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Prédicteurs du stress professionnel chez les agents de correction

Mémoire de maîtrise, Carleton University1
William Millson2
Directeur de thèse : David Robinson
Membres du jury : Mary Gick, Charles Gordon, Adelle Forth et Lise Paquette

Dès les années 1960, les chercheurs et les praticiens ont reconnu que le stress était une cause importante des problèmes physiques et psychologiques chez les travailleurs de diverses catégories professionnelles. Il a toutefois fallu attendre la fin des années 1970 pour que l’on accorde davantage d’attention au secteur des services sociaux. À peu près à la même époque, un nombre de plus en plus important d’études ont paru sur le stress que vivent les personnes qui travaillent dans le domaine correctionnel et, en particulier, les agents de correction. Comme certains chercheurs l’ont fait remarquer, ce phénomène a contribué à l’apparition d’un nouveau type de recherche dans lequel «... le gardien de prison était désormais un objet d’étude valable, voire à la mode.3»

Au cours des vingt dernières années, les études sur les causes du stress chez les agents de correction ont proliféré. On trouvera au Tableau 1 un résumé des sources de stress empiriquement constatées à ce jour chez les agents de correction. On classe généralement les conclusions dans cinq catégories au sein desquelles on dresse la liste des causes précises du stress. La recherche indique que les sources de stress sont vastes et laisse entendre que le stress s’explique passablement différemment d’une personne à l’autre.

Parmi les divers facteurs énumérés au Tableau 1, c’est la dangerosité (c.-à-d. les menaces à la sécurité personnelle) qui a été le plus souvent mentionnée dans la recherche sur les causes importantes de stress chez les agents de correction. Un autre domaine auquel on accorde de plus en plus d’attention est celui des facteurs organisationnels internes. Par exemple, des questions comme l’avancement professionnel ou la communication et la prise de décisions ont également été reconnues comme des causes importantes de stress chez les agents de correction.

Bien qu’il soit indéniable que les agents de correction éprouvent du stress au travail, on a relevé des lacunes dans les comptes rendus de recherches. Ainsi, la majorité des connaissances dans ce domaine proviennent de recherches menées à partir d’échan-tillons relativement petits prélevés dans un ou quelques milieux de travail seulement. En outre, la plupart des études n’examinent qu’un nombre limité de facteurs et font état de résultats plus descriptifs que corrélatifs ou prédictifs. Qui plus est, l’éventail limité de facteurs et d’analyses ont parfois produit des résultats incohérents.

Tableau 1

Causes du stress chez les agents de correction Conclusions
provenant des comptes rendus de recherches

Facteurs organisationnels externes

Facteurs organisationnels internes
•Perception qu’a le public des
 agents de correction
• Sous-dotation
•Niveau salarial • Heures supplémentaires
  • Soutien de la gestion
Milieu de travail

• Avancement professionnel

• Dangerosité

• Communication et prise de décisions
• Interactions entre les détenus • Conflit de rôles et ambiguïté
• Ennui  
• Problèmes avec les collègues
Attitudes à l’égard du travail correctionnel
 
• Orientation correctionnelle
Facteurs démographiques
• Satisfaction au travail
• Sexe  
• Niveau d’instruction  
• Expérience du service correctionnel  

La présente étude

Pour aller au-delà de certaines des limites de la recherche antérieure sur le stress des agents de correction, la présente étude examine l’influence de 27 facteurs distincts de stress professionnel, indiqués par les agents de correction eux-mêmes. L’un des points forts de la recherche actuelle tient au fait qu’il a été possible de vérifier si la plupart des divers facteurs mentionnés au Tableau 1 étaient des prédicteurs de stress. Il y a d’autres avantages aussi, comme la grande quantité d’agents de correction (n = 1 358) interrogés dans de nombreux établissements (46 établissements correctionnels fédéraux) et l’inclusion d’un grand nombre de facteurs organisationnels internes.

Les données de cette étude sont tirées d’une base de données qui a été établie grâce au sondage mené en 1996 auprès du personnel du Service correctionnel du Canada (SCC). Le questionnaire comportait 18 sections et 43 échelles combinées et a été administré à une sélection aléatoire du personnel du SCC stratifiée par lieux de travail et par groupes professionnels. Un cabinet d’experts-conseils de l’extérieur a dirigé l’administration des questionnaires qui ont été remplis de façon volontaire et anonyme4.

Au total, 7 157 employés du SCC ont été choisis au hasard pour participer au sondage et, de ce nombre, 4 961 ont rempli un questionnaire, ce qui représente un taux de réponse de 69 %. De ce total, 2 815 agents de correction ont été choisis au hasard et 1 358 ont rempli les questionnaires. C’est donc dire que le taux de réponse a été de 48 % — un pourcentage légèrement plus élevé que dans le cas d’autres sondages d’envergure nationale menés auprès d’agents de correction.

Résultats

Les agents de correction travaillaient en moyenne depuis 12,5 ans pour le SCC et moins longtemps à leur établissement actuel (8,5 ans). Le pourcentage de ceux qui travaillaient dans des établissements à sécurité minimale était le plus faible (11,3 %) tandis qu’ils étaient dans une proportion de 52,8 % à travailler dans des établissements à sécurité moyenne et de 35,9 % dans des établissements à sécurité maximale. L’âge moyen était d’environ 40 ans; la majorité d’entre eux étaient des hommes (79,1 %) et légèrement moins de la moitié d’entre eux (46,1 %) détenaient un diplôme collégial ou universitaire.

Le Tableau 2 illustre les échelles utilisées dans l’étude pouvant servir de prédicteurs du stress professionnel. Celles-ci, en plus des variables démographiques liées à l’âge, au sexe, au niveau d’instruction et au nombre d’années de service, sont incluses dans les analyses globales. L’analyse de régression a été utilisée pour déterminer la relation qu’entretiennent ces variables avec le stress professionnel. Le gros avantage de cette façon de procéder, c’est que les 27 facteurs ont pu être simultanément pris en considération dans l’analyse.

Tableau 2

Échelles utilisées à titre de prédicteurs possibles du
stress professionnel
Facteurs organisationnels externes Facteurs organisationnels internes
• Davantage de comptes à rendre au public • Méthodes d’embauche concurrentielles
• Image publique • Communication au sein de l’organisme
  • Habilitation du personnel
Milieu de travail • Qualité de la supervision
• Perceptions concernant la sécurité personnelle •Reconnaissance du travail accompli
• Compréhension des méthodes de travail • Traitement équitable des employés
• Incidence du travail par quarts • Évaluation du rendement
  • Gestion de carrière
Attitudes à l’égard du travail correctionnel • Orientation stratégique
• Engagement face au SCC • Soutien à l’égard du perfectionnement
professionnel
• Attitude favorable à l’égard des
objectifs du SCC
• Satisfaction par rapport à l’environnement
physique
•Réadaptation • Sécurité d’emplo
•Empathie envers les délinquants  
• Optique punitive  

On a aussi pu «vérifier» tous les facteurs en même temps pour déterminer lesquels représentaient les meilleurs prédicteurs du stress professionnel, tel qu’illustré au Tableau 3.

Des 27 facteurs inclus dans l’analyse de régression, 9 ont été retenus à titre de prédicteurs statistiquement significatifs du stress professionnel. Le Tableau 3 montre l’importance relative de chaque facteur (p. ex., la variance prise en compte dans la prévision du stress professionnel). Conformément aux recherches antérieures, la perception qu’ont les agents de correction de leur sécurité personnelle ou de la dangerosité de leur travail s’est révélée être le facteur de détermination le plus important des sources de stress professionnel. L’habilitation du personnel (comme le pouvoir de changer des choses sur le lieu de travail, la capacité d’atteindre les objectifs de travail, etc.), un facteur qui, comme on l’a vu précé-demment, retient davantage l’attention dans les comptes rendus de recherches récents, a aussi été perçue comme un prédicteur important du stress professionnel. D’autres facteurs, comme l’incidence du travail par quarts, la sécurité d’emploi et la compréhension des méthodes de travail, étaient moins importants quoique malgré tout significatifs, suivis de la gestion de carrière, du sexe, du nombre d’années de service et du niveau de sécurité de l’établissement.

Tableau 3

Facteurs prédictifs du stress professionnel par niveau de sécurité
Importance
relative
Facteur
Variance*
1
Perceptions concernant la sécurité personnelle
0,24
2
Habilitation du personnel
0,05
3
Incidence du travail par quarts
0,02
4
Sécurité d’emploi
0,01
5
Compréhension des méthodes de travail
0,01
6
Gestion de carrière
< 0,01
7
Sexe
< 0,01
8
Nombre d’années de service au SCC
< 0,01
9
Niveau de sécurité de l’établissement
< 0,01
* La variance désigne la force du «pouvoir explicatif» de chaque facteur.
On l’exprime généralement en termes de «variance prise en compte» et
elle représente le pourcentage de stress professionnel expliqué par chaque
facteur. La variance totale prise en compte par tous les facteurs calculés
dans l’analyse de régression peut aller de 0,0 à 1,0 ou de 0 % à 100 %.

Même s’il est clair que la dangerosité a été citée comme l’une des principales causes du stress professionnel, ce phénomène peut s’expliquer du fait qu’un grand nombre des répondants travaillaient dans des établisse-ments à sécurité moyenne (52,8 %) ou maximale (35,9 %). Comme les établissements à sécurité élevée hébergent habituellement des délinquants plus dangereux et plus violents que les autres, cela accroît la perception de la dangerosité chez les agents de correction comparativement aux établissements d’un niveau de sécurité moindre. Il n’est donc pas surprenant que la dangerosité soit l’une des sources clés de stress mentionnées par les agents de correction.

Afin de vérifier l’hypothèse selon laquelle le degré de danger perçu peut être un moindre facteur explicatif du stress professionnel dans les établissements à faible sécurité, des analyses plus détaillées ont été effectuées auprès des agents de correction travaillant dans des établissements à sécurité minimale, moyenne et maximale. Pour faciliter les analyses, on a divisé en trois niveaux les cotes attribuées à la perception de la sécurité personnelle : négative, neutre et positive. Pour chaque niveau perçu de sécurité personnelle, on a calculé les cotes moyennes de stress professionnel. Le Graphique 1 illustre les résultats pour chaque niveau de sécurité d’établissement.

Les tendances au Graphique 1 étaient les mêmes pour les trois niveaux de sécurité : les cotes moyennes de stress professionnel étaient supérieures pour les agents de correction qui avaient une perception négative de leur sécurité personnelle (qui pensaient courir un risque élevé d’être attaqués) comparativement à ceux qui avaient une perception plus neutre ou plus positive de leur sécurité personnelle (qui avaient l’impression de courir peu de risque d’être attaqués). Ces résultats laissent entendre que la perception de la dangerosité joue un rôle important sur le plan du stress professionnel, peu importe le niveau de sécurité de l’établissement.

Graphique 1
Cotes moyennes de stress professionnel par
niveau perÁu de sÈcuritÈ personnelle

Compte tenu de ces résultats, il se peut fort bien que les causes du stress professionnel soient semblables pour les agents de correction d’un niveau de sécurité d’établisse-ment à l’autre. Pour vérifier cette hypothèse et examiner l’influence des 27 facteurs sur le stress professionnel par niveau de sécurité, on a répété les analyses de régression applicables aux agents de correction travaillant dans les établissements à sécurité minimale, moyenne et maximale. Le Tableau 4 illustre les résultats (voir le Tableau 4).

Tableau 4

Facteurs de prévision du stress professionnel par niveau de sécurité

Sécurité minimale

Sécurité moyenne

Sécurité maximale

Importance relative

Facteur

Var.

Facteur

Var.

Facteur

Var.

1

Perception concernant la sécurité personnelle

0,22

Perception concernant la sécurité personnelle

0,27

Perception concernant la sécurité personnelle

0,21

2

Habilitation du personnel

0,09

Habilitation du personnel

0,05

Gestion de carrière

0,07

3

Sécurité d’emploi

0,04

Sécurité d’emploi

0,02

Incidence du travail par quarts

0,03

4

Âge

0,03

Compréhension des méthodes de travail

0,01

Sécurité d’emploi

0,02

5

Compréhension des méthodes de travail

0,03

Évaluation du rendement

0,01

Empathie envers les délinquants

0,02

6

Soutien à l’égard du perfectionnement professionnel

0,03

Incidence du travail par quarts

0,01

Reconnaissance du travail accompli

0,01

7

Incidence du travail par quarts

0,03

   

Habilitation du personnel

0,01

8

Image publique du SCC

0,02

       

Les résultats des analyses de régression aboutissaient à la même conclusion en ce qui concerne le facteur le plus important : la perception concernant la sécurité personnelle était le meilleur prédicteur du stress professionnel au sein de chaque niveau de sécurité. Conformément aux résultats obtenus précédemment, les facteurs relatifs à l’organisation interne ont été mentionnés comme la deuxième source la plus importante du stress professionnel : l’habilitation du personnel pour les agents de correction des établisse-ments à sécurité minimale et moyenne et la gestion de carrière pour ceux travaillant dans des établissements à sécurité maximale.

Conclusion

Cette étude a permis d’analyser plus à fond les prédicteurs du stress professionnel chez les agents de correction. Les résultats montrent que la façon dont on perçoit sa sécurité personnelle ou le niveau de danger auquel on est exposé est le meilleur prédicteur du stress professionnel pour l’ensemble de l’échantillon. Ce résultat est conforme à celui des recherches antérieures qui avaient montré que la dangerosité était l’un des déterminants les plus importants du stress chez les agents de correction. Il a été intéressant de constater que la perception de la sécurité personnelle était aussi le meilleur prédicteur du stress professionnel pour chaque niveau de sécurité d’établissement. Dans les établissements à faible sécurité, on aurait pu s’attendre à ce que ce soient des facteurs autres que la dangerosité qui soient surtout responsables du stress au travail. Toutefois, les résultats laissent entendre que la perception de la sécurité personnelle semble provoquer tout autant de stress dans un environ-nement à sécurité minimale que dans un environnement plus sûr et plus contrôlé. Même si les délinquants dans les établissements à sécurité minimale sont ceux qui risquent le moins de s’attaquer au personnel5, ces résultats sont conformes à ceux constatés par certains chercheurs6 qui affirment que le sentiment de danger découle moins des attaques réelles que du fait de savoir que l’on risque à tout moment, de façon imprévisible, d’être la victime d’un acte criminel.

L’étude a également mis en lumière l’importance croissante des facteurs organisationnels internes à titre de prédicteurs additionnels du stress professionnel. Les résultats laissent entendre que ces aspects organisation-nels du travail correctionnel influent grandement sur le stress vécu au travail. Comme l’ont découvert des études plus récentes, de hauts niveaux de stress ont été signalés par des agents de correction qui avaient l’impression de ne pas avoir suffisamment de «pouvoir» pour jouer efficacement leur rôle. La même chose s’avère pour les personnes qui rencontrent des obstacles dans leur cheminement de carrière.

Les résultats sont encourageants pour les décideurs du milieu correctionnel puisque les principaux facteurs contribuant au stress dont il a été fait mention sont modifiables et qu’il est possible de changer les pratiques de gestion en conséquence. La recherche à venir pourrait examiner comment prendre ces facteurs en compte en vue de réduire le stress professionnel et contribuer ainsi à rendre plus positive l’expérience de travail des agents de correction.


1. Extrait de MILLSON, W. Predictors of work stress among correctional officers, mémoire de maîtrise, Ottawa, ON, Carleton University, 2000.

2. 340, avenue Laurier Ouest, Ottawa, Ontario, K1A 0P9.

3. CULLEN, F. T., LINK, B. G., WOLFE, N. T. et FRANK, J. «The social dimensions of correctional officer stress», Justice Quarterly, vol. 2, no 4, 1985, p. 505-533.

4. Une description complète de la méthodologie et un exemplaire du questionnaire du sondage peuvent être obtenus auprès de l’auteur.

5. ROBINSON, D. et MIRABELLI, L. Résumé des constatations du sondage national auprès des détenus réalisé en 1995 par le SCC, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1996.

6. LOMBARDO, L. X. «Occupational stress in correction officers: Sources, coping strategies, and implications» dans Corrections at the crossroads, sous la direction de S. E. Zimmerman & H. D. Miller, Beverly Hills, CA, Sage Publications, 1981.