Le programme pour délinquants sexuels offert à l'établissement à
sécurité minimale de Westmorland est fondé sur le travail concernant le
modèle de dépendance sexuelle(1) de Patrick Carnes. Il faut préciser que
même si le programme est basé sur ce modèle, il n'y est pas limité. Au
contraire, il est éclectique, inspiré des modèles cognitiviste, psychodynamique et
spirituel. En outre, il peut être révisé et modifié au besoin; depuis sa mise
sur pied, divers volets ont été élaborés et ajoutés.
Amorcé en février 1988 en tant que projet pilote offert aux délinquants sexuels,
le programme a été mis en oeuvre au sein de l'établissement avec la collaboration
de l'aumônier affecté à la région, des psychologues de la prison et des
administrateurs de l'établissement. En janvier 1991, une centaine de délinquants sexuels
avait suivi un traitement dans le cadre du programme.
*Coordonnateur de programme, programme pour délinquants sexuels, Établissement de
Westmorland (Atlantique); également associé à l'Acadia University.
Le programme de base comporte 15 modules répartis sur 15 semaines. Chaque semaine, les
délinquants suivent une sociothérapie de trois heures et une thérapie individuelle
d'une heure. Les groupes, qui sont fermés, comptent entre quatre et huit détenus. Souvent,
les délinquants qui forment les groupes ont commis des infractions diverses. Ainsi, violeurs et
pédophiles peuvent se retrouver dans un même groupe. Ces groupes sont dirigés
conjointement par un tandem de thérapeutes homme et femme.
Une fois qu'ils ont terminé le programme de base, certains détenus suivent une formation
de deux semaines en prévention de récidive. Ce volet du programme est plus intensif - le
détenu suit une sociothérapie huit heures par jour.
Lorsqu'ils ont suivi tout le programme, les délinquants peuvent prendre part à un
programme de suivi offert toutes les six semaines à l'établissement. Les membres de la
famille des délinquants peuvent se joindre à ces groupes.
Le délinquant et le modèle de traitement
De nombreux cliniciens qui s'occupent de délinquants sexuels constatent aujourd'hui que le
nombre de victimes de mauvais traitements sexuels et physiques parmi ces délinquants est
beaucoup plus élevé qu'ils ne le pensaient auparavant(2).
Certains sont d'avis qu'un délinquant qui déclare avoir été victime de
mauvais traitements cherche à éviter d'avoir à assumer la responsabilité
de l'infraction qu'il a commise(3). Selon d'autres études, le nombre de victimes
parmi les délinquants est peu élevé et ne constitue pas un facteur
déterminant qui incite le délinquant à commettre une infraction.
Le programme offert à Westmorland est fondé sur le point de vue contraire. La
victimisation du délinquant est un des pivots du modèle thérapeutique. Les
données démographiques recueillies dans le cadre du programme indiquent que les taux
d'abus sont élevés : 51 p. 100 des délinquants déclarent avoir
été victimes de mauvais traitements physiques, et 60 p. 100, d'agression sexuelle. Dans
presque les trois quarts des cas (74 p. 100), l'agresseur du délinquant était un homme
- la plupart du temps, le père ou le remplaçant du père. Quant au 26 p. 100 des
autres, ils avaient été agressés par des femmes -soit par leur mère, une
parente plus âgée ou une gardienne.
La façon dont les délinquants réagissent à l'agression dont ils sont
victimes détermine dans quelle mesure ils commettront une infraction à leur tour. Pour
eux, la dissociation (ou le refoulement) est le moyen de se défendre et de surmonter le
traumatisme causé par le mauvais traitement dont ils ont été
victimes(4). Ils ont également tendance à se refermer sur eux-mêmes et
à afficher davantage d'hostilité dans leurs rapports avec les autres et avec
eux-mêmes(5). Ces facteurs tendent à éloigner le délinquant
sexuel de l'expérience vécue par les autres et par lui-même.
En se concentrant sur l'expérience de victimisation du délinquant, il est possible
d'aider ce dernier à redécouvrir les émotions liées au traumatisme qu'il
a refoulées. Une fois qu'il peut faire le lien avec son expérience personnelle, le
délinquant est mieux placé pour comprendre l'expérience des autres, en
particulier celle de sa victime. Confronté au mal qu'il avait infligé à sa
victime, un délinquant a exprimé le sentiment suivant : «comment voulez-vous que
je comprenne ce qu'elle ressent, si je ne comprends pas moi-même ce que je ressens ». En
mettant à jour l'expérience de victimisation du délinquant, il y a moyen de lui
faire comprendre les sentiments de sa victime.
Pour faciliter ce processus, il faut parer à la tendance du délinquant à
devenir hostile ou à s'isoler. Le modèle thérapeutique vise avant tout à
créer un climat de confiance, dans lequel le délinquant peut tisser des liens
significatifs avec le thérapeute et le groupe. C'est ce climat de confiance qui permet aux
délinquants de commencer à découvrir et à maîtriser des facettes de
leurs personnalités qu'ils avaient auparavant refoulées. Il faut veiller sur les
délinquants tout en les confrontant à la réalité de leurs actes. Si le
délinquant s'engage dans ces relations, cet engagement marque le début d'un processus
d'épanouissement de soi qui peut s'étendre aux relations entretenues au sein de la
collectivité.
Dans le cadre du programme, un comportement sexuel aberrant est considéré comme
l'expression de besoins dénaturés, dont le besoin d'intimité, le besoin de
pouvoir et le besoin d'exprimer sa colère et son hostilité. Dès qu'il sombre
dans l'aberration, le délinquant commence à satisfaire ces besoins par des
gratifications sexuelles inappropriées; il peut être fortement attaché à
ce comportement sexuel ou encore, passionné ou compulsif à son égard, au point
de perdre complètement la maîtrise de lui-même et d'être gouverné par
son désir.
Un des objectifs du programme est de faciliter une expression plus créative et la
satisfaction de ces besoins fondamentaux. Le programme de prévention de la récidive
enseigne aux délinquants à mieux maîtriser leur comportement sexuel.
Pour clore la description du programme, il faut souligner que la pression psychologique qui s'exerce
sur les thérapeutes qui dirigent ces programmes est énorme. La supervision du
thérapeute est et continuera d'être la pierre angulaire du programme, chaque
thérapeute faisant l'objet d'une supervision d'une ou deux heures par semaine.
Recherche
Le volet recherche du programme vise trois domaines dont le premier est l'évaluation du
programme. Depuis la mise sur pied du programme, on procède à des mesures de test
avant-après (prises avant et après le traitement en vue de déceler tout
changement dans certains domaines). De plus, une échelle permettant d'évaluer les
progrès des délinquants participant au programme a été établie. Le
deuxième domaine de recherche porte sur la découverte de certains traits de
personnalité des délinquants. Trois études ont été faites à
cet égard. Le troisième domaine de recherche vise l'information démographique.
Sont présentés ci-après certains résultats relevant de ces trois
domaines.
Au départ, l'objectif du test avant-après était d'évaluer si le
programme avait l'effet désiré sur le délinquant. À cette fin, les tests
suivants ont été employés : l'inventaire clinique multiaxial de Millon (MCMI);
le questionnaire IPAT (85Q); les sous-échelles de l'inventaire multiphasique de la
personnalité du Minnesota (MMPI) portant sur l'hostilité, le déni de la
réalité et la désirabilité sociale; une mesure de l'empathie
émotive; une mesure du locus de maîtrise et une mesure de la dissociation.
Les résultats des tests indiquent d'importants changements dans l'orientation
désirée d'après sept des huit échelles du 8SQ, une importante
réduction de l'hostilité et un mouvement important vers un locus de maîtrise
interne (opposé à externe). Selon ces résultats, le programme aide les
délinquants à mieux exprimer leurs émotions, à devenir moins hostiles et
à mieux maîtriser leurs impulsions, leurs sentiments, leurs relations sociales et leur
sort.
Le deuxième aspect de l'évaluation du programme concernait l'élaboration et la
mise en oeuvre de l'échelle d'évaluation de la participation. Cette échelle
compte 45 questions relatives aux il sous-échelles suivantes : défensive, acceptation
de l'impuissance, réaction face à la gêne, perspicacité, empathie,
degré d'engagement et d'hostilité, pardon, acceptation de la responsabilité,
affirmation de soi, expression d'émotion et troubles de raisonnement. Les thérapeutes
effectuent ces tests au milieu et à la fin du traitement. Les progrès
réalisés sont communiqués aux délinquants. L'échelle est d'une
fiabilité constante.
La recherche par évaluation commence par prouver certains résultats
prévisibles. Pour l'instant, ces résultats sont provisoires; il faut plus de temps pour
prouver leur validité. Récemment, deux délinquants sont rapidement
retournés en prison. L'un avait récidivé peu de temps après sa
libération et l'autre était jugé sur le point de récidiver. La revue des
résultats des tests avant-après a permis de constater que tous deux avaient des
résultats fort différents de ceux des autres délinquants, notamment ils avaient
obtenu un résultat nettement plus bas à l'évaluation de la participation. Bien
que l'échantillon soit petit, les résultats pourraient permettre de dépister les
délinquants qui risquent de récidiver peu de temps après avoir été
libérés.
Tel qu'il a été mentionné précédemment,
trois études ont été faites en vue de mieux comprendre
le délinquant sexuel. D'après les résultats obtenus,
les délinquants sexuels sont plus hostiles et dissociatifs, et
sont plus susceptibles d'avoir un locus de maîtrise externe, comparativement
aux autres délinquants ou aux hommes de la population en général(6).
La tendance qui se dégage d'une des études indique que ces
délinquants sexuels pourraient plus facilement faire preuve d'empathie
que les autres délinquants(7) La dernière étude
révèle que l'incidence de personnalité dépendante
est élevée dans ce groupe de délinquants(8).
Graphique

Le dernier domaine de recherche visait l'information démographique sur les participants au
programme. Des données sur divers aspects sont en voie d'être recueillies et
analysées. Les questions suivantes revêtent un intérêt particulier: la
récidive, la durée de l'incarcération une fois le programme terminé, le
passé du délinquant, le pourcentage de la peine purgé par rapport aux
délinquants sexuels non traités et le type de délinquant soigné. Le tableau
est ventilé par catégorie d'infraction commise par les délinquants sexuels
traités pendant les trois premières années du programme.
Conclusion
De l'information sur la nature du traitement et le modèle de recherche adopté dans le
cadre du programme pour délinquants sexuels offert à l'établissement de
Westmorland a été présentée ici. Le programme comporte d'autres
éléments dont il n'a pas été question, notamment la mise sur pied d'un
programme communautaire de suivi, pour lequel il y a un besoin urgent.
Le programme est fondé sur le principe qu'il est possible d'amorcer
un processus de guérison par un traitement en prison, mais que
celui-ci doit se poursuivre après la mise en liberté. Le
programme ne propose pas un remède, mais plutôt une guérison
avec le temps. Le délinquant qui luttera contre la tentation de
s'extérioriser encore et encore sera le plus vulnérable
une fois de retour au sein de la collectivité. Il faut prêter
un appui aux délinquants qui ont purgé leur peine et qui
veulent réellement poursuivre le processus de guérison.
(1)P. Carnes. (1983). Out of the Shadows: Understanding Sexual
Addiction. Minneapolis (Minnesota): Compcare.
(2)N. Groth. (1 979). « Sexual Trauma in the Life of Rapists and Child
Molesters », Victimology, 4, 10-16. Voir aussi D. Tingle, G. Barnard, L. Robbins, G. Newman et D.
Hutchinson. (1986). « Childhood and Adolescent Characteristics of Pedophiles and Rapists
», International Journal of Law and Psychiatry, 9, 103-116. Voir T. Seghorn, R. Prentky et
R. Boucher. (1987). « Childhood Sexual Abuse in the Lives of Sexually Aggressive Offenders
», Journal of the American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, 26, 262-267.
(3)R. Langevin et R. Lang. (1988). Incest Offenders: A Practical Guide to
Assessment and Treatment. Etobicoke : Juniper.
(4)E. Bliss et E. Larson. (1985). « Sexual Criminality and Hypnotizability
», The Journal of Nervous and Mental Disease, 173, 522-526. Voir aussi K. Graham. (1991).
« Towards a Better Understanding and Treatment of Sex Offenders ». Manuscrit soumis pour
publication.
(5)J. Gilgun et T. Connor. (1990). « Isolation and the Adult Male Perpetrator
of Child Sexual Abuse: Clinical Concerns », dans A.L. Horton, B.L. Johnson, L.M. Roundy et D.
Williams (Éd.), The Incest Perpetrator: A Family Member No One Wants to Treat. Newbury
Park: Sage, 74-88. Voir aussi K. Graham. (1989). « An Investigation of Personality Characteristics
of Sex Offenders ». Manuscrit non publié, Acadia University, Département de
psychologie. Voir aussi Graham. « Towards a Better Understanding and Treatment of Sex Offenders
».
(6)Graham. « Towards a Better Understanding and Treatment of Sex Offenders
».
(7)Graham. « An Investigation of Personality Characteristics of Sex Offenders
».
(8)K. Graham. (1991). « Addiction: A Possible Component
of Sexual Offending », American Journal of Preventive Psychiatry
& Neurology, 3, 54-56. |