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Les tendances en matière de santé mentale parmi les détenus sous responsabilité fédérale
Roger Boe et Ben Vuong1
Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada
En 1988, le Service correctionnel du Canada (SCC) a effectué une étude nationale pour déterminer la prévalence, la nature et la gravité des problèmes de santé mentale parmi les détenus sous responsabilité fédérale. Conscient de limportance pour lavenir davoir des estimations de la prévalence et de la gravité des problèmes de santé mentale, il a veillé à intégrer au processus dévaluation initiale des délinquants (EID) des moyens de recueillir des données sur des variables substitutives de problèmes de santé mentale.
Une analyse de ces variables substitutives semble indiquer un accroissement de la population de détenus sous responsabilité fédérale présentant des indicateurs de santé mentale à lEID, alors que le nombre global dadmissions et la population carcérale sont en baisse. De plus, même si les délinquants souffrant de troubles mentaux forment une proportion relativement petite de la population globale, le fait que leur nombre soit en hausse préoccupe le Service.
Contexte
En 1988, le SCC a effectué une étude pour déterminer la prévalence, la nature et la gravité des problèmes de santé mentale parmi les détenus sous responsabilité fédérale2. LEn-quête sur la santé mentale était unique en ce quelle reposait sur lutilisation dun instrument dentrevue structurée, le Diagnostic Interview Schedule (DIS), et employait des critères de diagnostic stricts décrits dans le Manuel diagnos-tique et statistique des troubles mentaux (DSM III) de lAmerican Psychiatric Association.
LEnquête sur la santé mentale a permis de constater que, daprès le DIS, le taux de prévalence durant toute la vie des «psychoses» parmi les détenus de sexe masculin sous responsabilité fédérale était de 10,4 %. Dans le rapport, il était également signalé que les détenus qui avaient souffert de symptômes de «psychose» dans le passé semblaient aussi avoir connu divers autres problèmes de santé mentale.
Consciente de limportance pour lavenir que le Service dispose destimations de la prévalence et de la gravité des problèmes de santé mentale, la Direction de la recherche a intégré, à létape de la conception de lEID, des moyens de recueillir des données sur des variables substitutives de problè-mes de santé mentale3. Ces indicateurs de lEID devaient permettre au Service destimer les taux de prévalence et de suivre les tendances dans le temps, en plus de signaler aux gestionnaires et aux employés les cas où des évaluations cliniques supplémentaires étaient justifiées.
Indicateurs de la santé mentale des délinquants sous responsabilité fédérale
Nous avons retenu pour cette analyse quatre indicateurs de la santé mentale provenant de lEID, dont chacun comporte une dimension «actuelle» et une dimension «passée», comme on peut le voir dans le Tableau 1.
Tableau 1
Indicateurs de l'état de santé du délinquant4 |
|
Santé mentale actuelle |
Santé mentale antérieure |
Diagnostic actuel de trouble mental ? |
Diagnostic antérieur de trouble mental ? |
Médicaments prescrits en ce moment ? | Médicaments prescrits dans le passé ? |
Hospitalisé présentement ? | Hospitalisé dans le passé ? |
En traitement en clinique externe avant l'admission ? | Traité en clinique externe dans le passé ? |
Ces indicateurs sont recueillis pour létat «actuel» et létat «antérieur» du délinquant (c.-à-d., létat dans lequel il se trouvait à son admission pour purger sa peine actuelle ou avant ladmission pour la composante historique).
Profils de santé mentale à ladmission
Pour examiner les tendances de mouvement des délinquants dans le système correctionnel fédéral, on a analysé les évaluations initiales (EID) dhom-mes et de femmes admis dans un établissement fédéral de lannée civile 1997 jusquà lannée civile 2001. Les données révèlent une augmentation évidente et significative au cours de cette période du nombre et de la proportion dévaluations positives pour les indicateurs de santé mentale intégrés à lEID.
Au cours de la période allant de 1997 à 2001, le nombre annuel de nouvelles admissions dans un établissement fédéral est passé dun sommet de 4 590 en 1998 à 4 298 en 2001 (voir le Tableau 2).
Tableau 2
Tendances quant aux admissions dans le système correctionnel fédéral |
|||||
Année civile | 1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Total des admissions | 4 491 |
4 590 |
4 319 |
4 309 |
4 298 |
Par contre, depuis 1997, le nombre de délinquants faisant lobjet dun diagnostic actuel au moment de ladmission a augmenté de 37 %, passant de 265 à 355 cas en 2001 (voir le Tableau 3).
Tableau 3
Nombre et pourcentage de délinquants admis présentant un indicateur à l'EID |
||||||||||
Année civile | 1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
|||||
n |
(%) |
n |
(%) |
n |
(%) |
n |
(%) |
n |
(%) |
|
Diagnostic actuel | 265 |
(6,2) |
280 |
(6,4) |
292 |
(7.0) |
289 |
(6,9) |
355 |
(8,5) |
Médicaments prescrits en ce moment | 443 |
(10,3) |
495 |
(11,2) |
564 |
(13,4) |
605 |
(14,3) |
751 |
(17,9) |
Actuellement hospitalisé 80 | 80 |
(1,8) |
81 |
(1,8) |
73 |
(1,7) |
77 |
(1,8) |
89 |
(2,1) |
Actuellement malade externe | 211 |
(4,9) |
206 |
(4,7) |
235 |
(5,6) |
263 |
(6,2) |
287 |
(6,8) |
Diagnostic antérieur | 418 |
(9,8) |
439 |
(10,0) |
480 |
(11,4) |
509 |
(12,2) |
555 |
(13,4) |
Médicaments prescrits dans le passé | 962 |
(22,5) |
1 039 |
(23 8) |
1 139 |
(27,3) |
1 207 |
(29,0) |
1 351 |
(32,6) |
Hospitalisé dans le passé | 687 |
(16,0) |
678 |
(15,4) |
713 |
(17,0) |
719 |
(17,2) |
789 |
(19,0) |
Malade externe dans le passé | 724 |
(17,0) |
677 |
(15,5) |
791 |
(18,9) |
910 |
(21,8) |
885 |
(21,4) |
Évaluations valides estimatives* | 4 338 |
4 448 |
4 237 |
4 243 |
4 231 |
|||||
* L'estimation des évaluations valides à l'EID est basée sur les réponses à «Hospitalisé présentement». |
Le Graphique 1 illustre la proportion des délin-quants, à chaque cohorte dadmissions, ayant un indicateur de santé mentale pour chacun des quatre aspects «actuels» de la santé mentale. Une comparaison des nombres dévaluations positives pour chaque année civile permet de constater que la proportion des délinquants ayant une évalua-tion positive a augmenté de manière significative depuis 1997.
Par conséquent, sauf pour la catégorie «Actuelle-ment hospitalisé», tous les changements qui se sont produits depuis 1997 ont été statistiquement significatifs5. Un examen des mêmes variables liées à lexistence «antérieure» de problèmes de santé mentale a révélé des tendances analogues. Entre 1997 et 2001, la proportion de délinquants nouvellement admis dans le système correctionnel fédéral et ayant des antécédents de troubles mentaux a augmenté à peu près au même rythme que celle des détenus présentant un indicateur «actuel». Le Tableau 3 présente des données détaillées au sujet des évaluations à ladmission.
Graphique 1
Nous avons également examiné la répartition, parmi les délinquants en détention sous responsa-bilité fédérale, des cas présentant des indicateurs positifs à lEID. Nous avons analysé, à partir dune série dinstantanés de tous les délinquants en détention à la fin de lannée (31 décembre), les proportions successives de ceux qui avaient des évaluations positives sur le plan de la santé mentale.
On peut voir au Graphique 2 le pourcentage de délinquants dans chaque instantané ayant un «indicateur actuel» positif à lEID pour un des quatre aspects de la santé mentale. Une comparaison du nombre dévaluations de santé mentale pour les différentes années permet de constater une augmentation significative depuis 1997 de la proportion des détenus ayant un indicateur actuel.
Graphique 2
Tableau 4
Nombre et pourcentage de détenus ayant un indicateur à l'EID6 |
||||||||||
Année civile | 1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
|||||
Diagnostic actuel | 615 |
(7,8) |
724 |
(8,3) |
811 |
(8,9) |
885 |
(9,3) |
953 |
(9,7) |
Médicaments prescrits en ce moment | 849 |
(10,7) |
1 028 |
(11,7) |
1 221 |
(13,3) |
1 379 |
(14,4) |
1 590 |
(16,1) |
Actuellement hospitalisé 80 | 161 |
(2,0) |
199 |
(2,3) |
225 |
(2,4) |
229 |
(2,4) |
232 |
(2,3) |
Actuellement malade externe | 441 |
(5,5) |
475 |
(5,4) |
544 |
(5,9) |
597 |
(6,2) |
649 |
(6,6) |
Diagnostic antérieur | 899 |
(11,4) |
1 064 |
(12,3) |
1 192 |
(13,1) |
1 333 |
(14,0) |
1 438 |
(14,7) |
Médicaments prescrits dans le passé | 1 833 |
(23,3) |
2 163 |
(25,0) |
2 468 |
(27,3) |
2 799 |
(29,6) |
3 091 |
(31,7) |
Hospitalisé dans le passé | 1 381 |
(17,4) |
1 559 |
(17,9) |
1 678 |
(18,4) |
1 815 |
(19,1) |
1 941 |
(19,8) |
Malade externe dans le passé | 1 387 |
(17,6) |
1 557 |
(18,0) |
1 684 |
(18,5) |
2 016 |
(21,2) |
2 139 |
(21,9) |
Évaluations valides estimatives* | 8 034 |
8 839 |
9 244 |
9 660 |
9 977 |
|||||
* L'estimation des évaluations valides à l'EID est basée sur les réponses à «Hospitalisé présentement». |
On a aussi constaté au cours de la période une augmentation de la proportion des détenus sous responsabilité fédérale ayant des antécédents de maladie mentale. Pour chaque indicateur, la proportion a augmenté à peu près à la même cadence que pour lindicateur «actuel». On peut voir au Tableau 4 un résumé statistique de ces résultats.
Couverture des indicateurs pour les populations incluses dans les instantanés
En général, les données recueillies au moyen des indicateurs de lEID correspondent à environ 98 % des délinquants admis par le SCC depuis sa mise en uvre en novembre 1994. Le problème du manque de données se pose uniquement lorsquon nattend pas assez longtemps avant de recueillir des données pour une période spécifique étant donné que la politique du SCC prévoit que les évaluations initiales doivent être faites dans les huit semaines suivant ladmission des délinquants. Toutefois, alors que les données recueillies à ladmission couvrent presque toute la population carcérale, on constate des lacunes dans les données historiques pour les délinquants déjà en détention, lacunes qui augmentent plus on remonte dans le temps. Le 31 décembre 1997, environ 40 % des détenus navaient pas fait lobjet dune évaluation initiale. Le 31 décembre 2001, cette proportion était de 21 % (voir le Tableau 5) et correspondait princi-palement aux détenus qui purgeaient une peine de longue durée (c.-à-d., ceux qui ont été admis avant le 15 novembre 19947 et qui purgeaient encore leur peine en 1997 ou 2001).
Tableau 5
Instantané de la population ayant fait l'objet d'une évaluation |
||||
Instantané au 31 déc. |
Dénombrement de détenus |
EID* |
Aucune EID |
Proportion exclue |
1997 |
13 385 |
8 034 |
5 351 |
40,0 % |
1998 |
13 039 |
8 839 |
4 200 |
32,2 % |
1999 |
12 711 |
9 244 |
3 467 |
27,3 % |
2000 |
12 604 |
9 660 |
2 944 |
23,4 % |
2001 |
12 608 |
9 977 |
2 631 |
20,9 % |
** The estimate of valid OIA assessments is based on responses to "Hospitalized current". |
Résumé
La gestion des délinquants ayant des problèmes de santé mentale pose des difficultés encore plus grandes au Service correctionnel du Canada que celles qui sont normalement liées à la gestion des délinquants sous responsabilité fédérale. Les détenus aux prises avec des difficultés mentales ou souffrant de troubles mentaux chroniques ont souvent besoin dune aide spéciale pour suivre leur plan correctionnel ou accroître leur capacité à faire face à la vie quotidienne en milieu carcéral. Ceux qui sont aux prises avec des problèmes mentaux ou comportementaux ont ordinairement besoin dinterventions supplémentaires pour apprendre à sadapter à leur milieu. Ils sont souvent rejetés par le reste de la population carcérale et, parce que lon craint pour leur sécu-rité ou celle des autres, il faut souvent prévoir à leur égard une surveillance, des interventions et des modalités de logement spéciales.
Il ressort des tendances que nous venons dexami-ner que le pourcentage de délinquants sous responsabilité fédérale ayant des problèmes de santé mentale augmente même si le nombre de délinquants admis dans les pénitenciers et la population carcérale diminuent. Bien que les délinquants souffrant de troubles mentaux ne forment toujours quune proportion relativement minime de la population carcérale globale, il y a lieu de sinquiéter du fait que leur nombre augmente (daprès les variables substitutives de lEID).
2. MOTIUK, L. et PORPORINO, F. La prévalence, la nature et la gravité des problèmes de santé mentale chez les détenus de sexe masculin sous responsabilité fédérale dans les pénitenciers du Canada,
Rapport de recherche R-24, Ottawa, ON, Service correctionnel du Canada, 1991.
3. En novembre 1994, le SCC a commencé à administrer lEID à chaque nouveau délinquant admis dans un établissement fédéral. Le cadre conceptuel de cette approche de lévaluation du risque et des besoins des délinquants est présenté dans ANDREWS, D. A. «Il est possible de prévoir et dinfluencer la récidive : utiliser des outils de prédiction du risque afin de réduire la récidive», Forum, Recherche sur lactualité correction-nelle, vol. 1, no 2, 1989, p. 11-17. On trouvera une vue densemble de la mise en application de lEID dans MOTIUK, L. L. «Le point sur la capacité dévaluer le risque», Forum, Recherche sur lactualité correctionnelle, vol. 5, no 2, 1993, p. 14-18. Depuis la mise en application de ce régime en novembre 1994, des évaluations initiales standard et exhaustives ont été effectuées sur plus de 27 000 délinquants admis dans le système correc-tionnel fédéral.
4. La description suivante situe les indicateurs choisis de lEID : (Diagnostic actuel, du sous-élément Troubles, élément principal Santé mentale, domaine Orientation personnelle et affective); (Médicaments prescrits en ce moment, du sous-élément Traitements médicamenteux, élément principal Interventions, du domaine Orientation personnelle et affective); (Actuellement hospitalisé, du sous-élément Interventions psychologiques/psychiatriques, élément principal Interventions, domaine Orientation personnelle et affective); (Actuellement malade externe, du sous-élément Interventions psychologiques/ psychiatriques, élément principal Interventions, domaine Orientation personnelle et affective); Diagnostic antérieur, du sous-élément Troubles, élément principal Santé mentale, domaine Orientation personnelle et affective); (Médicaments prescrits dans le passé, du sous-élément Traitements médica-menteux, élément principal Interventions, domaine Orientation personnelle et affective); (Hospitalisé dans le passé, du sous-élément Interventions psychologiques/psychiatriques, élément principal Interventions, domaine Orientation personnelle et affective); (Malade externe dans le passé, du sous-élément Interventions psychologiques/psychiatriques, élément principal Interventions, domaine Orientation personnelle et affective).
5. X2 p<0,001.
6. Les définitions des indicateurs se trouvent dans Évaluation initiale et planification correctionnelle Instructions permanentes (provisoires) 700-04. Voir notamment Annexe 700-4C Analyse des facteurs dynamiques.
7. En 1997, on a effectué des évaluations de rattrapage pour recueillir des données sur tous les détenus sous responsabilité fédérale pour lesquels on navait pas dEID. Toutefois, ces évaluations ont été faites uniquement à légard du domaine (c.-à-d., des cotes globales du risque et des besoins), de sorte que lon na pas recueilli de données détaillées sur le plan des indicateurs.