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Les facteurs de risque et le comportement perturbateur et asocial chez l'enfant
Malgré les quelques progrès réalisés dans le traitement des comportements
asociaux, bon nombre de spécialistes conviennent de la difficulté de corriger les enfants
une fois que les troubles comportementaux sont bien ancrés. Par ailleurs, il n'est pas rare que
les enfants dont le comportement a été modifié rechutent une fois sortis de
l'environnement thérapeutique structure(1). Cet article fait le point sur les
facteurs de développement et de risque qui, avec le temps, influent sur l'asociabilité et
la délinquance. Facteurs de risque et développement de l'asociabilité chez l'enfant
Le terme « risque », tel qu'il est employé dans ce contexte, comporte deux
éléments. D'une part, il suppose que l'enfant a été exposé
à un facteur de risque, comme les actes délinquants posés par ses compagnons.
D'autre part, il suppose que cette influence aura une issue négative, comme la
délinquance. Les facteurs de risque renvoient aux faits saillants passés, y compris des
troubles comportementaux précoces, qui ont une incidence sur le devenir de l'individu.
Toutefois, il n'y a pas forcément de relation de causalité entre le facteur de
risque et le résultat final.
Un comportement perturbateur, asocial ou délinquant peut se concrétiser par des actes
divers, graves et moins graves, qui peuvent constituer ou non une infraction aux lois criminelles. Ce
qui est étonnant, c'est que ce comportement peut prendre des formes extrêmement
variées et se manifester à des âges très divers(3). Le
graphique 1 rend compte des différentes manifestations de ce comportement en enfance et de
l'ordre dans lequel elles se présentent généralement. Graphique 1 Même si le comportement perturbateur et asocial change de nature selon l'âge, il a tendance à se perpétuer, ce qui laisse supposer, dans une certaine mesure, que les adultes atteints de troubles comportementaux étaient affligés par des troubles comportementaux d'une autre nature lorsqu'ils étaient enfants. Plutôt que d'envisager que les troubles comportementaux se succèdent durant le développement de l'enfant, il faut les percevoir comme « cumulés ». Le graphique 2 rend compte de ce cumul supposé des troubles comportementaux chez un enfant hyperactif et inattentif qui a été exposé à des conditions défavorables. Les facteurs de risque précoces associés à l'hyperactivité et à l'inattention comprennent l'exposition à des substances neurotoxiques (comme le plomb)(4), la malnutrition en bas âge(5), l'insuffisance de poids à la naissance(6) et la consommation d'alcool et de drogue par la mère durant la grossesse(7). Graphique 2 Les facteurs susmentionnés sont susceptibles de provoquer une altération neurologique ou une déficience chez l'enfant. Un enfant qui y est exposé risque de souffrir de troubles comportementaux qui prendraient la forme d'actes violents. Ces cas sont souvent exacerbés par des aptitudes sociales sous-développées et des troubles cognitifs qui amènent les enfants en cause à se sentir menacés par le milieu social (et donc à être plus agressifs) que les autres enfants(8). Sous l'effet combiné d'une personnalité violente, d'aptitudes sociales imparfaites et de troubles cognitifs, l'enfant aura probablement de la difficulté à entretenir des rapports avec ses compagnons; il risque l'exclusion. En plus, l'impulsivité et les troubles de concentration liés à l'hyperactivité compromettent souvent les chances qu'a l'enfant, d'apprendre à lire couramment. L'échec scolaire le guette(9). Complètement dépassé, l'enfant peut choisir de déserter l'école; dès lors, vu toutes les autres pressions qui s'exercent sur lui, l'enfant risque fort de glisser dans la délinquance. À l'extrême, le modèle de développement cumulé réunirait tous les troubles comportementaux mentionnés ici. Or, il est rare que le cumul soit aussi complet. Dans la plupart des cas, le comportement de l'enfant ne s'aggrave plus après un certain point. Aussi, il est rare qu'un enfant manifeste tous les comportements cités. Généralement, le cycle de développement du comportement déviant est moins définitif: il arrive un moment où le comportement de l'enfant se stabilise ou régresse, après avoir atteint un sommet. Preuves empiriques de l'existence de facteurs de risque influant sur le comportement des jeunes enfants
Il existe des comportements qui indiquent clairement que les enfants qui les manifestent risquent de
sombrer dans la délinquance en vieillissant(10). Chez les garçons, les
prodromes les plus révélateurs de la délinquance sont l'agressivité, la
consommation de drogue et le vol. Tout aussi importants, quoique moins formels, sont la
désertion de l'école, le mensonge et l'échec scolaire.
Jusqu'à présent, il a été question de certains comportements
précis qui seraient les signes avant-coureurs de la délinquance. Toutefois, certains
mécanismes du comportement importent également, à la fois du point de vue
de l'exposition aux risques et u dépistage des risques. Ainsi, la fréquence et la
diversité des comportements, le fait qu'ils se manifestent dans des circonstances
variées et leur apparition précoce sont liés à la délinquance.
Certains enfants qui risquent de devenir délinquants sont beaucoup plus actifs que leurs
compagnons : ils éprouvent de la difficulté à demeurer assis sans bouger,
à maîtriser leurs impulsions et à prêter attention à ce qui se passe
autour d'eux. Ce problème d'hyperactivité, d'impulsivité et d'attention est
résumé par le sigle HIA.
Le complexe HIA relève peut-être de différences biologiques et
génétiques entre les enfants, mais il faudrait pousser les recherches plus loin pour en
être sûr. Dans la mesure où l'HIA est souvent doublé d'autres troubles
comportementaux, il est difficile de déterminer la cause de chaque trouble.
Dans le cadre d'une étude, des chercheurs ont comparé le rendement scolaire de
délinquants et d'un groupe témoin. Ils ont constaté que dès la
deuxième année, 45 p. 100 des délinquants accusaient du retard en lecture et 36
p. 100, en écriture(26). Les troubles comportementaux qui se manifestent plus tard,
comme la consommation de drogue (qui coïncide souvent avec la désertion de
l'école), sont souvent liés au décrochage(27).
Certains facteurs de risque sont présents dans le milieu de l'enfant, c'est-à-dire au
sein de sa famille et dans son entourage. Loeber et Stouthamer-Loeber(30) ont fait le
point sur les recherches à ce chapitre : les facteurs de risque familiaux comptent parmi les
indices les plus précis de la délinquance. Ces facteurs comprennent les méthodes
employées par les parents pour élever les enfants, notamment la surveillance, et
l'effet cumulé de diverses déficiences familiales. La non-participation des parents
à la vie des enfants, la criminalité parentale, l'agressivité et la
délinquance des compagnons de l'enfant peuvent, dans une mesure assez forte, servir à
prévoir la délinquance. Par contre, le manque de discipline, l'absence d'un parent ou
la dissolution du foyer, le rang socio-économique et la mauvaise santé des parents,
employés aux mêmes fins, n'étaient pas aussi exacts.
L'effet cumulé de différents comportements aboutit à diverses formes
d'asociabilité. Les comportements adoptés varient selon les personnes. Les
données qui appuient ces observations sont complexes, et incomplètes. Le
résumé qui suit n'est donc qu'un survol général qui peut servir de
fondement à des recherches plus poussées.
Loeber(32), partant de données connues, a posé que ces variations asociales résultent d'une différence de développement. Développement du comportement agressif polyvalent
Les personnes qui sont principalement agressives sont les plus susceptibles de devenir des
délinquants polyvalents. Chez elles, les troubles comportementaux se manifestent
généralement tôt, notamment à l'âge préscolaire. Les enfants
adoptent des comportements agressifs et non agressifs cachés (désertion de
l'école, consommation d'alcool et de drogue, larcins); bon nombre d'entre eux souffrent de
troubles de concentration et sont impulsifs et hyperactifs. Comparativement aux autres enfants, leurs
aptitudes sociales sont moins développées et les rapports qu'ils entretiennent avec
leur entourage sont moins bons. Généralement, les troubles comportementaux ne se
manifestent pas uniquement à la maison, mais aussi à l'école. Vu le comportement
perturbateur de ces enfants à l'école et les troubles de concentration dont ils sont
atteints, ils risquent de se sentir frustrés et de ne pas réussir à
l'école, d'où le risque qu'ils abandonnent complètement l'école.
Généralement, l'asociabilité chez les enfants non agressifs ne se manifeste pas
avant la fin de l'enfance ou le début de l'adolescence, donc beaucoup plus tard que chez les
enfants agressifs polyvalents. D'ordinaire, l'asociabilité chez ces enfants ne s exprime pas
sous une forme violente; elle se limite à un comportement caché qui se traduit par des
larcins, des mensonges, la désertion de l'école et la consommation d'alcool et de
drogue.
En grande partie, les alcooliques et autres toxicomanes ne montrent pas de troubles asociaux graves
en enfance(33). Vraisemblablement, la consommation d'intoxicants débute plus tard
chez ces enfants que chez les polyvalents, soit généralement vers le milieu de
l'adolescence. Il y a lieu d'explorer les caractéristiques du développement de ce
comportement. Pour plusieurs raisons, il est utile de connaître les stades du développement asocial. Il faut d'abord pouvoir distinguer un comportement déviant d'un comportement normal. Ensuite, il faut reconnaître les périodes les plus intenses du développement comporte-mental de l'enfant (afin de pouvoir concentrer les efforts sur les stades critiques où il est possible de modifier les troubles comportementaux nouvellement acquis). Enfin, il faut connaître le cycle de développement et les stades plus ou moins susceptibles d'être marqués par des changements pour pouvoir juger du moment où une intervention serait la plus propice. Stade critique pour la formation des liens affectifs
De plus en plus, les chercheurs s'aperçoivent de l'existence d'une période critique
très tôt dans la vie de l'enfant; il s'agit du stade où les liens affectifs se
forment entre l'enfant et les adultes qui s'occupent de lui. Ce sont ces liens qui permettent
à l'enfant d'acquérir des aptitudes prosociales et de renoncer à se comporter de
façon violente et à laisser surgir ce qu'il refoule. Si l'enfant, pour une raison
quelconque, ne peut former de tels liens, la socialisation sera plus difficile.
Cet article souligne surtout que ce n'est pas par pur hasard lorsqu'un jeune contrevenant pose un
acte délinquant pour la première fois. En réalité, la délinquance
est souvent annoncée par des troubles comporte-mentaux chroniques présents pendant de
nombreuses années. * Cet article est le condensé d'un exposé qui a paru dans la revue Clinical Psychology Review (vol. 9, 1990). L'auteur tient à remercier l'éditeur de Pergamon Press qui a eu l'amabilité d'autoriser la reparution de cet article. Le Dr Rolf Loeber, psychologue clinicien de par sa formation, a fait ses études à l'université Queen's a Kingston (Ontario). Il est professeur agrégé de psychiatrie, de psychologie et d'épidémiologie à l'université de Pittsburgh, en Pennsylvanie. Le Dr Loeber et son épouse, le Dr Magda Stouthamer-Loeber, dirigent de conserve le Life History Studies Program du Western Psychiatric Institute and Clinic de Pittsburgh. Ce programme est consacré à l'étude du développement de l'asociabilité chez le garçon. Dans le cadre d'une des études qu'ils effectuent et qui dure depuis maintenant cinq ans, les Drs Loeber et Stouthamer-Loeber suivent un échantillon communautaire de i 517 garçons. Une autre étude consiste en un suivi annuel d'un échantillon d'individus recommandés par des cliniciens (n=177). Cet échantillon a déjà fait l'objet de quatre évaluations. Les ensembles de données qu'ils ont compilés permettent aux deux chercheurs de suivre le développement de la délinquance, de repérer les facteurs de risque et les facteurs déterminants et de mettre au point des méthodes de dépistage efficaces pour identifier les enfants qui risquent de devenir délinquants. (1)M.M. Wolf C.J. Braukmann et K.A. Ramp. (1987). « Serious Delinquent Behavior May Be Part of a Significantly Handicapping Condition: Cures and Supportive Environments », Journal of Applied Behavior Analysis, 20, 347-359. (2)D.P. Farrington. (1982). « Randomized Experiments on Crime and Justice », dans N. Morris et M. Tonry, éd., Crime and Justice, vol. 4. Chicago: University of Chicago Press. Voir aussi R. Loeber. (1985). « Experimental Studies to Reduce Antisocial and Delinquent Child Behaviour: Implications for Future Program and Optimal Times for Intervention », dans Proceedings of the ADAMHA/OJJDP Research Conference on Juvenile Offenders with Serious Drug, Alcohol and Mental Health Problems. Washington, D.C.: U.S. Government Printing Office, et voir R. Loeber et M. Stouthamer-Loeber. (1986). « Family Factors as Correlates and Predictors of Juvenile Conduct Problems and Delinquency », dans N. Morris et M. Tonry, éd., Crime and Justice: An Annual Review of Research, vol. 7. Chicago: University of Chicago Press. (3)R.O. Bell. (1986). « Age-Specific Manifestations in Changing Psychosocial Risk », dans D.C. Farran et J.D. McKinney, éd., Risk in Intellectual and Psychosocial Development. Orlando, Fla. : Academic Press. (4)H.L. Needleman et D.C. Bellinger. (1981). « The Epidemiology of Low-Level Lead Exposure in Childhood », Journal of Child Psychiatry, 20, 496-512. (5)J.R. Galler, F. Ramsey, G. Solimano et W.E. Lowell. (1983). « The Influence of Early Malnutrition on Subsequent Behavioral Development. II. Classroom Behavior », Journal of the American Academy of Child Psychiatry, 24, 16-22. (6)J. Astbury, A.A. Orgili, B. Bajuk et V. Y.H. Yu. (1985). « Neonatal and Neurodevelopmental Significance of Behavior in Very Low Birthweight Children », Early Human Development, 11, 113-121. Voir aussi N. Breslau, N. Klein et L. Allen. (1 988). « Very Low Birthweight: Behavioral Sequelae at Nine Years of Age », Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, 67, 605-612. (7)D.D. Davis et D.L Templer. (1988). « Neurobehavioral Functioning in Children Exposed to Narcotics in Utero », Addictive Behaviors, 13, 275-283. (8)K.A. Dodge. (1980). « Social Cognition and Children's Aggressive Behavior », Child Development, 51, 162-170. (9)A.F. Jorm, D.L. Share, R. Matthews et R. Maclean. 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(1979). « Roots of Delinquency », op. cit. et E.E. Werner et R.S. Smith. (1977). Kauai's Children Come of Age. Honolulu: University of Hawaii Press. |