acquérir et à parfaire un éventail dhabiletés pour résoudre des problèmes et réagir face au stress, permettant de réduire le risque de récidive. Le taux de réussite pour Choices est de 86 %.7
Programmes provinciaux
Même si les provinces semblent avoir moins de programmes spécialisés en prévention de la toxicomanie, 70 % des répondants à lenquête sur le traitement et 75 % des participants à lenquête sur les pratiques exemplaires offrent des programmes inspirés de la théorie cognitive et comportementale. Pour la plupart des programmes, on note des critères dadmission précis, que la prestation des services se fait habituellement sous forme de thérapie de groupe ou de thérapie individuelle et que les objectifs des programmes sont axés sur les connaissances et les habiletés. On na pas indiqué les taux de réussite des programmes. Une description dune page des aspects essentiels de chaque programme a été élaborée afin dêtre publiée dans le prochain Compendium. On espère que cette description viendra en aide aux agents qui cherchent des programmes où envoyer les délinquants et au personnel de la politique correctionnelle lorsquils évalueront les besoins des délinquants en fait de programmes.
Description des éléments des programmes
À laide de données des 388 enquêtes sur le traitement et des 134 enquêtes sur les pratiques exemplaires représentant des programmes uniques (pas des établissements), il est possible de comparer des programmes fédéraux et provinciaux. Il y a certaines différences en ce qui a trait à lintensité des programmes selon les juridictions. Pour les programmes fédéraux, les pourcentages des programmes à intensité élevée, moyenne et faible étaient comparables (31,5 %, 26,3 % et 42,1 % respectivement). Pour les programmes provinciaux, il y a relativement peu de programmes à intensité élevée (8,3 %) comparativement aux programmes à intensité moyenne (62,5 %) et aux programmes à faible intensité (29,2 %). Ces différences notables peuvent découler du temps disponible pour fournir des programmes et des profils des délinquants (besoins et risques). Pour ce qui est de la durée des programmes, les différences sont importantes, allant de 1 à 52 semaines. Cependant, la plupart des programmes (55,6 %) duraient entre 6 et 12 semaines. Comme on pouvait sy attendre, la durée des programmes varient en fonction de leur intensité (faible, M = 9,1 semaines; moyenne, M = 12,4 semaines; élevée, M = 14,7 semaines). Les données sont semblables pour ce qui est des pratiques exemplaires, la durée des programmes variant de 2 à 30 semaines. La durée moyenne selon le niveau dintensité étaient : faible (M = 14,3 semaines), moyenne (M = 19,6 semaines) et élevée (M = 39,4 semaines). Les enquêtes fédérales et provinciales sur le traitement comprennent tous deux des programmes communautaires.
Il est intéressant de noter que les programmes fédéraux semblent exister depuis plus longtemps. Près de 67 % des programmes fédéraux existaient avant 1991 comparativement à 14,5 % des programmes provinciaux de prévention de la toxicomanie. Tel quil a été mentionné, lapproche théorique prédominante est lapproche cognitive et comportementale, avec un accent sur la prévention des récidives, mais beaucoup dautres modèles sont suivis aussi (psychodynamiques, psychothérapies, 12 étapes, communauté thérapeutique, spiritualité).
En ce qui concerne les critères dadmission, la méthode la plus utilisée pour choisir des détenus pour un programme est lentrevue (fédéral 28,0 %, provincial 27,3 %). La nature des infractions (fédéral 18,0 %, provincial 22,7 %) et les antécédents criminels sont également des facteurs (fédéral 12,0 %, provincial 14,8 %) qui influent sur les décisions relatives à ladmission. Pour les provinces, les résultats obtenus à lévaluation préalable au traitement sont également très importants (35,2 %) pour déterminer quels détenus devraient être admis à un programme de prévention de la toxicomanie. Il nest pas étonnant de constater que la volonté dassumer la responsabilité de ses actes et le niveau de motivation sont également considérés importants (fédéral 10,0 %, provincial 12,5 %).
Pour ce qui est du modèle de prestation des programmes, les résultats des enquêtes montrent que les programmes provinciaux ne sont pas offerts en séances de groupe seulement. Le modèle préféré de toutes les administrations est la combinaison de séances en groupe et de séances individuelles (fédéral 73,7 %, provincial 51,7 %). De plus, ce sont le plus souvent les agents de programmes qui animent les programmes de prévention de la toxicomanie. Il est rare que des membres du personnel correctionnel ou de santé mentale assurent lanimation comme telle de ces programmes.
Résumé
Comme on peut le voir dans le Tableau 1, ce ne sont pas toutes les administrations qui ont remis des enquêtes sur le traitement ou les pratiques exemplaires, mais cela ne signifie pas nécessairement que des programmes de prévention de la toxicomanie ne sont pas offerts dans ces provinces. Cest la première fois que lon tente délaborer un inventaire de programmes recouvrant différents domaines. De plus, de nombreuses administrations incorporent des programmes de prévention de la toxicomanie à un modèle axé sur plus dun besoin, et ces modèles ne sont pas représentés dans le tableau sommaire. Néanmoins, il peut être révélateur de comparer la fréquence du besoin (environ 70 à 80 % des détenus ont des problèmes de toxicomanie) avec le pourcentage des ressources de programmes allouées. En ce sens, la proportion de ressources de programmes est plus importante que le nombre actuel de programmes. Il serait également utile pour les administrations de comparer les ressources quelles allouent aux programmes de prévention de la toxicomanie à celles allouées par leurs partenaires correctionnels et à la «moyenne» nationale.
Tableau 1
Aperçu des programmes spécialisés en prévention de la toxicomanie par administration |
||
Administration | Pourcentage des programmes(%) ( n = 574) ) |
Pourcentage despratiques exemplaires (%) ( n = 236) |
Terre-Neuve | 23,1 |
0 |
Nouvelle-Écosse | 0 |
25,0 |
Île-du-Prince-Édouard | 22,2 |
0 |
Nouveau-Brunswick | 28,6 |
0 |
Ontario | 11,8 |
10,0 |
Manitoba | 7,51 |
2,5 |
Saskatchewan | 28,9 |
0 |
Alberta | 3,0 |
6,3 |
Colombie-Britannique |
25,0 |
0 |
Yukon | 28,6 |
20,0 |
Territoires du Nord- Ouest | 31,6 |
0 |
Service correctionnel du Canada | 12,5 |
15,6 |
Total | 16,41 |
3,2 |
Analyse
Les résultats de cette enquête nationale semblent montrer que les programmes correctionnels de prévention de la toxicomanie se ressemblent beaucoup dans les administrations provinciales et territoriales. Ces programmes ont des critères daiguillage (antécédents criminels, reconnaissance du problème) et un cadre de travail théorique (cognitivo-comportemental, prévention de la rechute) semblables. De plus, conformément aux pratiques correctionnelles efficaces préconisées, des programmes de différentes intensités (faible, moyenne, élevée) sont fournis et la durée des programmes augmente avec le niveau dintensité. Les contenus des programmes sont relativement semblables. Les différences entre les administrations seraient attribuables à des différences entre les populations, (p. ex., gravité de la toxicomanie ou les antécédents criminels) ou à la disponibilité des programmes selon la durée de la peine.
De tous les programmes décrits dans les enquêtes sur le traitement, 16,4 % visent les toxicomanes, comparativement à 15,2 % destinés aux délinquants violents et 16,6 % consacrés aux délinquants sexuels. La proportion relative des programmes visant directement la toxicomanie est semblable à celle des programmes à lintention des délinquants violents et des délinquants sexuels. Toutefois, la fréquence du besoin de traitement pourrait être plus élevée pour la toxicomanie.
Linclusion de la toxicomanie comme un objectif des programmes hybrides ou axés sur plus dun besoin réglerait ce problème. Par contre, autant dobjectifs différents pourraient compliquer lévaluation parce quil serait difficile de cerner ce qui a vraiment contribué à lefficacité du programme. Finalement, toutes les administrations offrent un certain nombre de programmes de prévention de la toxicomanie dans le cadre dun large éventail de programmes, et les données recueillies jusquici semblent montrer que les approches décrites dans les enquêtes contribuent à réduire le risque de comportement criminel futur.
2. MOTIUK, L. L. et SERIN, R. C. «Compendium sur «ce qui fonctionne» dans les programmes pour délinquants», Forum, recherche sur lactualité correctionnelle, vol. 12, no 2, 2000, p. 3-4.
3. Le retour en toute sécurité des délinquants dans la communauté : Aperçu statistique, octobre 2001, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada.
4. ROBINSON, D., PORPORINO, F.J., MILLSON, W. A., TREVETHAN, S. et MACKILLOP, B. «Profil instantané dune journée des détenus dans les établissements correctionnels pour adultes du Canada», Statistique Canada : Juristat, n º 85-002-XPF, vol. 18, no 8, 1999.
5. Ce programme se donne pour le moment en anglais uniquement.
6. T3 ASSOCIATES. Évaluation des résultats de la participation aux programmes de traitement de la toxicomanie, Ottawa, ON. Service correctionnel du Canada, 1999.
7. T3 ASSOCIATES, 1999.