Environ 40 % des délinquants admis dans des établissements fédéraux de
l'Atlantique et des Prairies en 1989 et en 1990 avaient fait usage de cannabis dans les six mois
précédant leur arrestation et environ 23 % d'entre eux avaient fait usage de
cocaïne ou d'autres stimulants.
Ces chiffres et d'autres statistiques sur la consommation abusive d'alcool et de drogues ont
été rendus disponibles grâce à un projet pilote d'évaluation
informatisée des habitudes de vie, issu d'une collaboration entre la Direction de la recherche
et des statistiques et la Direction de la formation générale et de
l'épanouissement personnel du Service correctionnel du Canada. L'évaluation
informatisée des habitudes de vie permettra de recueillir une foule de données sur les
habitudes de consommation d'alcool et de drogues des délinquants et sur les liens qui existent
entre cette dépendance et le comportement criminel. Le projet d'évaluation des
habitudes de vie permettra également de concevoir une méthode d'évaluation qui
servira à orienter les détenus, dès leur arrivée, vers les
différents programmes de traitement de l'alcoolisme et de la toxicomanie.
Le projet utilise une méthode d'évaluation informatisée - les détenus
nouvellement admis répondent aux questions que leur pose un micro-ordinateur sur leur
consommation d'alcool et de drogues. Le principal avantage de la méthode informatisée
réside peut-être dans le fait que les détenus ont tendance à être
plus honnêtes en donnant leurs réponses à un ordinateur plutôt qu'à
un intervieweur. Le système informatisé réagit instantanément aux
réponses du délinquant et lui indique le degré de gravité de sa
dépendance à l'égard de l'alcool et des drogues. À la fin de la
séance, qui dure 90 minutes, le délinquant reçoit également un document
écrit lui donnant les résultats de l'enquête. Une copie spéciale du
rapport est également remise à l'agent de gestion des cas.
La grille d'évaluation des habitudes de vie s'intéresse à plusieurs
éléments relatifs à l'abus de l'alcool et des drogues, dont la nutrition, la
santé physique et mentale, le fonctionnement en famille et en société, les types
de comportement criminel et le degré de préparation à suivre un programme de
désintoxication.
Cet outil d'évaluation des habitudes de vie a été conçu par Harvey
Skinner, anciennement de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie. Le logiciel
d'évaluation devait d'abord être mis à la disposition des médecins de
famille. La Direction de la recherche et des statistiques du Service correctionnel du Canada a
adapté cet instrument d'évaluation informatisée afin de l'utiliser auprès
des délinquants. Le Drug Abuse Screening Test (DAST) et le Alcohol Dependence
Scale (ADS) sont les deux principaux éléments du système. Ces instruments de
mesure, tous deux conçus par Harvey Skinner, ont été souvent utilisés
dans des recherches sur l'abus de l'alcool et des drogues.
Au cours de 1989 et dans les premiers mois de 1990, deux établissements de la région
de l'Atlantique et un établissement de la région des Prairies ont mis le système
en place, à titre expérimental. Au cours de la phase d'orientation qui suit son
admission, tout nouveau détenu doit se soumettre à une évaluation de ses
habitudes de vie. Jusqu'à maintenant, le système n'a été utilisé
que pour les détenus de sexe masculin, mais il pourrait être utilisé aussi bien
pour les femmes. Mentionnons également que cet outil d'évaluation informatisée
des habitudes de vie sera bientôt disponible en français.
Voici quelques résultats des premières recherches menées auprès de 371
répondants des régions pilotes. Au fur et à mesure que les données
s'accumuleront, les travaux mettront l'accent sur les différents types de toxicomanie et
d'alcoodépendance de façon à faciliter le choix de programmes adaptés
à chaque cas. Le projet d'évaluation informatisée des habitudes de vie permettra
de constituer une base de données intéressantes pour l'évaluation permanente des
besoins des délinquants en matière de désintoxication. Cette base de
données enrichie permettra également d'explorer un certain nombre de questions
concernant les rapports existant entre l'alcoodépendance et la toxicomanie, d'une part, et la
criminalité, d'autre part.
La consommation de drogues
Cinquante-six pour cent des détenus interrogés ont déclaré
avoir consommé de la drogue au cours des six mois qui ont précédé
leur incarcération. Bon nombre de ces délinquants étaient
de gros consommateurs de drogues. En fait, 32 % de tous les délinquants
interrogés ont admis consommer des drogues illicites quelques fois
par semaine ou davantage. Comme l'indique le tableau 1, environ il % des
détenus nouvellement admis avaient consommé des drogues
chaque jour au cours des six mois qui ont précédé
leur arrestation et leur condamnation.
Graphique 1
Les produits du cannabis étaient les drogues illicites le plus souvent consommées -39,7 %
des répondants ont déclaré avoir pris ce genre de drogues au moins une fois au
cours des six mois qui ont précédé l'étude. Le tableau 2 fournit un
aperçu des types de drogues utilisées par les détenus avant leur arrestation.
Environ 17 % consommaient des dérivés du cannabis chaque jour ou presque chaque jour au
cours de cette même période. Les délinquants consommateurs de stimulants tels que la
cocaïne et les amphétamines étaient beaucoup moins nombreux -22,7 % que les
consommateurs de cannabis (39,7 %). Ces drogues étaient également utilisées moins
fréquemment que le cannabis - seulement 7,3 % des répondants prenaient des stimulants
chaque jour ou presque chaque jour. Fait intéressant, seulement 14 % ont déclaré
consommer des opiacés telles l'héroïne ou la codéine tandis que 17,3 % ont
déclaré consommer des tranquillisants et 10,8 % des sédatifs. Seulement 2,7 % des
détenus nouvellement admis ont déclaré avoir utilisé des inhalants (exemple:
des aérosols ou des solvants) au cours des six mois qui ont précédé leur
arrestation.
Environ 25 % des délinquants ayant subi le Drug Abuse Screening Test (DAST), un test
conçu pour évaluer la gravité de la toxicomanie, ont obtenu des résultats
les situant dans la catégorie d'une consommation modérée à intense. À
partir des renseignements sur les habitudes de consommation des détenus avant leur
dernière arrestation, 4,5 % d'entre eux ont été classés dans la
catégorie des personnes ayant de graves problèmes de toxicomanie et 9,6 % d'entre eux dans
la catégorie des personnes ayant des problèmes importants de toxicomanie.
Ces résultats nous révèlent l'existence de graves problèmes de drogue chez
les détenus des régions de l'Atlantique et de Prairies, mail il est possible que ces
problèmes soient encore plus prononcés dans les autres régions. Lynn Lightfoot et
David Hodgins de la Fondation de la recherche sur la toxicomanie ont mené une enquête
auprès de 275 détenus de la région de l'Ontario et ont découvert que la
proportion de détenus aux prises avec de graves problèmes de drogue était encore
plus considérable dans cette région. L'étude de Lightfoot et Hodgins auprès
de détenus qui s'étaient portés volontaires s'est déroulée entre 1984
et 1987. Soixante-trois pour cent des délinquants interrogés ont été
classés dans les catégories des personnes ayant des problèmes modérés
à prononcés découlant de l'abus d'alcool et de drogues. Un facteur qui peut
expliquer la forte incidence de problèmes reliés à la drogue au cours de cette
première enquête est la possibilité que les détenus ayant des
problèmes de drogue plus prononcés aient été plus intéressés
à participer à l'enquête et y aient effectivement participé en plus grand
nombre.
Graphique 2
Le consommation d'alcool
Quatre-vingt-cinq pour cent des personnes interrogées ont déclaré avoir
consommé de l'alcool au cours des six mois de la période étudiée. Ces
chiffres ne diffèrent pas beaucoup de la proportion de Canadiens s'étant
déclarés consommateurs d'alcool. L'Enquête nationale sur l'alcool et les autres
drogues réalisée par Santé et Bien-être social Canada indiquait que 78 %
des Canadiens avaient consommé de l'alcool au cours des 12 derniers mois.
Trente-cinq pour cent des délinquants ont déclaré consommer de l'alcool
quelques fois par semaine et même chaque jour et 17,6 % ont avoué faire la bombe au
moins une fois par semaine. L'expression faire la bombe signifie que le délinquant est
demeuré sous les effets de l'alcool pendant au moins deux jours d'affilée. On a
également noté avec intérêt que 49 % des délinquants avaient
déclaré avoir fait la bombe au moins une fois au cours des six derniers mois. Le
tableau 3 indique la fréquence de ce comportement chez les détenus
interrogés.
Les délinquants consomment souvent simultanément des drogues et de l'alcool. Environ
43 % des répondants ont déclaré avoir fait simultanément usage d'alcool
et de drogues au moins une fois au cours des six mois précédant leur arrestation.
Dix-neuf pour cent de ceux qui ont déclaré consommer de la drogue au moins une fois par
mois ont dit toujours consommer de l'alcool en même temps.
Graphique 3
L'enquête fournissait également des renseignements permettant d'évaluer la
gravité des problèmes reliés à l'alcool au sein de cette population. Environ
18 % des délinquants se sont retrouvés dans les catégories de
l'alcoodépendance modérée à grave sur l'échelle d'
alcoodépendance de Skinner (ADS). Ces résultats sont nettement inférieurs à
ceux auxquels étaient parvenus Lightfoot et Hodgins en utilisant le même outil
d'évaluation auprès de détenus de l'Ontario. On a estimé qu'environ 47 % des
détenus interrogés éprouvaient une dépendance allant de
modérée à forte à l'égard de l'alcool.
La consommation d'alcool et de drogues et le comportement criminel
Les chercheurs ne comprennent pas encore très bien les rapports qui existent entre la
consommation d'alcool et de drogues et l'activité criminelle de nombreuses questions
concernant les liens entre ces deux comportements demeurent sans réponse. Il est clair
cependant que consommation d'alcool et de drogues et comportement criminel vont souvent de pair.
Soixante-quatre pour cent des délinquants soumis à l'évaluation des habitudes
de vie avaient consommé de l'alcool ou d'autres drogues le jour où ils avaient commis
le crime à l'origine de la peine en cours. De plus, environ 60 % d'entre eux ont
prétendu être sous l'influence de l'alcool ou de la drogue au moment de l'une des
infractions à l'origine de leur peine d'emprisonnement en cours. Quatorze pour cent des
délinquants se trouvaient sous l'influence d'une drogue quelconque (habituellement la
cocaïne ou la marijuana), 18 % sous l'influence de l'alcool, et 28 % avaient
déclaré être sous l'influence conjuguée de l'alcool et de la drogue au
moment du crime.
Dans le but de réunir davantage de renseignements sur les liens qui existent entre l'usage de
l'alcool et de la drogue et le crime, l'ordinateur demandait aux délinquants de
préciser l'un des crimes qu'ils avaient commis alors qu'ils étaient sous l'influence de
l'alcool ou de la drogue et de fournir plus de détails sur les circonstances entourant ce
crime. Cette section de l'enquête fournit des renseignements importants sur les types de crime
commis sous l'influence de l'alcool ou des drogues.
D'après les réponses fournies, ce sont les crimes contre
les biens (incluant l'introduction par effraction, le vol et la possession
de biens volés) qui sont le plus fréquemment commis sous
l'influence de l'alcool ou des drogues. Le tableau 4 montre que près
de 34 % des crimes commis sous l'influence de l'alcool ou des drogues
sont des crimes contre les biens. Il est cependant important de noter
qu'une proportion importante de ces crimes sont des crimes avec violence
(28 %), entre autres des meurtres et des homicides involontaires, des
infractions armées, des voies de fait et des infractions sexuelles.
Les vols qualifiés sont responsables d'un autre 22 % des crimes.
En admettant que les vols qualifiés soient des infractions avec
violence, on peut dire qu'au moins 50 % des crimes commis sous l'influence
de l'alcool ou des drogues sont de nature violente. Fait étonnant,
une faible proportion seulement des infractions commises sous l'influence
de l'alcool ou des drogues ont été classées «
infractions reliées à la drogue».
Graphique 4
Les crimes violents (à l'exception des vols qualifiés) sont plus susceptibles
d'être commis sous l'influence exclusive de l'alcool que sous l'influence des drogues ou sous
l'influence conjuguée de l'alcool et des drogues. Cependant, la consommation de drogues
était un peu plus souvent associée au vol qualifié que la consommation
d'alcool.
Les délinquants devaient répondre à un certain nombre de questions portant sur
leur perception du rôle qu'avaient joué l'alcool et les drogues dans leurs activités
criminelles. Environ 82 % des délinquants qui se trouvaient sous l'influence de l'alcool au
moment de leur infraction ont déclaré qu'ils n'auraient probablement pas commis cette
infraction s'ils n'avaient pas été ivres. Pour leur part, 69 % des délinquants qui
se trouvaient sous l'influence des drogues avaient l'impression qu'ils n'auraient pas commis ce crime
s'ils n'avaient pas été drogués.
Ces chiffres montrent bien que les délinquants qui ont participé à l'enquête
n'hésitent pas à relier leur consommation d'alcool et de drogues à leurs
activités criminelles. Les répondants affirment que les risques de commettre les crimes
pour lesquels ils ont été condamnés auraient été
considérablement moins élevés s'ils n'avaient pas été sous
l'influence de l'alcool ou des drogues.
Le test d'évaluation des habitudes de vie invite également les délinquants
à décrire comment l'alcool ou la drogue ont influé sur leurs activités
criminelles passées, incluant les crimes pour lesquels ils n'ont pas été
condamnés. Environ 36 % des détenus interrogés ont reconnu que la consommation de
drogues avait joué un rôle dans la plupart ou dans tous leurs crimes antérieurs. Une
proportion équivalente de détenus a exprimé une opinion semblable en ce qui
concerne l'alcool. Approximativement 17 % des répondants ont avoué que leurs crimes
antérieurs avaient été commis uniquement lorsqu'ils étaient sous l'influence
de l'alcool ou des drogues.
Le désir de se soigner
La grille d'évaluation des habitudes de vie a une fonction importante : déterminer dans
quelle mesure les détenus reconnaissent que leur consommation d'alcool ou de drogues est
à l'origine de leurs problèmes et dans quelle mesure ils sont prêts à
participer aux programmes de désintoxication.
Quarante-trois pour cent des répondants avaient déjà été
traités pour des problèmes reliés à l'alcool et à la drogue au
moins une fois et la plupart de ces détenus avaient suivi plusieurs traitements. Le mouvement
des alcooliques anonymes était le programme le plus fréquemment cité (41 %).
C'est souvent à la suite de démêlés avec la justice que les
délinquants avaient décidé de suivre un programme de désintoxication.
Parmi ceux qui avaient déjà bénéficié d'un traitement, environ 24
% ont dit avoir participé à des programmes lors de précédents
séjours en milieu carcéral et 12 % ont déclaré être
présentement inscrits à un programme de désintoxication.
À l'exclusion des détenus n'ayant pas consommé de drogues au cours des six mois
précédant leur arrestation, environ la moitié des détenus nouvellement
admis reconnaissaient que leurs problèmes étaient reliés à la drogue.
Environ 22 % d'entre eux considéraient leur problème comme grave. Trente-deux pour cent
des consommateurs de drogues estimaient avoir besoin d'aide pour se désintoxiquer ou
contrôler leur consommation. Ce pourcentage grimpait à environ 55 % chez ceux qui
consommaient des drogues plus d'une fois la semaine.
Les délinquants appartenant à ce groupe semblaient beaucoup plus prêts à
admettre que leurs problèmes étaient reliés à l'alcool - 76 % de ceux qui
prenaient un verre au moins quelques fois par semaine estimaient que leur consommation d'alcool
était source de problèmes. Trente-neuf pour cent des participants estimaient avoir un
sérieux problème de consommation d'alcool et environ 53 % reconnaissaient avoir besoin
d'aide pour cesser de boire ou pour contrôler leur consommation.
De nombreux délinquants semblent avoir une vision positive des
traitements qui peuvent les aider à surmonter leur alcoolisme et
leur toxicomanie. À la question : Aimeriez-vous participer â
un programme de désintoxication pendant la durée de votre
peine? 61 % des personnes interrogées ont répondu «
oui » et environ 58 % ont déclaré que ce genre de
traitement pourrait les aider à se débarrasser de leurs
mauvaises habitudes. D'après les données recueillies lors
de l'évaluation des habitudes de vie, bon nombre des délinquants
interrogés consommaient régulièrement de l'alcool
et des drogues, et ils étaient nombreux à avoir atteint
le stade de la dépendance, ce qui ne les empêchait pas d'avoir
une vision très positive de l'avenir. La vaste majorité
d'entre eux (86 %) affirmaient qu'ils pourraient se passer de drogues
ou d'alcool à leur sortie de prison.
Nous désirons remercier de manière toute
spéciale les personnes qui ont aidé à la mise en oeuvre
d'un projet pilote sur l'évaluation informatisée des habitudes
de vie Gerry Cowie, administrateur régional des programmes correctionnels
dans la région des Prairies; Ron Lawlor, administrateur régional
des programmes correctionnels dans la région de l'Atlantique; Hal
Davidson, agent de projet dans la région de l'Atlantique; John Eno,
coordonnateur des programmes de lutte contre la toxicomanie à l'établissement
de Drumheller; Stu Murray, chef de l'épanouissement personnel à
l'établissement de Springhill; Roger McCormick, préposé
à l'admission des nouveaux détenus à l'établissement
de Springhill; Jim Sproule, agent correctionnel au pénitencier de
Dorchester. |