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Les facteurs de risque et le comportement perturbateur et asocial chez l'enfant

Malgré les quelques progrès réalisés dans le traitement des comportements asociaux, bon nombre de spécialistes conviennent de la difficulté de corriger les enfants une fois que les troubles comportementaux sont bien ancrés. Par ailleurs, il n'est pas rare que les enfants dont le comportement a été modifié rechutent une fois sortis de l'environnement thérapeutique structure(1). Cet article fait le point sur les facteurs de développement et de risque qui, avec le temps, influent sur l'asociabilité et la délinquance.

Facteurs de risque et développement de l'asociabilité chez l'enfant

Le terme « risque », tel qu'il est employé dans ce contexte, comporte deux éléments. D'une part, il suppose que l'enfant a été exposé à un facteur de risque, comme les actes délinquants posés par ses compagnons. D'autre part, il suppose que cette influence aura une issue négative, comme la délinquance. Les facteurs de risque renvoient aux faits saillants passés, y compris des troubles comportementaux précoces, qui ont une incidence sur le devenir de l'individu. Toutefois, il n'y a pas forcément de relation de causalité entre le facteur de risque et le résultat final.

En général, l'expérience est la façon la plus probante de démontrer l'existence d'une relation de causalité, mais les occasions d'entreprendre des recherches expérimentales convenables sur l'asociabilité de l'enfant sont limitées. Des examens de la recherche(2) ont quand même révélé que le perfectionnement des méthodes employées par les parents pour élever leurs enfants entraînait souvent une atténuation considérable de l'agressivité chez l'enfant. De surcroît, si l'influence familiale est réellement une cause, on peut supposer que tous les enfants issus de la même famille seront affectés. Cette hypothèse a été confirmée par des recherches qui ont révélé que l'asociabilité est commune chez les frères et soeurs d'un enfant dont le comportement asocial est un fait établi.

Manifestation diverses de troubles comportementaux

Un comportement perturbateur, asocial ou délinquant peut se concrétiser par des actes divers, graves et moins graves, qui peuvent constituer ou non une infraction aux lois criminelles. Ce qui est étonnant, c'est que ce comportement peut prendre des formes extrêmement variées et se manifester à des âges très divers(3). Le graphique 1 rend compte des différentes manifestations de ce comportement en enfance et de l'ordre dans lequel elles se présentent généralement.



Graphique 1
Graphique 1
Même si le comportement perturbateur et asocial change de nature selon l'âge, il a tendance à se perpétuer, ce qui laisse supposer, dans une certaine mesure, que les adultes atteints de troubles comportementaux étaient affligés par des troubles comportementaux d'une autre nature lorsqu'ils étaient enfants.

Plutôt que d'envisager que les troubles comportementaux se succèdent durant le développement de l'enfant, il faut les percevoir comme « cumulés ». Le graphique 2 rend compte de ce cumul supposé des troubles comportementaux chez un enfant hyperactif et inattentif qui a été exposé à des conditions défavorables. Les facteurs de risque précoces associés à l'hyperactivité et à l'inattention comprennent l'exposition à des substances neurotoxiques (comme le plomb)(4), la malnutrition en bas âge(5), l'insuffisance de poids à la naissance(6) et la consommation d'alcool et de drogue par la mère durant la grossesse(7).



Graphique 2
Graphique 2
Les facteurs susmentionnés sont susceptibles de provoquer une altération neurologique ou une déficience chez l'enfant. Un enfant qui y est exposé risque de souffrir de troubles comportementaux qui prendraient la forme d'actes violents. Ces cas sont souvent exacerbés par des aptitudes sociales sous-développées et des troubles cognitifs qui amènent les enfants en cause à se sentir menacés par le milieu social (et donc à être plus agressifs) que les autres enfants(8).

Sous l'effet combiné d'une personnalité violente, d'aptitudes sociales imparfaites et de troubles cognitifs, l'enfant aura probablement de la difficulté à entretenir des rapports avec ses compagnons; il risque l'exclusion. En plus, l'impulsivité et les troubles de concentration liés à l'hyperactivité compromettent souvent les chances qu'a l'enfant, d'apprendre à lire couramment. L'échec scolaire le guette(9). Complètement dépassé, l'enfant peut choisir de déserter l'école; dès lors, vu toutes les autres pressions qui s'exercent sur lui, l'enfant risque fort de glisser dans la délinquance.

À l'extrême, le modèle de développement cumulé réunirait tous les troubles comportementaux mentionnés ici. Or, il est rare que le cumul soit aussi complet. Dans la plupart des cas, le comportement de l'enfant ne s'aggrave plus après un certain point. Aussi, il est rare qu'un enfant manifeste tous les comportements cités. Généralement, le cycle de développement du comportement déviant est moins définitif: il arrive un moment où le comportement de l'enfant se stabilise ou régresse, après avoir atteint un sommet.

Preuves empiriques de l'existence de facteurs de risque influant sur le comportement des jeunes enfants

Il existe des comportements qui indiquent clairement que les enfants qui les manifestent risquent de sombrer dans la délinquance en vieillissant(10). Chez les garçons, les prodromes les plus révélateurs de la délinquance sont l'agressivité, la consommation de drogue et le vol. Tout aussi importants, quoique moins formels, sont la désertion de l'école, le mensonge et l'échec scolaire.

Toutes les études ont confirmé que l'asociabilité se perpétue avec l'âge. Cette continuité n'est pas seulement le fait de l'agressivité qui apparaît tôt et qui se maintient avec l'âge(11); elle relie aussi différentes manifestations d'asociabilité, comme l'agressivité précoce et le vol plus tard dans la vie(12).

La prévision n'est qu'une façon parmi d'autres d'envisager le rapport entre les facteurs de risque et la délinquance. Il est tout aussi important de tenir compte du passé, pour voir quel pourcentage de délinquants étaient déjà atteints, alors qu'ils étaient très jeunes, d'un trouble comportemental : par exemple, quelle proportion de délinquants très violents étaient déjà très agressifs en enfance? Loeber et Stouthamer-Loeber(13) ont fait le point sur la recherche(14) et en ont conclu qu'entre 70 et 90 p. 100 des délinquants violents étaient des enfants très agressifs.

Signes précurseurs

Jusqu'à présent, il a été question de certains comportements précis qui seraient les signes avant-coureurs de la délinquance. Toutefois, certains mécanismes du comportement importent également, à la fois du point de vue de l'exposition aux risques et u dépistage des risques. Ainsi, la fréquence et la diversité des comportements, le fait qu'ils se manifestent dans des circonstances variées et leur apparition précoce sont liés à la délinquance.

Plus un trouble comportemental précoce se manifeste souvent (fréquence) chez un enfant, plus il risque de devenir délinquant. De même, ce risque augmente avec la diversité des troubles comportementaux précoces.

Aussi, il faut voir si l'enfant se comporte mal dans une certaine situation seulement ou dans des situations diverses. En effet, les enfants risquent moins de devenir délinquants en vieillissant s'ils ne se comportent mal que dans des circonstances bien précises.

Il faut aussi s'intéresser au moment où apparaît le trouble comportemental. Lorsque les garçons commettent des actes délinquants tôt, et aussi lorsque les garçons et les filles commencent tôt à consommer de l'alcool et de la drogue, ils courent davantage le risque de tomber sous l'empire de la criminalité, de la toxicomanie et de l'alcoolisme(15).

Certains des mécanismes susmentionnés sont liés : lorsqu'un mécanisme est présent, les autres le sont généralement aussi(16).

Déficit de l'attention et hyperactivité

Certains enfants qui risquent de devenir délinquants sont beaucoup plus actifs que leurs compagnons : ils éprouvent de la difficulté à demeurer assis sans bouger, à maîtriser leurs impulsions et à prêter attention à ce qui se passe autour d'eux. Ce problème d'hyperactivité, d'impulsivité et d'attention est résumé par le sigle HIA.

Les enfants chez qui l'HIA est élevé mais qui manifestent peu, voire aucun, troubles comportementaux risquent moins de devenir délinquants, mais ils risquent d'avoir à surmonter d'autres difficultés, comme l'alcoolisme(17). En revanche, les enfants chez qui l'HIA est élevé et qui sont en plus atteints de troubles comportementaux à un jeune âge risquent fort de devenir délinquants(18). L'hyperactivité et les comportements connexes semblent donc agir comme catalyseur de la perpétuation des troubles comportementaux(19) .

Dernièrement, la recherche s'est surtout intéressée aux problèmes de concentration chez les délinquants(20). En plus d'entraver l'assimilation d'aptitudes scolaires, les déficiences cognitives dont sont atteints certains délinquants pourraient contrer le développement du comportement prosocial et moral.

Quelques facteurs de risque biologiques

Le complexe HIA relève peut-être de différences biologiques et génétiques entre les enfants, mais il faudrait pousser les recherches plus loin pour en être sûr. Dans la mesure où l'HIA est souvent doublé d'autres troubles comportementaux, il est difficile de déterminer la cause de chaque trouble.

Farrington et ses collaborateurs se sont penchés sur ce problème à l'occasion de l'étude de Cambridge sur le développement de la délinquance, qui suivait des garçons de l'âge de huit ans à l'âge de 24 ans. Les chercheurs ont constaté qu'il existait un lien probant entre l'HIA et la criminalité parentale, un quotient intellectuel bas et une grande famille tandis que les troubles comportementaux étaient surtout attribuables à un manque de surveillance et à l'incompétence des parents(21).

Ces résultats confirment ceux obtenus par Loney et Milich(22) aux États-Unis et McGee, Williams et Silva(23) en Nouvelle-Zélande. Partant de ces résultats, on peut poser que l'HIA est étroitement lié à des facteurs biologiques tandis que les troubles comportementaux dépendent particulièrement des procédés de socialisation au sein de la famille. Il faut toutefois mettre à l'épreuve cette conclusion et la définir plus précisément.

D'autres facteurs biologiques ont attiré l'attention des chercheurs au cours des quelques dernières années. Magnusson et ses collaborateurs(24) ont constaté que le taux de délinquance est plus élevé chez les filles qui ont leurs premières règles tôt. En revanche, l'incidence de délinquance chez ces jeunes filles n'était plus élevée que dans les cas où celles-ci recherchaient la compagnie de filles plus âgées qu'elles. La même corrélation n'a pu être établie pour les filles qui n'avaient pas des compagnes plus vieilles qu'elles ne l'étaient elles-mêmes.

Un autre facteur biologique important qui est peut-être lié à la délinquance est la présence de substances toxiques dans l'organisme. En effet, ces substances peuvent retarder ou contrer le développement neurologique de l'individu, particulièrement avant son entrée à l'école, à l'âge où le système nerveux central se forme.

Needleman et Bellinge(25) ont trouvé que même la présence d'une quantité minime de plomb, si infime soit-elle, dans l'organisme pouvait avoir des conséquences désastreuses sur les enfants. Les enfants qui avaient de fortes concentrations de plomb dans l'organisme étaient distraits, hyperactifs, impulsifs et facilement frustrés; en outre, ils éprouvaient beaucoup de difficulté à suivre des directives simples. Dans l'ensemble, le pourcentage d'enfants dont le comportement laissait à désirer était trois fois plus élevé dans le groupe des enfants qui avaient de fortes concentrations de plomb dans l'organisme, comparativement aux enfants qui n'avaient que de faibles concentrations de plomb dans l'organisme. Ces résultats ont souligné le danger d'exposer les enfants au plomb, même en très petites quantités, ainsi qu'à d'autres métaux éventuellement toxiques.

L'insistance sur ces résultats a pour but de souligner deux éléments importants. D'une part, on tient souvent pour aquis que les différences entre les enfants (du point de vue de l'hyperactivité, de l'impulsivité et de l'intelligence par exemple) sont attribuables à des facteurs biologiques et génétiques. Or, ces différences peuvent aussi résulter du contact avec des substances neurotoxiques ou de lacunes dans le milieu social de l'enfant.

D'autre part, lorsqu'un des comportements déviants se retrouve dans plusieurs générations d'une famille (ce qui est souvent invoqué pour appuyer la théorie des conséquences génétiques), il se pourrait en fait que les membres de la famille aient tous été exposés aux neurotoxines présentes dans leur environnement.

Problèmes de rendement scolaire

Dans le cadre d'une étude, des chercheurs ont comparé le rendement scolaire de délinquants et d'un groupe témoin. Ils ont constaté que dès la deuxième année, 45 p. 100 des délinquants accusaient du retard en lecture et 36 p. 100, en écriture(26). Les troubles comportementaux qui se manifestent plus tard, comme la consommation de drogue (qui coïncide souvent avec la désertion de l'école), sont souvent liés au décrochage(27).

En outre, Friedman, Glickman et Utada(28) ont constaté que plus un élève se drogue, plus il risque d'échouer ses études. Souvent, les lacunes scolaires désavantagent ces élèves lorsqu'ils cherchent un emploi; elles contribuent donc à hausser le taux de chômage. Ajoutés aux tendances criminelles déjà présentes chez ces personnes, ces faits pourraient augmenter le risque de délinquance(29).

Facteurs de risque sociaux

Certains facteurs de risque sont présents dans le milieu de l'enfant, c'est-à-dire au sein de sa famille et dans son entourage. Loeber et Stouthamer-Loeber(30) ont fait le point sur les recherches à ce chapitre : les facteurs de risque familiaux comptent parmi les indices les plus précis de la délinquance. Ces facteurs comprennent les méthodes employées par les parents pour élever les enfants, notamment la surveillance, et l'effet cumulé de diverses déficiences familiales. La non-participation des parents à la vie des enfants, la criminalité parentale, l'agressivité et la délinquance des compagnons de l'enfant peuvent, dans une mesure assez forte, servir à prévoir la délinquance. Par contre, le manque de discipline, l'absence d'un parent ou la dissolution du foyer, le rang socio-économique et la mauvaise santé des parents, employés aux mêmes fins, n'étaient pas aussi exacts.

Les effets de certains facteurs familiaux se font sentir nettement plus longtemps que d'autres. Par exemple, il est moins probable qu'un relâchement de la surveillance exercée par les parents sur leurs enfants pendant quelques semaines provoque la délinquance. Par contre, si la période où les enfants restent sans surveillance se prolonge, le risque augmente.

Il faut veiller à interpréter correctement l'accent qui est mis à l'heure actuelle sur les facteurs de risque familiaux. De nombreux autres facteurs sociaux, comme l'influence exercée par le groupe, ont probablement une très forte incidence sur le développement de la délinquance. S'ils ne sont pas abordés de façon plus détaillée ici, c'est parce que les recherches sur leur incidence sur la délinquance ne sont pas très poussées(31).

Développement des variantes asociales

L'effet cumulé de différents comportements aboutit à diverses formes d'asociabilité. Les comportements adoptés varient selon les personnes. Les données qui appuient ces observations sont complexes, et incomplètes. Le résumé qui suit n'est donc qu'un survol général qui peut servir de fondement à des recherches plus poussées.

L'asociabilité ne se manifeste pas de la même façon chez tous les adultes. Des études de psychopathologie ont permis de caractériser les trois comportements suivants:

  • comportement criminel polyvalent - comportement caractéristique des criminels qui commettent des infractions avec violence et contre les biens, doublées ou non d'infractions liées à la drogue ou à la consommation de drogue;
  • comportement asocial dirigé exclusivement contre les biens -comportement caractéristique des criminels qui ne commettent que des infractions contre les biens, doublées ou non d'infractions liées à la drogue et à l'alcool ou à la consommation de drogue;
  • comportement asocial lié exclusivement à la toxicomanie - comportement caractéristique des criminels dont les activités se limitent à la consommation de drogue (mais qui ont peut-être été arrêtés), et dont les activités criminelles sont limitées.

Loeber(32), partant de données connues, a posé que ces variations asociales résultent d'une différence de développement.

Développement du comportement agressif polyvalent

Les personnes qui sont principalement agressives sont les plus susceptibles de devenir des délinquants polyvalents. Chez elles, les troubles comportementaux se manifestent généralement tôt, notamment à l'âge préscolaire. Les enfants adoptent des comportements agressifs et non agressifs cachés (désertion de l'école, consommation d'alcool et de drogue, larcins); bon nombre d'entre eux souffrent de troubles de concentration et sont impulsifs et hyperactifs. Comparativement aux autres enfants, leurs aptitudes sociales sont moins développées et les rapports qu'ils entretiennent avec leur entourage sont moins bons. Généralement, les troubles comportementaux ne se manifestent pas uniquement à la maison, mais aussi à l'école. Vu le comportement perturbateur de ces enfants à l'école et les troubles de concentration dont ils sont atteints, ils risquent de se sentir frustrés et de ne pas réussir à l'école, d'où le risque qu'ils abandonnent complètement l'école.

Chez les enfants qui se développent ainsi, des troubles comportementaux supplémentaires risquent de s'ajouter aux troubles existants, particulièrement lorsque leur comportement s'est déjà aggravé. Beaucoup plus de garçons que de filles se développent ainsi.

Développement du comportement non agressif

Généralement, l'asociabilité chez les enfants non agressifs ne se manifeste pas avant la fin de l'enfance ou le début de l'adolescence, donc beaucoup plus tard que chez les enfants agressifs polyvalents. D'ordinaire, l'asociabilité chez ces enfants ne s exprime pas sous une forme violente; elle se limite à un comportement caché qui se traduit par des larcins, des mensonges, la désertion de l'école et la consommation d'alcool et de drogue.

L'incidence d'hyperactivité et de troubles connexes est plus basse chez ces enfants. En outre, il n'est pas rare que ces enfants, contrairement aux enfants polyvalents agressifs, entretiennent d'excellents rapports avec leurs parents avant que les troubles comportementaux n'apparaissent. En fait, les problèmes asociaux qui les affligent remontent souvent à leurs compagnons. Quoique certains enfants non agressifs soient en proie à des difficultés scolaires, celles-ci relèvent davantage d'un refus de faire leur travail d'école que de véritables troubles d'apprentissage.

Les enfants qui suivent ce cheminement sont plus susceptibles que les enfants agressifs polyvalents de renoncer à leur comportement asocial; d'autres l'abandonnent à l'adolescence. Il ne faut toutefois pas conclure que tous les enfants non agressifs renoncent rapidement à se comporter de façon asociale. Il semble que les récidivistes qui commettent des infractions contre les biens et les criminels en cols blancs aient été de ces enfants.

Les enfants non agressifs semblent commettre plus souvent des infractions liées à la drogue et à la consommation d'intoxicants. Le nombre de filles non agressives est plus élevé que le nombre de filles agressives polyvalentes, mais demeure inférieur au nombre de garçons.

Développement du comportement asocial du toxicomane

En grande partie, les alcooliques et autres toxicomanes ne montrent pas de troubles asociaux graves en enfance(33). Vraisemblablement, la consommation d'intoxicants débute plus tard chez ces enfants que chez les polyvalents, soit généralement vers le milieu de l'adolescence. Il y a lieu d'explorer les caractéristiques du développement de ce comportement.

Cet aperçu du développement de différents comportements est forcément sommaire dans la mesure où les recherches portant sur certains aspects sont insuffisantes. Ce rapide tableau sert essentiellement à souligner la nature progressive de l'asociabilité qui d'ailleurs varie selon les individus. De plus, les facteurs de risque et les processus qui sous-tendent le développement d'un comportement déviant varient selon la nature de l'asociabilité.

Il faut aussi souligner que la gravité des actes asociaux commis par certains n'augmente pas avec le temps, et que dans certains cas, elle finit même par s'atténuer. En général, plus les actes asociaux commis par une personne s'aggravent avec le temps, moins il y a de chances qu'elle change de mode de vie et rentre dans la voie de la légalité.

Stades critiques Stades critiques de malléabilité

Pour plusieurs raisons, il est utile de connaître les stades du développement asocial. Il faut d'abord pouvoir distinguer un comportement déviant d'un comportement normal. Ensuite, il faut reconnaître les périodes les plus intenses du développement comporte-mental de l'enfant (afin de pouvoir concentrer les efforts sur les stades critiques où il est possible de modifier les troubles comportementaux nouvellement acquis). Enfin, il faut connaître le cycle de développement et les stades plus ou moins susceptibles d'être marqués par des changements pour pouvoir juger du moment où une intervention serait la plus propice.

Stade critique pour la formation des liens affectifs

De plus en plus, les chercheurs s'aperçoivent de l'existence d'une période critique très tôt dans la vie de l'enfant; il s'agit du stade où les liens affectifs se forment entre l'enfant et les adultes qui s'occupent de lui. Ce sont ces liens qui permettent à l'enfant d'acquérir des aptitudes prosociales et de renoncer à se comporter de façon violente et à laisser surgir ce qu'il refoule. Si l'enfant, pour une raison quelconque, ne peut former de tels liens, la socialisation sera plus difficile.

C'est grâce aux résultats d'études comparatives entre des enfants soignés constamment par les mêmes adultes et des enfants soignés par différentes personnes(36) que les chercheurs ont pu conclure que les liens affectifs se forment durant les premières années de la vie. Un enfant peut être confié à différentes personnes pour des raisons diverses, par exemple en cas d'adoption, de changement de gardiens ou de difficultés conjugales entre les parents.

Les enfants qui sont adoptés à un âge assez avancé sont plus susceptibles de souffrir de troubles d'adaptation que ceux qui sont adoptés en bas âge(37). De même, les chercheurs ont établi une corrélation entre le changement de mères chez les nourrissons âgés de trois à six mois et l'asociabilité(38). De même, il semble que la séparation de la mère et de l'enfant due à des séjours prolongés ou fréquents a l'hôpital, particulièrement lorsque l'enfant a entre six mois et trois ans, peut avoir des conséquences à long terme sur l'adaptation comportementale(39).

Le temps passé avec un seul parent à l'âge préscolaire annonce des troubles comportementaux en deuxième année tandis que la désagrégation de la famille durant les cinq premières années de la vie de l'enfant donne lieu à des troubles comporte-mentaux et délinquants beaucoup plus tard(40). L'incidence négative des difficultés familiales sur le comportement de l'enfant est exacerbée si l'enfant perd fréquemment le contact avec un de ses parents. Même les très jeunes enfants réagissent de façon négative aux tensions entre les adultes qui s'occupent d'eux(41).

Quelques études ont établi un lien entre les expériences difficiles en enfance et la délinquance(42). Par exemple, Kolvin et al. ont étudié une cohorte de 847 enfants de la naissance à 33 ans. Ils ont contrôlé différentes privations subies par les enfants durant les cinq premières années de leur vie comme les difficultés conjugales, la mauvaise santé des parents, des soins physiques ou domestiques de mauvaise qualité, la dépendance sociale, le surpeuplement et des soins maternels de mauvaise qualité.

À une exception près (26-27 ans), le taux de condamnation dans chaque tranche d'âge était le plus élevé chez les garçons ayant subi au moins trois des privations susmentionnées. Ce taux était moyen chez les garçons n'ayant subi qu'une seule de ces privations. Il était le plus bas chez les garçons n'ayant pas souffert de privations.

Ces résultats révèlent deux choses. D'une part, il semble y avoir une corrélation entre le nombre de privations subies en enfance et le taux de condamnations. D'autre part, cette corrélation est présente de l'âge de 10 ans à l'âge de 33 ans.

Conclusion

Cet article souligne surtout que ce n'est pas par pur hasard lorsqu'un jeune contrevenant pose un acte délinquant pour la première fois. En réalité, la délinquance est souvent annoncée par des troubles comporte-mentaux chroniques présents pendant de nombreuses années.

Les premiers indices de la délinquance se manifestent de bien des façons (graphique 1). Ces manifestations changent au fur et à mesure que l'enfant se développe, entraînant souvent une diversification des troubles comportementaux avec le temps (graphique 2).

Le fonds de connaissance sur les types de troubles comportementaux annonciateurs de la délinquance est très riche. Par contre, le lien entre les facteurs de risque et la délinquance doit faire l'objet d'études plus poussées.

Certains facteurs de risque, dont l'hyperactivité et les troubles de concentration, sont liés au développement du comportement asocial chronique. L'agressivité précoce, le vol et les difficultés scolaires sont également des facteurs importants. Il ne faut pas négliger le rôle des facteurs de risque biologiques, y compris la présence de substances toxiques qui est particulièrement nuisible aux enfants d'âge préscolaire.

Certaines recherches indiquent que les facteurs de risque sociaux (comme les méthodes de socialisation employées par les parents) provoquent en partie les troubles comportementaux et la délinquance chez les enfants. Plus les enfants subissent longtemps l'influence des facteurs de risque sociaux, y compris l'influence de leurs compagnons délinquants, plus ils risquent de sombrer dans la délinquance.

Enfin, le développement de l'enfant semble être coupé par des stades critiques où l'enfant est davantage sujet à certaines influences et aux effets de certains facteurs de risque. La recherche indique que les chances qu'un enfant change diminuent avec l'âge, et plus particulièrement au début de l'adolescence. Les données sur le sujet sont cependant loin d'être complètes.



* Cet article est le condensé d'un exposé qui a paru dans la revue Clinical Psychology Review (vol. 9, 1990). L'auteur tient à remercier l'éditeur de Pergamon Press qui a eu l'amabilité d'autoriser la reparution de cet article.

Le Dr Rolf Loeber, psychologue clinicien de par sa formation, a fait ses études à l'université Queen's a Kingston (Ontario). Il est professeur agrégé de psychiatrie, de psychologie et d'épidémiologie à l'université de Pittsburgh, en Pennsylvanie.

Le Dr Loeber et son épouse, le Dr Magda Stouthamer-Loeber, dirigent de conserve le Life History Studies Program du Western Psychiatric Institute and Clinic
de Pittsburgh. Ce programme est consacré à l'étude du développement de l'asociabilité chez le garçon.

Dans le cadre d'une des études qu'ils effectuent et qui dure depuis maintenant cinq ans, les Drs Loeber et Stouthamer-Loeber suivent un échantillon communautaire de i 517 garçons. Une autre étude consiste en un suivi annuel d'un échantillon d'individus recommandés par des cliniciens (n=177). Cet échantillon a déjà fait l'objet de quatre évaluations. Les ensembles de données qu'ils ont compilés permettent aux deux chercheurs de suivre le développement de la délinquance, de repérer les facteurs de risque et les facteurs déterminants et de mettre au point des méthodes de dépistage efficaces pour identifier les enfants qui risquent de devenir délinquants.


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(19)Loeber. (1988). « Behavioral Precursors and Accelerators of Delinquency », op. cit. Voir aussi N. Richman, J. Stevenson et P. Graham. (1985). « Sex Differences in Outcome of Pre-School Behaviour Problems », dans A.R. Nicol, éd., Longitudinal Studies in Child Psychology and Psychiatry. New York: Wiley. Voir R. Schacha,; M. Rutter et A. Smith. (1981). « The Characteristics of Situationally and Pervasively Hyperactive Children: Implications for Syndrome Definition », Journal of Child Psychology and Psychiatry, 22, 375-392.
(20)T.E. Moffitt et PA. Silva. (1988). « Self-Reported Delinquency Neuropsychological Deficit, and History of Attention Deficit Disorder », Journal of Abnormal Child Psychology, 16, 553-569. Voir aussi J.Q. Wilson et R.J. Herrnstein. (1985). Crime and Ruman Nature. New York: Simon & Schuster.
(21)Farrington, Loeber et Van Kammen. (1990). « Long-Term Criminal Outcomes », op. cit., p. 24.
(22)J. Loney et R. Milich. (1982). « Hyperactivity, Inattention and Aggression in Clinical Practice », dans M. Wolraich et D.K. Routh, éd., Advances in Behavioral Pediatrics, vol. 3. Greenwich, Conn. : JAI Press.
(23)R. McGee, S. Williams, et P.A. Silva. (1985). « Factor Structure and Correlates of Ratings of Inattention, Hyperactivity and Antisocial Behavior in a Large Sample of 9-Year-Old Children from the General Population », Journal of Consulting and Clinical Psychology, 53, 480-489.
(24)Magnusson. (1988). Individual Development, op. cit. Voir aussi D. Magnusson, H. Stattin et V. Allen. (1986). « Differential Maturation among Girls and its Relations to Social Adjustment: A Longitudinal Perspective », dans P.B. Baltes, D.L. Featherman et R.M. Lerner, éd., Life-Span Development and Behavior, vol. 7. Hillsdale, N.J. Erlbaum.
(25)Needleman et Bellinger. (1981). « Epidemiology of Low-Level Lead », op. cit.
(26)L.J. Meltzer, M.D. Levine, W. Karniski, J.S. Palfrey et S. Clarke. (1984). « An Analysis of the Learning Style of Adolescent Delinquents », Journal of Learning Disabilities, 17, 600-608.
(27)D. Kandel. (J 975). « Reaching the Hard to Research: Illicit Drug Use Among High School Absentees », Addictive Diseases, J, 465-480.
(28)A.S. Friedman, N. Glickman et A. T. Utada. (1985). « Predicting from Earlier Substance Abuse and Earlier Grade Point Average to Failure to Graduate from High School », Journal of Alcohol and Drug Education, 31, 25-31.
(29)D.P. Farrington, B. Gallagher, L. Morley, R.J. St. Ledger et D.J. West. (1986). « Unemployment, School Leaving and Crime », British Journal of Criminology, 26, 335-356.
(30)Loeber et Stouthamer-Loeber. (1988). « Family Factors as Correlates », op. cit.
(31)Voir D.S. Elliott, D. Huizinga et S.S. Ageton. (1985). Explaining Delinquency and Drug Use. Beverly Hills: Sage Publications. Voir aussi R. Loeber. (1987). « Explaining Delinquency and Drug Use (compte rendu d'ouvrage) », Aggressive Behavior, 13, 97-98.
(32)Loeber. (1988). « The Natural History of Juvenile Conduct Problems », op. cit.
(33)Ibid.
(34)R. Laeber. (1982). « The Stability of Antisocial and Delinquent Child Behavior: A Review », Child Development, 53, 1431-1446.
(35)Ibid.
(36)Résumé de K. MacDonald. (1985). « Early Experience, Relative Plasticity and Social Development », Developmental Review, 5, 99-121.
(37)Ibid.
(38)R.J. Cadoret et C. Cain. (1980). « Sex Differences in Predictors of Antisocial Behavior in Adoptees », Archives of General Psychiatry, 37, 1171-1175.
(39)MacDonald. (1985). « Early Experience », op. cit.
(40)D. Behar et MA. Stewart. (1982). « Aggressive Conduct Disorders of Children: The Clinical History and Direct Observations », Acta Psychiatrica Scandinavia, 65, 210-220. Voir aussi M. Wadsworth. (1979). Roots of Delinquency, Infancy, Adolescence and Crime. Oxford: Robertson.
(41)E.M. Cummings. (1987). « Coping with Background Anger in Early Childhood », Child Development, 58, 976-984.
(42)I. Kolvin, F.J.W. Miller, M. Fletting et PA. Kolvin. (1988). « Social and Parenting Factors Affecting Criminal-Offence Rates: Findings from the Newcastle Thousand Family Study », British Journal of Psychiatry, 152, 80-90. Voir aussi Wadsworth. (1979). « Roots of Delinquency », op. cit. et E.E. Werner et R.S. Smith. (1977). Kauai's Children Come of Age. Honolulu: University of Hawaii Press.