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Prédicteurs dynamiques du risque chez les femmes purgeant une peine fédérale dans la collectivité

Moira A. Law1
Centre d’études sur la justice pénale, Université du Nouveau-Brunswick, Saint John

Le nombre d’études sur les prévisions concernant les délinquantes a augmenté considérablement au cours des 25 dernières années. Plus récemment, c’est l’analyse des prédicteurs dynamiques du risque qui a été à la fine pointe de la recherche dans ce domaine 2. Les prédicteurs dynamiques du risque (p. ex. les problèmes de toxicomanie) se distinguent des prédicteurs statiques traditionnels (p. ex. l’âge à la première arrestation) en ce qu’ils sont des « facteurs » malléables, dont le changement entraîne une diminution des risques de comportements criminels futurs3. Les chercheurs évaluent ce changement en mesurant à plusieurs reprises les liens entre les variables prédictives et les résultats, comme l’adaptation à la collectivité. Ces prédicteurs dynamiques ne servent pas seulement d’indicateurs de l’adaptation à la collectivité, mais constituent en même temps des cibles ou objectifs concrets qui permettent d’augmenter l’efficacité des services de traitement.

Jusqu’ici, on a démontré la validité prédictive constante de plusieurs facteurs criminogènes chez les délinquants de sexe masculin : attitudes criminelles, fréquentation de criminels, problèmes liés à l’éducation, emploi, toxicomanie, relations conjugales et familiales, fréquentations et interactions sociales/soutien social, conditions de logement et orientation personnelle et affective4. Il y a présentement de nombreuses preuves qui indiquent que beaucoup de ces prédicteurs dynamiques du risque peuvent s’appliquer également aux délinquantes5. Il reste toutefois certains éléments de controverse : on n’a pas encore déterminé de façon catégorique lesquels de ces facteurs sont les plus importants6 chez les délinquantes et si ces facteurs sont aussi importants chez les délinquantes que chez les délinquants7.

L’étude

L’étude dont il est question ici portait sur le changement dans les facteurs criminogènes de 497 femmes purgeant une peine de ressort fédéral dans la collectivité et la relation entre ces facteurs et leur adaptation future. Les sept catégories de besoins de l’Échelle d’intervention dans la collectivité (EIC) — fréquentations, attitudes, comportement dans la collectivité, emploi, relations conjugales/familiales, orientation personnelle/affective, et toxicomanie — ont été utilisées comme prédicteurs dynamiques du risque pour cette enquête. Les mesures de l’adaptation à la collectivité ont été codées à partir des dossiers du Centre d’information de la police canadienne (CIPC), qui fournissent des données officielles sur la récidive. Les nouvelles condamnations sans violence ont été définies comme les condamnations pour toute nouvelle infraction de nature générale, par exemple le vol ou la fraude. Les nouvelles condamnations avec violence ont été définies comme toute nouvelle condamnation pour un crime contre la personne, par exemple les voies de fait ou le vol qualifié.

L’échantillon

L’âge moyen des femmes constituant l’échantillon, au moment de l’étude, était de 36,8 ans (n = 497, ET = 8,7), l’intervalle s’étendant de 20,6 ans à 68,9 ans. Plus de la moitié des délinquantes (61 %) étaient célibataires/ séparées/divorcées, et 33 % avaient un conjoint de fait ou étaient mariées (n = 497). L’échantillon (n = 497) était constitué en majorité de femmes blanches (57 %), et il y avait 19 % d’Autochtones. Les autres (8 %) appartenaient à un groupe minoritaire. La majorité des femmes avaient été condamnées pour une infraction contre les biens, comme le vol (60,6 %) et la fraude (39,8 %), les autres pour des infractions liées aux drogues (46,7 %). Les infractions violentes ayant le plus souvent donné lieu à une condamnation étaient les infractions liées aux armes (30,6 %), l’incendie criminel (20,7 %) et l’enlèvement (13,9 %); seule une poignée de femmes, comme à l’habitude, avaient déjà été condamnées pour voies de fait (4,8 %) ou meurtre (3 %).

Les résultats

La durée moyenne de la période de suivi des délinquantes dans la collectivité a été de 29 mois (ET = 16,6), l’intervalle s’étendant de cinq jours à six ans. Comme il fallait s’y attendre, la majorité des délinquantes qui ont été condamnées de nouveau l’ont été pour une infraction sans violence (85,1 %). Seule une faible proportion des délinquantes de l’échantillon ont eu des comportements violents après leur mise en liberté (moins de 5 %). Les condamnations pour vol (45,3 %), défaut de comparaître (29,5 %) et fraude (20 %) ont été les plus fréquentes. De tous les crimes avec violence, les voies de fait étaient les plus courantes (43 %), suivies des infractions liées aux armes (21 %) et du vol qualifié (21 %). Seule une délinquante de l’échantillon a été condamnée pour homicide involontaire coupable pendant sa liberté sous condition.

Moment des échecs

Les délinquantes ont été évaluées à chacune des quatre périodes suivantes : entre 0 et 6 mois (période 1), entre 6 et 12 mois (période 2), entre 12 et 18 mois (période 3), et entre 18 mois et 2 ans (période 4). Un certain nombre des délinquantes ont récidivé durant les quatre périodes, mais la majorité des femmes ont été réincarcérées dans les six mois qui ont suivi leur mise en liberté. Comme on pouvait le prévoir, 67 échecs sur 103 (65 %) sont survenus avant la deuxième évaluation (période 2).

Mesures dynamiques

L’écart moyen et l’écart type pour les sept variables dynamiques de l’Échelle d’intervention dans la collectivité ont révélé que les sept facteurs étaient associés à un niveau de besoins de moins en moins élevé au fil du temps. L’analyse a permis de confirmer l’existence d’un changement dynamique authentique dans les variables, puisqu’on a constaté un changement significatif dans toutes les catégories de besoins depuis la période 1 jusqu’à la période 4, sauf dans la variable de la toxicomanie. Il y a eu un changement significatif dans chaque variable à chaque période d’évaluation. Après avoir établi la nature dynamique des variables, nous avons examiné la prévision de deux mesures de résultats : la récidive générale et la récidive avec violence.

Corrélations

Le premier ensemble d’analyses de corrélation a montré qu’à l’évaluation initiale (période 1), quatre variables se sont avérées des prédicteurs efficaces de l’adaptation des délinquantes à la collectivité : les fréquentations, les attitudes antisociales, les relations familiales et la toxicomanie.

Réévaluations

Dans la série d’analyses suivante, nous avons examiné si la réévaluation des variables dynamiques montrait une amélioration de l’efficacité prédictive, en utilisant l’évaluation précédant immédiatement l’échec de la délinquante. Nous avons constaté une amélioration marquée de l’efficacité prédictive des sept mesures dynamiques par rapport aux résultats. Les variables qui avaient une faible efficacité prédictive au moment de la première évaluation présentaient maintenant une relation significative avec plusieurs des mesures de résultats. Ainsi, l’emploi, la toxicomanie, le comportement dans la collectivité et l’orientation personnelle/affective, qui n’avaient montré auparavant aucune association avec les résultats, présentaient maintenant une grande efficacité prédictive. De même, les variables qui s’étaient avérées des prédicteurs modérés à la première évaluation possédaient maintenant une efficacité prédictive encore plus grande, par exemple les relations familiales et les fréquentations. Fait intéressant, la variable des attitudes présentait une tendance opposée, c’est-à-dire une plus grande validité prédictive au moment de la première évaluation qu’à la dernière évaluation avant l’échec. Comme il fallait s’y attendre, la capacité de prévoir les infractions avec violence était limitée. Ce qui était imprévu, c’est que la toxicomanie (qui présentait une faible relation avec l’échec dans les analyses de corrélation précédentes) était l’une des deux seules variables qui permettaient de prévoir la récidive avec violence, l’autre étant les fréquentations de la délinquante.

Temps de survie

Nous avons ensuite examiné la relation entre les variables et le temps de survie des délinquantes dans la collectivité avant la récidive. Cinq des sept variables (n = 497) ont permis de prévoir de façon significative la période passée dans la collectivité avant l’échec (révocation ou récidive) (p<0,05) ; 8, les résultats de notre étude montrent que l’EIC est un outil pertinent et valable pour l’évaluation des délinquantes en liberté sous condition dans la collectivité. Les sept variables ont permis de prévoir le comportement futur. Quatre d’entre elles ont permis de prévoir de façon significative le comportement violent. En dernier ressort, notre étude a permis d’apporter une réponse directe aux deux éléments de controverse : si les prédicteurs dynamiques du risque sont pertinents dans le cas des délinquantes, et lesquels sont le plus importants. Elle a aussi apporté des éléments de réponse à une question litigieuse, à savoir que l’origine de la criminalité des femmes, par rapport à celle des hommes, et les interventions auxquelles on a recours avec les femmes sont complètement différentes. Bien sûr, notre étude n’exclut pas la contribution, validée de façon empirique, que d’autres variables pourraient apporter à la compréhension de la criminalité des femmes. Elle renforce toutefois la notion selon laquelle il y a des variables dynamiques qui permettent de prévoir l’adaptation à la collectivité à la fois chez les hommes et chez les femmes. À l’instar de Brown9, nous estimons que deux éléments sont prioritaires pour les délinquantes qui retournent dans la collectivité : trouver et conserver un emploi et se créer des réseaux (sains) de soutien.


1 Université du Nouveau-Brunswick, Hazen Hall 16, Centre d’études sur la justice pénale, C.P. 5050, Saint John (Nouveau-Brunswick) E2L 4A5

2 ANDREWS, D. et BONTA, J. The Psychology of Criminal Conduct, Cincinnati, OH, Anderson Publishing Co, 1994. Voir BROWN, S. « Prévision de la récidive criminelle au moyen de facteurs dynamiques : Étude prospective en trois phases 1995-2002 », thèse de doctorat, Queen’s University, Kingston, Ontario, 2002. Voir HANSON, K. et HARRIS, A. « Where do we intervene? Dynamic risk predictors of sexual offence recidivism », Criminal Justice and Behaviour, vol. 27, 2000, p. 6-35. Voir MOTIUK, L. « Profil des délinquants sous responsabilité fédérale en liberté sous condition », Forum — Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 10, no 2, 1998, p. 11 à 14. Voir QUINSEY, V., HARRIS, G., RICE, M. et CORMIER, C. Violent offenders: Appraising and managing risk, Washington, D.C., American Psychological Association, 1998. Voir également ZAMBLE, E. et QUINSEY, V. The process of criminal recidivism, Cambridge, R.-U., Cambridge University Press, 1997.

3 ANDREWS, D. et WORMITH, S. Sentiments criminels et comportement criminel, Rapport pour spécialistes, Direction des programmes, Ottawa, Ontario, ministère du Solliciteur général du Canada, 1984.

4 DOWDEN, C. et ANDREWS, D. « What Works for Female Offenders: A Meta-Analytic Review », Crime and Delinquency, vol. 45, no 4, 1999, p. 438 à 452. Voir GENDREAU, P, GOGGIN, C. et PAPAROZZI, M. « Principles for effective assessment for community corrections », Federal Probation, vol. 60, no 3, 1996, p. 64 à 70. Voir aussi SIMOURD, L. et ANDREWS, D. « Délinquance chez les hommes, délinquance chez les femmes — corrélation », Forum — Recherche sur l’actualité correctionnelle, vol. 6, no 1, 1994, p. 26 à 31.

5 Op. cit., ANDREWS et BONTA, 1994. Voir ANDREWS, D., ZINGER, I., HOGE, R., BONTA, J., GENDREAU, P. et CULLEN, F. « Does correctional treatment work? A psychologically informed meta-analysis », Criminology, vol. 28, 1990, p. 369 à 404. Voir op. cit., GENDREAU et al., 1996. Voir aussi LOSEL, F. « What do we learn from 400 Research Studies on the Effectiveness of Treatment with Juvenile Delinquents? », dans What Works: Reducing Reoffending, sous la direction de J. McGuire, 1995, p. 63 à 78, Chichester, Angleterre, John Wiley and Sons.

6 BLOOM, B. et COVINGTON, S. Gendered Justice: Programming for Women in Correctional Settings, document présenté à l’assemblée annuelle de l’American Society for Criminology, San Francisco, CA, 2000. Voir CHESNEY-LIND, M. « Girls’ Crime and Women’s Place: Towards a Feminist Model of Female delinquency », Crime and Delinquency, vol. 35, no 1, 1989, p. 5 à 29. Voir aussi KOONS, B., BURROW, J., MORASH, M. et BYNUM, T. « Expert and Offender Perceptions of Program Elements Linked to Successful Outcomes for Incarcerated Women », Crime and Delinquency, vol. 43, no 4, 1997, p. 512 à 532.

7 Op. cit., DOWDEN et ANDREWS, 1999; et SIMOURD et ANDREWS, 1994.

8 SHAW, M. Sondage auprès des femmes purgeant une peine d’une durée de plus de deux ans : rapport du Groupe d’étude sur le sondage effectué auprès des femmes purgeant une peine d’une durée de plus de deux ans en milieu carcéral, Ottawa, ministère du Solliciteur général du Canada, 1991.

9 Op. cit., BROWN, 2002.