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Évaluation du programme Vivre sans violence dans la famille

Mémoire rédigé dans le cadre d’un baccalauréat spécialisé, Carleton University1
Nicole Allegri2
Conseillère principale : Joanna Pozzulo Conseillère : Lynn Stewart3

L’étude consistait en une évaluation du programme Vivre sans violence dans la famille (VSVF), offert aux délinquants par le Service correctionnel du Canada (SCC). Dans le cadre de l’étude, nous avons évalué les attitudes de 121 participants avant et après leur participation au programme. Les travaux de recherche indiquent que des programmes éducatifs de courte durée peuvent contribuer à éliminer les attitudes qui favorisent le recours à la violence conjugale. On a constaté un changement important dans les attitudes des sujets après leur participation au programme. Ainsi, les délinquants qui avaient participé au programme ont mentionné qu’ils ressentaient une colère moins grande et adoptaient davantage le point de vue des femmes.

Au cours des 20 dernières années, diverses mesures ont été prises pour protéger les femmes contre la violence conjugale. Les maisons pour femmes battues, qui offrent une protection temporaire, et l’établissement d’un plan de traitement à long terme visant à modifier le comportement des hommes violents en sont deux exemples. Depuis la fin des années 1970, de nombreux programmes destinés aux hommes violents ont été mis en œuvre au Canada4. L’un d’eux, le programme VSVF, s’adresse aux délinquants sous responsabilité fédérale. Dans le cadre de la présente étude, nous examinons les comportements des participants envers les femmes, et ce, avant le programme (prétraitement) et après le programme (post-traitement).

Les estimations relatives à l’incidence de la violence conjugale varient considérablement. Par contre, une étude menée récemment au Canada révèle que 8 % des femmes qui étaient mariées ou vivaient en union de fait au cours des cinq années précédentes avaient été victimes de violence conjugale5. Une proportion élevée d’hommes qui purgent une peine dans un établissement fédéral mentionne avoir déjà usé de violence envers leur conjointe, ce que confirme un sondage mené auprès des détenus sous responsabilité fédérale à l’admission, qui révèle que 40 % d’entre eux ont déjà été violents envers leur partenaire6. La violence dans les relations intimes a des effets néfastes sur la victime et ses enfants et entraîne des coûts sociaux. Il est donc important d’offrir un programme aux délinquants qui ont des antécédents en matière de violence conjugale ou qui présentent un risque à cet égard, de manière à réduire le risque.

Le programme Vivre sans violence dans la famille

Le programme Vivre sans violence dans la famille7 (VSVF) du SCC comporte dix séances de sensibilisation s’adressant aux délinquants. Il vise précisément les délinquants qui ont déjà commis des actes de violence conjugale ou dont on estime qu’ils pourraient commettre de tels actes.

Les interventions proposées dans le cadre du programme sont fondées sur un modèle théorique féministe. Les modèles d’intervention sont établis en tenant compte des facteurs qui, selon les cliniciens, sont la cause de ce genre de violence. Selon le modèle féministe, les normes culturelles qui soutiennent la violence faite aux femmes sont un agent causal. Ainsi, la structure patriarcale des sociétés «valide» le droit qu’auraient les hommes d’exercer leur pouvoir et leur contrôle sur leur famille. Dans cette optique, les interventions définies visent à favoriser l’adoption d’une pensée féministe et la démystification du sentiment de légitimité qu’ont les hommes en ce qui concerne le contrôle, l’intimidation ou la violence conjugale.

Le programme VSVF vise à faire comprendre aux délinquants que la violence et la domination ne sont pas des comportements acceptables dans une relation de couple. On tente de sensibiliser les participants à ces problèmes et de les amener à changer leurs attitudes. On suppose que de tels changements entraîneront une réduction de la violence. Le programme comporte divers volets, par exemple, la définition de la violence familiale et des relations saines, l’examen des questions liées au pouvoir et au contrôle, l’établissement de solutions de rechange au contrôle abusif et les attentes relatives au rôle de l’homme et de la femme.

Méthodologie

L’évaluation portait sur un échantillon de 121 délinquants qui avaient participé au programme VSVF, soit en éta-blissement, soit dans la collectivité. Les participants étaient âgés en moyenne de 36,8 ans, 59 % d’entre eux étaient de race blanche, 22 % étaient Autochtones, 14 % étaient de race noire et le reste était d’une autre origine ethnique. Aucun groupe témoin n’a été utilisé dans le cadre de l’étude. Pour être admissible au programme, le délinquant doit déjà avoir commis des actes de violence conjugale ou présenter des risques de comportement violent.

Nous avons évalué le programme VSVF au moyen de quatre instruments d’évaluation des attitudes et des comportements : la Attitudes Toward Women Scale (ATWS)8, la Hostility Toward Women Scale (HTWS)9, le Répertoire multidimensionnel de la colère (RMC)10 et une version modifiée de la Conflict Tactics Scale (CTS)11. Les données ont été recueillies avant le programme et après son achève-ment. Les quatre instruments utilisés étaient les suivants :

Instruments d’évaluation

Attitudes Toward Women Scale : version abrégée

Ce questionnaire permet d’évaluer les attentes du délinquant à l’égard des rôles de l’homme et de la femme. Les réponses, classées selon une échelle de Likert de quatre points, allaient de «tout à fait d’accord» à «pas du tout d’accord». Le questionnaire comportait des énoncés sur les droits et les rôles des femmes dans le contexte des activités professionnelles, éducatives et intellectuelles, sur le comportement à adopter et les règles à respecter dans les fréquentations, sur le comportement sexuel et sur les relations conjugales.

Hostility Toward Women Scale

Cette échelle permet d’évaluer les sentiments d’hostilité exprimés par le participant à l’endroit des femmes. Cet instrument, qui comporte 30 questions de type vrai ou faux, ne permet pas toutefois, contrairement à ce qu’on pourrait croire, de déterminer les comportements d’agressivité/d’hostilité à l’endroit des femmes. Il sert uniquement à faire ressortir l’hostilité en général.

Répertoire multidimensionnel de la colère

Ce Répertoire vise à évaluer la fréquence, la durée, l’importance, le mode d’expression, l’attitude hostile, ainsi que la gamme des situations propres à déclencher la colère. Le répertoire renferme 38 questions relatives à la colère. Les réponses, classées selon une échelle de Likert de quatre points, vont de «tout à fait faux» à «tout à fait vrai». À partir des réponses, on obtient une note globale et cinq sous-totaux; seule la note globale relative à la colère a été utilisée pour notre étude.

Conflict Tactics Scale (version révisée)

Cet instrument a permis d’évaluer la mesure dans laquelle les participants déclaraient avoir eu un comportement violent au cours des douze mois précédents. Les comportements violents comprenaient les suivants : menacer de frapper quelqu’un ou de lancer un objet en sa direction, pousser/bousculer, empoigner quelqu’un.

Résultats

Pour chacun des quatre instruments utilisés, nous avons additionné la note totale des participants, puis nous avons utilisé un test t bilatéral sur échantillons appariés pour comparer les notes globales avant et après le programme. Lorsque nous comparons les résultats pré et post-traitement, nous constatons qu’il existe des écarts considérables en ce qui concerne les attitudes féministes (ATWS). Les niveaux de colère mentionnés par les participants après le programme varient considérablement, comme l’indique le RMC. Par ailleurs, les résultats obtenus au moyen des échelles HTWS et CTS ne sont pas significatifs (voir le Tableau 1).

Tableau 1

Résultats obtenus avant et après l’intervention, par instrument
d’évaluation
 
M
N
ET
t
Signification
(bilatérale)
ATWS, résultats avant l’intervention
81,36
121
8,38
-5,67
0,0 0 1
ATWS, résultats après l’intervention
85,09
121
9,06
 
HTWS, résultats avant l’intervention
7,88
121
5,59
1,05
0,30( n.s.)
HTWS, résultats après l’intervention
7,34
121
4,97
 
RMC, résultats avant l’intervention
91,88
121
19,50
2,55
0,012
RMC, résultats après l’intervention
86,96
121
20,74
 
CTS, résultats avant l’intervention
3,72
103
4,93
- 0,13
0,90( n.s.)
CTS, résultats après l’intervention
3,81
103
4,76
 

Analyse

Le programme VSVF est basé sur un cadre féministe où l’on considère que la violence faite aux femmes est le produit d’une société patriarcale qui crée et maintient un modèle de domination masculine. Les interventions proposées à partir de cette prémisse sensibilisent les hommes à des principes d’égalité des sexes et les encouragent à rejeter les principes patriarcaux. On suppose que, si l’on amène les délinquants à adopter des perspectives féministes, on réduira le risque qu’ils commettent à nouveau des actes violents. Les résultats obtenus indiquent que le programme a permis de modifier les attitudes des participants et que ces derniers avaient adopté des attitudes davantage féministes.

Nous avons également noté une amélioration au chapitre de la colère exprimée, comme l’indiquent les résultats du RMC. Un des objectifs du programme VSVF consiste à sensibiliser davantage les participants à leurs comportements et aux signes précurseurs de la violence et aux façons d’exprimer sa colère et son besoin de contrôle de manière constructive et non violente. La réduction des niveaux de colère mentionnés par les participants après le programme donne à entendre que les délinquants ont appris à maîtriser leur colère. Une des séances du programme porte d’ailleurs sur la capacité de prendre du recul dans des situations pouvant donner lieu à des comportements violents. On explique aux délinquants que, lorsqu’ils ont une confrontation avec leur partenaire et qu’ils sont en colère, il est préférable de prendre une pause et de reprendre la discussion lorsqu’ils ont retrouvé leur calme.

Les résultats obtenus au moyen de l’HTWS ne sont pas significatifs. L’auteur a plutôt constaté que son échelle était surtout utile pour mesurer le niveau d’hostilité en général, et non l’hostilité à l’égard des femmes, comme le nom de l’instrument l’indique.

Les résultats de la CTS ne sont pas statistiquement significatifs; en effet, selon les données recueillies, les niveaux de violence pré et post-traitement sont les mêmes. Il convient toutefois de mentionner que les déclarations de violence faites par les délinquants étaient plus nombreuses après la participation au programme. Le programme a été exécuté sur une période de deux semaines et un grand nombre des délinquants qui y ont participé étaient en incarcération. Ces délinquants n’avaient donc pas eu l’occasion d’user de violence envers leur conjointe avant et après le programme. Nous estimons donc que l’augmentation peut être le fait d’une plus grande sensibilisation aux comportements violents. Pendant le programme, les délinquants ont appris à reconnaître divers comportements violents qu’ils considéraient peut-être comme des comportements normaux avant leur participation au programme.

Contraintes et recommandations

Notre étude ne portait que sur les changements observés au sein du groupe d’individus ayant participé au programme; aucun groupe témoin n’a été évalué. Dans de telles conditions, il est difficile de déterminer si le changement d’attitude des participants est directement attribuable à leur participation au programme.

Les instruments d’évaluation utilisés n’ont pas permis de mesurer précisément la violence envers les femmes. L’étude a permis de constater que les agresseurs avaient des profils qui favorisaient la violence envers les femmes, mais qu’ils n’adoptaient pas, de manière générale, des attitudes anti-féministes relativement aux femmes et aux rôles des hommes et des femmes12. La documentation existante donne à entendre que la violence n’est pas directement associée à l’adoption de valeurs patriarcales. La violence conjugale est davantage liée au désir qu’ont certains hommes de s’imposer comme chef de famille en recourant à la violence.

Par ailleurs, les instruments d’évaluation utilisés n’ont pas permis de mesurer la gestion des impressions ou le refus de reconnaître son propre comportement. Ainsi, les délin-quants qui font des déclarations volontaires peuvent mentir pour bien paraître. Compte tenu du fait que, dans le cadre du programme VSVF, on ne recueille que des déclarations volontaires qui ne sont pas validées par des données collatérales, il aurait été utile d’utiliser un indice de valeur sociale pour évaluer le biais dans les réponses.

En dernière analyse, le programme VSVF vise à favoriser un changement d’attitude dans le but de réduire l’incidence de la violence conjugale. Pour déterminer si cet objectif est atteint, on pourrait faire une étude sur le taux de récidive. Il serait alors possible de savoir s’il existe un lien entre les changements de comportement attribuables au programme et le taux de récidive.

Lorsqu’on a créé le programme VSVF en 1992, la théorie féministe était l’une des principales théories sur les-quelles étaient fondés les programmes de lutte contre la violence conjugale. On estimait alors que ce programme de sensibilisation serait efficace dans le cas des délin-quants à faible risque. Les études enées depuis indiquent toutefois qu’il pourrait être plus utile de faire appel à des programmes fondés sur un modèle cognitiviste pour cibler les modes de pensée et les comportements des délinquants. Lorsqu’ils sont exécutés en milieu carcéral, ces programmes servent non seulement à sensibiliser les délinquants à la violence conjugale, mais aussi à leur expliquer ce qu’ils peuvent faire pour éviter les comportements antisociaux et à leur apprendre à reconnaître les situations présentant des risques élevés.

En conclusion, nous estimons que le programme a été efficace pour ce qui est de son objectif principal, à savoir favoriser un changement d’attitude chez les participants en faveur du modèle féministe. Le fait que les délinquants déclarent ressentir une moins grande colère après leur participation au programme est un autre élément positif.


1.  Extrait de ALLEGRI, N. Evaluation of the Living without Family Violence Program, Ottawa, ON, Carleton University, 2000.

2.  340, avenue Laurier Ouest, Ottawa, Ontario, K1A 0P9.

3.  Service correctionnel du Canada.

4.  MYERS, S. K. Sommaire des projets de recherche et développement entrepris par les Affaires correctionnelles en matière de violence conjugale, Ottawa, ON, Ministère du Solliciteur général du Canada, 1996.

5.  STATISTIQUE CANADA. «Violence familiale», Le Quotidien, 25 juillet 2000, Ottawa, ON.

6.  KROPP, P. R. Research related to the use of the SARA. Présentation faite au groupe de travail du Service correctionnel du Canada, Ottawa, 1998. Voir aussi ROBINSON, D. & TAYLOR, J. La violence familiale chez les délinquants sous responsabilité fédérale : Étude fondée sur l’examen des dossiers, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1995.

7.  SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA. Living Without [Family] Violence: A component of the Living Skills Program within the Correctional Service of Canada. Original rédigé par James F. Hickling Management Consultants Ltd., Ottawa, ON, 1992.

8.  SPENCE, J. T., HELREICH, R. et STRAPP, J. A short version of the Attitudes Toward Women Scale, Princeton, NJ, Educational Testing Service (ETS) Test Collection Library (ETS Document Tracking No. TC007199), 1972

9.  CHECK, J. V. P. The Hostility Toward Women Scale, thèse de doctorat inédite, Winnipeg, MB, Université du Manitoba, 1984.

10.  SIEGEL, J. M. «The Multidimensional Anger Inventory», Journal of Personality and Social Psychology, vol. 51, no 1, 1986, p. 191-200.

11.  STRAUS M. A. «Measuring intramarital conflict and violence: The Conflict Tactics (CT) Scales», Journal of Marriage and the Family, vol. 41, 1979, p. 75-88.

12.  SUGARMAN, D. B. et FRANKEL, S. L. «Patriarchal ideology and wife-assault: A meta-analytic review», Journal of Family Violence, vol. 11, no 1, 1996, p. 13-40.