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Compendium 2000 des programmes correctionnels efficaces

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CHAPITRE 10

Programmes liés à l'emploi pour les délinquants

CHRISTA A. GILLIS1


Depuis l’ouverture des premiers établissements correctionnels, l’emploi des délinquants a joué un rôle décisif dans le processus correctionnel (Funke, Wayson & Miller, 1982; Gaes, Flanagan, Motiuk & Stewart, 1999; Guynes & Greiser, 1986; Miller & Greiser, 1986; Townsend, 1996). Mais ce rôle n’a pas toujours été le même et il continue d’évoluer au rythme de l’adoption d’idéologies correctionnelles nouvelles. Même si l’emploi est un excellent outil de réadaptation, nous en savons très peu sur les facteurs et les méthodes qui favorisent la stabilité de l’emploi chez les délinquants (Gillis, 1998; Ryan, 1998), car peu d’études empiriques systématiques ont été menées dans ce domaine (Gaes et al., 1999; Pearson & Lipton, 1999; Ryan, 1998). Des méta-analyses ont permis de confirmer de façon empirique que l’emploi constitue un facteur de risque d’importance moyenne pour la récidive chez les délinquants (Gendreau, Little & Goggin, 1996; Gendreau, Goggin & Gray, 1998). Ce constat fait ressortir la nécessité d’approfondir notre compréhension du concept de l’emploi des délinquants afin de pouvoir bien évaluer les besoins relatifs à l’emploi et de contribuer à réduire l’intensité de ceux-ci en favorisant l’adoption de stratégies d’intervention bien ciblées.

Ce chapitre fait état des méthodes actuelles d’évaluation relatives à l’emploi et propose des modifications. Les conclusions de la recherche sur l’efficacité des programmes sont ensuite appliquées à l’exploration de l’emploi à titre d’intervention correctionnelle visant à favoriser la réinsertion sociale des délinquants. Ce chapitre présente aussi un cadre théorique pour l’analyse systématique de la stabilité de l’emploi dans la collectivité et son incidence sur la réinsertion du délinquant. Il formule également des recommandations quant à l’orientation des interventions futures en matière d’emploi des délinquants.

ÉVALUATION DES BESOINS RELATIFS À L’EMPLOI

La majorité des délinquants canadiens manifestent des besoins relatifs à l’emploi. Ainsi, environ 75 % des délinquants (76 % sont des hommes et 74 % sont des femmes) ont été identifiés comme ayant des besoins dans ce domaine au moment de leur admission dans un établissement fédéral (Motiuk, 1997). Certains reconnaissent d’ailleurs que leurs lacunes en matière d’emploi contribuent à leur comportement criminel (Erez, 1987).

Une méta-analyse de la documentation, effectuée par Gendreau et al. (1996), corrobore empiriquement le lien entre ces lacunes et la récidive. Dans leur examen quantitatif, Gendreau et ses collègues ont déterminé que l’instabilité dans les études et l’emploi (subsumée sous le titre général de «réalisation en société») contribue à la récidive chez les délinquants (r = 0,15). Dans le cadre d’un grand examen visantle Service correctionnel du Canada, on a augmenté la portée de la méta-analyse pour le protocole de l’Instrument de définition et d’analyse des facteurs dynamiques (IDAFD), utilisé au moment de l’Évaluation initiale des délinquants (EID) (voir Gendreau et al., 1998). L’emploi est l’un des sept domaines de l’IDAFD utilisés au moment de l’EID dans les établissements correctionnels fédéraux, laquelle vise à cerner les besoins criminogènes des délinquants (Motiuk, 1997; Taylor, 1997). Dans leur méta-analyse, Gendreau et al. considéraient l’éducation et l’emploi (r = 0,26), les besoins en emploi à la libération (r = 0,15), ainsi que les antécédents en matière d’emploi (r = 0,14) comme certains des plus puissants prédicteurs de la récidive dans le domaine du travail. La corrélation moyenne avec la récidive des 200 types d’ampleur de l’effet, à partir de 67 études, était de r = 0,13.

Il est d’ores et déjà admis que les lacunes en matière d’emploi constituent un prédicteur de la récidive de valeur moyenne, mais on a pu sous-estimer l’incidence de l’emploi sur la récidive en se fiant à une définition et à des évaluations trop simplistes du concept. Jusqu’ici, les facteurs de risque liés à l’emploi ont généralement été évalués de manière dichotomique, par exemple, en constatant la présence ou l’absence de lacunes en matière d’emploi, ce qui a pu réduire la capacité prédictive de ces facteurs. De plus, nombre des éléments des évaluations portaient sur les antécédents du sujet, ce qui réduit l’utilité de l’information pour ce qui est d’orienter les évaluations actuelles.

Le domaine de l’emploi de l’IDAFD permet d’évaluer de façon complète les facteurs de risque statiques et dynamiques relatifs à l’emploi. Il est donc utile, non seulement pour prévoir le risque de récidive, mais aussi pour déterminer l’intensité des interventions requises en matière d’emploi pour réduire le risque de récidive, conformément au principe du risque. En outre, certains éléments du domaine de l’emploi de l’IDAFD sont parfois appliqués pour déceler des secteurs nécessitant une intervention particulière, conformément au principe des besoins.2

La mise au point d’outils dynamiques d’évaluation du risque comme l’IDAFD a renforcé non seulement notre capacité d’évaluer efficacement les besoins et les compétences du délinquant, mais aussi notre capacité de suivre l’évolution de ses besoins en matière d’emploi à la suite de sa participation au traitement. Il n’en reste pas moins que nous devons continuer d’améliorer l’évaluation dynamique des compétences, des attitudes, des valeurs, des croyances et de la satisfaction du délinquant relativement à l’emploi. Telle est la recommandation formulée par Gendreau et ses collègues (1998), qui préconisent de renforcer l’évaluation dynamique au moyen de l’IDAFD en utilisant un ensemble d’échelles comme celles proposées par Gillis (1998). En appliquant les principes du classement efficace (Andrews, Bonta et al., 1990; Andrews & Bonta, 1998), il serait possible d’utiliser l’évaluation dynamique pour mieux comprendre les besoins criminogènes, les compétences et les points forts du délinquant. Cela renforcerait la capacité de classer les besoins du délinquant en matière d’emploi et d’adopter les bonnes stratégies d’intervention. De plus, l’adoption de telles stratégies permettrait de réévaluer les besoins du délinquant relatifs à l’emploi à la suite de la formation reçue. Le mieux serait d’appliquer un ensemble de protocoles d’évaluation statique et dynamique du risque et des besoins pour apprécier les compétences éventuellement favorables à la réinsertion sociale, ainsi que les facteurs qui exposeraient le délinquant au danger de retomber dans la criminalité. Une telle approche serait conforme à la Stratégie correctionnelle du Service correctionnel du Canada, qui préconise de classer par priorité les besoins criminogènes du délinquant et d’intervenir en prenant les mesures correctionnelles qui s’imposent.

L’EMPLOI COMME TRAITEMENT

Tout comme l’évaluation de l’emploi a souvent été effectuée au moyen d’une approche dichotomique de la détermination des besoins pertinents (par exemple, en constatant l’existence ou l’inexistence de besoins à ce chapitre), les évaluations des programmes utilisent généralement une approche qui réduit l’utilité de l’information recueillie. Ces faiblesses méthodologiques ont été relevées par de nombreux chercheurs qui ont passé en revue les études sur l’emploi (Gaes et al., 1999; Gerber & Fritsch, 1995; Pearson & Lipton, 1999; Ryan, 1998). Ainsi, dans nombre des évaluations des stratégies d’intervention en matière d’emploi, on définit la variable explicative de manière dichotomique, en précisant par exemple si tel délinquant a participé ou non à tel programme d’emploi. Cette définition empêche d’examiner des facteurs intégrants, tels que le biais dans la sélection, la qualité et la durée de la participation au programme et les motifs du décrochage. Dans nombre d’évaluations de programmes, on omet aussi de préciser quels étaient les besoins et les compétences des délinquants avant qu’ils participent au programme. Par ailleurs, il est important de tenir compte de l’incidence possible que pourrait avoir, sur le rendement relatif à l’emploi et les réalisations, l’effet cumulé, chez le délinquant, de besoins concomitants en matière d’emploi et de toxicomanie. Ryan résume nombre des failles de la méthodologie qui nous empêchent de parvenir à des conclusions probantes quant à l’incidence sur les délinquants de la formation à l’emploi. Entre autres, Ryan mentionne les lacunes des méthodes de recherche et de l’élaboration des programmes, en ce qui touche la comparabilité du groupe expérimental et du groupe témoin, la sélection des participants, le suivi des anciens délinquants, la distinction entre les variables structurelles et les variables sous-culturelles et la définition de la notion du maintien de l’emploi (Ryan, 1998, sommaire, p. E5). Il en ressort que, pour être complète, l’évaluation de l’efficacité d’un programme d’emploi doit prendre en compte de nombreux facteurs pouvant conditionner l’influence du programme sur le critère à l’étude (p. ex., l’obtention et le maintien de l’emploi ou le rendement dans la collectivité).

En évaluant l’incidence de la formation à l’emploi sur les délinquants, il faut être conscient des faiblesses que nous venons d’évoquer. Jusqu’ici, les résultats des études sont loin d’être concluants. Pour certaines, on fait état de résultats favorables en matière de récidive; pour d’autres, on signale que la formation à l’emploi n’a produit aucun effet ou presque (Gaes et al., 1999; Gerber & Fritsch, 1995; Pearson & Lipton, 1999; Ryan, 1998). En se basant sur une analyse qualitative des études effectuées, certains chercheurs ont adopté une optique assez optimiste sur l’impact de cette formation relativement à la récidive (p. ex., Braithwaite, 1980; Gerber & Fritsch, 1995). Dans leur méta-analyse des programmes d’éducation et de formation professionnelle, Pearson et Lipton résument bien l’état des recherches en matière d’emploi : «Bien que certains types de programmes d’éducation et de formation professionnelle semblent prometteurs pour réduire la récidive, le manque d’études fondées sur des méthodes de recherche supérieures nous empêche de conclure que ces programmes se sont avérés efficaces dans ce but.» (Traduction du résumé, italiques dans l’original). Les lacunes de la recherche systématique en matière d’emploi chez les délinquants peuvent être comparées, par contraste, aux connaissances étendues tirées de l’exploration des ouvrages sur l’efficacité globale des traitements.

Avec le temps, les chercheurs ont observé des pratiques particulières permettant de faire la différence entre des programmes efficaces et inefficaces, et celles-ci ont été confirmées et reproduites au moyen de techniques méta-analytiques (Gendreau, 1996; Gendreau & Andrews, 1990; Gendreau et al., 1996). Des méta-analyses portant sur les études du traitement fournissent des renseignements quantitatifs globaux en ce qui concerne l’impact des programmes sur la récidive, contournant ainsi bon nombre des problèmes associés à l’interprétation qualitative des études individuelles (Andrews & Bonta, 1998; Gendreau et al., 1996). Les deux examens méta-analytiques les plus détaillés des études sur le traitement effectués par Lipsey (1990) et Andrews, Zinger et collègues (1990), prouvent le bien-fondé des nombreux principes d’intervention efficace, établis par les théoriciens et les chercheurs du domaine correctionnel (tel que rapporté par McGuire & Priestly, 1995).

Lipsey a analysé la relation entre le traitement et la récidive dans 443 études sur la délinquance juvénile, et y a trouvé une corroboration de l’efficacité de l’intervention dans 64 % des études du traitement, par rapport à des études comparables. Dans ces dernières, le taux moyen de récidive chez les jeunes délinquants était de 50 %, tandis que, chez ceux qui avaient suivi un traitement, il s’élevait à 45 %. Bien que cela représente une réduction de 10 % de la récidive dans le cas d’un traitement, Lipsey a corrigé davantage la situation en fonction du manque de fiabilité des relevés officiels des infractions, et a postulé que la proportion d’amélioration avoisinait plutôt 20 % (ce qui faisait passer la récidive de 50 % à 40 %).

Lipsey a étendu l’analyse à des facteurs associés aux effets du traitement, y compris le type d’étude et de traitement. Après avoir effectué un contrôle statistique sur divers facteurs méthodologiques (p. ex., faible taille de l’échantillon, décrochage, etc.), il a découvert que le type de traitement contribuait largement aux estimations de l’ampleur de l’effet. D’ailleurs, la récidive diminuait le plus lorsqu’un traitement présentait les conditions suivantes : plus longue durée (et contact plus important avec les délinquants); être dispensé à l’extérieur des milieux et établissements correctionnels; influence de l’évaluateur; orientation vers le comportement, les compétences et nature multimodale; être dispensé dans les cas à risque élevé; et tenir compte d’autres facteurs pertinents (p. ex., influence de la famille et des pairs). Selon Lipsey, les traitements structurés et orientés peuvent contribuer à une réduction moyenne de 30 % du taux de récidive. Bref, ses conclusions ont joué un rôle décisif en soulignant l’importance du traitement correctionnel et, plus particulièrement, d’un traitement approprié (c’est-à-dire, multimodal, axé sur les compétences et cognitivo-comportemental), pour l’obtention de meilleurs résultats auprès des délinquants.

Andrew, Zinger et collègues (1990) ont spécifié en détail le rôle du traitement approprié pour la contribution à une réduction de la récidive. En réponse à l’affirmation de Whitehead et Lab (1989), selon laquelle «…les interventions n’aura ient guère d’impact positif sur la récidive…» (p. 276), Andrews, Zinger et collègues ont analysé une seconde fois leurs données selon les principes d’une intervention correctionnelle efficace (Andrews, Bonta et al., 1990). Dans la reprise et l’expansion des ouvrages correctionnels sur les délinquants juvéniles et adultes, ils ont découvert qu’un service correctionnel approprié, basé sur les principes du risque, des besoins et de la réceptivité, était plus efficace pour réduire la récidive (phi moyen = 0,30) qu’un service correctionnel non spécifié (-0,06) et une sanction criminelle dépourvue de service (-0,07). Non seulement ont-ils trouvé une corroboration d’un traitement approprié, mais ils ont également découvert que les effets du traitement étaient maintenus dans l’ensemble des contrôles statistiques visant divers facteurs méthodologiques (p. ex., taille de l’échantillon) ayant contribué à l’ampleur de l’effet. Ces résultats, de même que ceux présentés par Lipsey (1990), illustrent clairement l’efficacité du traitement correctionnel (et particulièrement les efforts d’intervention guidés par l’intégrité des programmes ainsi que les principes du risque, des besoins et de la réceptivité) pour contribuer à réduire la probabilité de récidive.

Les conclusions des récentes méta-analyses sur l’ensemble des ouvrages relatifs au traitement nous montrent que la façon de questionner a évolué. Il ne s’agitplus de savoir si le traitement fonctionne, car, comme le soutient Lipsey (1995), nous savons à présent que le traitement permet de réduire la récidive. Il s’agit maintenant d’utiliser l’information tirée de la recherche pour élaborer des stratégies d’intervention efficaces à l’intention des délinquants qui manifestent des besoins en matière d’emploi.

Ces principes ont été reliés par Andrews et Bonta (1994, 1998), qui présentent un modèle détaillant les divers éléments qui influencent les services de traitement aux délinquants, en se basant sur les recherches antérieures (Andrews & Kiessling, 1980; Hoge & Andrews, 1986; cités dans Andrews & Bonta, 1998). En évaluant en détail des programmes correctionnels, Andrews et Bonta (1994) affirment qu’il faut tenir compte des éléments suivants :

  • le milieu ambiant et (ou) les conditions des organismes;
  • les caractéristiques du client avant le service;
  • les caractéristiques du conseiller avant le service;
  • les caractéristiques du programme;
  • le processus et le contenu du service de traitement;
  • les objectifs intermédiaires du traitement;
  • enfin, les résultats ultimes.

Si l’emploi est considéré comme un programme, alors les mêmes principes s’appliquent à des interventions efficaces en matière d’emploi. Dans cette section, les conclusions pertinentes sur la recherche visant l’emploi s’appliqueront dans chacun des éléments pour former un traitement correctionnel efficace.

Il importe de reconnaître que ces éléments de programmes ne se produisent pas dans le vide, mais sont mutuellement reliés dans leur contribution à l’efficacité des programmes (Andrews & Bonta, 1998). Pour mieux comprendre la «boîte noire» du traitement (Gendreau, 1996), les évaluateurs des programmes doivent soumettre ces composants à une exploration holistique et interactive.

Milieu ambiant et (ou) conditions des organisms

Andrews et Bonta (1998) décrivent les conditions ambiantes comme étant «les conditions générales sociostructureles, cultureles et politico-économiques» (p. 89) ayant une incidence sur les clients, le personnel, le type d’intervention et les résultats. Dans le domaine de l’emploi, le climat politique a joué un rôle intégral dans la perception du travail en établissement, chez les délinquants.

«Depuis le début, l’évolution des ateliers pénitentiaires est empreinte de notions changeantes concernant les causes complexes du comportement humain et de fluctuations de la philosophie correctionnelle. Le changement d’attitude du public à l’égard des systèmes correctionnels en général, et des ateliers industriels en pa rticulier, a produit des restrictions qui ont ralenti la croissance de ces ateliers.» (Traduction, Miller & Greiser, 1986, p. 14).

On constate la même tendance dans la perception générale du traitement, qui a fluctué selon le climat politique prédominant. En général, le soutien et l’optimisme répandus à l’égard de la réadaptation ont été supplantés par un sentiment hostile au traitement, suivi d’une interprétation plus précautionneuse et basée sur des informations empiriques au sujet d’approches efficaces du traitement.3

Le double rôle attribué à l’emploi des délinquants est une question qui a persisté durant toute l’histoire des ateliers pénitentiaires. Miller et Greiser (1986) affirment qu’un objectif de ces derniers est de réduire les coûts associés à l’incarcération. Toutefois, l’objectif secondaire a varié selon l’idéologie correctionnelle prédominante.

Initialement, l’emploi en prison, avec ses nuances moralistes et punitives, a été assorti d’une conception visant à «réformer les esprits égarés». Plus tard, on l’a considéré comme un mécanisme de réadaptation et de réinsertion sociale des délinquants. Toutefois, un déclin dans les ateliers pénitentiaires s’est manifesté au début du 20e siècle, à cause de l’opposition collective à la concurrence sur le marché suivant la Crise de 1929. En outre, l’accès à d’autres activités conçues pour tenir les détenus occupés (p. ex., bibliothèques d’établissement) a contribué à rationaliser les opérations industrielles. De plus, l’époque postérieure à la Crise a été associée à l’adoption du «modèle médical» de réadaptation correctionnelle, qui considérait les délinquants comme des malades à traiter. L’emploi, avec sa promotion de l’éthique professionnelle, cadrait mal avec cette orientation sur le diagnostic, la classification et le traitement, et était donc perçu comme offrant une valeur minimale de réadaptation au sein de cette philosophie correctionnelle (Funke et al., 1982; Miller & Greiser, 1986). Miller et Greiser considèrent Glaser (1964) comme à l’origine de la reconnaissance de la relation entre les ateliers pénitentiaires et la réinsertion sociale, notamment à cause de sa recherche décisive sur la préparation prélibératoire, l’emploi postlibératoire et la récidive. Glaser a déclaré que les détenus ayant mené leur probation à bien étaient deux fois plus susceptibles d’utiliser les compétences acquises lors des programmes de travail en établissement, que les probationnaires n’ayant pas obtenu de bons résultats pendant leur libération.

Bien que les objectifs aient varié avec le temps, Miller et Grieser considèrent que l’ère contemporaine des ateliers pénitentiaires «se caractérise par un regain d’intérêt à l’égard des ateliers pénitentiaires et une nouvele philosophie correctionnelle intégrative» (p. 1), conforme à une approche des délinquants axée sur la réadaptation. Cette conception du rôle des ateliers industriels est corroborée dans une recherche plus récente liée à l’emploi des délinquants (Gaes et al., 1999; Gerber & Fritsch, 1995; Gillis, 1998; Ryan, 1998; Simon, 1999). La valeur de réinsertion de l’emploi en établissement est mondialement reconnue, même par des systèmes correctionnels qui diffèrent radicalement dans leurs philosophies et idéologies de base (Van Zyl Smit & Dünkel, 1999).

Ces premiers thèmes sont encore évidents au sein des théories actuelles sur le double rôle, et parfois contradictoire, des industries correctionnelles — c’est-à-dire, la lutte entre les philosophies (Miller & Greiser, 1986, p. 3) —, autrement dit l’opposition entre la rentabilité économique et les effets de réinsertion sociale. Simon (1999), dans sa recherche sur l’emploi dans les prisons britanniques, a déclaré que les instructeurs d’atelier considéraient comme des objectifs importants, à la fois la production des biens et la promotion de l’acquisition de compétences chez les délinquants. Interrogés au sujet de l’importance relative de ces deux buts, les instructeurs ont souligné que la production de biens de haute qualité était le principal objectif du travail dans les ateliers. Simon a proposé de donner aux instructeurs des précisions sur leur rôle, pour qu’ils accordent la priorité à la formation des délinquants. Cependant, ces objectifs industriels ne sont pas nécessairement mutuellement exclusifs, comme l’illustre une typologie des objectifs liés aux ateliers industriels modernes dans les prisons, proposée par Guynes et Greiser (1986).

Selon ces deux auteurs, les divers objectifs associés à l’emploi en prison ont un impact sur le détenu, l’établissement et la société. Les objectifs basés sur l’établissement contribuent au fonctionnement ordonné de celui-ci et visent notamment à réduire l’oisiveté, à structurer les activités quotidiennes et à réduire les coûts au sein de l’organisme correctionnel. La réduction de l’oisiveté est un objectif depuis le début des programmes d’emploi basés sur les délinquants, car ele concerne l’importante fonction de surveillance consistant à occuper les délinquants de manière constructive pendant l’incarcération (Greiser, 1996; Maguire, 1996). En outre, les détenus employés dans les ateliers peuvent mieux s’adapter à la vie en établissement (Flanagan & Maguire, 1987; Gleason, 1986). Ainsi, Maguire déclare que les ateliers ont contribué à réduire le nombre d’infractions en établissement perpétrées par les détenus ainsi employés, par rapport à un groupe témoin n’ayant pas participé à des programmes industriels. Saylor et Gaes (1996) ont eux aussi découvert que, par rapport à un groupe de référence, les détenus ayant participé à des ateliers, à une formation professionnelle ou à des programmes d’apprentissage étaient moins susceptibles de recevoir des rapports d’inconduite pendant l’année précédant leur libération. En outre, une recherche menée par Simon (1999) a donné des aperçus de la façon dont les instructeurs d’atelier et les détenus participant à des programmes d’ateliers considèrent l’impact (communautaire) des programmes d’emploi en établissement, sur les établissements et la réinsertion sociale. Les instructeurs se montraient réservés devant l’impact du travail en établissement sur l’obtention d’un emploi stable après la libération, mais ils estimaient que ce travail contribuait à des résultats positifs pendant l’incarcération. Les détenus étaient du même avis; même si seulement un quart (sur 117) d’entre eux estimaient que l’emploi en établissement avait quelque chance de contribuer aux perspectives d’emploi à la libération, plus de la moitié (56 %) ont déclaré que le placement en établissement les avait aidés à vivre dans celui-ci. Dans son enquête sur les détenus incarcérés dans l’État du Michigan, Gleason présente des conclusions similaires sur les perceptions qu’ont les détenus à l’égard de la valeur de l’emploi en établissement.

Les objectifs basés sur la société comprennent un dédommagement de celle-ci, notamment par une aide financière à des personnes à charge dans la collectivité ou aux victimes. Ces objectifs se basent sur le principe selon lequel les détenus doivent rembourser les coûts occasionnés par leurs actions criminelles. De plus, leur contribution à la production des biens pour l’État sert à payer certains des coûts associés à leur incarcération (Guynes & Greiser, 1986).

Ce qui est le plus important par rapport à la réadaptation et à la réinsertion sociale, c’est que les objectifs basés sur le détenu englobent notamment l’acquisition d’habitudes de travail positives, d’une véritable expérience ou formation professionnelle, et l’adoption d’objectifs plus concrets, y compris les compétences en gestion de l’argent et l’argent disponible à la libération. Un cadre basé sur le détenu insiste sur la réinsertion sociale et la réadaptation (Guynes & Greiser, 1986; Flanagan, 1988).

Caractéristiques du client avant le service

Ces caractéristiques (c.-à-d., le risque, les besoins et la réceptivité) sont un facteur important que passe nettement sous silence l’évaluation des ouvrages sur l’emploi. Certes, nous connaissons le risque, mais celui-ci n’a pas été convenablement employé pour placer les détenus dans des emplois, pas plus que les renseignements sur le risque présenté par les détenus et leurs besoins n’ont été efficacement utilisés pour évaluer les gains du traitement. Bon nombre d’études concernent l’impact des programmes d’emploi sur la récidive, mais peu d’entre elles explorent les importantes caractéristiques des programmes, celles du personnel ou, ce qui est plus surprenant, celles des détenus.

Risque

Motiuk et Belcourt (1996) ont mené une des rares études basées sur l’emploi et à tenir compte des niveaux de risque présentés par un détenu. Cette étude examinait le résultat postlibératoire d’un groupe de 269 détenus ayant participé aux programmes de CORCAN, au moins six mois avant leur libération conditionnelle, et ayant passé au moins un an dans la collectivité après leur libération. CORCAN, un organisme de service spécial au sein du Service correctionnel du Canada, emploie les délinquants dans plusieurs domaines : fabrication en établissement, agroentreprise, construction, services (c.-à-d., introduction au clavier, saisie de données et télémarketing), ainsi que le textile. Chaque mois, CORCAN utilise 2 000 équivalents à temps plein. En un an, 4 000 détenus travaillent aux programmes de CORCAN, chacun d’eux restant en moyenne environ un mois.

Motiuk et Belcourt ont comparé les taux de réincarcération pour des détenus bénéficiant d’une libération conditionnelle totale et d’une libération d’office, avec les taux nationaux moyens de récidive. Les participants aux programmes de CORCAN, en libération conditionnelle totale, présentent un taux de réincarcération dans un établissement fédéral de 19,2 %, tandis que la moyenne nationale était de 26,6 %, ce qui constitue une différence de 27,8 % dans le rendement. Les résultats étaient plus prononcés dans le cas d’une nouvelle infraction, où la moyenne nationale était de 12,1 % et seulement de 1,9 % pour les participants aux programmes de CORCAN (une différence de 84,3 %). Cette conclusion indiquant un taux de réincarcération nettement inférieur ne s’appliquait pas aux participants aux programmes de CORCAN en libération d’office (46,4 % par rapport à 44,0 %), ce qui indique une interaction entre le succès à la libération et le niveau de risque. Aucune différence n’a été constatée dans la réincarcération dans un établissement fédéral dans le cas d’une nouvelle infraction chez les détenus en libération d’office. De plus, les analyses ont indiqué que les détenus de cet échantillon, bénéficiant d’une libération conditionnelle totale, étaient considérés comme présentant un risque de récidive inférieur à ceux qui étaient en libération d’office, corroborant le lien entre le niveau de risque et la propension à une réinsertion sociale réussie.

Besoins

Bien que le risque soit important, il est souhaitable d’évaluer comment les facteurs dynamiques influent sur les résultats obtenus par les détenus. À cette fin, l’étude préliminaire menée par Motiuk et Belcourt a été étendue aux besoins en matière d’emploi dans cet échantillon de détenus, ainsi qu’à la relation avec la réinsertion sociale. Gillis, Motiuk et Belcourt (1998) ont prolongé d’un an la période initiale de suivi (suivi moyen de 23 mois) et rendu compte de la situation d’emploi d’un sous-groupe (n = 99) choisi parmi les 269 détenus ayant initialement formé l’échantillon. Conformément aux études sur l’évaluation des risques, les auteurs ont constaté une interaction entre le niveau global de risque, les besoins en matière d’emploi et la situation à cet égard pendant les six premiers mois suivant la libération.

Près de la moitié des détenus de l’échantillon ont manifesté des besoins en matière d’emploi à leur libération, et les deux tiers ont éprouvé de la difficulté à en trouver un au cours des six premiers mois suivant leur libération. Quand on examinait le risque global et les résultats de l’évaluation des besoins, par rapport à la situation en matière d’emploi, les analyses montraient que les détenus considérés comme présentant un plus haut risque étaient beaucoup moins susceptibles d’être employés que les détenus à faible risque. Les résultats particulièrement intéressants touchent la relation entre la situation en matière d’emploi et la récidive. Les détenus détenant un emploi étaient condamnés à peu près deux fois moins souvent que les détenus sans emploi (17 % contre 41 %) et le nombre de leurs nouvelles infractions avec violence était inférieur des trois quarts (6 % contre 21 %). Lorsque les besoins en matière d’emploi étaient subdivisés selon leurs quatre niveaux («facteur favorisant la vie dans la collectivité», «absence de besoin», «certains besoins» et «besoins considérables»), il est particulièrement révélateur que tous les détenus du premier groupe, soit ceux dont l’employabilité était un atout (n = 6), occupaient bel et bien un emploi, et qu’aucun d’eux n’avait récidivé pendant la période de suivi. Par contre, aucun détenu désigné comme ayant des besoins considérables (n = 15) n’avait trouvé d’emploi, et 43,8 % d’entre eux ont été reconnus coupables d’une nouvelle infraction pendant la période de suivi.

Il importe de noter que les deux études découlant de cet échantillon n’avaient pas de groupes témoins, ce qui limite les conclusions à tirer. Toutefois, ces «aperçus» préliminaires des détenus ayant travaillé pour CORCAN pendant leur incarcération suggèrent que l’emploi joue un rôle potentiellement important pour ce qui est de favoriser leur réinsertion sociale. En outre, cette recherche a servi de base à des études plus strictes contribuant à mieux faire comprendre comment l’emploi contribue à une réinsertion sociale sans risque pour le public (voir Gillis, 1998).

Réceptivité

La réceptivité est un domaine qui n’a pas été exploré dans l’évaluation des programmes d’emploi. Elle désigne un style et une mode d’exécution des programmes conforme aux styles et aux capacités d’apprentissage des délinquants.4

Au nombre des autres domaines touchant la réceptivité, signalons le sexe et l’appartenance ethnique. Plus particulièrement, les femmes et les délinquants autochtones peuvent avoir des besoins spécifiques en matière d’emploi, ainsi que des facteurs de réceptivité dont il faut tenir compte, et peuvent manifester des compétences différentes. Il importe de déterminer les facteurs propres à ces populations, grâce à la recherche, et d’assurer un suivi conforme aux programmes conçus pour répondre à leurs besoins spécifiques en matière d’emploi.

En outre, la motivation, bien que proposée à titre de facteur potentiel de réceptivité, a curieusement reçu peu d’attention dans les ouvrages sur le traitement correctionnel. Récemment, Tellier (1999) a élaboré un cadre théorique pour l’intégrer aux facteurs contribuant au changement de comportement chez les détenus. Le cadre se fonde sur le concept selon lequel les niveaux de motivation fluctuent à mesure que les détenus progressent à travers différentes étapes du changement (Prochaska & DiClemente, 1984). L’inclusion de processus d’évaluation basés sur le modèle théorique proposé par Tellier nous aiderait à mieux comprendre comment la réceptivité aux programmes favorise le traitement des détenus, dans des programmes d’emploi. À la longue, le modèle pourrait contribuer à mieux faire apprécier le rôle de la motivation par rapport à la stabilité de l’emploi et à une réinsertion sociale sans risque pour le public. Une telle approche reconnaît qu’au début d’un traitement, les délinquants sont souvent plus ou moins préparés au changement et disposés à aborder leurs besoins, de sorte qu’ils exigent des programmes d’intensités différentes.

Caractéristiques du conseiller avant le service

Andrews et Bonta (1998) précisent l’importance des compétences en formation des conseillers, et de leur capacité d’établir une relation interpersonnelle chaleureuse avec le sujet, de manière à contribuer à des résultats positifs. De plus, le cadre des programmes cognitivo-comportementaux et d’apprentissage social se base sur le concept selon lequel des modèles prosociaux sont un élément-clé du changement de comportement chez les participants à des programmes.

Dans le contexte de l’emploi, les instructeurs de CORCAN consacrent la plus grande partie de la journée aux détenus, de sorte qu’ils jouent un rôle potentiellement important dans l’acquisition de compétences, l’attitude ainsi que le changement de comportement chez les détenus (Fabiano, LaPlante & Loza, 1996; Gillis, Getkate, Robinson & Porporino, 1995).

Dans le cadre d’une recherche sur l’employabilité à CORCAN, Gillis (1994) a mené une étude explorant la relation entre les styles de leadership des instructeurs, la crédibilité et le rendement dont ils font apparemment preuve d’une part et, de l’autre, les mesures effectuées par les détenus et portant sur les attitudes et la motivation au travail. On a utilisé une approche d’évaluation à multiples sources comprenant des mesures obtenues de la part d’instructeurs (n = 35), de détenus (n = 143) et de gestionnaires (n = 7), et ce pour évaluer l’impact des attributs d’instructeurs sur la motivation des détenus au travail. Sept établissements du Service correctionnel du Canada ont participé à cette recherche.

On a évalué le comportement en leadership des surveillants, au moyen du Questionnaire multifactoriel sur le leadership (MLQ; Bass & Avolio, 1990), qui examine le comportement transactionnel et transformationnel ainsi que l’absence de leadership. Les chefs de file transactionnels participent à des échanges avec leurs employés, récompensent l’atteinte d’objectifs déterminés au préalable et punissent les employés qui ne réussissent pas à atteindre leurs objectifs. Un effet d’augmentation dépassant celui des chefs de file transactionnels caractérise les chefs de file transformationnels, qui inspirent et stimulent les employés à dépasser les attentes par rapport aux objectifs. Ces chefs de file charismatiques sont réputés pour leurs styles et compétences d’encadrement basés sur la motivation et pour leur capacité d’adapter leur approche aux besoins individuels des employés. Contrairement à cette forme de leadership active et d’encadrement, l’absence de leadership se caractérise par une approche basée sur le «laissez-faire» (Bass, 1985, 1990; Bass & Avolio, 1990). Le MLQ examine également les mesures du résultat sur l’organisation, comme l’effort supplémentaire exercé par les employés. En plus de ces qualités de leadership, l’étude examinait la mesure de la crédibilité dégagée par les instructeurs, comportant la confiance, l’inspiration et la compétence, adaptées de Kouzes et Posner (1993).

Les surveillants et les détenus ont rempli le questionnaire sur le leadership, et les détenus ont également rempli celui sur la crédibilité, et l’on a conçu un ensemble d’échelles pour évaluer la motivation au travail, y compris la motivation professionnelle intrinsèque, le caractère valable du travail, la responsabilité à l’égard des résultats professionnels et la participation au travail. Des évaluations de la ponctualité des détenus, compilées par les instructeurs, ont permis de mesurer le comportement axé sur la motivation des détenus. Finalement, les gestionnaires ont rempli une version modifiée du questionnaire sur le leadership, évaluant l’efficacité des instructeurs pour ce qui est d’obtenir un effort supplémentaire de la part des détenus dans leurs ateliers et d’accroître la productivité dans ceux-ci.

Des analyses des données étayaient l’hypothèse selon laquelle un leadership transformationnel actif est associé à la motivation des employés. Les instructeurs que les détenus considéraient comme manifestant des comportements transformationnels, étaient associés à de plus hauts niveaux d’efforts supplémentaires, de motivation professionnelle et de participation au travail, de l’avis des détenus. Ce qui est important, c’est que le leadership transformationnel des instructeurs, coté par les détenus, était nettement lié aux évaluations de ponctualité des détenus. En outre, une conclusion particulière-ment importante se dégageait : l’association entre l’évaluation, par les gestionnaires, de l’efficacité des instructeurs, et l’effort supplémentaire signalé par les détenus, exercé sur les lieux de travail ainsi que les évaluations de la ponctualité des détenus. Conformément aux hypothèses, l’absence de leadership chez un instructeur était, selon les détenus, liée à de faibles niveaux de motivation et de participation au travail, ainsi qu’à la réticence à exercer des efforts supplémentaires. Le leadership transactionnel n’était pas associé à des attitudes professionnelles signalées par les détenus, ni aux évaluations de ponctualité (Gillis, 1994; Gillis et al., 1995).

Cette recherche prolongeait et corroborait les résultats d’une étude antérieure menée par Crookall (1989), qui a découvert que les instructeurs formés au leadership transformationnel (par opposition au leadership situationnel) étaient associés à d’importantes améliorations de la croissance personnelle, évaluées par la rotation des employés, les habitudes de travail, le respect, les compétences professionnelles, le respect des lois et les progrès vers la réinsertion sociale.

La recherche a également fourni d’importants renseignements sur le rôle décisif joué par le personnel correctionnel dans l’influence exercée sur les détenus. Avant cette étude, la plupart des recherches sur le personnel correctionnel exploraient les attitudes en matière de services correctionnels, sans évaluer l’impact de celles-ci ni des comportements sur les délinquants. De plus, cette recherche en leadership ilustre l’importance des stratégies appropriées de sélection et de formation du personnel. La formation future du personnel devrait comprendre non seulement une formation en leadership, mais également des approches efficaces du travail avec la population carcérale. Comme le démontre la recherche en leadership, les détenus réagissent différemment aux styles de leadership. La formation devrait également comprendre la façon de donner des instructions aux détenus (c’est-à-dire, l’encadrement de ceux-ci) d’une manière répondant au style d’apprentissage particulier de chaque détenu, conformément au principe de réceptivité. De plus, le mode d’exécution doit se baser sur le principe du risque et des besoins, où les détenus manifestent d’importants besoins en matière d’emploi, dans le cadre d’une intervention bilatérale plus intense. Tel qu’illustré dans ces études (Crookall, 1989; Gillis, 1994), la modélisation est indispensable à la présentation des programmes, conclusion conforme à la recherche méta-analytique sur l’efficacité des traitements. Finalement, non seulement cette recherche a-t-elle corroboré les études sur l’efficacité du traitement dans un contexte différent (l’emploi des délinquants en établissement), mais elle a aussi confirmé l’utilité et la validité de la typologie relative au leadership transformationnel dans un contexte correctionnel.

Caractéristiques du programme

L’emplacement où le traitement est donné est un élément du programme particulièrement approprié au contexte de la formation professionnelle. Actuellement, au Service correctionnel du Canada (S CC), la plupart des programmes systématiques de formation à l’emploi sont offerts dans les établissements. Ce qui est important et de plus en plus fréquent, c’est que les opérations des programmes d’emploi tentent d’imiter ceux de la collectivité, et que les attentes de rendement sont conformes aux normes en usage dans la collectivité.

Étant donné que les résultats méta-analytiques corroborent l’efficacité accrue du traitement dans la collectivité par rapport à une intervention en établissement, il faudrait insister davantage sur les initiatives d’emploi dans la collectivité pour les détenus (Andrews et al., 1990; Lipsey, 1990). Bien que des possibilités d’emploi en établissement contribuent à favoriser les chances d’une réinsertion sociale efficace et sans risque pour le public (Motiuk & Belcourt, 1996; Saylor & Gaes, 1996), il faudrait insister davantage sur les initiatives communautaires offrant une préparation à l’emploi, des stratégies de placement professionnel ainsi que des perspectives de formation en cours d’emploi. De plus, il faut prévoir des séances de suivi et une intervention systématique dans la collectivité. Plus particulièrement, il faut y instaurer des perspectives de placement professionnel et de formation, pour : faciliter le lien et la transition vers la collectivité, fournir un soutien financier et promouvoir l’aide fournie par les pairs ainsi que des modèles de comportement efficaces et prosociaux pour les détenus, à la libération. Cette approche est conforme aux recommandations de politique figurant dans le récent Rapport au Comité de direction sur l’emploi (SCC, 1999), qui favorise l’amélioration des activités communautaires de CORCAN, ainsi que l’élaboration et la mise en œuvre de programmes nationaux d’employabilité à court terme pour les détenus, dans les établissements et la collectivité.

Processus et contenu du service de traitement

En tant que composante de la stratégie globale de la gestion du risque, l’emploi offre un véritable potentiel de changement chez les détenus, car il met l’accent sur une formation concrète axée sur les compétences combinée avec l’élaboration et l’amélioration de compétences génériques d’employabilité, transférables aux milieux d’emploi dans la collectivité. La recherche a montré que les instructeurs d’atelier et les détenus sont d’accord pour dire que l’emploi en établissement a le potentiel d’améliorer les habitudes et attitudes professionnelles des détenus (Gillis, 1994; Simon, 1999). L’insistance sur les compétences générales d’employabilité, par opposition à des compétences très concrètes et propres à des emplois, reçoit de plus en plus d’attention dans le système d’emploi correctionnel canadien (voir SCC, 1999; Fabiano et al., 1996; Gillis, Robinson & Porporino, 1996; Mulgrew, 1996).

Depuis le début des années 1990, CORCAN s’efforce en priorité de perfectionner les compétences d’employabilité chez les détenus. CORCAN a travaillé étroitement avec le Conference Board du Canada, qui a procédé à une enquête parmi les employeurs canadiens au sujet des attributs qu’ils recherchent chez des employés efficaces (McLaughlin, 1992). En utilisant les critères et les conclusions de recherche du Conference Board du Canada tirés de l’initiative pour un retour rapide au travail, CORCAN, en colaboration avec la Direction de la recherche, a élaboré l’Évaluation du rendement chez les délinquants pour perfectionner l’évaluation des capacités et compétences d’emploi chez les détenus. Le formulaire évalue les capacités génériques d’études, de gestion personnelle et de travail en équipe, exposées par le Conference Board du Canada dans son Profil des compétences relatives à l’employabilité, comme élément intégral à un rendement professionnel efficace. Assortie de cotes basées sur des indicateurs de comportement, la formule donne, au personnel correctionnel et aux détenus, de l’information concrète sur les compétences professionnelles et les besoins de ces derniers. Facile à évaluer et à interpréter, elle constitue égale-ment un mécanisme de rétroaction sur le rendement professionnel des détenus et les objectifs d’intervention future. La formule est actuellement utilisée dans les ateliers de CORCAN, bien que son application puisse être étendue à tous les placements à l’extérieur, pour tenter d’évaluer convenablement dans quelle mesure l’expérience d’emploi en établissement contribue aux compétences d’employabilité des détenus.

Un objectif essentiel de l’emploi en milieu correctionnel consiste à faire acquérir des capacités professionnelles et à favoriser les attitudes positives au travail, pour faciliter la réinsertion sociale à la libération. Cette approche reconnaît l’importance des compétences générales, car souvent, les placements dans la collectivité ne correspondent pas à l’expérience professionnelle acquise en établissement (Simon, 1999). On fournit de l’emploi aux détenus dans l’espoir que leurs habitudes et attitudes de travail se généraliseront à différentes situations professionnelles (c’est-à-dire, dans la collectivité à la libération). On postule que l’amélioration des attitudes positives au travail se traduira, en fin de compte, par un changement dans le comportement général. Les résultats signalés dans Gillis (1994) montrent que des différences de comportement, sous forme d’une meilleure ponctualité, ont été constatées chez les délinquants ayant une attitude plus positive au travail et une plus forte motivation. Toutefois, d’autres recherches s’imposent sur l’impact potentiel des attitudes professionnelles et des compétences spécifiques d’employabilité sur l’emploi dans la collectivité et la réinsertion sociale.

Objectifs intermédiaires du traitement

En évaluant les résultats des programmes, il faut se rappeler que de nombreuses études utilisent la récidive comme le seul critère pour mesurer l’efficacité des programmes, sans tenir compte des résultats plus intermédiaires que l’on attendrait normalement d’un programme d’emploi, tels que l’acquisition de nouvelles compétences spécifiques et génériques et l’obtention d’un emploi à la libération. Que ces facteurs soient omis nous paraît cependant normal, compte tenu des difficultés liées au suivi à long terme, voire à court terme, des résultats de la réinsertion sociale.

Tel que décrit dans la section précédente, l’acquisition de compétences d’employabilité et génériques transférables à de nombreux milieux de travail est un important résultat intermédiaire de l’emploi. En explorant les gains du traitement, il importe d’examiner les perceptions des détenus quant aux attitudes et aux compétences acquises ou perfectionnées, sous forme de participation à des programmes d’emploi en établissement. À cette fin, l’Évaluation du rendement des délinquants permettra d’examiner comment des compétences particulières influent sur la capacité des détenus de trouver et de conserver un emploi dans la collectivité, à leur libération. Les recherches futures porteront sur l’évolution des compétences, dans le cadre de la participation aux programmes de CORCAN (c’est-à-dire un suivi des compétences des détenus en employabilité durant toute leur période de travail pour CORCAN) pour essayer de mieux comprendre l’impact exercé par l’acquisition de compétences sur la réinsertion sociale subséquente. Alliée aux données sur les besoins en emploi fournies par l’EID, cette information pourrait contribuer à une évaluation efficace des gains du traitement.

Un résultat intermédiaire logique des programmes de travail est la présence et (ou) la conservation d’un emploi. Toutefois, Ryan (1998), dans son examen des ouvrages sur la conservation de l’emploi, affirme que le placement à l’extérieur a souvent été utilisé comme variable de résultat dans les recherches menées au cours des années 1969-1970, mais rarement par la suite. Son étude a révélé «l’absence presque totale d’un ensemble systématique et logique de connaissances sur la conservation de l’emploi pa rmi les détenus libérés» (p. 9). Il est clair que la stabilité, ou le maintien, de l’emploi doit constituer une mesure cruciale du résultat immédiat dans les recherches portant sur l’emploi des détenus et menées dans la collectivité (Gillis, 1998; Ryan, 1998; Simon, 1999). En évaluant les stratégies de formation à l’emploi pour les détenus, il est indispensable que les chercheurs ne s’en tiennent pas à la récidive et passent à d’autres mesures pertinentes des résultats immédiats obtenus par les programmes (Braithwaite, 1980; Hodanish, 1976) pour inclure des facteurs dynamiques associés à l’obtention et au maintien d’un emploi.

Saylor et Gaes (1996) ont produit une des rares études explorant la situation en matière d’emploi dans la collectivité. Ils ont déclaré que les détenus ayant participé à des ateliers, à des programmes professionnels ou d’apprentissage, ou à une combinaison des deux, présentaient 24 % de plus de probabilité d’obtenir un emploi à l’occasion d’une libération conditionnelle, par rapport à un groupe témoin correspondant.

Par contre, Markley, Flynn et Bercaw-Dooen (1983), dans une étude sur les emplois obtenus par un échantillon de détenus ayant suivi une formation professionnelle, n’ont décelé aucun effet de la formation dans le groupe expérimental, par rapport à un groupe témoin assorti sur le plan de l’âge, du sexe, de la race, de l’éducation et du niveau de compétences avant la formation. Plus particulièrement, les détenus ayant reçu une formation professionnelle n’étaient pas différents du groupe témoin sur le plan de l’«indice de réussite», qui mesurait les mois d’emploi par année ainsi que les gains annuels obtenus pendant la libération. Toutefois, il importe de souligner que l’«indice de réussite» utilisé par les auteurs pour évaluer les résultats représente une importante contribution aux études sur l’emploi.

Lipsey (1995) a aussi traité de la relation entre l’efficacité du traitement et divers résultats autres que la délinquance. Dans son analyse, il a examiné les effets globaux du traitement sur les résultats suivants : aspect psychologique (p. ex., attitudes, estime de soi), adaptation interpersonnelle (p. ex., relations avec les pairs ou la famille), participation à l’école (p. ex., présence, décrochage), rendement des études (p. ex., notes obtenues, tests de réalisation) et rendement professionnel (p. ex., situation de l’emploi, salaires). On a calculé un «taux de succès» global en fractionnant chacune des mesures des résultats à la médiane, puis comparé les groupes de traitement et témoins selon leur atteinte de la valeur médiane minimale des résultats (c’est-à-dire, leurs taux de succès relatif). Tout comme pour les résultats en matière de délinquance, on a découvert des effets positifs du traitement sur chacun des autres résultats, et l’amélioration oscillait entre 10 et 30 %. On a constaté un effet moyen de 10 % pour la réalisation professionnelle dans les études (n = 44) explorées par Lipsey.

De plus, nous devons établir non seulement si un(e) détenu(e) a un emploi, mais également si celui-ci est lucratif. Un projet permanent de la Direction de la recherche vise actuellement à explorer ces questions dans une étude communautaire sur l’emploi des détenus (voir Gillis, 1998).

Résultats ultimes

Bien que la récidive soit un important critère à examiner, elle ne doit pas servir comme seule mesure de l’efficacité des programmes, surtout dans le contexte de l’emploi (Hodanish, 1976). En outre, Ryan (1998) remet sérieusement en question la fiabilité des statistiques sur la récidive comme mesures de critères, et fait valoir qu’il ne faut pas se fier uniquement à cette méthode.

Tel qu’indiqué précédemment, il existe très peu d’études bien contrôlées d’impacts de l’emploi sur la récidive, mais les interventions globales en matière d’emploi s’annoncent prometteuses pour réduire la récidive (Pearson & Lipton, 1999). Saylor et Gaes (1996) ont fourni une des meilleures études contrôlées dans leur évaluation prospective de l’impact de l’emploi en établissement et de la formation professionnelle sur le rendement postlibératoire des détenus. Le groupe à l’étude comprenait des détenus ayant participé à des ateliers pénitentiaires (57 %), possédant une expérience à la fois industrielle et professionnelle (19 %) et ayant suivi une formation professionnelle et (ou) d’apprentissage (24 %). L’étude comprenait également un échantillon de référence assorti sur le plan statistique des détenus libérés pendant le même trimestre que le groupe de l’emploi. Un suivi à long terme (de 8 à 12 ans) a fourni des renseignements importants au sujet de l’impact de la formation sur la récidive postlibératoire.

L’étude examinait non seulement la réincarcération dans un établissement fédéral (soit pour une nouvelle infraction, soit pour la révocation d’une forme de liberté sous surveillance), mais également le temps passé dans la collectivité jusqu’au renvoi en détention. Les hommes ayant participé aux ateliers pénitentiaires ont survécu dans la collectivité 20 % plus longtemps que les membres d’un groupe de référence, et le groupe de formation professionnelle ou d’apprentissage a duré 28 % plus longtemps. Certes, les résultats obtenus pour le groupe d’emploi et de formation n’étaient pas statistiquement significatifs, mais la même tendance a été relevée. Saylor et Gaes suggèrent d’examiner d’autres variables liées à l’emploi pour déterminer leur impact sur l’adaptation en collectivité à la suite d’une libération.

Sommaire

La présente section soulignait l’importance de tenir compte de nombreux facteurs qui influent sur la capacité d’un programme à susciter un changement chez les détenus. Les caractéristiques d’un détenu, y compris le risque de récidive, l’intensité des besoins manifestés et la réceptivité au traitement sont d’importants facteurs à envisager en combinaison avec les actuelles caractéristiques du traitement. L’évaluation des programmes doit comprendre des mesures intermédiaires d’efficacité de ceux-ci, en accordant une faible importance à la présence d’un emploi dans la collectivité comme mesure des résultats pertinents.

MODÈLE THÉORIQUE

La nécessité d’adopter un modèle théorique intégrée à l’égard de l’emploi est incontestable. Avant d’élaborer et d’appliquer des programmes efficaces, il faut d’abord comprendre les divers facteurs et les processus qui concourent à déterminer le potentiel de réinsertion sociale et la stabilité de l’emploi chez le délinquant dans la collectivité.

Comme nous l’avons déjà vu, nombre des études menées jusqu’ici ont examiné l’emploi principalement en fonction de la récidive, une approche qui fait abstraction d’importants résultats immédiats. L’examen d’objectifs intermédiaires est essentielle pour plusieurs raisons. D’abord, de nombreux programmes d’emploi favorisent l’acquisition de compétences spécialisées, mais souvent, les perspectives d’emploi dans la collectivité ne correspondent pas à la formation reçue en établissement. Ensuite, en mesurant l’efficacité d’un programme en fonction de la récidive seulement, les chercheurs négligent d’autres avantages éventuels de la participation au programme, tels que l’obtention et le maintien d’un emploi et l’adoption progressive d’un comporte-ment prosocial (Gillis, 1998; Ryan, 1998). Toutefois, une réinsertion sociale «sans risque» des délinquants demeure l’objectif primordial de la prestation des programmes et elle doit être un élément essentiel de tout modèle théorique de l’emploi qui se veut complet.

Un nouveau modèle théorique pour prévoir la stabilité de l’emploi vient d’être formulé (Gillis, 1998). Il s’agit en fait de l’adaptation d’un modèle théorique de la prévision du comporte-ment criminel (voir Gillis, 1997), qui se fonde sur une perspective d’apprentissage social et de cognition et qui incorpore des éléments des modèles proposés par Andrews et Bonta (Andrews, 1982, 1995; Andrews & Bonta, 1998) et par Ajzen (1985; Ajzen & Fishbein, 1980; Fishbein & Ajzen, 1975). En outre, le nouveau modèle comprend les facteurs de risque qui se sont révélés les meilleurs prédicteurs de la récidive.

Le modèle du Renforcement personnel, interpersonnel et communautaire (RPIC; Andrews, 1982, 1995; Andrews & Bonta, 1998), a été élaboré pour tenir compte des facteurs qui favorisent la criminalité ou qui en réduisent le risque. Il se fonde sur une perspective d’apprentissage social pour cerner l’interaction entre différents groupes de facteurs : a) les facteurs qui dépendent de la volonté de la personne, qui découlent essentiellement de ses attitudes, de ses valeurs, de ses croyances et de sa personnalité, et sur lesquels la personne exerce un contrôle, au moyen de l’autodiscipline et de la cognition; b) les facteurs qui dépendent des relations interpersonnelles et qui se manifestent par l’influence d’autrui, c’est-à-dire l’influence des fréquentations et du milieu social de la personne, qui lui servent d’exemples qui approuvent sa conduite, etc.; et c) les facteurs qui, pour le délinquant, deviennent des récompenses immédiates en vertu de ses expériences antérieures. Ces facteurs immédiats, eux-mêmes en interaction avec des facteurs contextuels plus lointains, tels que l’influence du quartier, déterminent la perception qu’a le délinquant des conséquences et récompenses du comportement criminel. Dans le modèle, le RPIC emprunte de la théorie du comportement planifié en utilisant sa démarche et en appliquant les divers concepts pour la prévision de la situation de l’emploi. L’enchaînement de causalité pose comme hypothèse que les croyances pertinentes contribuent aux attitudes, aux frequentations et l’auto-efficacité. L’intention modère l’incidence des attitudes, des fréquentations et de l’auto-efficacité. Pour les besoins de cette étude, le modèle a été modifié de façon à prévoir la stabilité de l’emploi chez les délinquants libérés sous condition, en y incorporant les éléments pertinents pour ce qui est des attitudes et des croyances relatives à l’emploi.

Pour l’étude sur la stabilité de l’emploi, la collecte des données s’est faite en deux étapes, dont la première a pris fin avant les essais, en septembre 1999, et la seconde, après les essais, en mars 2000. Jusqu’ici, nous avons examiné les facteurs qui favorisent la stabilité de l’emploi, mais nous avons l’intention de poursuivre la recherche pour évaluer l’incidence à long terme de cette stabilité sur la réinsertion sociale. Au bout du compte, nous aurons donc étudié les résultats à court et à long terme de l’obtention et du maintien d’un emploi dans la collectivité.

La présente recherche sur l’emploi dans la collectivité permettra aussi de dresser une liste de vérification rapide des facteurs de réussite de la réinsertion sociale qui se sont révélés les plus déterminants. Les agents de libération conditionnelle pourront consulter cette liste en conjonction avec les facteurs de risque relatifs à l’emploi afin d’évaluer le rendement des délinquants ayant des besoins en matière d’emploi.

De plus, nous examinerons non seulement les lacunes statiques, mais aussi les facteurs dynamiques relatifs à l’emploi chez les délinquants. En plus de contribuer à l’avancement des méthodes d’évaluation de l’emploi, cette stratégie permettra de nous appliquer à nouveau à cerner les compétences et les qualités relatives à l’emploi qui aident les délinquants à se réadapter à la vie dans la collectivité.

INNOVATIONS ET ORIENTATIONS FUTURES

Il ne fait aucun doute que nous assistons à un regain d’intérêt pour la recherche sur l’emploi en tant que facteur important de la réinsertion sociale en toute sécurité des délinquants. Cependant, l’étude systématique de l’emploi en tant que facteur de risque et de besoins en est encore à ses débuts. Nous savons à présent que l’emploi a une incidence décisive sur les résultats de la mise en liberté, mais nous commençons à peine à définir les facteurs et les processus qui concourent à la réussite des délinquants dans la collectivité, pour ce qui est d’obtenir et de maintenir un emploi et de réintégrer la société.

Cette situation est représentative de l’état de l’évaluation du risque et des besoins dans le système correctionnel. Nous avons une bonne compréhension du risque, mais nous continuons sans cesse d’enrichir nos connaissances pour étendre notre savoir et accroître notre capacité d’intervenir afin de réduire les besoins criminogènes des délinquants, dont les besoins relatifs à l’emploi. Ceux-ci constituent donc un champ d’étude important. Quand nous aurons une meilleure connaissance des mécanismes et des processus qui conditionnent la stabilité de l’emploi, nous serons en mesure d’élaborer des stratégies d’intervention en établissement et dans la collectivité. Une fois ces connaissances acquises, nous pourrons nous consacrer aussi à l’étude de la réceptivité des délinquants aux interventions, notamment selon le sexe, l’appartenance ethnique, la motivation et les différents modes d’apprentissage, autant de questions auxquelles la recherche correctionnelle s’est peu intéressée jusqu’ici.

La Direction de la recherche, SCC, élabore actuellement un projet qui portera sur les antécédents d’emploi et les expériences professionnelles des détenues depuis leur libération. Cette recherche évaluera les principaux intérêts en matière d’emploi chez les femmes, ainsi que les programmes de formation et d’emploi qu’elles trouveraient utiles. Il est important de mentionner que l’étude évaluera les obstacles à l’obtention et au maintien d’un emploi, selon la perception des femmes en libération conditionnelle. De plus, les agents de libération conditionnelle seront invités à répondre à une enquête visant à comprendre leur perspective au sujet des besoins en matière d’emploi chez les femmes et de la formation requise. À la longue, l’information servira à guider les stratégies de formation professionnelle ainsi que les programmes de préparation à l’emploi présentés dans les établissements et la collectivité, à l’intention des détenues en libération conditionnelle (Gillis, 1999).

Conformément aux propositions formulées par le Groupe de travail sur l’emploi, une stratégie intégrée pour les interventions relatives à l’emploi en établissement et dans la collectivité s’impose. En particulier, étant donné le soutien empirique accordé à l’efficacité d’une intervention dans la collectivité par opposition au traitement en établissement, nous proposons d’insister davantage sur une intervention d’emploi au moment de la libération conditionnelle. De plus, conformément aux conclusions méta-analytiques sur l’efficacité des programmes, nous préconisons d’élaborer un programme intensif sur les compétences d’emploi cognitivocomportementales et de l’offrir aux détenus manifestant des besoins en matière d’emploi. Un tel programme comprendrait l’acquisition de compétences dans les interactions quotidiennes avec les pairs et les collègues et viserait à augmenter l’efficacité professionnelle des détenus, en plus de leur faire acquérir des connaissances liées à l’emploi (p. ex., des attitudes et comportements positifs devant le travail), définies par les employeurs canadiens comme indispensables à un bon rendement professionnel. Le programme offrirait divers niveaux d’intervention, de sorte que des détenus ayant différents besoins d’emploi pourraient l’aborder à des étapes différentes, conformément au principe du risque et au concept des étapes du changement. Il importe aussi de signaler que ce programme offrirait des possibilités de placement professionnel, une surveillance et un encadrement intenses de la part d’un conseiller compétent en matière d’emploi. Il faudrait également prévoir la disponibilité de types particuliers d’emplois surle marché du travail, car la recherche a montré que les emplois traditionnellement recherchés par les détenus (p. ex., les tâches manuelles et (ou) non spécialisées) ne sont plus aussi abondants que par le passé (Simon, 1999).

En outre, l’orientation et l’évaluation de l’efficacité des pro-grammes doivent se baser sur une composante appropriée d’évaluation. Toutes les futures stratégies d’intervention en matière d’emploi doivent comprendre une évaluation fournissant une rétroaction sur l’efficacité des programmes par rapport aux objectifs (p. ex., connaissance accrue, obtention et maintien d’un emploi et autres indicateurs d’une adaptation dans la collectivité).

Finalement, nous avons toutes les raisons de croire que la recherche actuelle et les mesures d’intervention auprès des délinquants ayant des besoins en matière d’emploi, nous permettront de recueillir des données utiles avec lesquelles nous pourrons élaborer une stratégie d’emploi complète et systématique.


1 Service correctionnel du Canada

2 Voir Andrews, Bonta & Hoge, 1990; Andrews & Bonta, 1998 pour un exposé sur les principes du risque et des besoins.

3 Voir Andrews & Bonta, 1998, pour un examen du débat sur l’efficacité du traitement.

4 Pour de plus amples détails sur la réceptivité, voir le chapitre 5, La réceptivité au traitement : Réduire la récidive par des traitements plus efficaces, par Sharon Kennedy.


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