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Points tournants : Facteurs associés à la réinsertion sociale réussie des délinquants autochtones
Doug Heckbert et Douglas Turkington1
Nechi Training Research and Health Promotions Institute
Cet article se penche sur la vie de délinquants autochtones qui, à un moment donné, ont commis des crimes très graves, mais ont modifié complète-ment leur vie et sont devenus des citoyens respec-tueux des lois. On a voulu déterminer les facteurs déterminants de leur réinsertion sociale réussie. On a interrogé des ex-délinquants autochtones dEdmon-ton, en Alberta, qui avaient tous purgé au moins une peine dans un pénitencier fédéral et navaient pas eu de démêlés avec la justice depuis au moins deux ans. Léchantillon se composait de 12 femmes et de 56 hommes. Grâce à des entrevues structurées, on les a fait parler de leur enfance, de ce qui les avait amenés à adopter un comportement délinquant, des raisons de labandon de ce comportement et de leurs efforts pour rester dans le droit chemin.
Profil des répondants
On a établi un profil des répondants afin de mieux comprendre les expériences des participants et le contexte sociodémographique dans lequel elles sinscrivaient.
La majorité des répondants (60 %) appartenaient à une Première nation, 38 % étaient Métis, et 2 % (1 répondant), Inuits. Leur âge moyen était de 43 ans, le plus jeune ayant 21 ans, et le plus âgé, 64. En outre, 80 % des répondants avaient fait une 12e année ou moins. Plus de la moitié (58 %) occupaient un emploi à temps partiel ou à temps plein. La plupart vivaient en milieu urbain au moment de létude (74 %). Enfin, les deux tiers (66 %) ont qualifié leur santé physique de bonne ou dexcellente, et les trois quarts (74 %) ont dit la même chose de leur santé mentale.
Pour traiter des changements radicaux que les participants ont apportés dans leur vie, il importe de bien comprendre leurs antécédents criminels dans toute leur ampleur. Une forte proportion de répondants (84 %) avaient été condamnés pour des crimes de violence. Ainsi, 16 (24 %) avaient un casier judiciaire en raison dun meurtre, dune tentative de meurtre ou dun homicide involontaire. Il est clair que ces ex-délinquants avaient réussi à réintégrer la société en dépit des crimes assez graves quils avaient commis.
Les jeunes années
On sest penché sur le milieu de vie des répon-dants pendant leur enfance et leur adolescence afin de déterminer les facteurs qui avaient pu influencer leur comportement criminel. La majorité (59 %) des répondants avaient été élevés par leurs deux parents à un moment ou à un autre de leur vie2. Certains avaient connu un milieu de vie autre que la famille. Par exemple, 40 % ont déclaré avoir vécu dans un orphelinat ou dans un foyer daccueil, tandis que (28 %) ont révélé avoir été placés dans un pensionnat. De nombreux répondants avaient connu un milieu familial instable et dysfonctionnel mar-qué par la violence. En effet, 40 % ont signalé avoir subi des mauvais traitements psychologi-ques, physiques ou sexuels ou avoir été victimes de négligence au cours de leur enfance De plus, presque la moitié (47 %) ont indiqué quils étaient devenus violents pendant leur enfance et leur adolescence.
Adoption dun comportement délinquant
En raison des conditions de vie quils avaient connues dans leur jeunesse, bon nombre de répondants avaient commis de nombreuses infractions et passé de longues périodes au sein du système correctionnel. Selon létude, cest entre 13 ans et 17 ans que 62 % dentre eux avaient pour la première fois fait lobjet daccu-sations. Dans la majorité des cas (56 %), il sagissait dinculpations dinfraction contre les biens. Plus de la moitié des répondants (54 %) avaient eu affaire au système de justice pour les jeunes, et, pour la plupart (57 %), ils y étaient restés pendant une période de un à trois ans.
Par ailleurs, 51 % des répondants comptaient entre une et 10 condamnations en tant quadul-tes. En ce qui concerne les décisions prises à leur égard, 86 % avaient dû purger une peine dans un établissement fédéral3, 85 % avaient été condamnés à lemprisonnement dans un établis-sement provincial, 79 % sétaient vu imposer une amende et 69 % avaient reçu une peine de probation. Chez la majorité (47 %) des répon-dants condamnés à lemprisonnement, la durée de la peine variait entre un et trois ans. Daprès les réponses, la peine ayant produit le plus deffet sur ces jeunes délinquants était lempri-sonnement dans un établissement fédéral.
On a demandé aux participants dexpliquer les raisons de leurs démêlés avec la justice. À partir de leurs réponses, on a établi quatre catégories générales : le fait de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, la toxicomanie et un mode de vie criminel, la colère et la rébellion, et la confusion. À la question de savoir ce qui aurait pu les empêcher de tomber dans la criminalité, ils ont répondu quune bonne communication et du soutien au sein de la famille constituaient les deux facteurs les plus importants. Ces opinions illustrent combien il est important, dans la perspective de lefficacité de la prévention du crime et des interventions auprès des familles, que les familles soient aptes à offrir du soutien, attentives aux besoins et dotées de solides aptitudes à la communication et à la résolution de problèmes. Lun des défis que les collectivités autochtones, les gouverne-ments et les organismes de services à la famille devront relever sera de favoriser létablissement de liens familiaux plus solides et dun climat plus sain dans les familles autochtones.
Abandon du comportement délinquant
On a établi une liste des influences dont les répondants ont dit quelles les avaient aidés à abandonner leur comportement criminel. Ces influences peuvent être divisées en trois catégories générales correspondant à la culture4, aux programmes5 et à la vie personnelle6. Cette information est susceptible dorien-ter les recherches et les pratiques vers les moyens qui donnent de bons résultats en ma-tière de réinsertion sociale. Elle pourrait égale-ment servir de point de départ à la conception et à la mise en uvre de programmes de traite-ment et dintervention susceptibles de déclen-cher ou de soutenir le processus de changement.
Une forte majorité de répondants (85 %) ont mentionné que le fait de réduire ou de cesser leur consommation dalcool ou de drogue avait été déterminant dans labandon du comportement délinquant. Venaient ensuite linfluence de la famille (82 %) et celle des amis (72 %). Par ailleurs, de nombreux répondants (81 %) ont expliqué quils en avaient eu assez davoir des problèmes avec la justice. En outre, 76 % ont dit quils avaient finalement compris quil était possible de mener une vie meilleure. Bon nom-bre de répondants (76 %) ont également men-tionné le sentiment davoir une identité personnelle comme facteur déterminant.
La culture et la spiritualité autochtones repré-sentent un thème dominant dans les réponses des participants. Ceux-ci ont insisté sur limpor-tance des Aînés ainsi que des cérémonies et des programmes autochtones dans les établisse-ments comme facteurs de changement. Par exemple, 72 % des répondants trouvaient que les Aînés avaient exercé une influence positive dans labandon de leur comportement criminel. De plus, 71 % ont déclaré avoir participé à des activités et à des cérémonies spirituelles pendant leur incarcération, et une proportion égale (71 %) a mentionné les programmes gérés par des organismes de lextérieur comme facteur de changement.
Il se peut quune combinaison de facteurs ou dexpériences aient joué un rôle déterminant. Ceux-ci revêtent une grande importance pour lélaboration et la mise en uvre des stratégies en matière de services correctionnels et dinter-vention dans la collectivité. En outre, la mise en oeuvre de programmes postlibératoires efficaces ainsi que létablissement de liens avec la collec-tivité sont essentiels au succès de la réinsertion des délinquants autochtones.
Rester dans le droit chemin
On a demandé aux participants de définir ce qui les a aidés à ne pas retomber dans la criminalité. La presque totalité (94 %) ont expliqué que linfluence des valeurs et de lidentité personnelles sétait avérée cruciale. À nouveau, la famille a été mentionnée comme influence centrale, et ce, par 94 % des répondants, alors que 87 % dentre eux soulignaient également le rôle prépondérant des amis. Un grand nombre de répondants (91 %) ont précisé que le fait de se tenir loin des drogues et de lalcool les avaient aidés à ne pas récidiver.
Parmi les autres thèmes qui revenaient souvent dans les réponses des participants, on trouve le fait de «saider soi-même». Limportance de linfluence attribuée aux activités favorisant la croissance (90 % des réponses)7 et aux groupes dentraide (43 %)8 en témoigne. Les répondants ont également cité, dans une proportion de 79 %, le fait daider les autres comme facteur déterminant. En effet, la vaste majorité avaient fait du bénévolat pour divers organismes, ce qui montre clairement leur volonté de devenir des membres productifs de la société.
Lemploi (74 %) de même que les études et la formation (71 %) font également partie des facteurs positifs mentionnés. Certains répon-dants ont expliqué que lemploi avait donné une orientation à leur vie et leur avait apporté le soutien de collègues. En outre, limportance accordée aux études tient également au fait den avoir appris davantage sur lhistoire autochtone et à lémergence dun sentiment didentité. Selon les répondants, la participation à des pratiques spirituelles et à des cérémonies autochtones (71 % des réponses) ainsi quà des activités culturelles autochtones (68 % des réponses)9 avait joué un rôle décisif dans leur non-récidive.
Létude a aussi révélé que les répondants con-naissaient peu, voire pas du tout la culture autochtone. Beaucoup dentre eux gardaient une impression négative de ce quils avaient appris ou vécu relativement à celle-ci. Néanmoins, la majorité des réponses soulignaient que cette culture avait une facette positive. Dans bien des cas, leurs contacts avec des Aînés avaient permis aux répondants de rectifier leurs conceptions erronées à ce sujet. Ces résultats confirment que les délinquants doivent pouvoir avoir des rapports avec des Aînés à lintérieur et à lexté-rieur des établissements et acquérir une connais-sance exacte de leur culture.
Il a aussi été mentionné que le soutien continu et efficace de personnes et dorganismes de lextérieur a également eu une influence mar-quante, de même que les programmes et services offerts dans la collectivité. Ces réponses mettent en évidence les volets de lintervention communautaire qui doivent être élargis et perfectionnés.
Conclusion
Les commentaires des répondants représentent un apport utile pour la prévention du crime au sein des collectivités autochtones et de la société en général. Une meilleure connaissance des facteurs qui influent sur le succès de la réinser-tion sociale aidera les responsables du système de justice pénale et des services correctionnels à concevoir et à mettre en uvre des programmes visant à favoriser des changements favorables chez les délinquants autochtones et à accroître leur sensibilisation à leur culture et à la spiritua-lité autochtones. Enfin, on espère quun soutien et un respect plus marqués à légard des prati-ques et de lidentité culturelle des Autochtones, tant à lintérieur quà lextérieur des établisse-ments, permettront de réduire le nombre dAutochtones au sein du système de justice pénal.
2. Il se peut que ces répondants aient vécu dans plus dun foyer, et que les pourvoyeurs de soins aient été chaque fois différents.
3. Certains répondants sous responsabilité fédérale purgeaient leur peine dans un établissement provincial.
4. La catégorie de la culture a trait à linfluence positive que génère le fait den savoir plus sur lhistoire, la culture et les pratiques spirituelles autochtones.
5. La catégorie des programmes vise les programmes destinés aux Autochtones et aux non-Autochtones offerts à lintérieur et à lextérieur des établissements.
6. La catégorie de la vie personnelle a trait aux changements personnels quont connus les participants.
7. Les activités favorisant la croissance englobent des activités récréatives qui aident à la réadaptation. Il peut sagir de sport, de lecture ou de moments passés avec des membres de la famille.
8. Les groupes dentraide sont des regroupements au sein desquels ont lieu des activités telles que la cérémonie du cercle de guérison et celle du cercle damitié.
9. Parmi les activités culturelles, on trouve les cérémonies de la suerie, des herbes sacrées, du calumet et du cercle sacré.