Le classement des délinquants selon le niveau de risque et de besoins
par Gilbert Taylor1
Direction de la recherche, Service correctionnel
du Canada
Le Service correctionnel du Canada a pour mandat de protéger le public tout en aidant les délinquants à se préparer à leur réinsertion sociale comme citoyens respectueux des lois. Pour réaliser son mandat, le Service doit être en mesure dévaluer correctement les besoins des délinquants et le risque quils présentent, et donner suite aux résultats de cette évaluation par une gestion appropriée du risque (incarcération, conception dun programme adapté, surveillance structurée dans la collectivité, etc.). Cette démarche revêt une importance particulière pour les délinquants présentant un risque et des besoins élevés. Le Service correctionnel du Canada a fait des progrès importants dans ce domaine en mettant en uvre des politiques et des procédures qui permettent une évaluation et une gestion systématiques des besoins des délinquants et du risque quils présentent.
Dans cet article, nous examinerons lexpérience du Service dans lélaboration et la mise en uvre dune méthode de classement des délinquants selon leurs niveaux de risque et de besoins.
Pourquoi évaluer le risque que présente un délinquant et ses besoins?
Les recherches2 effectuées à lintérieur et à lextérieur du Service correctionnel du Canada montrent :
En classant correctement les délinquants daprès leur niveau de risque et de besoins, le Service correctionnel du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles peuvent prendre les décisions de gestion appropriées, réduire la récidive et mieux protéger le public.
Comment procède-t-on au classement dun délinquant selon son niveau de risque et de besoins?
Le processus dévaluation initiale du délinquant constitue un bon exemple dune dévaluation structurée du risque et des besoins que lon a mise au point afin daméliorer la façon daborder le placement pénitentiaire. Linformation est obtenue (au moyen dentrevues et dun examen du dossier) auprès de sources internes et externes, comme les tribunaux, la police, le dossier de probation, les rapports des victimes, la famille, les employeurs et les déclarations du délinquant. À tout cela peuvent sajouter des évaluations psychologiques et des évaluations de la formation scolaire et professionnelle, de la toxicomanie, de la violence familiale et de la psychopathie. Les agents de gestion des cas travaillant dans les unités dadmission centrales sappuient alors sur une approche multidisciplinaire et travaillent en équipe en organisant des conférences de cas pour rassembler linformation sous la forme dun rapport récapitulatif complet. Pour chacun des délinquants, les agents de gestion des cas proposent une évaluation combinée du risque et des besoins qui peut aller de {faible-faible} à {élevé-élevé}.
Le Rapport dévaluation initiale sinscrit dans un système novateur qui permet de consigner automatiquement de linformation : les données de lévaluation sont introduites en direct dans le Système de gestion des détenus (SGD), sur le réseau de lordinateur central du Service. Pour chaque élément de lévaluation, lagent de gestion du cas peut indiquer la présence, le cas échéant, dun indicateur (brève description dun facteur de risque), évaluer les niveaux de risque et de besoins, et ajouter un commentaire qui complète lanalyse. Cette approche favorise un accès facile à une base de renseignements statistiques précis relatifs aux besoins des délinquants et au risque quils présentent, ce qui facilite la gestion des cas et la recherche.
Le processus dévaluation initiale des délinquants comprend deux étapes principales : lévaluation du risque criminel et la définition et lanalyse des besoins.
Évaluation du risque criminel
Le niveau de risque criminel dun délinquant reçoit la cote {élevé}, {moyen} ou {faible}, selon les résultats de lexamen systématique des renseignements recueillis dans les domaines suivants :
Les responsables de la gestion des cas doivent ensuite inclure une description des infractions à lorigine de la peine courante et une analyse des tendances criminelles.
Détermination et analyse des besoins
De la même façon, on évalue le niveau de besoins des délinquants en fonction des résultats obtenus après examen de sept catégories de besoins :
Dans chaque catégorie de besoins, les agents de gestion des cas identifient des indicateurs (facteurs de risque) et évaluent lintensité du besoin. Ils ajoutent des détails sur les catégories de besoins et font des recommandations quant au programme à suivre pour répondre à ces besoins. Ils décrivent le désir du délinquant de changer et dautres caractéristiques spécifiques (par exemple, les difficultés dapprentissage), ils relatent les antécédents sociaux du délinquant et notent les sujets de préoccupations immédiats (par exemple, les tendances suicidaires ou létat de santé physique et mentale).
Quelle utilisation le Service correctionnel du Canada fait-il de cette information?
Si lon veut être en mesure de prendre de saines décisions de gestion tout au long de la peine, il est essentiel que lon puisse compter sur une évaluation sûre du risque présenté par le délinquant et de ses besoins. Linformation recueillie et analysée dans le cadre du processus dévaluation initiale aide les responsables à prendre des décisions quant au besoin dune intervention immédiate ou dune surveillance intensive, aux programmes requis, aux exigences de sécurité, à la détermination du niveau initial de classement sécuritaire et au placement pénitentiaire.
Létablissement de réception se sert des résultats de lévaluation du risque et des besoins pour établir le plan correctionnel du délinquant : on y définit les priorités relativement aux besoins à lorigine du comportement criminel et les interventions correspondantes, de même que lintensité du traitement selon le niveau de risque présenté par le délinquant.
Toute décision relative au transfèrement dun délinquant à un établissement de niveau de sécurité inférieur, à la mise en liberté sous condition ou au maintien en incarcération dun délinquant au delà de la date de sa libération doffice sappuie aussi sur lévaluation structurée du risque et des besoins du délinquant. Une fois que celui-ci obtient une mise en liberté sous surveillance, on se sert de lévaluation du risque et des besoins pour déterminer quelle devrait être la fréquence minimale des contacts et pour orienter la gestion du cas.
Origine du classement selon le niveau de risque et de besoins
LÉchelle dévaluation du risque et des besoins dans la collectivité est le fruit dune initiative entreprise en 1988 afin délaborer de nouvelles normes de surveillance des délinquants libérés sous condition. Mise en uvre en 1990, cette échelle constitue la toute première méthode systématique et globale de classement des délinquants selon le niveau de risque et de besoins utilisée par le Service.
Quadvint-il par la suite?
Après une longue période de recherche et de développement assortie de projets pilotes dans des établissements pour détenus de sexe masculin dans toutes les régions du pays et à la Prison des femmes, le Service correctionnel du Canada a fini par adopter véritablement le processus dévaluation initiale en novembre 1994.
La méthode adoptée apportait des améliorations notables à la version utilisée antérieurement dans la collectivité :
Depuis la mise en uvre du processus, on a procédé au classement selon le niveau de risque et de besoins denviron 6 000 délinquants nouvellement admis sous responsabilité fédérale. En outre, le Service correctionnel du Canada vient de terminer un exercice de rattrapage pour les délinquants incarcérés avant ladoption du processus. Pour ces délinquants, on a appliqué une méthode modifiée selon laquelle les agents de gestion des cas nattribuent de cotes quaux niveaux de risque et de besoins, de même quaux sept catégories de besoins.
À quoi ressemble un profil du risque et des besoins?
Maintenant que lon attribue à tous les délinquants sous responsabilité fédérale une notation daprès le risque quils présentent et leurs besoins, il est possible de dresser un profil de la population carcérale. Le tableau donne un aperçu des niveaux de risque et de besoins à léchelle nationale pour tous les détenus, au moment de leur admission dans un établissement fédéral.
Quelles difficultés a posées la mise en uvre du système de classement selon le niveau de risque et de besoins?
Quand le Comité de direction du Service correctionnel du Canada a approuvé la mise en uvre de lÉvaluation initiale des délinquants, la première tâche a été de passer dune application Windows (choisie pour faciliter déventuels changements) à lenvironnement du SGD actuel. Pour cela, il a fallu revoir entièrement la conception des écrans et des rapports et en faire lessai. À lui seul, ce travail a duré six mois. Parallèlement, on a dû mettre au point tout un programme de communication et de formation à lintention du personnel opérationnel touché par les changements.
Tableau 1
Aperçu de la population carcérale fédérale
: Répartition des délinquants selon les niveaux de risque et de besoins au moment de l’admission, par région (exprimée en ourcentage) (10 908 détenus) |
|||||
Région
|
|||||
Niveau de
risque/besoins |
Atlantique (1,209) |
Québec (2,999) |
Ontario (3,090) |
Prairies (2,114) |
Pacifique (1, 496) |
Faible-faible | 4,9
|
4,4
|
5,8
|
3,9
|
2,8
|
Faible-moyen | 5,3
|
5,7
|
3,9
|
4,2
|
1,9
|
Faible-élevé | 2,1
|
2,2
|
0,5
|
1,1
|
0,3
|
Moyen-faible | 2,8
|
1,7
|
2,3
|
1,3
|
1,4
|
Moyen-moyen | 24,2
|
18,0
|
19,9
|
20,6
|
21,3
|
Moyen-élevé | 12,0
|
19,7
|
10,5
|
13,1
|
9,8
|
Élevé-faible | 0,7
|
0,3
|
1,1
|
0,2
|
0,1
|
Élevé-moyen | 7,1
|
6,0
|
13,0
|
7,5
|
7,0
|
Élevé-élevé | 40,9
|
42,0
|
42,9
|
48,0
|
55,2
|
Total | 11,1
|
27,5
|
28,3
|
19,4
|
13,7
|
La mise en uvre du processus dans toutes les unités du pays a soulevé des difficultés diverses. Par exemple :
Que nous réserve lavenir?
On a déjà entamé un projet de recherche afin dexaminer en profondeur les questions que posent la collecte et lutilisation de linformation pendant le processus dévaluation initiale des délinquants. Cette étude permettra de cerner avec précision les difficultés et de dresser une liste des meilleures pratiques de manière à renforcer le processus dextraction de linformation dans toutes les régions. On a revu la conception des écrans et des rapports du SGD consacrés à lÉvaluation initiale des délinquants, en tenant compte des exigences du placement pénitentiaire et des suggestions des utilisateurs et lon procédera prochainement à leur mise en uvre. Au nombre des autres changements prévus figurent les suivants :
Dautres changements importants sont en cours pour les évaluations du risque et les pratiques de gestion ultérieures à ladmission. Soucieux de répondre aux préoccupations signalées par les utilisateurs, le Service correctionnel du Canada a non seulement pensé à harmoniser lÉchelle dévaluation du risque et des besoins dans la collectivité et lapproche du système de classement selon le niveau de risque et de besoins, mais il prévoit aussi intégrer à cet exercice lélaboration actuelle des plans correctionnels et les rapports sur les cas. Il espère ainsi arriver à la production dun seul et unique document complet de gestion du cas qui garantira la cohérence des évaluations et réduira le temps que les agents de gestion des cas doivent consacrer à lentrée des données dans le système.
Cette nouvelle approche, la réévaluation et la gestion du risque, sinspire des résultats dun projet pilote mené dans la région de lOntario (sous le titre de Stratégie de la Région de lOntario pour la gestion des délinquants dans la collectivité3). On espère étendre le nouveau système à tous les établissements fédéraux, de sorte que les agents de gestion des cas pourront procéder au classement des délinquants selon le niveau de risque et de besoins pendant toute la durée de la peine de ces délinquants.
1. Direction de la recherche, Service correctionnel du Canada, 340, avenue Laurier ouest, Ottawa (Ontario) K1A 0P9.
2. MOTIUK, L.L. et BROWN, S.L., La validité du processus de détermination et danalyse des besoins des délinquants dans la collectivité, Rapport de recherche R-34, Ottawa, Service correctionnel du Canada, 1993. Voir aussi ANDREWS, D.A. et BONTA, J., Psychology of Criminal Conduct, Cincinnati, Ohio, Anderson Publishing, 1994.
3. TOWNSON, C., {Un meilleur processus dévaluation du risque : stratégie de la Région de lOntario pour la gestion des délinquants dans la collectivité}, Forum Recherche sur lactualité correctionnelle, vol. 6, no 3, 1994, p. 17-19.