Il est possible de prévoir et dinfluencer la récidive : utiliser des outils de prédiction du risque afin de réduire la récidive
par Don A. Andrews
Département de psychologie, Université Carleton
La recherche sociologique, historique et psychologique sintéresse énormément à la justice pénale et au secteur correctionnel. Cet intérêt est sans doute lié à limportance que le public accorde au contrôle de la criminalité. Lorientation de la recherche montre bien que les pressions du public sont extrêmement stimulantes pour les praticiens de la justice pénale. Tous les chercheurs sefforcent de bien utiliser les ressources et les pouvoirs qui leur sont accordés tout en ayant des préoccupations dordre éthique, juridique et humanitaire.
Cet article a pour but de montrer comment la recherche sur le risque, sur les besoins et sur les autres caractéristiques des délinquants peut contribuer à une gestion humaine et efficace de la peine et à la réduction de la récidive. La classification des cas se fait selon quatre principes que nous décrirons de manière détaillée : le risque, les besoins, la sensibilité et le jugement professionnel.
Cet article poursuit également un autre but démontrer que les contributions de la recherche au secteur correctionnel sinspirent de nombreuses études théoriques et pratiques dans le domaine de la psychologie du crime et des interventions correctionnelles. Nous verrons également que les chercheurs canadiens ont su plaider en faveur de lapplication de la recherche au secteur correctionnel et que la plupart dentre eux ont résisté aux fortes influences des États- Unis qui menacent de transformer la criminologie en une science de la punition et de la répression.
La recherche sur les facteurs de risque
En criminologie, les travaux consacrés à la prédiction du comportement criminel occupent une place très importante. Ces travaux comprennent des études avant-gardistes dans lesquelles les chercheurs ont tenté disoler les facteurs biologiques, personnels et circonstanciels permettant de différencier les personnes possédant des antécédents criminels de celles qui nen possèdent pas. Ces travaux comprennent également de nombreuses études portant sur la réévaluation des caractéristiques personnelles et sociales qui, pourraient à long terme, favoriser lactivité criminelle.
MM. James Bonta, Stephen Wormith et moi-même avons récemment résumé les résultats de plusieurs travaux denvergure sur les caractéristiques des délinquants et des non-délinquants. Toutes les études sont parvenues à des conclusions semblables sur les caractéristiques des jeunes présentant un risque élevé de délinquance :
Les chercheurs traditionnels sont presque unanimes à reconnaître la multiplicité des circonstances qui favorisent la délinquance chez les jeunes. Le fait davoir établi une liste des facteurs de risque ne signifie pas nécessairement que les délinquants présentent toujours lune ou lautre de ces caractéristiques ni quils ne peuvent être influencés par dautres facteurs dans certaines circonstances.
Lexistence dune liste des facteurs de risque ne signifie pas non plus que tous les délinquants sont identiques ou que tous les cas à risque faible se ressemblent. Certains délinquants sont très intelligents même si la capacité dexpression verbale est moindre chez les délinquants que chez les non-délinquants. Certaines recherches démontrent dailleurs clairement que plusieurs jeunes hommes hyperactifs ne deviennent pas nécessairement des délinquants ou des criminels et que certains parents qui aiment et qui éduquent bien leurs enfants sont très perturbés lorsquun jeune membre de leur famille se révolte contre la société.
Il faut aussi dire que les caractéristiques et circonstances reconnues comme étant des facteurs de délinquance et de criminalité ne sont pas nécessairement « mauvaises ». Par exemple, il ny a rien de mal en soi à appartenir au sexe masculin, à afficher des attitudes hostiles à lautorité ou à posséder le goût du risque. Ce sont simplement des facteurs de risque susceptibles de conduire à la délinquance.
Ces questions ont été brillamment analysées par les chercheurs Sheldon et Eleanor Glueck dans un ouvrage célèbre publié en 1950, intitulé Unraveling Delinquency. Selon ces chercheurs, les jeunes présentant un risque moindre de délinquance (les hyperconventionnels) sont souvent malheureux parce quaux prises avec des sentiments de culpabilité, de regrets et danxiété. Daprès Glueck (et Freud), leur situation est parfois plus pénible, tant sur le plan personnel et social, que celle des jeunes qui transgressent les règles et procédures conventionnelles comme celles que lon retrouve dans les lois.
Toutes les études sur les délinquants et les non-délinquants parviennent à la même conclusion claire et nette : la distinction entre délinquants et non-délinquants est plus facile à établir si lon tient compte de plusieurs facteurs de risque différents.
Une fois de plus, ce sont les chercheurs Sheldon et Eleanor Glueck de lUniversité Harvard qui ont été parmi les premiers à nous fournir des exemples convainquants de cette affirmation dans leurs travaux publiés au cours des années 1940 et 1950. Ils ont comparé des non-délinquants et des délinquants originaires des quartiers défavorisés de Boston. Aux fins de cette comparaison, ils ont utilisé une échelle de risque comprenant trois éléments dinformation : des conditions familiales à risque élevé (évaluation basée sur des entrevues et des observations), la personnalité à risque élevé (évaluation basée sur des entrevues réalisées en clinique) et la personnalité à risque élevé (évaluation basée sur les résultats de tests psychologiques). Comme lindique le graphique suivant, on retrouve davantage de délinquants chez les jeunes garçons qui présentent plusieurs facteurs de risque.
Graphique 1
Dautres études sur la récidive des jeunes délinquants et des criminels adultes sont dailleurs parvenues à cette même conclusion.
En 1970, la Direction de la recherche du ministère des Services correctionnels de lOntario parrainait une importante série détudes sur le sujet. Sous la direction dAndy Birkenmayer, Leah Lambert et Tom Surridge et en collaboration avec différents chercheurs universitaires, on procéda à la compilation de profils détaillés de jeunes délinquants, de probationnaires adultes et de détenus adultes des établissements provinciaux. Le psychologue Jim Bonta et ses collègues du centre de détention dOttawa-Carleton ont poursuivi cette tradition en réalisant des recherches en classification dans les foyers de groupe et les centres régionaux de détention.
Létude dun échantillon représentatif de probationnaires de lOntario réalisée par Sally Rogers nous explique clairement et simplement comment la combinaison de renseignements sur plusieurs facteurs de risque peut améliorer considérablement la prédiction de récidive. Mme Rogers a fait le décompte des facteurs de risque présents chez les délinquants faisant partie de son échantillon à partir des six facteurs suivants : appartenir au sexe masculin, être jeune, posséder un casier judiciaire, fréquenter des criminels, appartenir à une famille dépendant du bien-être social, être désoeuvré au cours de ses temps libres. Comme le prouvent les statistiques, la probabilité dune nouvelle condamnation (au cours dune période de suivi de deux ans) augmente avec le nombre de facteurs de risque présents chez ces individus (voir graphique 2).
Plusieurs des recherches réalisées depuis les années 1940 et 1950 indiquent clairement que certains facteurs de risque permettent de prévoir la récidive avec passablement dexactitude. On sait maintenant que la prédiction de récidive varie sur une base régulière entre 60 et 80 % des cas. Cependant, ce nest que depuis les années 1970 et 1980 que le secteur correctionnel a su trouver des applications pratiques à ces découvertes. Parmi les outils utilisés, mentionnons léchelle du Wisconsin, léchelle Salient utilisée en libération conditionnelle aux États-Unis, le Level of Supervision Inventory (LSI) de lOntario, la Formule de prévision statistique sur la récidive utilisée par le Service correctionnel du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles, et léchelle dévaluation du risque et des besoins qui fait présentement lobjet dun projet-pilote de surveillance communautaire au Service correctionnel du Canada.
Les recherches réalisées à laide dinstruments pratiques pour lévaluation du risque sont parvenues à des conclusions indubitables : lévaluation systématique du risque permet didentifier les groupes à risque faible et élevé, et il est possible de constituer un groupe à risque élevé comprenant une majorité de cas probables de récidive. Plus encore, les délinquants des groupes à risque élevé seront responsables de la majorité des actes de récidive.
Ces résultats sont impressionnants, mais les prédictions ne savèrent pas toujours parfaitement exactes : certains sujets à risque élevé ne subiront pas de nouvelles condamnations il est même possible que la majorité des sujets à risque élevé ne soient pas recondamnés et certains sujets à risque faible feront lobjet dune nouvelle condamnation. Ce manque de précision dans nos prédictions est sans doute attribuable à notre connaissance encore limitée de ce qui constitue un facteur de risque. Il est bien connu que nos échelles de risque contiennent très peu de renseignements biologiques et circonstanciels qui pourraient être fort utiles. On sait également que les échelles habituellement utilisées ont tendance à sen tenir uniquement aux renseignements recueillis lors dentrevues et consignés dans les dossiers officiels, faisant pratiquement abstraction des informations provenant de tests psychologiques rigoureusement administrés.
Graphique 2
Les échelles de risque ne sont pas toujours très exactes car la période de suivi des sujets à risque élevé est trop courte pour mettre à jour leur potentiel criminel. Le recours aux dossiers officiels pour mesurer la récidive diminue également lexactitude des outils de prédiction dans la mesure où plusieurs actes criminels commis par des sujets à risque élevé ne sont pas consignés dans ces dossiers.
Toutes ces explications techniques sur les imperfections des échelles de risque sont cependant sans importance par rapport à une considération majeure sur la gestion et le traitement des délinquants. Lévaluation du risque dont nous avons parlé jusquà maintenant ne tient pas compte du fait quune fois admis dans le système correctionnel, les délinquants vivent des événements et des expériences qui peuvent avoir une influence déterminante sur le risque de récidive. Entendons par là que les sujets à risque faible peuvent se maintenir dans cette catégorie tout au long de leur période de surveillance ou se retrouver dans la catégorie à risque élevé. Par contre, les sujets à risque élevé peuvent demeurer au même niveau de risque ou encore passer dans la catégorie du risque faible. Si lon souhaite être plus exact dans la prédiction de récidive, il y a deux questions importantes à poser. Premièrement, quels changements peuvent se produire chez les délinquants pendant la durée de leur peine? Et, parmi ces changements, quels sont ceux qui peuvent augmenter ou réduire le risque de récidive?
Pour répondre à ces questions, les chercheurs et les praticiens doivent se tourner vers dautres éléments que les facteurs de risque qui, eux, sont immuables. Antécédents criminels, abus de narcotiques, difficultés dadaptation au cours dune peine antérieure, tous ces facteurs de risque ne peuvent être modifiés au cours dune réévaluation. Les seuls changements susceptibles dagir sur les possibilités de récidive sont les facteurs de risque dynamiques, souvent appelés « besoins criminogènes ». Les dossiers de recherche sont remplis dexemples dévaluation du risque de récidive. On y retrouve cependant peu dexemples de réévaluations réalisées à laide des facteurs de risque dynamiques ayant permis de prévoir avec exactitude le risque de récidive. Voici un exemple de lutilisation possible du Level of Supervision Inventory (Lsi) de lOntario illustrant la portée que peut avoir la réévaluation des facteurs de risque dynamiques.
On sest servi du Lsi pour évaluer un groupe de probationnaires de Belleville en Ontario, et les prédictions se sont avérées tout aussi exactes que celles réalisées dans les autres bureaux de probation de la province. Fait encore plus intéressant, les agents de probation de Belleville utilisaient le Lsi pour réévaluer le niveau de risque à tous les trois mois. Ces réévaluations se sont révélées beaucoup plus exactes que les niveaux de risque établis au début de la période de probation. Il serait sans doute étonnant que toutes les études parviennent à des résultats aussi précis; les réévaluations du groupe de Belleville ont démontré que les probationnaires à risque faible navaient subi aucune nouvelle condamnation (0 %) tandis que les probationnaires à risque élevé avaient tous été recondamnés (100 %), comme on peut le voir au graphique 3.
Tout semble indiquer que lexactitude dans la prédiction de la récidive est liée à lévaluation du risque non pas au moment de ladmission mais plutôt au cours de la durée de la peine. Mon laboratoire de recherche à lUniversité Carleton est parvenu à des résultats semblables lors dune réévaluation des attitudes antisociales, de la consommation abusive de narcotiques et des problèmes familiaux. En dautres mots, certaines recherches semblent vouloir confirmer que lune des tâches importantes du secteur correctionnel est de gérer les peines de manière à maintenir les cas de risque faible au même niveau et à transformer les cas de risque élevé en cas de risque faible. Voilà qui constitue un défi de taille pour le secteur correctionnel : gérer la peine criminelle en conformité avec la loi, humainement et efficacement, tout en maintenant les cas de risque faible dans la même catégorie, et administrer des programmes qui auront pour effet de transformer les cas à risque élevé en cas à risque faible. Cela signifie quil faut traiter les délinquants en fonction des niveaux de risque quils représentent (cest le principe du risque), choisir avec soin les résultats escomptés des programmes de réadaptation (cest le principe des besoins) et utiliser des styles et des modes de traitements qui conviennent aux délinquants (cest le principe de la sensibilité).
Graphique 3
Le principe du risque
Le principe du risque est tellement évident quil se passe dénoncé, mais également tellement subtil quil faut lanalyser soigneusement. Le principe du risque propose des services plus élaborés pour les cas à risque élevé. Il va de soi que nous essayons doffrir un meilleur contrôle correctionnel et de meilleurs traitements aux individus à risque élevé!
Ce qui est plus délicat cependant, cest que plusieurs estiment que les traitements sont efficaces uniquement pour les cas à risque faible. Cest ce que les travailleurs sociaux appellent « le paradoxe du traitement des cas » les services sont fantastiques aussi longtemps que le client nest pas placé dans des circonstances difficiles. Daprès les psychologues et autres thérapeutes, le traitement est merveilleux dans la mesure où le client est jeune, sympathique, quil sexprime bien, quil est intelligent et bien adapté socialement.
Même les chercheurs dexpérience font souvent lerreur de citer le bon comportement des individus à risque faible après leur traitement comme étant la preuve que ce sont eux qui profitent le plus des traitements. Dans le même ordre didées, ils affirment que le piètre comportement des individus à risque élevé après leur traitement prouve bien que le traitement ne peut être efficace pour eux. Ce nest pas en se demandant à qui le traitement profite que lon peut déterminer lexactitude de lévaluation du risque avant le traitement.
Les données qui suivent ont été recueillies par Jerry Kiessling des bureaux de probation et de libération conditionnelle dOttawa au cours dun projet portant sur la possibilité daméliorer la surveillance et les services aux délinquants grâce à la participation dagents de probation bénévoles. Lors de leur admission, tous les probationnaires ont été soumis à une évaluation du risque; on a ensuite formé deux groupes, au hasard, le premier bénéficiant dune surveillance de routine et le second, dune surveillance plus intensive. Les taux de récidive des probationnaires soumis à une surveillance normale correspondaient à leur niveau de risque au moment de leur admission :
Les taux de récidive des probationnaires inscrits au programme de surveillance accrue correspondaient également à leur niveau de risque au moment de leur admission :
Comme nous lavons déjà dit, nous aurions pu conclure, à tort, que les cas à risque faible avaient su profiter à la fois des programmes de surveillance normale et des programmes de surveillance accrue les cas à risque faible obtenant des taux de récidive moins élevés dans les deux programmes.
Afin de tenir compte du principe du risque et déviter les erreurs dont nous venons tout juste de parler, nous devons comparer directement les taux de récidive des probationnaires inscrits aux programmes de surveillance normale et accrue et établir des comparaisons distinctes pour les probationnaires à risque faible et à risque élevé, si nous considérons uniquement les cas à risque faible, les effets du programme se lisent comme suit :
Il devient ainsi évident que la surveillance accrue na pas été efficace chez les individus à risque faible. On constate même que le taux de récidive chez les probationnaires à risque faible est plus élevé sous surveillance accrue que sous surveillance normale. Par contre, si nous considérons uniquement les probationnaires à risque élevé, les effets du programme sont les suivants :
On voit maintenant très bien que les cas à risque élevé ont profité davantage de la surveillance accrue. Les taux de récidive chez les individus à risque élevé placés sous surveillance accrue ont été presque de moitié moins élevés que chez les individus à risque élevé placés sous surveillance normale. Voilà le genre de résultats que notre examen des recherches nous a permis de mettre à découvert dans les domaines des services correctionnels, du bien-être des enfants, de la santé mentale et des services familiaux.
Le principe du risque soulève également la possibilité de se montrer moins sévère dans lapplication de la peine imposée. Létat actuel de la recherche, et en particulier les nombreuses preuves accumulées par James Bonta et ses collègues, nous incitent à croire que les cas à risque faible pourraient être placés en toute sécurité dans des établissements correctionnels moins restrictifs. À Ottawa et dans plusieurs autres villes de lOntario, Bonta a démontré que les individus à risque faible se comportaient tellement bien dans les foyers de groupe que seuls des circonstances vraiment exceptionnelles exigeaient quils purgent leur peine dans des établissements carcéraux.
Mes collègues Jim Bonta et Robert Hoge et moi-même avons déjà proposé que le principe du risque devienne un outil de travail professionnel pour les chercheurs et les praticiens du secteur correctionnel. Le principe du risque est beaucoup plus quun simple outil de gestion permettant de vérifier lefficacité des travailleurs du milieu correctionnel. Cest un principe qui propose un mode de répartition des ressources de traitement correctionnel qui soit conforme à léthique, au respect de la personne et aux règles de lefficacité. Lévaluation du risque ouvre des perspectives intéressantes, mais la recherche est encore bien loin davoir répondu à toutes nos questions.
Le fait que les individus à risque élevé semblent avoir davantage profité des traitements que les individus à risque faible ne signifie pas nécessairement que ces traitements se sont avérés efficaces. Lenthousiasme généré par les travaux de Robert Hare sur la personnalité antisociale et psychopathe (voir larticle de Ralph Serin sur cette question) suscitera dautres recherches approfondies sur les types de programmes susceptibles de fonctionner avec des groupes traditionnellement qualifiés dantisociaux.
La recherche actuelle nous invite à explorer systématiquement tous les aspects du principe du risque de façon à en préciser les limites. Lune de ces limites touche à la qualité des traitements proposés aux individus à risque élevé : les programmes de traitements qui ne respectent pas les principes des besoins et de la sensibilité auront peu deffets sur les individus à risque élevé.
Le principe des besoins
Le principe des besoins affirme que les traitements en milieu correctionnel peuvent réduire la récidive criminelle dans la mesure où ils répondent aux besoins criminogènes des délinquants :
Plusieurs études abordent les facteurs de risque, mais il y a peu de recherches sur le besoin criminogène. Par contre, les théories et recherches actuelles semblent extrêmement prometteuses. Les services de réadaptation ont certainement tout intérêt à viser les objectifs suivants :
La théorie et la recherche proposent également dautres objectifs un peu moins prometteurs :
Le principe de la sensibilité
Le principe du risque nous aide à déterminer qui peut profiter le plus de programmes intensifs de réadaptation. Le principe des besoins nous propose des objectifs de changement en vue dune réadaptation efficace. Celui de la sensibilité est rattaché à la sélection des modes et des styles de services appropriés. Deux questions sont importantes :
Au cours des années 1970, Jerry Kiessling et moi-même avons identifié cinq aspects de la surveillance et du counselling efficaces en milieu correctionnel, et ces aspects méritent encore dêtre examinés sérieusement.
Daprès les théoriciens et les chercheurs, certains styles et modes de traitements ont donné de bien piètres résultats dans le secteur correctionnel. Les rapports de recherche contiennent plusieurs exemples de programmes destinés à des groupes basés sur les principes de la sociologie clinique qui se sont avérés des échecs cinglants : ces programmes misaient sur des interactions intenses au sein dun groupe sans que le leader du groupe soit capable de réprimer lexpression de sentiments antisociaux.
Dans le même ordre didée, rien ne prouve encore que les programmes basés sur les théories de la dissuasion ou de létiquetage ont été de grands succès. « Crier après quelquun » va tout à fait à lencontre des relations interpersonnelles telles que nous les avons décrites ci-dessus et la crainte de la punition ne permet pas de prédire avec exactitude le comportement du criminel. Par contre, la « non-intervention systématique » (ne pas réagir lorsque lon se trouve en présence dun comportement possiblement antisocial) est contraire au principe du risque. Je ne suis pas non plus convaincu que les nouvelles méthodes de punition telles que les travaux communautaires ou la restitution des biens jouent un rôle important en matière de réadaptation.
La thérapie non directive, le counselling centré sur la personne et la thérapie psycho-dynamique ont encore à faire leurs preuves dans le secteur correctionnel. Dans ces types de thérapie, le thérapeute joue généralement le rôle de celui qui écoute mais qui donne très peu de directives concrètes. Certains délinquants ceux qui ont une plus grande maturité dans leurs relations interpersonnelles et qui sont capables de sautoanalyser peuvent réagir favorablement à ces thérapies moins structurées.
En matière de traitement correctionnel, nous attendons toujours des études systématiques portant sur le sexe, lâge, la personnalité psychopathe, lanxiété sociale, les troubles de la personnalité, les problèmes mentaux, lintelligence verbale, le langage, lappartenance ethnique et la motivation. La recherche permettrait de déterminer dans quelle mesure ces caractéristiques ont une incidence sur la réaction des délinquants aux différents traitements.
Jai récemment terminé, en collaboration avec un groupe de collègues, un examen de tous les travaux portant sur le traitement en milieu correctionnel. Je crois que mon étude donne une idée exacte de létat actuel de la recherche sur le risque, sur les besoins et sur la sensibilité des délinquants et de la possibilité de réduire la récidive criminelle. Elle ma permis de découvrir que la sanction criminelle proprement dite, cest-à-dire la punition non accompagnée de services de réadaptation, provoquait dans lensemble, une légère augmentation du risque de récidive. Les traitements qui ne respectaient pas les principes du risque, des besoins et de la sensibilité provoquaient aussi une légère augmentation du risque de récidive. Le traitement idéal est donc celui qui respecte simultanément chacun des trois principes.
Bref, les rapports de recherches présentement disponibles sont unanimes : la réduction de la récidive criminelle repose sur la création détablissements correctionnels dans lesquels les professionnels peuvent concevoir et exécuter des programmes de réadaptation dont ils peuvent évaluer lefficacité.
Le jugement professionnel
Le professionnel évalue le risque, les besoins et la sensibilité dun individu placé dans des circonstances particulières et prend la décision qui lui semble la plus convenable compte tenu de considérations éthiques, humanitaires, juridiques et defficacité. Quel que soit le traitement, quil soit ou non reconnu scientifiquement, il faut toujours faire appel à un professionnel compétent, capable de sadapter à toutes les situations.
Conclusions
Les principes du risque, des besoins et de la sensibilité sont à la fois simples et complexes. Jespère avoir réussi à démontrer que, tout en étant utile, la recherche est également limitée lorsque vient le moment délaborer des programmes correctionnels efficaces.
Jai cherché à me faire rassurant tout au long de cet article. Je men voudrais cependant de laisser les lecteurs sous limpression que la recherche et les idées évaluées ci-dessus font lunanimité chez les criminologues. Je ne parle pas uniquement des critiques constructives que les chercheurs ont lhabitude de formuler dans le seul but daméliorer la connaissance en soulignant les quelques erreurs qui ont pu se glisser dans les recherches précédentes. Ce genre de critiques et de scepticisme favorise lavancement de la connaissance.
Je me réfère plutôt aux thèmes de l« anti-prédiction » et de l« anti-réadaptation » qui refont souvent surface en criminologie mais dont nous navons encore pas parlé dans cet article. Afin de compléter notre exposé, nous vous présentons des extraits de revues de criminologie traitant de ces thèmes. Les chercheurs et praticiens du domaine correctionnel peuvent être fiers des recherches réalisées jusquà maintenant. Mais ils doivent aussi se préparer à confronter leurs idées à celles didéologues qui semblent bien décidés à contester les connaissances ainsi acquises.
Au cours de la rédaction de cet article, je me suis largement inspiré des travaux suivants. Ils sont disponibles, en un seul lot, à la Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada, 340, avenue Laurier ouest, Ottawa, Canada K1A 0P9.
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Butterworths. Toronto.
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Andrews, D. A., Zinger, L, Hoge, R. D., Bonta, J., Gendreau, P. et Cullen, F. T. Does correctional treatment work? A clinically relevant and psychologically informed meta-analysis. Présenté lors dun séminaire au NAA CI: Research on Direct Service A human science approach. Ottawa: Mars 1989.
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