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Approche intégrée et axée sur les femmes pour le traitement du trouble de la personnalité limite

Jennifer A. Boisvert1
établissement d'Edmonton pour femmes, Service correctionnel du Canada

Pour les psychologues correctionnels qui, en milieu carcéral, traitent les délinquantes ayant reçu un diagnostic de trouble de la personnalité limite (TPL), le défi consiste à utiliser une approche qui soit sensible aux caractéristiques et aux besoins des délinquantes et qui permette en même temps de s'attaquer de façon efficace et globale aux symptômes du TPL et à la comorbidité. La nature sexuée et multidimensionnelle du TPL justifie le recours à une méthode thérapeutique brève qui est intégrée et axée sur les femmes. Cet article présente un exemple illustrant comment l'utilisation de ce genre de méthode dans le cadre d'une brève thérapie individuelle permet de traiter de façon efficace et holistique les symptômes du TPL et les diagnostics de comorbidité tout en tenant compte de la réalité culturelle des délinquantes. On trouvera à la fin de l'article des conclusions et des suggestions quant à l'orientation à donner aux futures recherches.

Introduction

Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux2 définit le TPL comme un mode général d'instabilité des relations interpersonnelles, de l'image de soi et des affects avec une impulsivité marquée qui perturbe la vie quotidienne. Il est manifeste que ce trouble affecte surtout l'un des deux sexes; ce sont principalement les femmes (environ 75 % des cas) qui reçoivent un diagnostic de TPL. Voici quelques caractéristiques du TPL : abandons des autres réels ou imaginés; relations personnelles intenses caractérisées par l'idéalisation et la dévalorisation; impulsivité exprimée par la toxicomanie; pensées ou comportements suicidaires; colères intenses. Le TPL s'accompagne souvent de diagnostics psychologiques de trouble de stress post-traumatique, de trouble dépressif majeur et de trouble de la dépendance à l'égard des substances.

Traitement

L'issue du traitement peut varier selon des facteurs comme l'appariement du style et du mode de thérapie à la personnalité et au style d'apprentissage de la délinquante (la réceptivité), et l'appariement de l'intensité des interventions au niveau de risque que présente la délinquante. Les psychologues correctionnels qui traitent les délinquantes atteintes du TPL doivent tout spécialement trouver le moyen d'offrir les services psychologiques en tenant compte des ressources de l'établissement et en répondant aux besoins personnels, psychologiques et correctionnels des délinquantes. Les interventions correctionnelles efficaces auprès des délinquantes sont caractérisées par certains éléments et guidées par certains principes : approche cognitivo-comportementale; apprentissage de l'autonomie et approche connexionniste; interventions multidimensionnelles avec fondements théoriques; critères de sélection de stratégies thérapeutiques spécifiques; prise en compte des besoins des femmes et sensibilité aux différences culturelles3.

Interventions intégrées et axées sur les femmes

Bien que les travaux sur les délinquantes comportent des articles sur des programmes de traitement innovateurs qui visent les caractéristiques du TPL, il y a peu d'ouvrages qui portent expressément sur les interventions qui ciblent les caractéristiques du TPL et les diagnostics qui y sont associés. Il semble donc y avoir une lacune à cet égard. En conséquence, nous présentons ici une méthode intégrée et axée sur les femmes qui permet de rendre le traitement plus efficace en l'adaptant aux caractéristiques personnelles des délinquantes, à leurs besoins propres et à leur réalité culturelle. Il ne s'agit pas de faire un examen complet des traitements du TPL. Nous nous concentrons seulement sur une intervention intégrée et axée sur les femmes qui fait appel à la Thérapie comportementale dialectique (TCD), comme méthode principale, et à l'écriture thérapeutique (la cliente écrit des lettres entre les séances) comme stratégie complémentaire dans le cadre d'une thérapie individuelle brève.

La TCD est une thérapie cognitivo-comportementale de portée générale élaborée spécialement pour le TPL; un de ses éléments de base est l'enseignement d'habiletés psychosociales4. Cette formation améliore les relations interpersonnelles et l'adaptation affective de la cliente. Voici certaines des compétences enseignées aux clientes : 1) contact avec soi - trouver l'équilibre entre leurs pensées logiques et affectives par l'observation objective de situations, la fixation sur le moment présent et l'efficacité; 2) efficacité interpersonnelle - remettre en question leurs attentes négatives à propos de leurs relations et d'elles-mêmes en se demandant ce qu'elles veulent vraiment, en apprenant à dire non et à faire face aux conflits interpersonnels; 3) régulation des émotions - apprendre à cerner leurs émotions et à les exprimer de façon appropriée, à diminuer les facteurs de stress émotionnel et à augmenter les émotions positives; 4) tolérance à la détresse - apprendre à tolérer les crises et à y faire face en se distrayant et en relaxant, en pesant le pour et le contre, et en modifiant les situations.

écriture thérapeutique

L'écriture thérapeutique est une stratégie qui repose sur la thérapie du récit et la thérapie féministe. Dans la thérapie du récit, les clientes écrivent leur propre histoire en fonction de leurs propres perceptions. Selon cette thérapie, l'écriture facilite le changement chez les clientes en leur faisant analyser leurs expériences et exprimer leurs émotions et en augmentant leur conscience de soi5. D'après la thérapie féministe, l'écriture thérapeutique peut s'avérer un outil puissant pour aider les femmes qui ont été victimes de violence sexuelle à analyser leurs expériences et à exprimer leurs émotions de façon sûre, à augmenter leur estime de soi et l'empathie à leur égard, et à développer un sentiment d'auto-suffisance6. L'écriture thérapeutique peut aider les clientes à reprendre leur vie en main, car elle leur permet de rompre le silence dans lequel elles vivent en gardant secrètes leurs expériences de violence ou de négligence. Elle peut aussi aider une cliente à découvrir sa « voix » et lui donner l'occasion de réfléchir avant de prendre contact avec les membres de sa famille qui l'ont négligée ou violentée ou avec qui elle a des conflits interpersonnels. Bien que l'écriture en groupe et fondée sur le processus ait déjà été utilisée dans des établissements correctionnels pour femmes et se soit avérée favorable à la croissance personnelle et à la guérison, une étude donne à penser que l'écriture thérapeutique peut également être efficace dans le cadre d'une thérapie individuelle7.

L'exemple qui suit est typique des situations que les psychologues correctionnels peuvent rencontrer dans un établissement correctionnel pour femmes. Cet exemple est fondé sur une rencontre thérapeutique réelle avec une délinquante souffrant du TPL. L'intervention utilisée est une méthode intégrée axée sur les femmes dans le cadre d'une brève thérapie individuelle. La TCD était le traitement principal, et l'écriture thérapeutique servait de thérapie complémentaire d'un point de vue féministe.

Illustration à l'aide d'un cas

« Naomie » (un pseudonyme) était une jeune délinquante autochtone de 18 ans qui avait été accusée une nouvelle fois de trafic de drogues. Elle était incarcérée dans un établissement correctionnel de l'Ouest du Canada. Peu après son emprisonnement, elle avait été dirigée vers des services de counseling parce qu'elle était dépressive et avait des idées suicidaires. à son admission à l'établissement, elle avait déclaré avoir été victime de violence sexuelle de la part de son beau-père. Elle attribuait ses problèmes personnels aux conflits entre elle et sa mère, à sa consommation de drogues et d'alcool, et à ses infractions antérieures. Naomie a dit que sa mère l'avait « abandonnée » et négligée durant son enfance et son adolescence. Elle disait se sentir détachée de sa mère parce que celle-ci n'avait pas fait cesser la violence sexuelle et en avait rejeté la responsabilité sur sa fille.

Naomie a commencé à consommer des drogues et de l'alcool pour oublier la violence sexuelle dont elle était victime et l'absence de soutien de la part de sa mère. On a diagnostiqué qu'elle souffrait du TPL; elle en présentait d'ailleurs des caractéristiques notables : conviction d'avoir été abandonnée, idéalisation et dévalorisation des autres (sa mère), impulsivité dans le domaine de la toxicomanie et colère intense.

Le premier objectif du traitement offert à Naomie était d'améliorer ses communications avec sa mère et d'augmenter son sentiment de soutien social de façon générale. Dans le cadre de la TCD, Naomie a travaillé à acquérir des habiletés sociales relativement à sa relation avec sa mère, à augmenter sa capacité de se créer un réseau de soutien et à tendre vers l'autonomie. Elle a appris à cerner les principaux schèmes liés à la dépression et aux idées suicidaires, à les analyser et à les remettre en question, par rapport à la violence subie dans le passé, à sa relation actuelle avec sa mère et à l'objectif de mettre fin au cercle vicieux de ses dépendances et de ses comportements criminels. Naomie en est venue à voir les liens entre les conflits avec sa mère, ses symptômes de dépression et ses comportements impulsifs et autodestructeurs. Elle a pu se pencher aussi sur le sentiment qu'elle avait de ne posséder aucune qualité et d'être inefficace sur le plan social.

On a eu recours à l'écriture thérapeutique, d'un point de vue féministe, pour aider Naomie à rétablir le lien avec elle-même et avec sa mère. En écrivant des lettres pour elle-même après les séances de thérapie, elle pouvait exprimer les pensées et les idées qui lui étaient venues durant les séances. On l'encourageait à se reporter à ces renseignements pour l'aider à contrer ses pensées « noir ou blanc » et ses émotions négatives. L'écriture de lettres (non envoyées) à sa mère a aidé Naomie à analyser les sentiments de colère et de trahison qui étaient associés à ses expériences de violence et d'abandon. Pour Naomie, l'écriture thérapeutique a été le point de départ de discussions avec sa mère et de la résolution de ses conflits avec elle. Par le processus de l'écriture, Naomie a découvert sa « voix » et, ce faisant, a développé de l'empathie à son égard et à l'égard de sa mère. Elle a pu voir ses expériences de violence et d'abandon dans une nouvelle perspective (recadrage) et en est arrivée à constater qu'elle pourrait recevoir de l'affection et du soutien de la part de la personne (sa mère) par qui elle s'était sentie le plus trahie. Invoquant la tradition autochtone du conte, on l'a encouragée à envisager les avantages qu'il y aurait à raconter son histoire d'une autre façon, qui serait sans danger sur le plan affectif, comme dans un cercle de partage.

Le deuxième objectif du traitement était d'aider Naomie à mettre un terme au cycle de ses dépendances et de ses comportements criminels. Dans le cadre de la TCD, Naomie a été informée des conséquences éventuelles de sa consommation de drogues et d'alcool sur son corps, son esprit et son âme. Ce dernier élément présentait un intérêt tout particulier pour elle, compte tenu de son patrimoine autochtone. Elle a appris des stratégies pour gérer le stress, la colère et les crises et l'aider à envisager des façons plus saines de réagir au stress et à la colère et à avoir une plus forte tolérance à la détresse. Grâce à des exercices de réflexion conséquentielle, Naomie s'est rendu compte que ses dépendances l'entraînaient vers des comportements criminels. Elle voyait mieux comment ses sentiments de douleur et de colère agissaient comme précurseurs de la consommation de drogues et d'alcool et de la criminalité subséquente.

Naomie a déclaré que l'amélioration des communications avec sa mère était attribuable aux habiletés psychosociales qu'elle avait acquises et à l'écriture thérapeutique. Elle a reconnu que la TCD en général, et l'écriture thérapeutique fondée sur le féminisme en particulier, l'avaient aidée à acquérir les compétences dont elle avait besoin pour résoudre les conflits avec sa mère et améliorer sa vie. Elle se disait de meilleure humeur, plus apte à gérer ses émotions et consciente des facteurs de risque liés à la consommation de substances et à la récidive. Elle avait l'intention de continuer à appliquer ce qu'elle avait appris en thérapie pour améliorer encore davantage sa qualité de vie.

Conclusion

Comme il est illustré ci-dessus, les psychologues correctionnels qui traitent les délinquantes souffrant du TPL peuvent envisager d'avoir recours à une méthode intégrée et axée sur les femmes, qui leur permettra à la fois de tenir compte des ressources de l'établissement et de répondre aux besoins personnels, psychologiques et correctionnels des délinquantes. L'avantage de cette approche est qu'elle convient bien à la nature sexuée et multidimensionnelle du TPL. Un autre avantage est qu'elle permet de traiter les diagnostics de comorbidité et de tenir compte de la réalité culturelle des clientes. Dans les pratiques et les recherches futures, on pourrait se donner pour objectif d'établir l'efficacité des méthodes de traitement intégrées ou axées sur les femmes qui permettent de tenir compte des besoins spéciaux et de la réalité culturelle et sociale des délinquantes atteintes du TPL ou d'un autre trouble de la personnalité8.


1 11151-178th Street, Edmonton (Alberta) T5S 2H9 ; Department of Psychology, University of Regina, Regina (Saskatchewan) S4S 0A2.

2 AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION. « Diagnostic and statistical manual of mental disorders », 4e éd., révision, Washington, DC, chez l'auteur, 2000.

3 SERIN, R. C. « Psychological intervention in corrections », dans Forensic psychology: Policy and practice in corrections, sous la direction de T. A. Leis et L. L. Motiuk (p. 36 à 40), Ottawa, Ontario, Service correctionnel du Canada, 1995. Voir aussi BLOOM, B. « Les programmes conçus spécialement pour les délinquantes : Principes directeurs et pratiques », Forum - Recherche sur l'actualité correctionnelle, vol. 11, no 3, 1999, p. 22 à 26.

4 LINEHAN, M. M. « Cognitive behavioral therapy for borderline personality disorder », New York, NY, Guilford Press, 1993.

5 PAYNE, M. « Narrative therapy: An introduction for counsellors », Thousand Oaks, CA, Sage, 2000.

6 LEPINE, D. « Ending the cycle of violence: Overcoming guild in incest survivors », dans Healing voices: Feminist approaches to therapy with women, sous la direction de T. Laidlaw et C. Malmo (p. 272 à 287), San Francisco, CA, Jossey-Bass, 1990.

7 STINO, Z. H. et PALMER, B. C. « Improving self-esteem of women offenders through process-based writing in a learning circle: An exploratory study », Journal of Correction Education, vol. 49, 1998, p. 142 à 151.

8 STRAUSS, S. M. et FALKIN, G. P. « Social support systems of women offenders who use drugs: Afocus on the mother-daughter relationship », American Journal of Alcohol Abuse, vol. 27, 2001, p. 65 à 89.


Rapports de recherche déjà publiés

R-111

évaluation des besoins dans la collectivité des délinquants Métis du Manitoba
Date de publication : 09/2001
Par Manitoba Métis Federation

R-112

Points tournants : étude des facteurs associaés à la réinsertion sociales réussie de délinquants autochtones
Date de publication : 09/2001
Par D. Heckbert et D. Turkington

R-113

Les conséquences de démembrement de la famille sur les détenus autochtones et non autochtones
Date de publication : 09/2001
Par S. Trevethan, S. Auger, J. Moore, M. MacDonald et J. Sinclair

R-114

Une analyse des cas d'agression sexuelle lors d'une prise d'otoge ou d'une séquestration
Date de publication : 08/2002
Par D. Mailloux et R. Serin