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L’utilité de la Théorie du circomplexe interpersonnel dans la recherche et le traitement des délinquants sexuels

Thèse de doctorat, Queen’s University1
Dana Anderson2
Directeur de thèse : William. L. Marshall
Membres du jury : Fred Boland et Lee Fabrigar

Une grande partie des études consacrées aux délinquants sexuels examinent les différences entre délinquants sexuels et délinquants non sexuels pour un certain nombre de variables psychologiques (comme l’empathie, l’estime de soi, les lacunes sur le plan de l’intimité et la solitude). Les cliniciens et les spécialistes ont également observé des différences entre les variables caractérisant les divers types de délinquants (p. ex., les violeurs et les agresseurs d’enfants). Certaines de ces variables peuvent être liées au profil interpersonnel problématique des délinquants. Dans le cadre de la présente étude, nous avons cherché à examiner les différences de profil interpersonnel entre les divers types de délinquants sexuels et non sexuels, en utilisant comme cadre la théorie du circomplexe interpersonnel.

Théorie du circomplexe interpersonnel et son adaptation aux délinquants sexuels

Leary3 a résumé les nombreux travaux entrepris par ses collègues et par lui-même à propos du concept de «cercle interpersonnel». Il s’agit de classer les comportements interpersonnels selon une structure circulaire au sein de laquelle les axes orthogonaux représentent les dimensions du contrôle et de l’affiliation. Chacune de ces dimensions s’appuie sur des adjectifs bipolaires correspondant aux aspects extrêmes de ces concepts : la dimension du contrôle est caractérisée par la domination ou la soumission, tandis que celle de l’affiliation est caractérisée par la bienveillance ou l’hostilité. Ces quatre types de comportement interper-sonnel composent les quadrants du cercle interpersonnel : hostile-dominant, hostile-soumis, amical-dominant et amical-soumis.

On crée un vecteur dans le cercle interpersonnel selon un angle par rapport à l’origine; ce vecteur correspond au profil interpersonnel. La distance entre ce vecteur et l’origine indique dans quelle mesure la personne correspond au profil interpersonnel en question. Il existe donc différents niveaux sur le continuum du comportement interpersonnel, qui sont représentés par ce modèle. Plus le comportement affiché est extrême, plus on dit que la personne a un profil interpersonnel bien défini. On associe une extrême rigidité à de graves problèmes interpersonnels et à des problèmes d’ordre psychopathologique4. Par exemple, quelqu’un peut afficher un comportement interpersonnel calqué sur le vecteur, à mi-chemin entre «dominant» et «hostile»; on dit alors de cette personne qu’elle fait preuve de méfiance. Le deuxième niveau, plus extrême, désigne une personne «méfiante-rancunière», et le niveau le plus extrême correspond à un comportement «paranoïaque-vindicatif» (c’est le niveau qu’on associe le plus souvent aux troubles psychopathologiques)5.

Certaines études portant sur les comportements interpersonnels inadaptés des délinquants sexuels ont révélé qu’on pouvait utiliser le modèle du circomplexe interpersonnel comme cadre d’intégration des théories existantes. On sait que les délinquants sexuels sont moins enclins à faire preuve d’empathie que les non-délinquants6, et les problèmes d’empathie pourraient être liés à des problèmes de comportement interpersonnel. En outre, on sait que les délinquants sexuels ont des lacunes sur le plan de l’intimité et sont plus solitaires que les non-délinquants ou les délinquants non violents7. Là encore, il s’agit de difficultés interpersonnelles qui peuvent être imputables à un comportement inter-personnel inadapté. Parce qu’il existe des différences de concept selon les différents types de délinquants sexuels8, ces derniers affichent donc également différents types de comportements interpersonnels.

Méthodologie

Dans le cadre de l’étude, nous avons évalué 148 délin-quants provenant de divers pénitenciers de la région de l’Ontario, représentant tous les niveaux de sécurité. Ils ont été répartis entre les groupes suivants, selon leurs antécédents criminels : 39 violeurs, 42 agresseurs d’enfants, 41 délinquants violents (non sexuels) et 26 délinquants ayant commis une infraction générale (non sexuelle, sans violence). Leur âge moyen était de 37,42 ans (écart-type = 10,98; fourchette de 20 à 69). Quarante-six participants purgeaient une peine d’une durée indéterminée (dont 14 délinquants dangereux). La durée moyenne de la peine des 102 hommes restants (peine d’une durée déterminée) était de 6,43 ans. Aucun des délinquants sexuels ne s’était rendu au terme du programme de traitement des délinquants sexuels.

Nous avons évalué les comportements interpersonnels à l’aide de l’Interpersonal Adjectives Scale (version révisée) (IAS-R)9. Il s’agit d’une échelle comportant 64 éléments, qui permet de faire soi-même l’évaluation de son comportement interpersonnel. Les répondants doivent s’attribuer eux-mêmes une note correspondant au degré d’exactitude de chaque adjectif sur une échelle d’évalua-tion en huit points, qui va de «tout à fait inexact» à «tout à fait exact». Cette échelle attribue une note aux participants pour chacune des huit catégories composant le profil interpersonnel : confiant-dominant, convivial-extraverti, chaleureux-agréable, modeste-candide, faible-soumis, réservé-introverti, froid et arrogant-calculateur. De plus, le programme de notation de l’IAS-R définit des profils interpersonnels. Dans le cadre de l’étude, nous avons entré les notes moyennes correspondant aux réponses de chaque groupe de délinquants à chaque point, afin d’obtenir le profil de ce groupe.

Résultats

Nous avons calculé les variations en comparant les notes moyennes pour chaque octant (ou chacune des huit catégories interpersonnelles) de l’IAS-R applicable aux délinquants sexuels. Nous avons observé des différences statistiquement significatives entre les notes moyennes (p < 0,05) pour cinq des catégories. En moyenne, les violeurs se sont attribué une note nettement supérieure à celle des agresseurs d’enfants pour les catégories suivantes : confiant-dominant, arrogant-calculateur, froid et réservé-introverti; et ils se sont attribué des notes inférieures à celles des agresseurs d’enfants pour la catégorie «chaleureux-agréable». En intégrant tous les groupes de délinquants à nos analyses, nous avons observé d’importantes différences dans les catégories suivantes : arrogant-calculateur, froid et réservé-introverti. Pour chacune de ces trois catégories, ce sont les violeurs qui ont obtenu la note moyenne la plus élevée de tous les groupes de délinquants.

Nous avons établi les profils interpersonnels de chaque groupe. Chaque profil représente une configuration de caractéristiques propres à ce groupe. La position angulaire indique la catégorie interpersonnelle et la longueur du vecteur, la force avec laquelle le comportement se manifeste. Il convient de noter que les variables, ou les groupes d’adjectifs interpersonnels qui composent le circomplexe, sont répartis selon un continuum, et que les personnes appartenant à une même catégorie peuvent différer les unes des autres. Par exemple, l’adjectif «autoritaire» appartient à l’octant «confiant-dominant», mais c’est également le cas du qualificatif «sûr de soi». Ainsi, les variables observées dans chaque catégorie s’inscrivent sur un continuum et, plus elles sont proches de la catégorie suivante, plus elles seront associées de près à ces adjectifs.

Le profil moyen des violeurs révèle qu’ils appartiennent au type «froid». Les personnes classées dans cette catégorie refusent généralement qu’on leur attribue les qualificatifs «chaleureux», «gentil» ou «sympathique». Le problème majeur tient au fait que ces personnes ont du mal à exprimer leur affection aux autres, à s’entendre avec les autres et à pardonner. Par contre, les agresseurs d’enfants ont plutôt le profil «faible-soumis». Les personnes classées dans cette catégorie sont généralement timides et soumises dans leur vie sociale, manquent de confiance en elles et n’ont pas une grande estime d’elles-mêmes. Plus ce type de comportement s’aggrave, plus ces personnes ont du mal à faire connaître leurs besoins aux autres et à s’affirmer.

Les délinquants violents sont généralement du type «froid» (voir plus haut), tandis que les délinquants non sexuels et non violents sont du type «chaleureux-agréable». Les personnes appartenant à cette catégorie sont généralement dévouées, empathiques et atten-tionnées dans leur vie sociale. Le problème tient au fait qu’elles essaient à tout prix de plaire aux autres, font trop confiance aux gens et sont trop permissives lorsqu’elles traitent avec les autres.

Analyse

On sait que, globalement, le profil interpersonnel des violeurs diffère de celui des agresseurs d’enfants, mais qu’il semble similaire à celui des autres délinquants violents non sexuels. Ceux qui n’ont commis aucune infraction à l’endroit de personnes (infractions générales) sont plus enclins à s’attribuer des adjectifs révélant un comportement interpersonnel plus adapté. Il convient de noter que, dans le cadre des études sur les troubles de la personnalité, l’octant «chaleureux-agréable» n’est associé à aucun des troubles énoncés dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV). Point intéressant : l’IAS-R est une échelle d’autodéclaration. Les délinquants visés par la présente étude se sont donc eux-mêmes décrits. Cela signifie que la conception qu’ils ont de leur profil interpersonnel semble coïncider avec les analyses cliniques, ainsi qu’avec les conclusions d’autres études consacrées aux différences entre agresseurs d’enfants et violeurs.

Étant donné que chaque groupe s’auto-évalue, il est important de tenir compte de l’hypothèse suivante, qui est à la base de la théorie du circomplexe inter-personnel : les différents profils interpersonnels se traduisent par certains comportements interpersonnels, qui respectent toujours le même modèle. Idéalement, pour avoir des relations interpersonnelles constructives, chaque personne devrait disposer d’un éventail de comportements parmi lesquels elle choisirait celui qui convient le mieux à chaque situation10. Une personne qui a un profil interpersonnel bien particulier doit tout d’abord être capable de modifier la série de traits de caractère associée à ce profil, de sorte que son comportement interpersonnel soit moins extrême, et qu’elle puisse ainsi passer plus facilement à un autre continuum de comportements. C’est pourquoi le thérapeute devrait inciter son client à éviter tout comportement extrême. Il ne doit pas céder à la tentation d’adopter un comportement complémentaire à celui de son client, ce qui ne ferait qu’accentuer le profil déjà problématique de ce dernier.

Certains spécialistes et certains cliniciens ont établi le profil du thérapeute idéal pour les groupes de délinquants sexuels11, et leurs observations révèlent qu’il faut que ces thérapeutes fassent preuve de flexibilité dans leurs comportements interpersonnels. En d’autres termes, pour traiter efficacement avec des clients aux profils interpersonnels différents, un thérapeute devrait pouvoir afficher un comportement interpersonnel adapté aux deux dimensions du contrôle (de dominant à soumis) et de l’affiliation (d’hostile à amical). Même si l’on peut trouver étrange, voire contraire à l’éthique, l’idée selon laquelle un thérapeute pourrait adopter un style jugé hostile, les différences que l’on a observées entre les comportements inadaptés des agresseurs d’enfants et des violeurs indiquent que certaines approches interpersonnelles des thérapeutes peuvent mieux convenir que d’autres à différents types de délinquants, notamment si l’on veut aider un délinquant à changer de comportement, au lieu d’imiter le profil interpersonnel de celui-ci et de l’accentuer ainsi involontairement.

En conclusion, la Théorie du circomplexe interper-sonnel fournit un cadre intéressant pour l’étude des difficultés observées chez bon nombre de nos clients. En outre, cette théorie présente des hypothèses plausibles à partir desquelles on peut effectuer des analyses qui non seulement fourniront des données empiriques à l’appui des conclusions des cliniciens, mais nous inciteront également à envisager divers moyens de traiter les délinquants sexuels.


1.  Extrait de ANDERSON D. The utility of Interpersonal Circumplex Theory in research and treatment of sexual offenders, thèse de doctorat, Kingston, ON, Queen’s University, 2001.

2.  340, avenue Laurier Ouest, Ottawa, Ontario, K1A 0P9.

3.  LEARY, T. Interpersonal diagnosis of personality, New York, NY, Ronald, 1957.

4.  WIGGINS, J. S., TRAPNELL, P. et PHILLIPS, N. «Psychometric and geometric characteristics of the revised Interpersonal Adjective Scales (IAS-R)», Multivariate Behavioral Research, vol. 23, 1988, p. 517-530.

5.  KIESLER, D. J. «The 1982 interpersonal circle: A taxonomy for complementarity in human transactions», Psychological Review, vol. 90, 1983, p. 185-214.

6.  WILLIAMS L. M. et FINKELHOR, D. «The characteristics of incestuous fathers: A review of recent studies» dans Handbook of Sexual Assault: Issues, Theories, and Treatment of the Offender, p. 231-255, sous la direction de W.L. Marshall, D. R. Laws et H. E. Barbaree, New York, NY, Plenum Press, 1990.

7.  SEIDMAN, B. T., MARSHALL, W. L., HUDSON, S. et ROBERTSON, P. J. «An examination of intimacy and loneliness in sex offenders», Journal of Interpersonal Violence, vol. 9, 1994, p. 518-534.

8.  GARLICK, Y., MARSHALL, W. L. et THORNTON, D. «Intimacy deficits and attribution of blame among sexual offenders», Legal and Criminological Psychology, vol. 1, 1996, p. 251-258. Voir aussi SEIDMAN, MARSHALL, HUDSON et ROBERTSON, 1994.

9.  WIGGINS, J. S. Interpersonal adjective scales: Professional manual, Odessa, FL, Psychological Assessment Resource, 1995.

10.  KNAPP, M. L. et VANGELISTI, A. L. Interpersonal communication and human relationships, Needham Heights, MA, Allyn and Bacon, 1992. 11 MARSHALL, W. L., ANDERSON, D. et FERNANDEZ, Y. Cognitive-behavioral therapy with sexual offenders, Londres, GB, John Wiley and Sons, 1999.