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Quelques réflexions sur les maisons de transition

John Rives1
Programme InReach d’Option-Vie, région de l’Ontario

L e 22 novembre dernier, la Maison Saint-Léonard de Windsor a célébré son 40e anniversaire. Des personnes de toutes les régions de l’Ontario se sont réunies pour rendre hommage au révérend Neil Libby, dans la salle même où sa vision clairvoyante est devenue réalité. Convaincu que l’incarcération est en soi une expérience qui aliène et isole l’indi-vidu, le révérend Libby a aussi reconnu la nécessité d’aider les détenus à reprendre une vie «normale» dans la société. Beaucoup de détenus ne disposaient même pas des ressources essentielles comme la famille, un foyer et trois repas par jour. La Maison Saint-Léonard allait donc devenir pour eux un milieu de vie stable au cours de cette période de transition critique. Elle devait être leur foyer, les aider à devenir de bons citoyens et leur permettre de se sentir en sécurité, aussi bien à la Maison qu’à l’extérieur.

Le mouvement des maisons de transition s’est répandu en Amérique du Nord avec la force d’un raz de marée. Des milliers d’individus qui ont résidé dans ces établissements ont bénéficié du soutien et des conseils qu’ils y ont reçus. D’ailleurs, la suppression de l’hébergement des délinquants sous responsabilité provinciale dans les maisons de transition de l’Ontario a sans doute été le seul aspect vraiment négatif de leur histoire. À mon avis, le principal facteur qui a entraîné cette décision est attribuable au fait qu’on n’a pas suffisamment examiné et discuté les succès obtenus grâce aux maisons de transition.

Dans son discours de clôture des célébrations du 40e anniversaire de la Maison Saint-Léonard de Windsor, John Braithwaite, ancien sous-commis-saire et président actuel du Groupe national de ressources du programme Option-Vie – InReach, a invité le Service correctionnel du Canada (SCC) et les personnes présentes à examiner les options qui donnent de bons résultats en ma-tière de mise en liberté. Il a rappelé en particu-lier que nous devons encore découvrir quels sont les principaux facteurs qui déterminent le succès de la réinsertion sociale, surtout chez les délinquants purgeant une peine de longue durée. En collaboration avec la Société Saint-Léonard du Canada et plusieurs autres organis-mes non gouvernementaux et groupes intéres-sés, la Direction de la recherche du SCC pour- suit actuellement une étude approfondie sur les maisons de transition. Tout en entrant dans cette phase de recherche, nous devons néanmoins garder à l’esprit notre objectif premier. Les maisons de transition ne sont pas simplement des intermédiaires qui facilitent l’exécution des programmes.

Les quarante ans d’histoire de la construction de ces maisons, de leur occupation et de l’accréditation des programmes qui y ont été offerts me rappellent la phrase qu’entend W.P.Kinsella dansUn monde de rêve: «Si tu le construis, ils viendront». En effet, ils sont venus, et en grand nombre. Cependant, on doit se préoccuper du fait que l’objectif fixé au début semble s’estomper graduellement. Les établisse-ments résidentiels communautaires (ERC) et les centres correctionnels communautaires (CCC) sont souvent perçus comme le simple prolongement des mesures de surveillance et de contrôle dans la collectivité. Il est difficile de dissiper cette perception quand nous voyons de plus en plus de délinquants en liberté d’office auxquels on impose une condition d’assignation à résidence.

Les condamnés à perpétuité constituent un autre groupe important de résidants des mai-sons de transition. Une période en résidence fait partie du processus graduel de réinsertion sociale des délinquants en semi-liberté. Beau-coup de condamnés à perpétuité tirent un grand profit de cette mesure, surtout ceux qui ont été incarcérés pendant une dizaine d’années ou plus. Cependant, il semble que depuis quelques années tous les condamnés à perpétuité ont dû résider pendant un certain temps dans une maison de transition. Il me paraît peu probable qu’aucun libéré conditionnel ne pourra satis-faire à des exigences de la gestion du risque si élevées qu’elles empêchent sa libération condi-tionnelle totale.

Il y a onze ans, j’ai obtenu la libération condi-tionnelle totale après une période de permissions de sortir sans escorte d’un établissement à sécurité moyenne. Mon plan de libération, bien conçu, prévoyait une période de résidence dans la famille d’un prêtre anglican de la localité. J’ai convenu avec la Commission nationale des libérations conditionnelles et l’équipe de gestion des cas à cette époque que ce type de mise en liberté ne compromettait pas la sécurité publi-que. Étions-nous tous dans l’erreur ?

En utilisant les maisons de transition pour loger les délinquants libérés d’office à risque élevé et les délinquants condamnés à perpétuité à risque faible, on a établi une curieuse distinction parmi un groupe important de résidants. Autrement dit, on trouve dans les maisons de transition des individus qui ne veulent pas y être et des individus qui n’ont pas besoin d’y être.

Conformément à sa vocation, une maison de transition devrait être un lieu où l’on vient en aide à ceux qui sont moins bien adaptés et où on loge ceux qui n’ont pas l’appui de la collectivité. Bien sûr, à tout cela s’ajoutent des services de counseling, et les nombreux programmes of-ferts, du programme Choix aux programmes de Réinsertion sociale, sont devenus des éléments importants de cette structure d’aide.

Je crains qu’en concentrant l’utilisation de la libération d’office et de la semi-liberté sur les groupes mentionnés, on a contribué non seule-ment à rendre le milieu négatif pour ceux qui sont motivés, mais on a aussi diminué la possi-bilité pour les cas plus difficiles de tenter ce premier pas dans la collectivité. La vie dans une maison de transition assure une meilleure surveillance et un meilleur suivi que la mise en liberté directement dans une résidence privée. Les évaluations de la gestion du risque de-vraient insister davantage sur ce point. Les délinquants qui présentent un risque faible ne devraient pas avoir à résider dans une maison de transition, car c’est une intervention qui n’est pas faite pour eux (conformément au principe de l’application des mesures les moins restrictives), tandis que les délinquants qui ont des besoins légèrement élevés devraient être consi-dérés comme des candidats parfaits pour ce milieu, qui leur assure un très bon soutien.

Enfin, il faudrait revoir certains aspects du logement des résidants et des règlements qui leur sont imposés. En raison des contraintes budgétaires actuelles, il est à peu près impossible, dans la plupart des maisons, d’offrir des chambres individuelles. Cependant, la plupart des résidants potentiels, sinon tous, viennent d’établissements correctionnels où ils ont mérité ou obtenu des conditions de vie leur offrant beaucoup plus d’intimité. Comme l’objectif de toutes les maisons de transition est de faciliter la réinsertion sociale, le fait d’imposer aux rési-dants des conditions de vie aussi atypiques pour des adultes ne peut qu’aller à l’encontre du but recherché. On peut en dire autant des règle-ments sans doute nécessaires, mais souvent compliqués, qui sont imposés aux résidants. L’un des obstacles les plus importants que doivent surmonter les ex-détenus qui reviennent dans la collectivité est l’élimination graduelle des mesures de contrôle et l’importance propor-tionnelle que l’on accorde à la responsabilité personnelle et à la prise de décisions. Je crois que l’aide à la réinsertion sociale devrait tenir compte davantage de cette réalité. Compte tenu des conséquences potentielles d’un manque-ment aux règlements de la maison, comme la suspension et le renvoi en incarcération, le fait d’être soumis à ces règlements plus longtemps qu’il n’est nécessaire n’encourage pas activement la réinsertion sociale, s’oppose aux règles normales de la vie dans la collectivité et augmente le stress chez les individus.

À mesure que nous progresserons dans le esiècle, les maisons de transition vont demeurer un intermédiaire essentiel à la réinsertion sociale des détenus. Si nous concentrons bien nos regards sur ce prix, je crois que nous pourrons mieux comprendre la vision de Neil Libby et améliorer la sécurité de tous les Canadiens. Le directeur exécutif d’une maison de transition me disait récemment: «Nous devons toujours nous rappeler que nos résidants sont non seulement des délinquants, mais aussi des citoyens.»


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