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Dans l'élaboration de sa politique sur la question de la dotation mixte dans les établissements pour femmes purgeant une peine de ressort fédéral, il faut que le gouvernement tienne compte de sa responsabilité possible en ce qui concerne la violence11 physique ou sexuelle exercée par le personnel sur les détenues. Selon la jurisprudence, le Service correctionnel du Canada en tant qu'employeur, serait, dans la plupart des cas, tenu responsable de toute violence physique ou sexuelle infligée à un ou une détenue par un membre du personnel. Il serait certainement tenu directement responsable s'il s'avérait qu'il avait fait preuve de négligence dans le recrutement ou la supervision des employés, mais il est probable qu'il serait tenu d'observer la norme plus stricte de responsabilité du fait d'autrui pour la plupart des membres du personnel carcéral étant donné le caractère particulier de l'emploi et la vulnérabilité des détenu(e)s.
L'employeur qui fait preuve de négligence dans le recrutement ou le traitement d'un employé qui commet un délit civil dans le cadre de son emploi sera tenu directement responsable de cette négligence. Par exemple, si le SCC n'effectuait pas de contrôle de sélection et recrutait un homme qui avait un passé de violence sexuelle à l'égard des femmes et que celui-ci exploitait ensuite sexuellement un ou une détenue, le SCC serait probablement considéré comme directement responsable du fait de sa négligence. Pour contester une telle action, il faudrait que le SCC puisse faire valoir qu'il a pris toutes les mesures raisonnables pour empêcher que cela se produise - sélection rigoureuse et formation de tout le personnel, surveillance permanente de tout le personnel, limitation de l'accès du personnel masculin aux détenues, recrutement exclusif de gardiennes sélectionnées et formées. On peut faire valoir que, compte tenu des statistiques, de l'expérience passée, etc., le recrutement de personnel masculin, par exemple, des psychiatres ou des conseillers spirituels/religieux, est en soi une forme de négligence. Plus grande la liberté d'accès des gardiens(nes) aux détenu(e)s et plus vulnérable celles-ci, compte tenu des conditions d'accès, plus valable serait l'argument de négligence. Cependant, la jurisprudence montre qu'un critère plus strict que celui de la négligence serait probablement appliquée au SCC.
Les circonstances dans lesquelles les gardien(ne)s et les autres membres du personnel s'acquittent de leurs fonctions à l'égard des détenu(e)s sont telles qu'il est probable que le SCC serait tenu responsable du fait d'autrui, de toute violence physique ou sexuelle infligée par un(e) gardien(ne) ou un autre membre du personnel à une détenue. Selon l'interprétation de la responsabilité du fait d'autrui, également connue sous le nom de responsabilité stricte ou responsabilité sans égard aux torts, l'employeur est responsable des actes de son employé, même s'il n'y a aucun tort de la part de l'employeur. Donc, même si un employeur sélectionne, forme et supervise ses employés de manière appropriée, il peut être tenu responsable des délits civils (tels que violence physique ou sexuelle) commis par son employé.
La Cour suprême du Canada a récemment rendu deux décisions relatives à la responsabilité des employeurs à l'égard de la violence sexuelle d'un employé à l'égard d'enfants. Dans Bazley c. Curry, [1999] 2 L.R.C. 534, la Cour a, à l'unanimité, décidé que la Children's Foundation, organisation sans but lucratif, qui exploitait des établissements de soins pour bénéficiaires internes pour les enfants présentant des troubles affectifs, était responsable du fait d'autrui de la violence sexuelle d'un de ses employés à l'égard d'un enfant dont elle avait la garde. Dans R. c. G.T., [1999] 2 L.R.C., la Cour a jugé, par quatre voix contre trois, que le Boys' and Girls' Club de Vernon, organisme récréatif sans but lucratif, n'était pas responsable du fait d'autrui de la violence sexuelle infligée par un employé à deux enfants qui participaient au programme du club.
Dans Curry, la Cour a présenté deux justifications de la politique concernant l'imposition de la responsabilité du fait d'autrui :
La responsabilité du fait d'autrui est destinée à encourager les employés à gérer le risque inhérent à leur entreprise de manière à réduire au minimum le préjudice et les coûts du préjudice qui peuvent découler de cette entreprise.
Conformément aux critères établis par la Cour concernant l'application de la responsabilité du fait d'autrui, il faut montrer qu'il existe un lien entre l'entreprise et le tort causé par son employé. La Cour a dressé une liste des facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si ce lien est suffisant :
La Cour a résumé les exigences comme suit :
Pour appliquer ces considérations générales à l'agression sexuelle commise par un employé, le critère de la responsabilité du fait d'autrui découlant de l'agression sexuelle d'un client par un employé devrait être axé sur la question de savoir si l'entreprise de l'employeur et l'habilitation de l'employé ont accru sensiblement le risque d'agression sexuelle et, par conséquent, de préjudice. L'application du critère ne doit pas être machinale mais doit tenir compte des considérations de politique générale qui justifient l'imputation de la responsabilité du fait d'autrui, soit la dissuasion et l'indemnisation juste et efficace de la faute. Pour ce faire, les juges de première instance doivent examiner les tâches particulières de l'employé et décider si elles créent des occasions spéciales de commettre une faute. Compte tenu des utilisations particulières qui sont faites de l'autorité et de la confiance dans les cas d'agression d'un enfant, il faut prêter une attention spéciale à l'existence d'un rapport de force ou de dépendance, qui crée souvent en soi un risque considérable de faute (p. 563).
La Cour a rejeté l'argument selon lequel les institutions sans but lucratif devraient être dispensées de l'application de la responsabilité du fait d'autrui parce qu'elles fournissent des services nécessaires au nom du grand public. Il est probable que le gouvernement n'aurait pas plus de succès s'il demandait le même genre de dispense.
Appliquant les facteurs à la situation de fait qui lui était présentée, la Cour a jugé la Children's Foundation responsable de la violence sexuelle commise par son employé dans la situation où les employés sont censés faire tout ce qu'un père ou une mère ferait, depuis la supervision générale des enfants jusqu'à des tâches intimes telles que leur faire prendre un bain et les border dans leur lit.
L'occasion d'exercer un contrôle personnel intime ainsi que l'autorité et la relation parentales requises par les conditions de travail ont engendré le climat propice à la perpétration de l'agression sexuelle par Curry. L'entreprise de l'employeur a créé et favorisé le risque à l'origine du préjudice causé. L'agression était non pas simplement le fruit d'un malheureux concours de circonstances, mais le résultat de la relation particulière d'intimité et de respect dont l'employeur a favorisé le développement, ainsi que des occasions spéciales d'exploiter cette relation qu'il a fournies (p. 567-568).
Dans l'affaire Curry, la décision a été unanime. Pour G.T., en revanche, la décision a été prise avec avis minoritaire, la majorité jugeant que le Club de Vernon n'était pas responsable du fait d'autrui. Le Club offrait des activités récréatives de groupe dans lesquelles, de la vue de la majorité, les possibilités de violence étaient très limitées. La violence sexuelle avait été rendue possible que parce que l'agresseur était parvenu « à "altérer" la nature publique des activités ». À une seule exception près, tous les incidents de violence se sont produits en dehors du Club et des heures de travail de celui-ci. La majorité a conclu que la responsabilité ultime était trop éloignée de l'entreprise de l'employeur pour justifier qu'on invoque la responsabilité du fait d'autrui.
La violence sexuelle ou toute autre forme de violence physique dans un contexte carcéral serait un argument beaucoup plus valable que celui qui avait été invoqué dans le cas de G.T. et serait plus proche de la situation dans Curry où des « soins » étaient fournis en établissement. Bien qu'on puisse faire valoir que les enfants présentant des troubles affectifs sont plus vulnérables que les détenues, il n'en demeure pas moins que celles-ci doivent être considérées comme extrêmement vulnérables. Les pouvoirs conférés aux gardiens de prison et aux autres membres du personnel carcéral sont considérables. Les gardiens ont une multitude d'occasions d'abuser de leur autorité en demeurant seuls avec des détenues et en supervisant leurs activités intimes. Les heurts, la confrontation et l'intimité sont tous des éléments inhérents au fonctionnement d'une prison. L'autorité et le climat d'intimité qui s'attachent à la fonction des membres du personnel sont une constante des situations où ils sont en contact avec des détenu(e)s. L'exploitation sexuelle ou physique d'un(e) détenu(e) par un gardien ou une gardienne ou de nombreuses autres catégories de personnel13 est un des facteurs les plus pertinents parmi ceux décrits dans l'affaire Curry. Il est probable que le SCC serait considéré comme responsable du fait d'autrui pour tous ces actes.
Les politiques et les pratiques en matière d'emploi ne pourraient constituer qu'une défense possible sur le plan de la responsabilité directe, mais non point de la responsabilité du fait d'autrui; il est donc peu probable qu'elles constituent une défense pour le SCC en cas d'acte de violence de la part d'un gardien. La sélection, la formation, la supervision, la limitation des responsabilités des gardiens de sexe masculin et (ou) le recrutement exclusif de gardiennes, constituerait une forme de prévention et donc, une façon d'éviter les accusations conformément à l'effet dissuasif de la responsabilité du fait d'autrui.
La protection que donne une politique consistant à n'utiliser que des IPL de sexe féminin pour les détenues ne serait pas absolue. La responsabilité du fait d'autrui jouerait dans le cas de violence de la part d'une gardienne au même titre que s'il s'agissait de violence de la part d'un gardien. La protection tiendrait à la réduction importante du risque de violence physique ou sexuelle de la part des gardiens, ce qui serait conforme à l'effet dissuasif, préventif visé par l'imposition de la responsabilité du fait d'autrui.
11 Le terme « violence » inclut toute activité sexuelle entre un(e) garde et un(e) détenu(e), exploitation sexuelle, harcèlement sexuel, attouchement inapproprié, négligence abusive et violence physique. Il n'inclut pas les actes ou mesures de discipline autorisés exécutés de manière appropriée conformément aux politiques ou directives en vigueur du gouvernement.
12 La dissidence dans G.T. a conclu que ce facteur n'est pas vraiment significatif dans les situations où des torts ont été causés intentionnellement, par exemple dans les cas de violence sexuelle, car on peut considérer que les torts intentionnels ne contribuent pas généralement à la réalisation des objectifs de l'employeur.
13 La situation ne serait pas nécessairement la même si un(e) détenu(e) était victime de violence sexuelle ou d'une autre forme de violence physique de la part d'un autre employé. Les facteurs tels que l'opportunité, l'autorité, la vulnérabilité et l'intimité seraient nettement différents s'il s'agissait d'un préposé à l'entretien de la prison, par exemple. Dans ce contexte, l'employeur pourrait seulement être tenu responsable en vertu d'un motif d'action basé sur une faute directe, comme nous l'avons vu ci-dessus.