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Les principes à la base des programmes correctionnels efficaces

par Paul Gendreau1
Centre for Criminal Justice Studies, Département de psychologie, Université du Nouveau-Brunswick
et Claire Goggin2
Services communautaires en santé mentale, région II, Nouveau-Brunswick

Lorsque le premier des deux auteurs susnommés a commencé, dans les années 1970, à examiner les études sur les traitements offerts aux délinquants, le nombre d’articles sur le sujet était assez limité3. Cependant, au fil des ans, une quantité assez importante d’études ont été publiées, et les nouvelles techniques d’analyse quantitative des données bibliographiques (telles que la méta-analyse) nous permettent maintenant de rédiger des résumés de données avec un niveau de confiance acceptable.

Cet article mettra en évidence quelques points essentiels qui ressortent des résultats de ces études. En bref, il expose certains des principes fondamentaux sur lesquels reposent les traitements correctionnels efficaces.

Résumé des principales données

Il y a actuellement 13 analyses quantitatives (dénombrements) de la littérature sur le sujet4. Ces analyses ont permis de dénombrer au moins 700 études. Selon les résultats de ces méta-analyses, l’effet moyen des programmes, exprimé par le coefficient de corrélation r, est de l’ordre de 0,10. Ce rapport statistique représente le point milieu des coefficients enregistrés5. Cela signifie, en d’autres mots, que les programmes de traitement offerts aux délinquants permettent de réduire la récidive d’environ 10 %. Bien que ce résultat soit considéré comme modeste par certains auteurs, il est généralement reconnu que le comportement antisocial est très difficile à traiter. De plus, une réduction de 10 % de la récidive est comparable à des résultats qu’on juge acceptables dans le cas d’un grand nombre de traitements médicaux, et une réduction de cet ordre permet de réaliser des économies substantielles.6

Toutefois, nous n’avons là qu’une image partielle de la réalité. Il a été mentionné maintes fois que, pour avoir une meilleure idée de la solidité des études sur les programmes de traitement destinés aux délinquants, il faut regarder à l’intérieur de la « boîte noire »7 de ces programmes. Au risque de simplifier à l’extrême des résultats d’études complexes, on peut néanmoins indiquer que les chercheurs s’entendent pour dire que les programmes efficaces appropriés reposent sur une approche comportementale hautement structurée et visent à agir sur les attitudes et les valeurs criminogènes des délinquants à risque élevé. Les programmes inefficaces ou non appropriés sont généralement ceux qui reposent sur un modèle psychodynamique, non directif ou médical, sur des stratégies vagues axées sur une éducation ou une formation professionnelle en groupe, des sanctions ou toute autre approche qui n’a pas été conçue en fonction des facteurs criminogènes.

Les résultats de ce genre d’analyse de la « boîte noire » ont une valeur informative. Par exemple, trois catégories de programmes ont été décrites dans une méta-analyse effectuée en 1990 et mise à jour en 19958 : la catégorie des programmes appropriés et celle des programmes non appropriés9 (dont il est question ci-dessus) et une catégorie dans laquelle on a classé les programmes dont le traitement n’a pas été précisé (tableau 1).

Les programmes appropriés ont donné des résultats convaincants. En 1990, il y a eu 54 comparaisons entre des sujets ayant reçu un traitement approprié et des sujets d’un groupe témoin et on a enregistré un taux moyen de réduction de la récidive de 30 % (r = 0,30). Ce résultat était toujours valable cinq ans plus tard, lorsque 85 comparaisons ont été effectuées. Même si l’effet moyen constaté alors (r = 0,25) était légèrement inférieur10, il est presque identique à ce qu’on observe à l’égard de divers traitements dans un grand nombre de domaines « cliniques » (non reliés à la justice pénale)11.

Naturellement, du point de vue des cliniciens et des décideurs, ce résultat a une grande importance. L’ancien mythe12 propagé par les partisans de l’approche pessimiste (« rien ne marche »), selon lesquels les délinquants sont d’une nature psychobiologique si particulière qu’ils sont tout simplement incapables de répondre favorablement à des intervention conçues pour réduire les comportements criminels, a finalement été enterré.

Tableau 1

Type de traitement et réduction de la récidive

 
1990
1995
Type de
Programme
Nombre de
comparaisons
entre les sujets
traités et les sujets
du groupe témoin r
r

Nombre de
comparaisons
entre les sujets
traités et les sujets
du groupe témoin r

r
Approprié
54
0,30
85
0,25
Nonapproprié
38
–0,06
64
–0,03
Nonprécisé
32
0,13
66
0,13
Total
124
0,15
215
0,13

Un second tableau a été établi pour les besoins de cet article, en tenant compte du fait que les programmes axés sur l’imposition de « sanctions plus intelligentes »ont connu un tel retentissement qu’on trouve un programme de ce genre dans chaque État américain et que ce type de programme gagne en popularité au Canada.

Nous présentons dans le tableau 2 les résultats de 138 comparaisons entre des sujets à qui on a imposé une sanction et des sujets d’un groupe témoin (à qui on a imposé une sanction moins sévère ou aucune sanction). Il ressort des résultats enregistrés à l’égard des sept types de sanction que le taux moyen de récidive est presque identique chez les deux groupes (27,8 % et 27,2 %), le coefficient de corrélation étant nul (r = 0,00). En fait, la sanction qui a donné les meilleurs résultats (dédommagement) est quatre fois moins efficace (r = 0,06) qu’un traitement approprié, si on se fie aux résultats enregistrés en 1995 et présentés dans le tableau 1.

Principes à la base des interventions efficaces

Avant d’aborder cette question, quelques mises en garde s’imposent. La plupart de ces principes sont tirés des résultats des méta-analyses, donc d’une technique qui n’est pas infaillible. Les méta-analyses sur lesquelles nous nous appuyons ici varient du point de vue de la méthode suivie et des types d’études analysées, et on constate des divergences d’opinions parmi les auteurs de ces analyses sur certaines questions (par exemple, la détermination des effets)13. De plus, les méta-analyses ne reflètent pas certains problèmes reliés aux programmes, mais cela tient en grande partie aux lacunes des études elles-mêmes.

Tableau 2

Sanctions et récidive
 
Récidive
Type de
sanction
Groupe des
délinquants punis
Groupe
témoin
Dépistage de
drogue (7)
16,7%
17,1%
Surveillance
électronique (8)
7,1%
9,9%
Amende (5)
29,5%
22,6%
Incarcération
discontinue (38)
31,5%
30,5%
Dédommagement (19)
36,1%
41,9%
Dissuasion par
la peur (15)
30,5%
29,5%
Incarcération (46)
25,4%
22,8%
Total (138)
27,8%
27,2%

Il va sans dire que, à mesure que de nouvelles données sur l’efficacité des programmes seront publiées, quelques-uns de ces principes seront révisés et de nouveaux principes seront établis. Pour formuler ces principes, nous nous sommes appuyés sur plusieurs méta-analyses ou examens de méta-analyses qui sont particulièrement importants, ainsi que sur des examens descriptifs, des études expérimentales et des observations cliniques judicieuses14.

i) Évaluation des facteurs

Les facteurs de risque devraient être évalués en utilisant une méthode actuarielle (comme la méthode LSI-r) qui s’est avérée efficace pour prévoir la récidive. La mesure du risque devrait être fondée sur les normes adoptées par chaque service correctionnel et tenir compte des divers facteurs de risque statiques (comme l’âge) et dynamiques (comme les facteurs criminogènes). On devrait distinguer les délinquants à risque élevé et les inscrire aux programmes de traitement les plus intensifs.

ii) Caractéristiques du traitement

Le traitement devrait être fondé sur une approche comportementale (comme l’approche comportementale radicale, le modèle de l’apprentissage social, l’approche cognitivo-comportementale ou celle de l’acquisition de compétences) et être donné de préférence dans le milieu naturel du délinquant. Le traitement devrait être long (au moins trois ou quatre mois ou 100 heures d’intervention directe), et un contact quotidien est souhaitable.

Le traitement devrait être fondé sur plusieurs modèles, être axé sur le renforcement positif des comportements prosociaux et, dans la mesure du possible, être personnalisé. On devrait chercher à agir sur les facteurs criminogènes et tenir compte des caractéristiques du délinquant au moment du choix des thérapeutes et du programme, de façon à motiver le délinquant à participer au programme et à créer des conditions optimales pour l’apprentissage de comportements prosociaux. Enfin, le programme devrait être conçu de façon qu’il soit possible d’apporter de l’aide au délinquant ou d’exercer un suivi après la phase du traitement comme tel.

iii) Facteurs reliés au contexte général

Une mise en œuvre efficace du programme est essentielle pour assurer son intégrité et son maintien. Des éléments importants à cet égard sont la crédibilité du concepteur ou du directeur du programme sur le plan professionnel, l’établissement d’un curriculum solide, la formation du personnel et l’évaluation du programme. De plus, il est important que le programme reçoive l’appui de l’administration, du personnel hiérarchique et des intervenants de l’extérieur, et des fonds suffisants de provenance interne doivent y être affectés.

Les employés chargés du programme doivent avoir reçu une formation appropriée et posséder une expérience pertinente et des aptitudes en counseling (par exemple, clarté du discours, empathie, être capable d’être à la fois ferme et juste et de résoudre des problèmes). Le transfert de technologie devrait être encouragé en donnant une formation continue aux employés pour qu’ils soient au courant des nouvelles théories et des nouvelles méthodes d’évaluation et de traitement et en mesure d’exercer leur jugement professionnel lorsqu’ils doivent modifier certaines composantes du programme. De plus, il est important d’améliorer leurs compétences sur le plan clinique en exerçant une surveillance périodique sur les séances de thérapie.

Pour assurer une gestion efficace des cas, il faut surveiller les changements qui s’opèrent chez le délinquant au cours du programme, du point de vue des facteurs criminogènes observés à l’origine. Il faut aussi recueillir des données sur le comportement du délinquant après l’exécution du programme pour déterminer s’il y a lieu de modifier certaines modalités du programme.

Enfin, l’unité de traitement devrait défendre la valeur de ses services, à condition que ceux-ci aient fait l’objet d’une évaluation approfondie visant à en vérifier l’efficacité.

Résultats optimaux

Comme nous l’avons mentionné précédemment, la réduction moyenne des taux de récidive grâce à des traitements appropriés est de l’ordre de 25 % à 30 %. Il est possible d’obtenir des résultats encore meilleurs en assurant l’intégrité optimale du traitement. L’intégrité du traitement comporte plusieurs douzaines d’éléments15.

Essentiellement, cela signifie que non seulement le programme répond à tous les critères « appropriés », mais aussi que le concepteur ou l’évaluateur a une excellente connaissance de l’approche comportementale et que les membres du personnel clinique ont reçu la formation nécessaire pour être en mesure d’exécuter un programme très intensif. Dans le cas des programmes appliqués en milieu carcéral qui répondent aux critères minimums de la catégorie des programmes appropriés (comme un traitement fondé sur l’approche comportementale), des réductions de la récidive de l’ordre de 5 % à 16 % sont la norme16. Lorsque le niveau d’intégrité du traitement est élevé, cette réduction peut atteindre, à notre avis, 20 % à 35 %. Il y a deux programmes de ce genre qui existent actuellement : le programme de maîtrise de la colère et de prévention de la rechute offert au Centre de traitement correctionnel Rideau (voir l’article de Marquis à la page 3) et le programme « Stay’n Out substance abuse »17.

En ce qui concerne les interventions dans la collectivité, les programmes mis en œuvre dans les États de l’Ohio et de la Caroline du Sud18 pour les jeunes délinquants à risque élevé ont donné des résultats particulièrement intéressants. Ces programmes ont permis de réduire les taux de récidive d’au moins 30 %. Dans une des études réalisées en Caroline du Sud pour vérifier l’efficacité du programme, on a enregistré une réduction de 50 %. En outre, les responsables du programme de la Caroline du Sud ont obtenu des résultats semblables dans plusieurs autres territoires19. L’un des aspects les plus impressionnants de ces programmes est leur caractère pluridimensionnel.

De plus, ces programmes sont exécutés dans le milieu naturel des délinquants (à la maison, à l’école ou dans des lieux où se rassemblent les jeunes). En bref, ces programmes reposent sur un modèle socio-écologique du comportement humain20. Nous sommes persuadés que ce modèle continuera de donner des résultats convaincants pouvant être généralisés, qui permettront de démontrer qu’il existe des programmes de réadaptation efficaces.


1. B.P. 5050, Saint John (Nouveau-Brunswick) E2L 4L5.

2. 55, rue Union, Mercantile Centre, Saint John (Nouveau-Brunswick) E2L 5B7.

3. GENDREAU, P. et ROSS, R.R., «Effective correctional treatment: Bibliotherapy for cynics», Crime and Delinquency, vol. 25, n(o) 4, 1979, p. 463-489.

4. LÖSEL, F., «Increasing consensus in the evaluation of offender rehabilitation? Lessons from recent research syntheses», Psychology, Crime & Law, n(o) 2, 1995, p. 19-39.

5. Voir la démonstration de l’effet binomial dans ROSENTHAL, R., Meta-analytic Procedures for Social Research, Newbury Park, Sage Publications, 1991.

6. LÖSEL, «Increasing consensus in the evaluation of offender rehabilitation? Lessons from recent research syntheses».Voir aussi ROSENTHAL, Meta-analytic Procedures for Social Research et LÖSEL, F., «The efficacy of correctional treatment: A review and synthesis of meta-evaluations», What Works: Reducing Reoffending, sous la direction de J. McGuire, Chichester, John Wiley & Sons, 1995, p. 79-114.

7. GENDREAU, P. et ROSS, R.R., «Correctional treatment: Some recommendations for effective intervention», Juvenile and Family Court Journal, 1983-1984, p. 31-39. Voir aussi GENDREAU, P., «The principles of effective intervention with offenders», Choosing Correctional Options that Work: Defining the Demand and Evaluating the Supply, sous la direction de A.T. Harland, Thousand Oaks, Sage Publications, 1996, p. 117-130.

8. Les méta-analyses de 1990 et 1995 ont été effectuées par Don Andrews et ses collaborateurs. Voir ANDREWS, D.A., ZINGER, I., HOGE, R.D., BONTA, J., GENDREAU, P. et CULLEN, F.T., «Does correctional treatment work? A clinically relevant and psychologically informed meta-analysis»,Criminology, vol 28, 1990, p. 369-404. La série de données de 1995 a été présentée à la conférence de l’American Society of Criminology, à Boston, en 1995, et a été analysée dans une communication personnelle en 1996.

9. La catégorie des programmes non appropriés, proposée par Andrews, ne comprend pas les sanctions ou ce qu’on appelle souvent les « sanctions plus intelligentes ». L’efficacité de ce genre de sanctions est une question que nous examinons séparément.

10. Le résultat inférieur enregistré tient au fait que certaines des nouvelles études ont été réalisées auprès de sujets vivant en établissement et que l’évaluateur n’a pas participé à la conception du programme. Il reste encore quelques études à intégrer à la base de données de 1995, dont la plupart ont démontré que les programmes étaient très efficaces.

11. LIPSEY, M.W. et WILSON, D.B., «The Efficacy of Psychological Educational and Behavioural Treatment: Confirmation from Meta-Analysis», American Psychologist, vol. 48, 1993, p. 1181-1209.

12. GENDREAU et ROSS, «Effective Correctional Treatment: Bibliotherapy for Cynics».

13. LÖSEL, «Increasing consensus in the evaluation of offender rehabilitation? Lessons from recent research syntheses». Voir aussi LÖSEL, «The efficacy of correctional treatment: A review and synthesis of meta-evaluations».

14. LÖSEL, «Increasing consensus in the evaluation of offender rehabilitation? Lessons from recent research syntheses». Voir aussi GENDREAU et ROSS, «Correctional treatment: Some recommendations for effective intervention»; ANDREWS, ZINGER, HOGE, BONTA, GENDREAU et CULLEN, «Does correctional treatment work? A clinically relevant and psychologically informed meta-analysis»; ANDREWS, D.A., «The psychology of criminal conduct and effective treatment», What Works: Reducing Reoffending, sous la direction de J. McGuire, New York, John Wiley & Sons, 1995; GENDREAU, P. et ANDREWS, D.A., «Tertiary prevention: What the meta-analysis of the offender treatment literature tells us about what works», Canadian Journal of Criminology (sous presse); PALMER, T., «Programmatic and nonprogrammatic aspects of successful intervention: New directions for research», Crime and Delinquency, vol. 41, n(o) 1, 1995, p. 100-131.

15. GENDREAU, P. et ANDREWS, D.A., Correctional Program Assessment Inventory (CPAI), sixième édition, 1996.

16. LÖSEL, «Increasing consensus in the evaluation of offender rehabilitation? Lessons from recent research syntheses».

17. LIPTON, D.S., «Prison-based therapeutic communities: Their success with drug-abusing offenders», National Institute of Justice Journal, vol. 230, 1996, p. 12-20.

18. GORDON, D.A., «Functional family therapy for delinquents», Going Straight: Effective Delinquency Prevention and Offender Rehabilitation, sous la direction de R. R. Ross, D. H. Antonowicz et G. K. Dhaliwal, Ottawa, Air Training and Publications, 1995, p. 163-178. Voir aussi BORDUIN, C.M., MANN, B.J., CONE, L. T., HENGGELER, S.W., FUCCI, B.R., BLASKE, D.M. et WILLIAMS, R.A., «Multisystemic treatment of serious juvenile offenders: Long-term prevention of criminality and violence», Journal of Consulting and Clinical Psychology, vol. 63, n(o) 4, 1995, p. 569-578.

19. HENGGELER, S.W., correspondance personnelle, 27 décembre 1995.

20. BRONFENBRENNER, U., The Ecology of Human Development: Experiments by Nature and Design, Cambridge, Harvard University Press, 1979.