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Profil de besoins des jeunes délinquants autochtones incarcérés pour crimes graves ou de violence

Raymond R. Corrado et Irwin M. Cohen1
School of Criminology, Simon Fraser University

Beaucoup de recherches sont effectuées au Canada sur les besoins des délinquants autochtones dans le système de justice pénale canadien2. On a aussi fait plus récemment des recherches sur le profil de besoins des jeunes délinquants du Canada, en s’attachant à certains sous-groupes de délinquants, comme les adolescentes et les jeunes délinquants autochtones3. Comme c’est le cas pour les Autochto-nes adultes, un des grands problèmes est la surreprésentation des jeunes délinquants autochto-nes en détention. Un problème connexe est celui des jeunes, autochtones et non autochtones, qui commet-tent les formes les plus graves de crimes de violence ou qui récidivent constamment. Les établissements correctionnels doivent cerner et cibler les besoins multiples de ce segment de la population des jeunes délinquants, puisque ces derniers sont les plus susceptibles d’être condamnés à la garde en milieu fermé et qu’ils ont besoin des stratégies d’interven-tion et de traitement les plus intensives et les plus nombreuses. Nous soutenons que les jeunes délin-quants, tant autochtones que non autochtones, qui commettent des crimes graves ou de violence présen-tent ordinairement une gamme de problèmes graves et profonds sur les plans psychologique, affectif, comportemental et familial, ainsi qu’en matière de violence, de toxicomanie, d’instruction, de fréquenta-tions et d’identité, qui posent des défis particuliers en ce qui concerne l’intervention correctionnelle, le traitement et la réinsertion sociale. Cet article présente un profil des besoins des jeunes délinquants autochtones incarcérés pour crimes graves ou de violence4.

Les résultats présentés dans cet article provien-nent de l’étude de Vancouver sur les jeunes délinquants incarcérés pour crimes graves et violence. Ce projet de recherche visait à détermi-ner l’incidence d’une période de détention sur les intentions et décisions de récidiver d’un jeune délinquant. Il a été mené à deux établisse-ments de garde en milieu ouvert et deux établis-sements de garde en milieu fermé de l’agglomé-ration de Vancouver (Colombie-Britannique). Au total, 500 jeunes délinquants incarcérés ont accepté d’y participer. Les sujets ont pris part à une entrevue semi-structurée individuelle portant sur une vaste gamme d’aspects, y compris les antécédents criminels, les expérien-ces avec tous les éléments du système de justice pénale, la scolarité et l’emploi, la vie familiale et le logement, la consommation ou l’abus de drogues ou d’alcool, la santé physique et mentale, le fait d’avoir été victime de violence sexuelle ou physique, les fréquentations, la formation de l’identité et les attitudes à l’égard de divers modèles de détermination de la peine, y compris des initiatives de justice réparatrice. À l’entrevue s’est ajouté un examen du dossier carcéral de chaque participant. Cet examen du dossier a fourni des renseignements supplémen-taires sur chaque jeune et a permis de corroborer l’information recueillie durant l’entrevue. Les protocoles de recherche exigeaient d’aborder chaque jeune condamné à la garde dans un établissement pour jeunes participant, ce qui a donné lieu à un taux de réponse de 93 %. La principale raison de ne pas participer au projet de recherche était un conflit entre le moment fixé pour l’entrevue et une visite ou un programme déjà prévus.

Infractions antérieures et actuelles

Des 500 participants, 100 (20 %) se sont dits de descendance autochtone. Cette proportion traduit une surreprésentation marquée des jeunes Autochtones dans les établissements de garde pour jeunes de la Colombie-Britannique. La disproportion est plus marquée pour les adolescentes, qui correspondent en effet à 35 % de l’échantillon d’Autochtones, contre 21 % pour l’échantillon de jeunes délinquants non autochtones. Les distinctions selon les sexes pour les deux échantillons sont importantes étant donné qu’il est de plus en plus évident que le profil des besoins des adolescentes incarcé-rées pour crimes graves ou de violence diffère sensiblement de celui des adolescents5. Nous présentons donc des profils de besoins distincts pour les adolescents et les adolescentes autoch-tones. Le groupe d’âge étudié, pour les deux échantillons, est celui des 12 à 18 ans, l’âge moyen pour les adolescents autochtones étant de 16,2 ans et, pour les adolescentes, de 15,8 ans (14 % des adolescents et 12 % des adolescentes étaient âgés de 14 ans ou moins).

Un examen des antécédents criminels et des infractions à l’origine de la peine actuelle des jeunes délinquants autochtones inclus dans l’échantillon montre que ces derniers ont un grand besoin de programmes d’intervention et de traitement efficaces (voir le Tableau 1). Si l’on utilise le système de la Déclaration uniforme de la criminalité6 pour coder l’infraction la plus grave qui a mené à la condamnation actuelle, on constate que, chez les Autochtones, 5 % des adolescents et 9 % des adolescentes ont été incarcérés pour meurtre. Cela est encore plus troublant quand on sait que, parmi les 500 participants à l’étude, 14 jeunes ont été condam-nés pour meurtre, dont la moitié étaient des Autochtones. Le fait que plus d’adolescentes que d’adolescents autochtones ont commis un meurtre est aussi fort inquiétant. Toutefois, il ne faut pas voir dans cette donnée une indication du fait que les adolescentes autochtones sont plus portées à commettre un meurtre que les adolescents. Ce résultat serait plutôt attribuable au lieu et à la période d’exécution de la recher-che. En ce qui concerne l’infraction la plus grave à l’origine de la peine actuelle, 41 % des adolescents ont été incarcérés pour une infraction de violence, contre 34 % pour les adolescentes. Alors que les résultats sont à peu près les mêmes pour les adolescents autochtones et les adolescents non autochtones (41 % et 43 % respectivement), la proportion d’adolescentes autochtones incarcérées pour une infraction de violence est un peu plus faible que celle que l’on obtient pour les adolescentes non autochtones (34 % contre 42 %). Selon Corrado, Odgers et Cohen, le taux élevé de peines de garde imposées aux adolescentes reconnues coupables uniquement d’actes délinquants constitue une préoccupation en matière de politique. Ces auteurs soutiennent que le recours à la peine de garde pour des infractions mineures traduit l’importance attachée par le système judiciaire et les agents de probation aux besoins spéciaux des jeunes délinquantes et des notions patriarca-les de protection7. Signalons notamment qu’une forte proportion d’adolescentes autochtones incluses dans l’échantillon ont été incarcérées pour des comportements liés à leur participation à l’industrie du sexe.

Tableau 1

Infraction à l'origine de la peine actuelle et antécédents criminels
 
Adolescents autochtones
Adolescentes autochtones
Adolescents non autochtones
Adolescentes non autochtones
Infraction la plus grave à l'origine de la peine actuelle :

Meurtre

4.6%
8.6%
1.4%
2.5%
Infractions de nature sexuelle
1.5%
2.9%
1.7%
0.0%
Vol qualifié et voies de fait
35.4%
22.9%
40.2%
39.3%
Infractions contre les biens
43.1%
20.0%
15.2%
36.1%
Actes de délinquance
15.4%
45.6%
20.6%
43.0%
Infraction la plus grave de tous les antécédents criminels :
Meurtre
6.2%
8.6%
1.7%
2.5%
Infractions de nature sexuelle
4.6%
2.9%
4.1%
2.5%
Vol qualifié et voies de fait
52.3%
51.5%
68.9%
62.0%
Infractions contre les biens
35.4%
28.6%
23.6%
26.6%
Actes de délinquance
1.5%
8.4%
6.4%
6.4%
Durée de la peine actuelle :
Durée moyenne de la probation
15 mois
15 mois
15.5 mois
15.5 mois
Durée moyenne de la garde en milieu ouvert
65 jours
43 jours
102 jours
77 jours
Durée moyenne de la garde en milieu fermé
139 jours
14 jours
204 jours
427 jours
Durée de toutes les peines purgées :
Durée totale des périodes de probation
43 mois
31 mois
37 mois
30 mois
Durée totale des périodes de garde en milieu ouvert
190 jours
82 jours
52 jours
32 jours
Durée totale des périodes de garde en milieu fermé
219 jours
109 jours
67 jours
30 jours
Durant toute leur carrière criminelle, 63 % des jeunes contrevenants et contrevenantes autoch-tones ont été reconnus coupables au moins une fois d’une infraction de violence, proportion qui est inférieure à celles enregistrées pour les jeunes contrevenants et contrevenantes non autochtones (75 % et 67 % respectivement).

Si l’on utilise comme seuil de la récidive au moins quatre condamnations8, on constate que 55 % des jeunes contrevenants autochtones et 43 % des jeunes contrevenantes autochtones peuvent être considérés comme des récidivistes. Il est intéressant de constater que, dans les deux groupes, l’âge moyen du premier contact avec le système de justice pénale est de 14,4 ans. Toute-fois, lorsqu’on s’arrête au nombre moyen de condamnations pour ces jeunes en fonction de leur âge moyen, on constate qu’ils commettent un nombre élevé d’infractions au cours d’une période relativement courte. Les jeunes contre-venants qui ont été reconnus coupables d’au moins une infraction de violence et qui ont déjà accumulé au moins quatre condamnations sont ceux qui exigent les stratégies de réadaptation et de traitement les plus intensives, étant donné qu’il y a une étroite corrélation entre la perpé-tration d’infractions graves ou de violence et la récidive avec violence après la mise en liberté9. En outre, des taux élevés de récidive révèlent que les tentatives antérieures de réadaptation de ces jeunes ont échoué.

L’échantillon était composé exclusivement de jeunes en détention, c’est-à-dire de jeunes qui ont été condamnés à la garde soit en milieu ouvert soit en milieu fermé. Par conséquent, toutes les peines de probation s’ajoutent à une peine d’incarcération. Les adolescents et les adolescentes autochtones se sont vu imposer en moyenne 15 mois de probation. Il est intéressant de noter que, bien que les membres de l’échan-tillon de jeunes non autochtones se soient vu imposer une peine beaucoup plus longue de détention pour l’infraction à l’origine de la peine actuelle, la durée totale de toutes les peines de garde est beaucoup plus longue pour les adolescents et les adolescentes autochtones. Pour l’ensemble de leurs peines, les adolescents autochtones se sont vu imposer en moyenne 43 mois de probation, tandis que les adolescen-tes autochtones ont écopé au total de 31 mois de probation.

En outre, tant les adolescents que les adolescen-tes autochtones ont passé passablement de temps en détention, compte tenu surtout de leur âge moyen de 16 ans. Durant toute leur vie, les adolescents autochtones ont passé au total, en moyenne, 409 jours dans un établissement de garde en milieu ouvert ou en milieu fermé, tandis que les adolescentes autochtones ont au total passé en moyenne 191 jours en détention. Ces chiffres sur les périodes de garde et de probation traduisent la gravité des infractions commises par ces jeunes autochtones et indi-quent aussi que les établissements de garde disposent d’une période de temps considérable pour mettre en application des programmes de traitement et de réadaptation visant à répondre aux besoins de ces jeunes délinquants.

Éducation

En ce qui concerne les besoins d’instruction, les jeunes autochtones inclus dans cet échantillon posent plusieurs défis de taille. Premièrement, seulement 46 % des adolescents et 54 % des adolescentes étaient inscrits à l’école au moment de la perpétration de l’infraction à l’origine de leur peine actuelle. Chez les adolescents et adolescentes non autochtones, les proportions correspondantes étaient de 52 % et 53 %. Pour l’ensemble de l’échantillon, le niveau de scola-rité atteint, tant pour ceux qui fréquentaient l’école que pour ceux qui l’avaient abandonnée, et pour les deux sexes, est la 8e année. Comme l’âge moyen des membres de l’échantillon est de 16 ans, cela signifie que ces jeunes ont deux à trois années de retard sur leurs contemporains.

En ce qui concerne leur assiduité à l’école lorsqu’ils y étaient inscrits, 94 % des adolescents ont dit sécher les cours et 57 % ont dit le faire tous les jours ou quelques fois par semaine. Parmi les adolescentes, 91 % ont dit sécher les cours et 71 %, le faire tous les jours ou quelques fois par semaine. En outre, 96 % des adolescents et 85 % des adolescentes disent avoir causé des ennuis à l’école. Il convient de signaler que ces ennuis étaient définis comme des comportements pouvant entraîner l’exclusion temporaire ou le renvoi. Tant pour les adolescents que pour les adolescentes autochtones, ces comportements consistent le plus souvent en bagarres avec d’autres élèves, les enseignants et les administrateurs, la consommation de drogues, le fait de tricher et la désertion de l’école. Il est aussi troublant de constater l’âge auquel ces comportements commencent. Les adolescents autochtones disent avoir commencé à causer des ennuis à l’école en moyenne à l’âge de 10 ans, tandis que les adolescentes signalent comme âge moyen 10,6 ans. Un autre indicateur important du manque d’engagement envers l’école est le nombre de fois que ces jeunes Autochtones ont changé d’école alors qu’ils n’y étaient pas obligés par la fin de leurs études ou leur passage à un niveau supérieur. Les adolescents disent avoir changé d’école 5,88 fois et les adolescentes, 4,94 fois. Il est extrêmement important de s’occuper des besoins d’instruction de ces jeunes délinquants autochtones étant donné leur faible niveau d’engagement envers l’école et le pourcentage d’échecs élevé. Lors-qu’ils sont sous garde, ces jeunes ont clairement besoin de programmes et de stratégies en matière d’instruction qui favoriseront l’estime de soi, amélioreront leur capacité générale en lecture et en écriture et susciteront une attitude positive et un engagement envers l’instruction.

Vie de famille

Un examen des conditions de logement et du contexte familial des jeunes délinquants autoch-tones ne fait qu’assombrir leur profil de besoins déjà compliqué. Au moment de la perpétration de l’infraction à l’origine de leur peine actuelle, 42 % des adolescents et 35 % des adolescentes vivaient avec un membre de leur famille immédiate. Parmi l’échantillon de jeunes non autochtones, 49 % des garçons et 36 % des filles vivaient avec un membre de leur famille immédiate. Il convient de noter que, dans les deux groupes, la plupart vivaient dans une famille monoparentale dirigée par la mère, qui était sans emploi ou qui occupait un emploi peu payant. En outre, parmi les jeunes autochtones, 33 % des adolescents et 56 % des adolescentes vivaient seuls ou dans la rue, ou étaient des pupilles de l’État, alors que 45 % des adolescents et 63 % des adolescentes non autochtones vivaient seuls ou dans la rue, ou étaient des pupilles de l’État. Quant à leur participation à l’industrie du sexe, plusieurs de ces adolescen-tes vivaient dans des conditions qui, en plus de les placer dans une situation où elles risquaient de commettre des infractions, constituaient aussi un danger pour leur bien-être personnel, par exemple, vivre dans la rue ou avec leur souteneur.

Pour l’ensemble de l’échantillon, le foyer principal est caractérisé par un degré poussé de dysfonctionnement pour ce qui est de la relation avec les principaux dispensateurs de soins et les antécédents familiaux linéaires de ces derniers. Parmi les jeunes autochtones, 76 % des adolescents et 97 % des adolescentes disent avoir délibérément quitté leur foyer principal pour vivre ailleurs. Pour les premiers, l’âge le plus jeune auquel ils ont décidé de quitter leur foyer est de 12,1 ans et, pour les secondes, de 11,47 ans. De plus, ces jeunes quittent le foyer très souvent. Les adolescents ont quitté leur foyer en moyenne 9,54 fois et les adolescentes, 14,97 fois. Les premiers disent avoir été mis à la porte de leur foyer en moyenne 2,53 fois à compter de l’âge de 14 ans et les Tableau 2 adolescentes, en moyenne 3,43 fois à compter de l’âge de 13,5 ans. La constatation peut-être la plus renver-sante est le nombre moyen d’en-droits, outre leur foyer principal, où ces jeunes autochtones ont habité au moins trois mois. Les adolescents disent avoir vécu en moyenne à neuf endroits autres que leur foyer princi-pal et les adolescentes, à 13 autres endroits. Ces déplacements nom-breux et la précarité des liens entre Casier les jeunes et leurs dispensateurs de soins aux niveaux de la famille, de l’instruc-tion, des fréquentations et du travail résultant de cette grande mobilité constituent le leitmotiv du profil de besoins de ces jeunes. Bien que les établissements de garde pour jeunes soient, en raison de leur nature même, transi-toires et qu’ils ne doivent pas être utilisés comme moyen d’assurer une stabilité aux délinquants, les programmes de traitement et de réadaptation pourraient viser à enseigner à ces jeunes comment cerner et régler des problèmes interpersonnels d’une manière prosociale et productive.

Outre les degrés poussés de mobilité, les jeunes délinquants autochtones qui commet-tent des crimes graves et de violence sont caractérisés par un niveau extrêmement élevé de dysfonctionnement familial (voir le Tableau 2). Dans toutes les catégories, les jeunes autochto-nes affichent des taux plus élevés que les jeunes non autochtones. La plupart des adolescents et adolescentes autochtones disent qu’au moins un membre de leur famille souf-fre d’alcoolisme et de toxicomanie. Les résul-tats révèlent également des taux élevés de membres de la famille ayant été victimes de violence physique, et 58 % des adolescentes disent qu’au moins un membre de leur famille a été victime de violence sexuelle. En outre, plus des deux tiers des jeunes autochtones disent qu’au moins un membre de la famille a un casier judiciaire. Ces jeunes ont donc non seulement besoin de plus de stabilité dans leur vie familiale et de stratégies et techniques pour les aider à renforcer leurs liens fami-liaux, mais ils peuvent aussi avoir besoin de mentors ou de modèles de comportement dans leur famille et leur collectivité pour les aider à devenir des membres prosociaux de leur collectivité.

Tableau 2

Dysfonctionnement familial
 
Adolescents autochtones
Adolescentes autochtones
Adolescents non autochtones
Adolescentes non autochtones
Alcoolisme
85.9%
88.2%
70.6%
45.3%
Toxicomanie
73.8%
73.5%
57.1%
55.3%

Victime de violence physique

53.3%
75.0%
44.5%
55.4%

Victime de violence sexuelle

19.3%
57.6%
17.3%
33.8%
Trouble mental
16.1%
29.4%
21.8%
32.0%
Casier judiciaire
78.1%
70.6%
66.9%
69.3%
Placement familial
68.9%
81.8%
30.8%
32.9%

Questions d’ordre personnel

Pour ce qui est de leur propre niveau de dys-fonctionnement, les jeunes délinquants autoch-tones ayant commis des crimes graves ou de violence présentent une myriade de problèmes étant donné que 95 % des adolescents et 94 % des adolescentes consomment de la drogue. Bien que cela ne soit sans doute pas étonnant dans un échantillon de jeunes délinquants ayant commis des crimes graves ou de violence, les sortes de drogues consommées et la fréquence de consommation sont très inquiétantes. Si l’on s’arrête uniquement aux drogues que les délin-quants autochtones utilisent quotidiennement ou quelques fois par semaine, on constate que 81 % des adolescents et 60 % des adolescentes disent consommer de la marijuana, 12 % et 43 % respectivement, du crack, 8 % et 17 % respecti-vement, de l’héroïne, et 6 % et 31 % respective-ment, de la cocaïne. Bien que les taux de consommation de drogues dures soient élevés pour les deux sexes, celui des adolescentes autochto-nes est extrêmement inquiétant. De plus, ces jeunes commencent à consommer de la drogue à un très jeune âge, soit 11,11 ans pour les adolescents et 11,91 ans pour les adolescentes. En ce qui concerne l’alcool, ils commencent à en consommer à 11,63 ans et 12,66 ans, respective-ment, 94 % des adolescents et des adolescentes disant consommer de l’alcool. Il ressort claire-ment du profil de besoins de ces jeunes délin-quants qu’ils ont grandement besoin de programmes de lutte contre la toxicomanie ciblant les aspects physique, affectif et psychologique de la dépendance à l’égard des drogues et de l’alcool. Il est extrêmement difficile de mettre en application des stratégies de réadaptation et de traitement à l’intention de jeunes toxicomanes. En outre, ces jeunes ne présentent pas qu’un seul besoin, ils ont une multitude de grands besoins.

Le traitement des jeunes délinquants autochto-nes risque de ne pas être efficace s’il est centré exclusivement sur leurs problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie. Rappelons, par exemple, que les adolescents et les adolescentes ont, à un degré poussé, été victimes de violence physique et de violence sexuelle. En effet, 43 % des adolescents et 80 % des adolescentes autochtones disent avoir été victimes de violence physique, tandis que c’est le cas de 37 % des adolescents et de 55 % des adolescentes non autochtones. De plus, 13 % des adolescents et 65 % des adoles-centes autochtones (contre 12 % et 45 % respecti-vement parmi les jeunes délinquants non autochtones) disent avoir été victimes de violence sexuelle. Les antécédents de violence physique et sexuelle d’un jeune doivent être au cœur de toute stratégie de traitement puisqu’il faut tenir compte de l’interaction simultanée, par exemple, entre l’alcoolisme et la toxicomanie, le fait d’être victime de violence sexuelle ou physique et la participation à l’industrie du sexe. Il est d’autant plus important d’avoir une stratégie de traitement ciblant des besoins multiples que la consommation ou l’abus de substances intoxi-cantes et le fait d’être victime de violence constituent d’importants facteurs de risque en ce qui concerne les actes de violence et d’autres comportements criminels10. La difficulté que cela présente sur le plan stratégique est d’autant plus grande que l’interaction entre ces facteurs de risque et les variables du résultat est loin d’être évidente. Autrement dit, les besoins de ces jeunes exigent l’adoption d’une stratégie holistique faisant entrer en ligne de compte leur profil multidimensionnel, plutôt qu’un nombre élevé de programmes indépendants dont chacun est axé sur un problème ou un autre. Le profil de besoins des jeunes délinquants autochtones en détention pour avoir commis des crimes graves ou de violence doit tenir compte de leurs taux élevés de consommation de drogues et d’alcool et de leurs antécédents comme victimes de violence physique ou sexuelle.

De plus, les jeunes délinquants autochtones incarcérés présentent un vaste éventail de pro-blèmes de santé mentale gravitant autour de la maîtrise de la colère. L’examen des résultats ci-dessous doit faire entrer en ligne de compte le fait qu’il s’agit de mesures de la santé mentale basées sur les déclarations des intéressés et corroborées par des diagnostics officiels. Néan-moins, un des troubles mentaux que l’on constate le plus fréquemment chez tous les jeunes est celui du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Pour un indicateur du TDAH basé sur les déclarations de l’intéressé, 33 % des adolescents autochtones ont dit que, par le passé, leur père, leur mère, un enseignant, un conseiller, un psychologue ou un psychiatre leur avait dit qu’ils souffraient du TDAH, tandis que 20 % croyaient effectivement souffrir de ce trouble. Chez les adolescentes, 18 % ont été informées qu’elles souffraient du TDAH, tandis que 16 % croyaient souffrir de ce trouble. En outre, 61 % des adolescents autochtones et 62 % des adolescentes autochtones disent se fâcher facilement et avoir de la difficulté à garder leur calme. De plus, 23 % de tous les membres de l’échantillon d’Autochtones croient souffrir d’un trouble mental. Les troubles le plus souvent mentionnés incluent la dépression, la schizoph-rénie et la personnalité antisociale. Compte tenu de ces taux de déclaration par les intéressés, il est étonnant que seulement 50 % des adolescents autochtones et 60 % des adolescentes autochtones aient été dirigés vers une évalua-tion de santé mentale pendant leur période sous garde. À la lumière d’autres recherches, il ressort clairement du profil de besoins des jeunes délinquants autochtones ayant commis des crimes graves ou de violence qu’il faut adopter pour ces jeunes des stratégies d’évalua-tion et de traitement axées sur un certain nom-bre de problèmes de santé mentale, y compris le TDAH, les troubles du comportement, le syndrome d’alcoolisation foetale, les effets de l’alcoolisation foetale et la personnalité antisociale.

Un dernier aspect important du profil de be-soins des jeunes délinquants autochtones coupa-bles de crimes graves et de violence est celui des groupes de pairs. Les trois quarts des adolescents autochtones et 85 % des adolescentes autochtones avouent que les membres de leur groupe de pairs sont des délinquants. Comme nous l’avons déjà signalé au sujet du dysfonc-tionnement familial, il est important que ces jeunes soient entourés de mentors et de modèles de comportement qui les aideront à fréquenter des pairs qui les soutiennent et ont un comportement prosocial.

Conclusion

Les jeunes délinquants autochtones incarcérés pour avoir commis des crimes graves ou de violence présentent une multitude de problè-mes. Outre leurs problèmes d’alcoolisme et de toxicomanie, ils ne sont guère engagés envers l’école ou l’emploi, viennent d’un foyer très dysfonctionnel, affichent des taux élevés de mobilité, ont des liens sociaux précaires, sont victimes de violence physique ou sexuelle, présentent une multitude de troubles mentaux et de la personnalité, manquent d’habiletés cognitives et en relations interpersonnelles, fréquentent des délinquants et ont un mode de vie caractérisé par les infractions à répétition. Quant aux adolescentes autochtones, bien qu’il ressemble à bien des égards à celui des adolescents autochtones, leur profil de besoins est encore plus fortement lié à leur vie dans la rue et à l’industrie du sexe. Leur consommation abusive de drogues et d’alcool intensifie en outre leur risque d’être victimes de violence physique et sexuelle. Seule une stratégie de traitement holistique ciblant tout le complexe des problèmes interdépendants permettra de répondre aux besoins des jeunes délinquants autochtones incarcérés. De plus, les approches les plus efficaces sont sans doute celles qui reflètent et intègrent les traditions et la culture de ces jeunes. Le meilleur moyen de répondre aux besoins de ces jeunes délinquants autochto-nes serait vraisemblablement de mettre en application des stratégies de réadaptation et de traitement qui traduisent les différences cultu-relles et qui sont centrées sur la culture, comme l’utilisation de sueries et de cercles de guérison, le recours à des membres de la collectivité autochtone comme mentors or modèles de comportement et la tenue de cérémonies de purification par la fumée.


1.  8888 University Drive, Burnaby (Colombie-Britannique).

2.  GRIFFITHS, C. T. et CUNNINGHAM, A. H. Canadian Criminal Justice: A Primer, Toronto, ON, Thomson Nelson, 2003.

3. BELL, S. J. Young offenders and juvenile justice: A century after the fact, Toronto, ON, Thomson Nelson, 2002.

4.  Les données présentées dans cet article proviennent de deux recherches exécutées grâce à des subventions accordées par le Conseil de recherches en sciences humaines (R-410-98-1246) à Raymond R. Corrado et intitulées A Survey of Serious and Violent Young Offenders’ Perceptions of Sentences: An Empirical Examination of the Perceptual Model et Its Linkage to Subsequent Official Offending et Why Young Offenders Return to Prison: A Longitudinal Multi-Path Perceptual and Behavioral Analysis of Serious and Violent Young Offenders. Ces recherches ont égale-ment été appuyées financièrement par le ministère des Affaires indiennes et du Nord.

5.  CORRADO, R. R., ODGERS, C. et COHEN, I. M. «Girls in jail: Punishment or protection», dans Psychology in the courts: International advances in knowledge, sous la direction de R. Roesch, R. R. Corrado et R. J. Dempster, Amsterdam, NL, Harwood Academic, 2001.

6.  La Déclaration uniforme de la criminalité est le système de collecte de données sur la criminalité fournies par la police et recueillies par le Centre canadien de la statistique juridique de Statistique Canada.

7.  CORRADO, R. R., ODGERS, C. et COHEN, I. M. «The incarceration of female young offenders: Protection for whom?»,
Canadian Journal of Criminology, avril 2000, p. 189-207.

8.  SNYDER, H. N. «Appendix: Serious, violent, and chronic juvenile offenders: An assessment of the extent of and trends in officially recognized serious criminal behavior in a delinquent population», dans Serious and violent juvenile offenders: Risk factors and successful interventions, sous la direction de R. Loeber et D. P. Farrington, Londres, GB, Sage Publications, 1998.

9.  CORRADO, R. R., COHEN, I. M. et MARINO, F. (à venir).«Pathways to serious violent adolescent offending».

10.  REPPUCCI, N. D., FRIED, C. S. et SCHMIDT, M. G. «Youth violence: Risk and protective factors», dans Multi-problem violent youth: A foundation for comparative research on needs, interventions, and outcomes, sous la direction de R. R. Corrado, R. Roesch, S. D. Hart et J. K. Gierowski, Amsterdam, NL, IOS Press, 2002.