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Le contrôle au hasard d’échantillons d’urine au sein des services correctionnels fédéraux

Patricia MacPherson1 and Charlotte Fraser1
Centre de recherche en toxicomanie, Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada

Des rapports sur la consommation de drogues issus d’administrations correctionnelles du monde entier ont révélé que ce problème n’était pas l’apanage du Service correctionnel du Canada (SCC). Ce dernier a mis en place un programme d’analyse d’échantillons d’urine pour dépister la consommation de drogues tant chez les délinquants en établissement que chez ceux qui sont en liberté sous condition dans la collectivité.

Cet article présente les conclusions d’une analyse du programme de contrôle au hasard d’échantillons d’urine dans les établissements fédéraux du SCC. Il inclut un examen des tendances dans la proportion d’analyses produisant des résultats positifs, des taux de refus, des types de drogues trouvées et des différences dans les résultats en fonction du sexe, de la région et du niveau de sécurité.

Dans les établissements fédéraux, l’analyse d’urine peut être demandée pour plusieurs raisons. Les délinquants peuvent êtres invités à fournir un échantillon lorsqu’il y a des motifs raisonnables de soupçonner la consommation de drogues ou parce que cela constitue une condition de participation soit à un programme ou une activité comportant un contact dans la collectivité, soit à un programme de traitement de la toxicomanie.

Les délinquants doivent aussi fournir un échantillon d’urine aux fins d’analyse s’ils sont choisis en vue de participer au programme de contrôle au hasard d’échantillons d’urine. Ce contrôle au hasard est effectué parmi les détenus, en application de la politique et des lignes directrices à ce sujet énoncées dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC) et le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (RSCMLC)2. Ses buts, ainsi qu’ils sont décrits dans les lignes directrices du SCC sur l’analyse d’urine dans le cadre de la sélection au hasard, sont de « …garantir la sécurité du pénitencier et la protection des personnes en prévenant l’usage et le trafic de substances intoxicantes à l’intérieur du pénitencier »3.

Bien qu’elle constitue certes une technique bien établie, l’analyse d’urine n’est pas sans limitations. Les résultats des contrôles doivent être interprétés avec circonspection étant donné la gamme de facteurs qui peuvent les influencer. Parmi les difficultés techniques de l’interprétation des résultats, mentionnons la variabilité dans les taux de persistance des drogues, les différences physiologiques individuelles et la réactivité croisée des méthodes de contrôle. Il ne faut pas oublier non plus les facteurs opérationnels, comme les tendances non aléatoires dans le prélèvement d’échantillons, qui peuvent influer sur l’exactitude des résultats et compromettre l’exécution efficace d’un programme de contrôle au hasard d’échantillons d’urine4.

Contrôle au hasard d’échantillons d’urine dans les établissements

Pour cette étude, nous avons examiné tous les dossiers se trouvant dans le Système de gestion des délinquants (SGD) sur le contrôle au hasard d’échantillons d’urine entre janvier 1996 et décembre 2004. Le SGD est une base de données administrative que le SCC utilise pour consigner les éléments d’information relatifs à chaque délinquant en incarcération ou en liberté sous condition dans la collectivité. Au total, 58 873 échantillons aléatoires ont été demandés au cours de la période à l’étude.

Le contrôle au hasard des échantillons d’urine constitue une part importante de toutes les analyses d’urine effectuées dans les établissements, soit 45 % de toutes les analyses effectuées en établissement en 1997 et 64 % de celles-ci en 2004. Toutefois, comme on peut le voir au Tableau 1, cette augmentation n’est pas attribuable à un accroissement du nombre de demandes de contrôle au hasard (qui est demeuré plutôt stable au fil des ans), mais plutôt à une diminution des demandes pour d’autres raisons. En 2004, les analyses effectuées pour des raisons autres que le programme de contrôle au hasard correspondaient à 36 % de toutes les analyses effectuées en établissement.

Tableau 1 : Tendances dans les demandes d’analyse d’urine dans les établissements fédéraux canadiens
Motif de l’analyse 1996 1997 1998 2002 20035 2004
Contrôle au hasard
42% (6 778) 45% (7 096) 44% (6 018) 52% (6 565) 63% (6 524) 64%*** (6 476)
Autres raisons
58% (9 322) 55% (8 507) 56% (7 652) 48% (5 946) 37% (3 792) 36% (3 601)
Total 16 100 15 603 13 670 12 511 10 316 10 077
             
*** Z = -43,81, p < 0,0001 V = 0,14
Les autres raisons incluent les contrôles auxquels les détenus se soumettent volontairement, les doutes fondés sur des motifs raisonnables, les conditions de participation à un programme et, avant 2003, l’obtention de trois résultats négatifs consécutifs après un résultat positif.

Les résultats positifs obtenus dans le cadre du programme de contrôle au hasard sont parfois attribuables à l’utilisation de médicaments sur ordonnance légitimes. Il n’y a actuellement pas, dans le SGD, d’endroit où indiquer les résultats positifs attribuables à cette raison. Une façon de déterminer si un résultat positif à une analyse d’urine est attribuable à l’utilisation de médicaments sur ordonnance consiste à examiner les mesures qui sont prises (ou ne le sont pas) après ce résultat. Entre 1996 et 2004, 9 % de toutes les demandes de contrôle au hasard aboutissant à des résultats positifs (N = 613) ont été notées comme produisant des résultats positifs sans mesures de suivi.

Nous avons examiné de plus près un échantillon de ces cas en accédant aux dossiers d’analyse d’urine individuels et en extrayant manuellement les données pour chaque cas. Nous nous sommes penchés en tout sur 473 dossiers entre 1998 et 2003. Au cours de cette période, 54 résultats positifs pour lesquels il n’y a pas eu de mesures de suivi ont été notés dans les établissements pour femmes, dont 61 % étaient attribuables à l’utilisation de médicaments sur ordonnance. Dans les établissements pour hommes, on a indiqué 419 résultats positifs sans mesure de suivi, dont 39 % étaient attribuables à la consommation de médicaments sur ordonnance.

Dans les cas pour lesquels on ne pouvait pas confirmer l’utilisation de médicaments, on ne pouvait pas non plus éliminer ceux-ci comme raison possible des résultats positifs. En effet, l’information pouvait manquer ou ne pas être accessible aux chercheurs. Dans 3 % des cas, le dossier renfermait une note indiquant que le délinquant avait été libéré ou transféré.

Lorsqu’on analyse les résultats de l’analyse d’urine dans le cadre du programme de contrôle au hasard, on ne peut donc clairement pas rejeter la possibilité que les résultats positifs soient attribuables à l’usage de médicaments sur ordonnance. Cela est toutefois difficile à confirmer étant donné le manque actuel d’information dans les bases de données administratives du SCC. Comme seulement 32 % des résultats positifs pouvaient être attribués à l’usage de médicaments sur ordonnance durant la période à l’étude, nous avons inclus dans l’analyse tous les résultats positifs qui n’ont pas entraîné de mesures de suivi.

Résultats positifs et taux de refus

Un examen des tendances nationales en ce qui concerne les résultats des analyses d’urine a révélé que le taux de résultats positifs est demeuré stable au fil des ans, oscillant autour d’une moyenne de 11 % de tous les contrôles au hasard d’échantillons d’urine. Comme on peut le voir à la Figure 1, le taux de refus a augmenté modérément, passant de 9 % en 1996 à 12 % en 2004.

Résultats positifs et taux de refus pour les contrôles au hasard d’échantillons d’urine dans les établissements du SCC, 1996-2004
Figure 1

Résultats positifs et taux de refus pour les contrôles au hasard d’échantillons d’urine dans les établissements du SCC, 1996-2004


Les taux de résultats positifs n’ont guère changé au fil des ans dans les régions ou selon le niveau de sécurité. En 2004, le taux de résultats positifs était de 16 % dans la région de l’Atlantique, de 13 % dans celle du Québec, de 11 % dans celle de l’Ontario, de 7 % dans celle des Prairies et de 13 % dans celle du Pacifique.

En 2004, la proportion de demandes de contrôle au hasard d’échantillons d’urine qui ont abouti à des résultats positifs était de 8% dans les établissements à sécurité maximale, de 13 % dans les établissements à sécurité moyenne, de 8 % dans les établissements à sécurité minimale et de 4 % dans les établissements multisécuritaires, qui sont principalement des établissements pour femmes.

Les analyses des taux de refus selon les régions et les niveaux de sécurité ont permis de dégager des tendances intéressantes. Dans la région de l’Atlantique, le taux de refus a diminué sensiblement après avoir atteint un sommet de 23 % en 2001 puisqu’il est tombé à 10 % en 2004 (Figure 2). La région du Québec a aussi affiché une diminution du taux de refus, qui est tombé de 18 % en 2001 à 12 % en 2004. Par contre, dans la région du Pacifique, le taux de refus n’a cessé d’augmenter depuis 1996, passant de 13 % à 22 % en 2004. En 2004, ce taux était beaucoup plus élevé que celui des autres régions.

Taux de refus pour le contrôle au hasard des échantillons d’urine dans les établissements fédéraux, 1996-2004
Figure 2

Taux de refus pour le contrôle au hasard des échantillons d’urine dans les établissements fédéraux, 1996-2004


Les établissements à sécurité maximale ont enregistré une baisse du taux de refus depuis 2001, lequel est tombé de 28 % à 14 % en 2004. Ceux des régions de l’Atlantique et du Québec expliquent la plus grande part de la diminution. Du côté des établissements à sécurité moyenne, il y a eu une légère augmentation du taux de refus, qui est passé de 9 % en 1996 à 14 % en 2004. Entre-temps, dans les établissements à sécurité minimale et les établissements multisécuritaires, ce taux est demeuré stable, s’établissant en moyenne à 2 % et 8 % respectivement.

Échantillons dilués

Les délinquants peuvent diluer l’urine en consommant de grandes quantités de liquides avant de fournir un échantillon. Celles-ci forcent les reins à éliminer rapidement le liquide excédentaire, ce qui a pour effet de réduire les concentrations de drogues dans l’urine. Il est possible de réduire la concentration d’une drogue dans l’urine au point où elle est inférieure aux seuils, ce qui produit un résultat faux négatif. En 1997, le SCC a adopté des méthodes pour déceler les échantillons dilués, qui sont par conséquent dépistés en laboratoire et soumis à d’autres analyses assorties d’un seuil inférieur pour la présence de drogues6.

En 2003 et 2004, on a constaté que 5 % des échantillons demandés dans les établissements pour femmes avaient été dilués et avaient produit des résultats négatifs pour la consommation de drogues. Cela représente une augmentation considérable par rapport au passé, alors que les échantillons dilués ne correspondaient qu’à 1 ou 2 % de tous les échantillons prélevés au hasard. Entre 1997 et 2004, dans les établissements pour femmes, seulement 3 échantillons dilués sur 49 (6 %) présentaient des signes de consommation de drogues.

Dans les établissements pour hommes, le pourcentage total d’échantillons dilués est demeuré stable au fil des ans, soit entre 1 et 2 % de tous les échantillons. Le pourcentage d’échantillons dilués produisant des résultats positifs est aussi demeuré stable, correspondant à moins de 1 % de tous les échantillons prélevés au hasard. Entre 1997 et 2004, dans les établissements pour hommes, 181 échantillons ont produit des résultats positifs après analyse selon le protocole de dilution, soit 22 % de tous les échantillons dilués. La plupart (82 %) ont produit des résultats positifs pour le THC, 7 % pour les opiacés, 2 % pour les benzodiazépines et 4 % pour la cocaïne.

Types de drogues

Les proportions des différents types de drogues trouvées dans les échantillons à résultats positifs n’ont pas beaucoup changé. En 2004, on a trouvé du THC dans 82 % des échantillons produisant des résultats positifs, des opiacés dans 14 % des cas, des benzodiazépines dans 6 % des cas, de la cocaïne dans 1 % des échantillons et des amphétamines dans 0,43 % de ceux-ci.

Bien que les types de drogues trouvées dans les échantillons produisant des résultats positifs n’aient pas beaucoup changé depuis 1996, nous avons constaté une tendance intéressante. Il y a en effet eu accroissement de la présence d’opiacés dans les échantillons prélevés dans les établissements à sécurité maximale de l’Ontario. Plus précisément, entre 1996 et 2001, on a trouvé ces substances dans 12 % de tous les échantillons prélevés au hasard et produisant des résultats positifs dans ces établissements. Entre 2002 et 2004, cette proportion a quadruplé pour atteindre 44 % de tous les résultats positifs de contrôles au hasard.

Sexe

On a constaté des différences significatives entre les sexes en ce qui concerne les types de drogues consommées. Les données présentées au Tableau 2 correspondent à toutes celles qui ont été recueillies au cours de la période à l’étude, soit de 1996 à 2004. L’analyse a révélé que les femmes étaient plus susceptibles d’avoir des résultats positifs pour les opiacés et les benzodiazépines, tandis que les hommes produisent des résultats positifs surtout pour le THC. Il est toutefois possible que ces écarts soient attribuables à des médicaments sur ordonnance légitimes.

Tableau 2 : Différences entre les sexes quant aux types de drogues dépistées au moyen de contrôles au hasard d’échantillons d’urine
Types de
drogues
Hommes (%) Femmes (%)
THC 81 9
Opiacés 12 26
Benzodiazépine 7 62
Cocaïne 2 3
Amphétamines 0,31 1
Autres substances 4 13
     
Autres substances : méthylphénidate, Prozac, LSD, PCP, alcool et pentazocine. Chez les femmes, le Prozac correspondait à 11 % des échantillons dans la catégorie des « autres substances ».

Dépistage de substances multiples

Certains échantillons ont produit des résultats positifs pour plusieurs drogues. Le taux de dépistage de substances multiples était à peu près les mêmes chez les femmes et chez les hommes durant la période à l’étude (8 % et 7 % respectivement). Il est intéressant de constater que les chances de trouver du TCH étaient les mêmes pour les échantillons produisant des résultats positifs pour plusieurs substances que pour ceux produisant des résultats positifs pour une seule substance; toutefois, la probabilité de trouver des opiacés, des benzodiazépines et de la cocaïne était plus grande pour les échantillons renfermant plusieurs substances que pour ceux produisant des résultats positifs pour une seule substance (Figure 3). Cela semble indiquer que ces substances sont plus souvent combinées à d’autres, tandis que le THC a autant de chance d’être consommé seul que d’être combiné à d’autres drogues.

Types de drogues trouvées dans les échantillons d’urine prélevés au hasard renfermant plusieurs substances par rapport aux échantillons renfermant une seule substance, 1996-2004
Figure 3

Types de drogues trouvées dans les échantillons d’urine prélevés au hasard renfermant plusieurs substances par rapport aux échantillons renfermant une seule substance, 1996-2004


Conclusion

Les résultats du programme de contrôle au hasard d’échantillons d’urine ont révélé qu’à l’échelle nationale, le taux de résultats positifs est demeuré stable, tandis que le taux de refus a augmenté marginalement depuis 1996. En ce qui concerne les différentes régions, il s’est produit des changements marquants dans les taux de refus, notamment dans les régions de l’Atlantique (diminution), du Québec (diminution) et du Pacifique (augmentation).

La proportion d’échantillons dilués est demeurée relativement stable depuis l’adoption du protocole de dilution en 1997, mais elle a augmenté en 2003-2004 dans les établissements pour femmes.

Les types de drogues trouvées dans les échantillons produisant des résultats positifs n’ont pas beaucoup changé au fil des ans, à une exception près : dans les établissements à sécurité maximale de la région de l’Ontario, on a détecté ces dernières années beaucoup plus d’opiacés.

On ne trouve pas les mêmes types de drogues dans les échantillons d’urine des hommes que dans ceux des femmes, ce qui peut être un miroir des habitudes de consommation de médicaments sur ordonnance dans les établissements pour délinquantes.

Enfin, les drogues autres que le THC sont consommées surtout de pair avec d’autres substances, comme le révèle le taux plus élevé de résultats positifs dans les échantillons d’urine renfermant plusieurs substances.


1 23, rue Brook, Montague (Île-du-Prince-Édouard) C0A 1R0.
2 Gouvernement du Canada. Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, Ottawa (Ontario), gouvernement du Canada, 1992; Gouvernement du Canada. Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, Ottawa (Ontario), gouvernement du Canada, 1992.
3 Service correctionnel du Canada. Examen de la LSCMLC cinq ans plus tard : prise d’échantillons d’urine, Ottawa (Ontario), gouvernement du Canada, 1998.
4 Wish, E.D., et Gropper, B.A. « Drug testing by the criminal justice system: Methods, research and applications », dans Drugs and Crime, sous la direction de M. Tonry et J.Q. Wilson ( p. 321-391), Chicago, IL, University of Chicago Press, 1990.
5 En 2003, on a abandonné, après une contestation judiciaire, la pratique consistant à obliger les délinquants obtenant des résultats positifs à présenter mensuellement des échantillons d’urine jusqu’à ce qu’ils obtiennent trois résultats négatifs consécutifs. Le juge a déclaré que cette pratique dépassait le cadre prévu par la LSCMLC et le RSCMLC.
6 Fraser, A.D., et Zamecnik, J. « Impact of lowering the screening and confirmation cutoff values for urine drug testing based on dilution indicators », Therapeutic Drug Monitoring, vol. 25 no 6, 2003, p. 723- 727.