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Les effets de l’incarcération sur le rôle de la mère

Mémoire de maîtrise, Université d’Ottawa1
Julie J. Fournier2
Conseillers : Colette Parent et Sylvie Frigon
Membres du jury : Fernando Acosta, Line Beauchesne et Maria J. Los

Les femmes qui purgent leur peine au sein du système correctionnel fédéral présentent un défi tout particulier au Service correctionnel du Canada (SCC). En 1990, le Groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale s’est penché sur la situation des délinquantes afin de créer une approche centrée sur les femmes pour répondre à leurs besoins particuliers.

Cela a été le fondement pour un travail continu et supplémentaire qui était nécessaire pour répondre aux besoins particuliers de cette population. D’autres études menées au début des années 1990 ont montré que presque les deux tiers de cette population sont des mères et que la plupart de celles-ci sont monoparentales. Cette situation pose des défis importants au SCC et à la collectivité pour ce qui est de veiller au bien-être et à l’intérêt supérieur de ces enfants pendant que leur mère est incarcérée.

Encore plus important à examiner, c’est l’image de la mère qui purge une peine sous responsabilité fédérale. Au Canada, les délinquants sous responsabilité fédérale sont beaucoup plus nombreux que les délinquantes. Les femmes qui commettent des crimes sont souvent perçues comme étant «plus criminelles» que les hommes puisque le geste de commettre un crime contrevient aux perceptions sociales que nous avons des femmes. Ce sentiment est d’autant plus exacerbé quand il s’agit d’une mère qui commet un crime, surtout un crime accompagné de violence. Le statut de mère est associé à des valeurs sociales et comporte une certaine part de prestige. Ainsi, c’est cette image sociale et subjective de la mère comme étant une personne réconfortante et pourvoyeuse de soins qui mène si facilement la collectivité à remettre en question les capacités des délinquantes à élever leurs enfants et, ainsi, à former les citoyens de l’avenir.

L’objectif de la présente étude qualitative était de mieux comprendre les expériences des mères purgeant une peine sous responsabilité fédérale lors de leur incarcération et de leur retour à la collectivité, ainsi que de découvrir si leur propre perception d’elles-mêmes comme «mère» (au sens social) avait changé.

Méthodologie et profil des participantes

Des entrevues individuelles approfondies ont été menées avec des mères remises en liberté. Les questions étaient non dirigées pour permettre aux participantes de raconter leurs expériences sans restrictions. Cela nous a permis d’amasser une mine de renseignements pour mieux nous sensibiliser aux expériences des mères qui purgent une peine sous responsabilité fédérale. Les commentaires des participantes ont ensuite été comparés et analysés pour relever les ressemblances et les divergences d’une expérience à l’autre.

Les critères de sélection pour les participantes exigeaient que les mères aient la garde de leurs enfants (de moins de 18 ans) avant d’être incarcérées sous responsabilité fédérale dans un établissement et qu’elles soient de retour dans la collectivité depuis au moins 90 jours.

L’échantillon final comprenait huit femmes du Québec, de l’Ontario et de l’Alberta. Les participantes avaient entre un et cinq enfants dont l’âge se situait entre 2 et 24 ans au moment de l’imposition de la peine et l’une d’elles était enceinte. Les crimes pour lesquels les participantes avaient été condamnées comprenaient l’importation de drogues illicites, la possession de drogues dans le but d’en faire le trafic, l’homicide involontaire et le meurtre au premier degré. Les peines d’incarcération variaient de deux années à la perpétuité.

Appréhender la détention

Toutes les participantes ont déclaré que la période la plus difficile sur le plan émotif était celle d’après leur arrestation et avant l’imposition de leur peine. Cette période était marquée par l’incertitude, l’impuissance et la réalisation qu’elles ne seraient pas les seules à subir les conséquences de leur geste, que leurs enfants seraient aussi très perturbés.

Elles redoutaient d’avoir à prendre des dispositions pour leurs enfants en vue de leur incarcération, mais elles ont dû le faire. Dans bien des cas, les membres de la famille ont assumé cette responsabilité. Réussir à trouver une personne ayant les moyens financiers pour s’occuper des enfants n’était qu’un des facteurs de la décision. Chaque mère savait bien que l’avenir de sa relation avec ses enfants dépendait des parents-substituts qu’elle choisirait. Ainsi, il était primordial qu’elle choisisse une personne qui lui accorderait du soutien, ce qui, malheureusement, n’était pas toujours le cas. À titre d’exemple, deux femmes ont dit savoir que les membres de leur famille entendaient leur retirer la garde des enfants une fois qu’elles seraient incarcérées. Dans trois autres cas, des pères jusque-là absents sont soudain réapparus pour tenter d’obtenir la garde temporaire des enfants.

Le sentiment généralisé dans cette période était la peur de l’inconnu. Fait notable, aucune des participantes n’a déclaré avoir été inquiète de son propre avenir. Toutes leurs inquiétudes concernaient les conséquences qu’aurait leur incarcération sur leurs enfants.

Gérer la relation de l’intérieur

Toutes les participantes ont entretenu un rapport avec leurs enfants durant leur incarcération. Elles disposaient de trois méthodes dont chacune comportait ses récompenses et ses désavantages.

La méthode de rapport la plus encourageante, mais aussi la plus déconcertante était le droit de visite. Si les mères ont toutes indiqué qu’elles voulaient désespérément voir leurs enfants, elles étaient tout aussi inquiètes des effets qu’aurait sur leurs enfants une visite à un pénitencier. La distance entre l’établissement et l’endroit où habitaient les enfants, la qualité de la relation entre la mère et le parent-substitut et les réactions des enfants durant la première visite ont tous été des facteurs déterminants de la fréquence des visites. En général, les visites pour entre-tenir les liens avec les enfants était la méthode préférée, bien qu’elles étaient à double tranchant : la joie de voir les enfants était opposée à la tristesse et au sentiment de culpabilité qu’avaient les mères en pensant que leurs enfants faisaient les frais de leurs erreurs.

Les mères ont réussi à faire face à cette situation difficile en tentant de s’améliorer. Nombre d’entre elles ont dévoilé que leur isolement de la famille et des amis les ont forcés à affronter leurs problèmes et à se concentrer sur leurs faiblesses. À noter, de nombreuses femmes ont déclaré qu’au début, il leur était très difficile d’être incarcérées parce qu’elles étaient si habituées à être entourées. Cette possibilité d’introspection qui découle de l’environnement et des programmes les a poussées à s’évaluer et à mesurer leurs gestes et leur avenir.

Reprendre le rôle de mère

Toutes les participantes ont habité dans un foyer de transition après avoir quitté l’établissement. Bien qu’elles aient apprécié ce transfert, elles ont pourtant commencé à s’inquiéter d’avoir à se trouver une source de revenu et un logement, ainsi que d’avoir à s’occuper de leurs enfants. Après avoir passé tant de temps isolées, elles se sont demandées si elles possédaient encore les capacités pour veiller sur leurs enfants.

Trois participantes ont dit ne pas avoir eu tant de difficultés à reprendre la vie avec leurs enfants. D’ailleurs, ces femmes semblaient bénéficier d’un soutien familial plus solide que les autres délinquantes. D’autres femmes ne s’attendaient pas à ce que leur réinsertion soit aussi difficile qu’elle ne l’a été. Elles éprouvaient des sentiments d’incompétence et de non appartenance. Ces impressions se sont aggravées dans le cas des femmes qui ont ensuite habité avec les parents-substituts et remarqué que les enfants dépendaient davantage de ces personnes que d’elles.

La discipline a aussi posé problème. Les participantes ont toutes constaté qu’elles avaient perdu leur autorité parentale. Il était non seulement difficile pour elles de discipliner les enfants dont elles s’étaient ennuyés, mais, de plus, ceux-ci ne pensaient pas que leur mère était bien placée pour les réprimander. Au moment de l’entrevue, la plupart des mères disaient que la situation s’était améliorée à la suite de discussions en profondeur et, dans certains cas, avec du counseling.

Perceptions du rôle de mère

Quand on leur a demandé comment elles se percevaient après avoir purgé une peine de ressort fédéral, six des huit participantes ont révélé qu’elles se considéraient comme un bon parent. Si elles ont avoué aussitôt que cette perception changeait selon l’étape de leur expérience, elles ont aussi admis qu’elles savent maintenant quelles sont les capacités nécessaires pour être une mère convenable.

Elles ont toutes mentionné que l’isolement leur avait permis de corriger les problèmes qui existaient auparavant entre leurs enfants et elles. Dans certains cas, elles ont réduit ou cessé leur usage de drogues. Dans d’autres cas, elles ont tout simplement pu prendre conscience de ce qui était réellement important et de la façon dont elles pourraient être plus attentives.

Conclusion

Les mères qui ont la garde d’enfants d’âge mineur et qui doivent purger une peine de ressort fédéral doivent accepter la réalité et reconnaître que leurs gestes ont un effet autant sur elles que sur leurs enfants. Le sentiment de culpabilité est accablant, mais des plans doivent tout de même être préparés pour qu’en attendant, les enfants soient dans un milieu sûr.

En général, les personnes incarcérées se voient enlever leurs responsabilités et imposer une routine qui dépend très peu de leur volonté. Les centres fédéraux pour femmes ont réussi à leur redonner un niveau de contrôle. On travaille actuellement à améliorer la relation entre la mère et son enfant en permettant à certaines mères qui s’y qualifient de garder leurs enfants avec elle dans le centre de façon temporaire. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour améliorer la qualité des relations entre les mères et leurs enfants, autant durant la peine que lors de leur réinsertion dans la collectivité. Parfois, il est difficile et lent de mettre en œuvre des changements dans les pénitenciers. La collectivité pourrait peut-être s’investir afin de venir en aide aux familles pour qu’elles puissent surmonter ces épreuves.


1.   Extrait de FOURNIER, J. J. L’expérience des mères justiciables : Leurs perceptions de leur rôle de mère lors de l’incarcération et du retour en communauté. Mémoire de maîtrise, Ottawa, Ontario, Université d’Ottawa, 2001.

2. 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa, Ontario, K1A 0P9.