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Antécédents et effets des attitudes des agents de correction à l’égard des détenus sous responsabilité fédérale : Examen de l’adéquation entre la personne et l’organisation

Thèse de doctorat, Carleton University1
Michel Larivière2
Directeur de thèse : David Robinson
Membres du jury : Adelle Forth, Brian Grant, Charles Gordon et Alan Leschied3

Les agents de correction font l’objet de beaucoup d’attention de la part des spécialistes en sciences sociales et des décideurs. Dans le système carcéral, ils constituent le groupe professionnel le plus imposant et c’est à eux qu’il incombe d’assurer la sécurité, la paix et l’ordre dans les établissements. Ils exécutent leurs tâches suivant les principes directeurs de leur employeur, principes qui, dans des organisations comme le Service correctionnel du Canada, incluent les idéaux d’empathie, de traitement humanitaire et de réadaptation.

Compte tenu de leur nombre et de leur influence, les agents de correction sont dans une position idéale pour mettre en pratique ce système de valeurs et, en retour, exercer une influence positive sur les détenus avec lesquels ils sont fréquemment en contact. Il est donc important de comprendre leurs attitudes, particulière-ment à l’égard des détenus et du système carcéral. Il est également important de comprendre leur adaptation au travail dans l’ensemble en mesurant leur stress au travail, leur satisfaction professionnelle et leur attachement à l’organisation.

Cet article résume une étude de plus grande envergure contenue dans la thèse. Il met en relief la forte influence des attitudes sur l’adaptation au travail et corrobore la théorie de l’adéquation entre la personne et l’organisa-tion. Par essence, la théorie prédit que les travailleurs dont les attitudes et les valeurs concordent avec celles de leur employeur sauront mieux s’adapter. Dans le cas du SCC, cela signifie que ce sont les employés empa-thiques, non portés à punir et en faveur de la réadaptation qui devraient manifester les niveaux d’adaptation au travail les plus élevés. Toutefois, l’adaptation devrait également subir l’influence des attitudes qui ont cours dans le milieu de travail concret de l’employé.

Contexte

En 1973, Zimbardo et ses collaborateurs ont mené une étude célèbre qui a ouvert la voie à une bonne partie de la recherche sur les agents de correction (AC)4. Zimbardo a créé un simulacre de prison à la Stanford University et il a attribué au hasard à des étudiants de sexe masculin le rôle de gardiens et celui de prisonniers pendant un certain temps. Or il a obtenu des résultats inattendus et dramatiques : l’animosité entre les deux groupes est devenue si intense qu’il a mis fin prématurément à l’expérience. Parmi les «prisonniers», Zimbardo a constaté qu’il y avait des cas de mauvaise conduite, de dépression et d’incapacité à s’en sortir, alors que chez les gardiens, il a observé qu’il y avait du stress, du mécontentement et du mépris à l’égard des détenus.

Quantité de recherches ont été effectuées depuis pour évaluer les attitudes correctionnelles des agents de correction et, jusqu’à présent, les témoignages sont partagés. Quoique les agents de correction aient généralement des attitudes plus négatives que les autres travailleurs correctionnels (p. ex., les agents de libération condition-nelle, les aumôniers, les professionnels de la santé et les gestionnaires), les études portent à croire que de nombreux agents de correction éprouvent de l’empathie à l’égard des délinquants et préfèrent la réadaptation à la punition. Il est regrettable qu’il se soit révélé assez difficile de prédire ces attitudes.

Ces derniers temps, les chercheurs se sont tournés vers le stress au travail, la satisfaction professionnelle et l’attachement à l’organisation au sein du personnel correctionnel. Ils ont souvent constaté que le niveau de stress était élevé chez les agents de correction et que ceux-ci étaient en mauvaise santé. Les membres de ce groupe professionnel ont aussi indiqué qu’ils étaient moins satisfaits de leur travail et moins attachés à l’organisation que d’autres travailleurs en milieu carcéral. À l’heure actuelle, les chercheurs ne sont pas encore parvenus à expliquer parfaitement ces résultats. Dans notre étude, nous émettons l’hypothèse qu’ils ont peut-être négligé l’influence des attitudes sur l’adaptation en général.

La théorie de l’adéquation entre la personne et l’organi-sation présente un cadre utile pour examiner ce genre de question. Au fond, on dit qu’il y a adéquation lorsqu’il y a conformité entre les valeurs et les attitudes de l’employeur et celles des employés.

La présente étude

La présente étude traite de quatre questions. D’abord, nous y mesurons les attitudes correctionnelles (empathie, propension à punir et appui à la réadaptation) ainsi que l’adaptation au travail (stress au travail, satisfaction professionnelle et attachement à l’organisation) chez les agents de correction et les autres travailleurs du SCC. Ensuite, nous y utilisons la régression multiple pour prédire les attitudes et l’adaptation au travail. Troisièmement, nous y examinons jusqu’à quel point les attitudes sont liées à l’adaptation au travail. Finalement, nous recourons à la théorie de l’adéquation entre personne et organisation pour voir si les caractéris-tiques des établissements et de l’organisation tempèrent l’influence des attitudes sur l’adaptation au travail. On trouvera au Graphique 1 la liste des variables utilisées dans l’étude et une illustration des interrelations possibles. Comme on pourra le constater, nous nous attendions à ce qu’un certain nombre de variables prédisent les trois attitudes qui retiennent notre attention dans cette étude. Ces attitudes devaient à leur tour prédire l’adaptation au travail; toutefois, l’influence de l’organisation et celle du milieu de travail viennent modifier légèrement cette relation, comme le montre l’encadré au centre du Graphique 1.

Graphique 1
Variables et modèle d’ensemble

Méthodologie

Sujets

Les sujets sont des personnes qui ont participé à l’enquête menée par le Service correctionnel du Canada en 1996 auprès de l’ensemble de son personnel5. Un échantillon aléatoire de l’ensemble des employés a été choisi de façon à engendrer un niveau de confiance de 95 % et une marge d’erreur de 5 % pour chaque unité opérationnelle du SCC et pour chaque groupe profes-sionnel. En conséquence, 7 157 personnes ont été choisies pour participer; de ce nombre, 4 961 ont rempli le questionnaire, ce qui donne un taux de réponse de 69 %. Au total, 1 376 agents de correction ont répondu à l’enquête, représentant 28 % des répondants.

Instrument

La plupart des questions de l’étude ont été établies par un comité directeur formé d’employés et de représen-tants syndicaux du SCC. Toutefois, les points relatifs aux principales variables indépendantes et dépendantes qui nous intéressaient ont été tirés de mesures existantes ayant déjà fait l’objet de validation — par exemple, la sous-échelle d’empathie, la sous-échelle de propension à punir, la sous-échelle d’appui à la réadaptation, la sous-échelle de stress au travail, la sous-échelle de satisfaction professionnelle et la sous-échelle d’attachement à l’organisation6.

Procédure

Les questionnaires en vue de cette étude ont été distribués dans chaque prison fédérale canadienne; ils ont été administrés par une société de conseil de l’extérieur à des participants choisis au hasard. Les directeurs d’établissement avaient reçu instruction d’accorder à leurs employés le temps nécessaire pour remplir le questionnaire anonyme au cours de leur quart de travail. Une fois le questionnaire rempli, les répondants l’ont scellé dans une enveloppe qui leur avait été fournie par la société de conseil.

Résultats

Attitudes

Nous avons constaté que le nombre de personnes empathiques X2 (1, N = 3 679) = 202,26, p < 0,001 ou favorables à la réadaptation X2 (1, N = 3 765) = 141,07, p < 0,001 est nettement moins grand chez les agents de correction que dans les autres groupes professionnels. Ceux qui sont considérés comme portés à punir sont aussi nettement plus nombreux parmi les agents de correction X2 (1, N = 3 773) = 169,90, p < 0,001. Nous avons également comparé séparément les agents de correction à d’autres groupes professionnels en ce qui concerne les trois mesures d’attitude qui nous intéressaient. Parmi les 10 types de travailleurs en milieu carcéral étudiés, les agents de correction sont ceux qui ont obtenu les résultats les plus faibles pour ce qui est de l’empathie (F (11, 3 667) = 52,50, p < 0,001) et de l’appui à la réadaptation (F (11, 3 761) = 44,42, p < 0,001). À l’exception du groupe des Services techniques et Services à l’établissement (qui a obtenu une note plus élevée que les AC II), les agents de correction sont également ceux qui ont manifesté les attitudes les plus punitives (F (11, 3 753) = 39,74, p < 0,001).

Prédiction des attitudes

Les grands encadrés du Graphique 2 énumèrent les variables explicatives des attitudes correctionnelles qui ont le plus de poids chez les agents de correction et les autres employés, c’est-à-dire les variables qui demeurent significatives dans les analyses de régression multiple7. Bien que les équations de régression multiple demeurent statistiquement significatives, les petits encadrés montrent que le niveau de variance expliqué pour chaque équation est relativement modeste puisqu’il se situe entre 6,7 % et 15,1 %. Les variables démographiques (comme l’âge et le niveau d’instruction) tout comme celles qui caractérisent le milieu de travail (p. ex., la taille de la prison, le niveau de sécurité) constituent des facteurs déterminants importants sur le plan des attitudes correctionnelles. Pour être précis, les attitudes sont d’autant plus positives que le niveau d’instruction et l’âge des travailleurs sont élevés, que la taille des prisons est petite et que le niveau de sécurité est faible.

Graphique 2
Prédiction des attitudes correctionnelles

Adaptation au travail

Nous avons pris trois mesures de l’adaptation au travail chez les agents de correction et les autres travailleurs. Utilisant encore une fois la moyenne de la sous-échelle comme limite d’inclusion, nous avons constaté que la proportion d’agents de correction qui ne sont pas satisfaits de leur travail est nettement plus grande X2 (1, N = 3 791) = 169,97, p < 0,001 que dans les autres groupes et que leur attachement à l’organisation est nettement moindre X2 (1, N = 3 728) = 242,08, p < 0,001. Toutefois, la probabilité qu’ils fassent état de niveaux de stress au travail élevés n’est pas plus grande X2 (1, N = 3 756) = 2,35, p = 0,125) que chez leurs collègues.

Les agents de correction ne sont pas nettement différents des autres types de travailleurs en ce qui concerne le stress au travail en général. C’est plutôt le groupe des agents de gestion de cas (agents de libération condition-nelle) qui fait état des niveaux de stress les plus élevés. Les agents de correction obtiennent tout de même des résultats nettement inférieurs quand on mesure leur satisfaction professionnelle et leur attachement à l’organisation. Pour leur part, les gestionnaires du système carcéral font contraste par rapport à ces résultats. Ces derniers sont nettement plus attachés au Service correctionnel du Canada et généralement plus satisfaits de leur travail que les agents de correction.

Prédire l’adaptation au travail

Les analyses de régression multiple qui prédisent le stress au travail, la satisfaction professionnelle et l’attachement à l’organisation ont été menées avec les mêmes variables indépendantes que celles qui ont été utilisées pour prédire les attitudes à l’égard des détenus. Toutefois, pour analyser la contribution des attitudes à l’adaptation au travail, nous avons inclus comme variables explicatives additionnelles l’empathie, la propension à punir et l’appui à la réadaptation. Afin d’examiner l’influence de l’environnement correctionnel lui-même sur les résultats au travail, nous avons aussi fait entrer dans l’équation le niveau général d’empathie, de propension à punir et d’appui à la réadaptation qui existe dans la prison.

Les attitudes à l’égard des détenus ont prédit de façon significative les mesures d’adaptation au travail. En fait, ces variables ont été les variables explicatives du stress, de la satisfaction et de l’attachement ayant le plus de poids, tant chez les agents de correction que chez les autres travailleurs. Fait intéressant à noter, la propension à punir se révèle le facteur déterminant du stress au travail le plus prononcé, alors que l’appui à la réadaptation explique largement la satisfaction professionnelle et l’attachement à l’organisation.

Nous avons examiné l’importance des attitudes sur l’adaptation au travail d’une deuxième façon. Nous avons procédé à des analyses de régression multiple pour prédire le stress au travail, la satisfaction profes-sionnelle et l’attachement à l’organisation. Cette fois, les trois attitudes correctionnelles qui nous intéressaient ont été entrées séparément en bloc et non simultanément avec les autres variables explicatives traditionnelles.

La capacité des attitudes correctionnelles de prédire la variance expliquée dans les scores d’adaptation au travail est frappante et beaucoup plus importante que les variables explicatives traditionnelles (âge, race, sexe et niveau d’instruction). Chez les agents de correction, la variance expliquée dans le stress au travail s’est améliorée de 2,7 % à 9,1 %. Quant à la satisfaction profes-sionnelle, la variance expliquée est passée de 5,9 % à 14,3 % et, en matière d’attachement à l’organisation, cette variance a grimpé à 23,8 %, ce qui est remarquable puis-qu’elle n’était que de 6,0 % dans l’analyse où les scores relatifs aux attitudes n’ont pas été entrés en bloc. Nous avons constaté des effets semblables, quoique moins prononcés, chez ceux et celles qui ne sont pas agents de correction. Le message clé qui ressort de toutes ces analyses est que peu importent les tâches de l’employé, l’adaptation professionnelle semble largement déterminée par ses attitudes correctionnelles (voir le Graphique 3).

Graphique 3
Prédiction de l’adaptation professionnelle :
L’influence des attitudes

Interactions personne-établissement

Les séries d’analyses antérieures ont montré que les attitudes individuelles à l’égard des détenus constituaient d’importantes variables explicatives du stress au travail, de la satisfaction professionnelle et de l’attachement à l’organisation. Toutefois, la théorie de l’adéquation entre la personne et l’organisation donne à penser que les variables individuelles et organisationnelles devraient interagir et exercer une influence sur les résultats au travail de manière importante.

Contrairement à nos attentes, nous n’avons constaté aucune interaction importante. Le niveau général d’empathie, de propension à punir et d’appui à la réadaptation dans la prison n’a ni augmenté ni réduit sensiblement le niveau d’adaptation au travail de l’employé. Par exemple, le fait d’engager un agent de correction empathique n’a pas eu beaucoup d’effet. Si l’on s’appuie sur les analyses de notre étude, cette personne devrait normalement manifester moins de stress au travail, plus de satisfaction professionnelle et plus d’attachement à l’organisation. Bref, les attitudes individuelles semblent l’emporter sur les attitudes collectives de l’établissement et les interactions entre les deux, quand on vient pour déterminer le niveau d’adaptation générale des agents de correction et des autres travailleurs.

Analyse

Les résultats montrent qu’on trouve généralement des attitudes négatives chez les agents de correction. Seulement 26,2 % sont empathiques, selon notre évaluation, alors que 26,6 % peuvent être présentés comme ayant des attitudes non punitives. Malgré l’orientation du SCC en ce sens, il n’y a que la moitié des participants environ (52,9 %) qui se sont montrés favorables à la réadaptation des délinquants.

Ces résultats sont décevants. Les chercheurs soutiennent depuis longtemps que les agents de correction sont dans une position idéale pour favoriser un changement de comportement positif et améliorer l’atmosphère d’un environnement social appauvri, par ailleurs8. Les efforts actuels en matière de réadaptation sont probablement compromis en prison. Dans une situation où la plupart des travailleurs de première ligne trouvent à redire sur l’efficacité de la réadaptation ou ont des doutes à ce sujet, il est difficile d’imaginer comment les délinquants peuvent tirer pleinement profit des programmes qui leur sont offerts en ce moment. En outre, les niveaux actuels d’empathie et de propension à punir risquent d’entraver les efforts destinés à améliorer l’atmosphère sociale des prisons fédérales.

D’un autre côté, les fonctions des agents de correction sont avant tout des fonctions de garde et des fonctions disciplinaires. La fouille des cellules, les fouilles à nu, les escortes armées, le guet dans les tours, les dénombre-ments, la discipline et la surveillance générale sont les activités principales des agents de correction et celles-ci ne sont pas particulièrement propices à des attitudes ou à un affect positifs. Si l’on continue de tenter d’élargir le rôle des agents de correction pour inclure des activités de réinsertion sociale dans leurs tâches, on pourrait constater des améliorations avec le temps. La hausse du niveau de scolarité dans ce groupe professionnel est encourageante, surtout si l’on tient compte du solide lien qui existe entre le niveau de scolarité et les attitudes positives.

Le niveau d’instruction a du poids comme variable explicative de l’empathie, de la propension à punir et de l’appui à la réadaptation. C’est ce qui ressort de la présente étude, ce qui est quelque peu étonnant compte tenu des recherches antérieures dans ce domaine9. Fait également surprenant, comparativement à leurs collègues, des employés très instruits font état d’une satisfaction professionnelle nettement moindre, et ce, malgré leurs attitudes plus positives. Cela peut donner à penser que des personnes hautement qualifiées pourraient être sous-utilisées et/ou sous-rémunérées par leur employeur. Peut-être l’organisation devrait-elle accorder une attention spéciale à ce groupe d’employés. Bien qu’ils aient la formation et les orientations correctionnelles les plus susceptibles d’engendrer un changement positif dans le comportement des délin-quants, les travailleurs instruits ne semblent pas retirer beaucoup de satisfaction de leurs tâches. Compte tenu de leur mécontentement et de leur faible attachement, le SCC risque semble-t-il de perdre un précieux segment de son effectif.

La constatation que les grands établissements prédisent des attitudes négatives semble arriver à point nommé, compte tenu des mouvements actuels en faveur de la construction de prisons plus grandes. Si, en fait, le système correctionnel a entre autres pour objectif de créer un environnement propice aux interactions positives avec les détenus et à la réadaptation, peut-être alors y a-t-il mieux à faire que d’accroître la taille des prisons. Les autorités carcérales devraient plutôt réfléchir à la conclusion selon laquelle les travailleurs des centres de traitement et des prisons pour femmes sont nettement plus positifs que les répondants des prisons conventionnelles. Non seulement ces établisse-ments sont-ils plus petits, mais ils ont aussi tendance à être davantage axés sur les programmes et les interactions efficaces entre le personnel et les détenus.

L’hypothèse selon laquelle les attitudes positives à l’égard des détenus seraient associées à une meilleure adaptation au travail a été confirmée avec force. Leur corrélation varie de r = 0,13 dans le cas de l’empathie et du stress au travail à r = 0,40 dans le cas de l’appui à la réadaptation et de l’attachement à l’organisation. Bien qu’on ne puisse pas conclure ici à une certaine directionnalité et à un rapport de cause à effet, il est clair que les travailleurs empathiques, non portés à punir et en faveur de la réadaptation affichent de meilleurs résultats que ceux qui n’ont pas ces attitudes.

Compte tenu des attitudes des agents de correction à l’égard des détenus et de l’existence au sein du Service correctionnel du Canada d’un système de valeur qui entre en conflit avec ces attitudes, nous nous attendions à ce que l’adaptation au travail soit moins poussée parmi eux que dans les autres groupes professionnels. Sauf pour ce qui concerne le stress au travail, cette prédiction s’est révélée fondée. Les agents de correction sont nettement moins satisfaits de leur travail (64,6 % par opposition à 83,3 %) et nettement moins attachés au Service correctionnel du Canada (50,3 % contre 75,4 %) que les travailleurs des autres groupes.

Il ne serait certainement pas juste de jeter le blâme uniquement sur les attitudes correctionnelles négatives pour expliquer les scores relatifs à l’adaptation au travail. Probablement existe-t-il plusieurs autres raisons qui peuvent amener les agents de correction à se sentir moins satisfaits de leur travail et moins attachés à leur employeur que les autres travailleurs. Le fait que les agents de gestion de cas ait signalé des niveaux de stress au travail plus élevés malgré leurs attitudes correctionnelles plus positives donne à penser que les fonctions, les problèmes concernant la charge de travail et le perfectionnement professionnel devront être pris en considération dans les recherches ultérieures.

Au sens strict, les systèmes correctionnels ont pour mandat d’administrer des peines imposées par les tribunaux d’une manière qui optimise la protection du public. Par le passé, on faisait une équation entre protection du public et punition, application rigoureuse des règles, rigidité dans la structure de gestion et insistance sur certaines infrastructures matérielles (p. ex, les clôtures, les tours et les armes). Conscients du fait que la plupart des détenus retournent dans la collectivité, les systèmes correctionnels contemporains ne sont pas axés uniquement sur la punition et la détention mais aussi sur le traitement et l’intégration. Cette interprétation élargie de la protection du public est encourageante, surtout si l’on tient compte de l’accumulation de preuves qui démontrent l’efficacité des programmes correctionnels bien conçus10. Qui plus est, les milieux empathiques, non punitifs et propices à la réadaptation laissent entrevoir un environnement correctionnel plus sain et peut-être un milieu de travail plus sain.

Le Service correctionnel du Canada s’est donné un énoncé de mission bien clair, dont on parle beaucoup. Or celui-ci porte à croire que la haute direction a fait sienne cette nouvelle orientation collective, une orientation qui ressemble vraiment à un Modèle de services humains. Il est regrettable cependant qu’à mesure que l’on descend dans la structure hiérarchique de l’organi-sation, l’adhésion à ce point de vue diminue. Chez les agents de correction, dont on pourrait dire qu’ils sont les employés à qui il incombe le plus de créer et de maintenir l’atmosphère en prison, les attitudes correc-tionnelles sont largement négatives. Dans ces conditions, la théorie de l’adéquation entre la personne et l’organi-sation prédit une piètre adaptation, ce qui se voit par exemple dans le stress au travail accru, la moindre satisfaction professionnelle et l’attachement moins prononcé à l’organisation. Les données sur l’adaptation au travail obtenues de ce large échantillon d’employés de prison confirment fortement cette prédiction.

Nous pensions que l’interaction entre les attitudes individuelles et les attitudes du milieu de travail ferait sentir ses effets sur le stress au travail, la satisfaction professionnelle et l’attachement à l’organisation. Par exemple, qu’un employé empathique travaillant dans un milieu non empathique réussirait moins bien son adaptation au travail. Et de même, qu’une personne indifférente à la réadaptation ferait état d’une diminution de son adaptation au travail dans une prison où le sentiment dominant est favorable au traitement. Or ces attentes ne se sont pas révélées fondées. Nous avons plutôt constaté un lien entre les attitudes correctionnelles positives et des résultats positifs au travail quels que soient le point de vue collectif exprimé ou l’atmosphère dominante dans une prison. Ces conclusions autorisent à penser que la compatibilité avec les valeurs de l’employeur est plus importante que la compatibilité avec l’unité de travail concrète (c.-à-d. l’adéquation entre la personne et son milieu de travail).

La tendance apparente qu’a le Service correctionnel du Canada à accorder des promotions aux personnes qui sont les mieux adaptées corrobore la théorie en question. Nous avons constaté dans notre étude que les gestionnaires d’unité avaient des attitudes plus positives que les AC II et que ceux-ci à leur tour avaient des attitudes plus positives que les AC I. Il semble que l’empathie, l’appui à la réadaptation et l’absence de propension à punir accroissent de façon sensible les chances de promotion. Il se peut aussi que la promotion ou le processus de promotion lui-même modifie les attitudes en donnant au candidat l’occasion de se rendre compte de l’importance et de la valeur de l’empathie et du traitement. Dans les concours de dotation au Service correctionnel du Canada, on vérifie souvent la compréhension qu’ont les candidats de l’énoncé de mission ainsi que des principes et des valeurs qui le sous-tendent. Ainsi, le fait de se préparer à des examens en vue d’un poste pourrait en lui-même et par lui-même atténuer les attitudes négatives.

Voilà donc une occasion intéressante pour l’organisa-tion d’engendrer des attitudes particulières parmi ses employés. Si le système de récompense était davantage fondé sur les orientations correctionnelles, le personnel serait mieux préparé à réinsérer les délinquants dans la société et, en fin de compte, à protéger le public. Il y aurait aussi probablement d’autres avantages supplé-mentaires : une meilleure adaptation au travail et une amélioration des conditions dans les prisons.

Le recrutement du personnel constitue un autre important moyen de donner à l’effectif la forme désirée. Au cours du processus d’embauche, les recruteurs du SCC devraient évaluer non seulement les titres scolaires mais aussi les attitudes des candidats. Comme le soutiennent Bowen et al. (1991), on accroît la souplesse de l’effectif en choi-sissant des gens ayant des valeurs compatibles plutôt que des ensembles de compétences précis. Dans le contexte actuel, cela pourrait aussi contribuer à créer un environnement plus sûr et plus sain pour les citoyens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des pénitenciers.


1.  Extrait de LARIVIÈRE, M. Antecedents and outcomes of correctional officer attitudes towards federal inmates: An exploration of person-organization fit, thèse de doctorat non publiée, Ottawa, Ontario, Carleton University, 2001.

2.  340, avenue Laurier ouest, Ottawa, Ontario, K1A 0P9.

3.  Alan Leschied, University of Western Ontario, London, Ontario.

4.  JACOBS, J. B. et KRAFT, L. J. «Integrating the keepers: A comparison of black and white prison guards in Illinois», Social Problems, vol. 3, 1978, p. 304-318.

5.  ROBINSON, D., PORPORINO, F. et SIMOURD, L. «The influence of educational attainment on the attitudes and job performance of Correctional Officers», Crime and Delinquency, vol. 43, no 1, 1997, p. 60-77.

6.  Voir la thèse pour bibliographie.

7.  L’auteur peut fournir les données pour les équations des analyses de régression multiple, les variables exclues, les matrices de corrélation, les analyses de facteurs et les diagnostics de collinéarité.

8.  HEPBURN, J. R. et KNEPPER, P. E. «Correctional Officers as human services workers: The effect on job satisfaction», Justice Quarterly, vol. 10, no 2, 1993, p. 315-335. Pour d’autres auteurs, voir la thèse.

9.  CROUCH, B. M. et ALPERT, G. P. «Sex and occupational socialization among prison guards: A longitudinal study», Criminal Justice and Behavior, vol. 9, no 2, 1982, p. 159-176. Pour d’autres auteurs, voir la thèse.

10.  GENDREAU, P. et ROSS, R. «Revivication of rehabilitation: Evidence from the 1980s», Justice Quarterly, vol. 4, 1987, p. 349-408.

11.  JURIK, N. C. et MUSHENO, M. C. «The internal crisis of corrections: Professionalization and the work environment», Justice Quarterly, vol. 3, no 4, 1986, p. 457-480.