En réhabilitation, l'approche « cognitive » est l'un des traitements
correctionnels les plus novateurs. Elle s'intéresse tout particulièrement au
raisonnement erroné qui semble à l'origine de la récidive. Le modèle
cognitif reconnaît chez les délinquants des insuffisances d'ordre cognitif -
incapacité d'apprécier le point de vue des autres, incapacité d'aborder les
difficultés interpersonnelles de manière positive en cherchant à résoudre
les problèmes, et l'incapacité de réfléchir avant d'agir. Le traitement
cognitif tente de développer chez les délinquants l'aptitude à la «
réflexion» qui peut les détourner de comportements criminels. Cette approche
semble très prometteuse dans le milieu correctionnel, car elle s'attaque directement aux modes
de penser qui sont vraisemblablement à l'origine du comportement criminel
répété. La recherche sur l'efficacité du modèle cognitif s'est
également avérée encourageante.
Au cours du premier semestre de 1989, le programme de développement des aptitudes cognitives,
qui se fonde sur les principes cognitifs élaborés par Robert Ross et Elizabeth Fabiano
dans leur livre Time to Think, a été mis à l'essai par le Service
correctionnel du Canada dans les régions de l'Atlantique et du Pacifique. À
l'instigation de la Direction de la formation générale et de l'épanouissement
personnel à l'Administration centrale, le programme a été lancé dans deux
centres communautaires (le Centre Carleton dans la région de l'Atlantique et la Maison Hobden
dans la région du Pacifique) ainsi que dans deux établissements pénitentiaires
(l'Établissement Mission dans la région du Pacifique et l'Établissement
Westmorland dans la région de l'Atlantique). Le personnel responsable des programmes pilotes a
bénéficié d'une période de formation intensive d'une durée de dix
jours dirigée par Elizabeth Fabiano de la Direction de la formation générale et
de l'épanouissement personnel.
Entre six et huit délinquants ont pu participer à des activités quotidiennes
dans le cadre de chaque programme d'une durée approximative de douze semaines. Trois des
quatre établissements ont offert le programme à deux reprises : une première
fois à l'hiver et une seconde au printemps 1989. Dans les quatre établissements,
cinquante délinquants ont été admis à ces programmes. Le fait que
seulement trois délinquants se soient retirés avant la fin donne une bonne idée
du succès du programme de développement des aptitudes cognitives.
Le programme se fonde sur des interactions de groupe où le personnel anime les séances
de formation préparées à l'intention des délinquants. Au cours des
séances, les délinquants disposent d'un certain temps pour évaluer leurs
comportements et ce qu'ils ont appris avec les autres participants. Certains exercices visent
l'acquisition d'habiletés; les délinquants apprennent à analyser
différentes situations et à résoudre des problèmes.
Le projet pilote comprenait une étude sur l'efficacité du programme de
développement des aptitudes cognitives, étude menée par la Direction de la
recherche. Avant le début des séances de formation, tous les participants au programme
se sont vu administrer une batterie de tests conçus pour évaluer leurs aptitudes
cognitives et leurs attitudes à l'égard de l'activité criminelle. À la
fin du programme, les délinquants ont été réévalués de
façon à ce que l'on puisse mesurer les progrès réalisés sur le
plan de leurs aptitudes cognitives. Les participants ont également rempli un questionnaire
d'évaluation portant sur l'expérience qu'ils venaient de vivre.
Les premiers résultats de cette étude se sont avérés extrêmement
prometteurs. Ils indiquaient une nette amélioration de plusieurs des aptitudes cognitives
visées par le programme. Après avoir suivi le programme de développement des
aptitudes cognitives, les participants semblaient davantage en mesure d'apprécier le point de
vue des autres. Les résultats d'un test sur leurs capacités conceptuelles indiquaient
que les délinquants étaient capables de raisonnements plus complexes sur des notions
telles que l'autorité, les règlements et la rétroaction. Ils étaient
également capables d'envisager un plus grand nombre de comportements possibles pour
résoudre des conflits inter-personnels.
Une analyse de leurs attitudes envers les autres a également révélé
que les délinquants avaient fait des progrès importants
en ce domaine et que leurs attitudes envers la société semblaient
plus bienveillantes. On a remarqué que les participants étalent
devenus moins négatifs envers la loi, les tribunaux et la police
après avoir suivi le programme. Dans des études antérieures,
on avait établi des liens entre ces changements positifs d'attitudes
et la réduction du risque de récidive.
Graphique 1
Les participants se sont dit très satisfaits du programme de développement des aptitudes
cognitives. Soixante-douze pour cent des participants qui ont répondu au questionnaire
d'évaluation trouvaient que ce programme « était meilleur que tous les autres
programmes » qu'ils connaissaient. Par ailleurs, 24% des participants ont déclaré
que le programme était « aussi bon que tous les autres programmes ». Environ trois
semaines après avoir suivi le programme, 97% des participants ont reconnu avoir utilisé
les aptitudes nouvellement acquises. Les réponses aux questions ouvertes révélaient
également que les délinquants considéraient que le contenu du programme avait un
rapport étroit avec leur vécu. D'après leurs commentaires, ils avaient retenu
plusieurs des concepts, élaborés au cours du programme et repéré un certain
nombre de situations concrètes dans lesquelles ils avaient amélioré leur
comportement suite à leur formation. Le tableau ci-après indique que plusieurs
délinquants reconnaissent s'être améliorés dans plusieurs domaines
traités dans le cadre du programme.
Le projet comportait également un élément de recherche : on voulait savoir si les
délinquants choisis pour participer au programme de développement des aptitudes cognitives
étaient de bons candidats. Plusieurs programmes sont critiqués parce qu'ils sont offerts
à des délinquants très motivés, avec lesquels il est facile de travailler et
qui ne sont pas susceptibles de récidiver, qu'ils participent ou non aux programmes. L'un des
objectifs du programme de développement des aptitudes cognitives était de s'assurer que la
formation serait offerte aux délinquants qui avaient le plus besoin de programmes correctionnels.
Les procédures de sélection élaborées à l'intention des agents de
gestion des cas permettaient de recruter pour ce programme des délinquants présentant des
insuffisances marquées dans leurs aptitudes cognitives.
Les résultats de plusieurs analyses ont révélé que les délinquants
qui ont participé au programme étaient effectivement ceux qui en avaient le plus besoin.
Les données émanant de Stratégies de gestion des cas et les résultats
obtenus avec la Formule de prévision statistique sur la récidive (PSR) indiquent que les
cours de développement des aptitudes cognitives ont été offerts aux
délinquants présentant des risques élevés de récidive après
leur mise en liberté. À titre d'exemple, seulement 5,6% des participants
évalués selon la PSR présentaient un risque «très raisonnable »
de récidive. En fait, 61% des participants évalués selon la PSR étaient
classés dans les catégories à risque « moyen à faible » ou
«faible ».
Les résultats de cette recherche se sont révélés très encourageants.
Tout semble indiquer que le programme de développement des aptitudes cognitives a
été offert aux candidats qui en avaient le plus besoin et que ceux qui y ont
participé ont fait des progrès significatifs dans leurs aptitudes cognitives et dans leurs
attitudes. Cependant, une question n'est toujours pas résolue le développement des
aptitudes cognitives peut-il contribuer à réduire la récidive?
Avant d'être en mesure de répondre à cette question, il faut attendre les
résultats d'une étude de suivi sur le comportement post-carcéral des
délinquants ayant participé au programme. La Direction de la recherche suit de près
cette question en examinant les taux de réussite des participants qui sont maintenant en
libération conditionnelle ou surveillance obligatoire. On s'attend que les participants au
programme de développement des aptitudes cognitives soient moins nombreux à
récidiver que les non-participants même si ces derniers présentaient un risque de
récidive comparable lors de leur élargissement. On prévoit également que les
délinquants ayant le plus modifié leurs aptitudes cognitives et leurs attitudes au cours
de leur formation auront davantage de facilité à se réadapter à la
communauté que les participants ayant fait des progrès moins marqués.
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